Le spectre d'une crise économique mondiale :“Je pense que les risques de contagion financière sont moins importants qu’à l’époque [...]. Beaucoup de groupes de premier plan occidentaux sont vulnérables au ralentissement chinois par le canal commercial.” François Lenglet
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00:00 On va quitter l'Ukraine un instant et poursuivre notre route plus à l'est.
00:03 Bonsoir François Langlais.
00:04 Il va nous rejoindre sur ce plateau spécialiste de l'économie,
00:08 grand connaisseur de la Chine.
00:11 Merci d'être là ce soir avec nous.
00:14 Elle a été et est encore le principal moteur de l'économie mondiale ces dernières années.
00:19 La Chine pourrait-elle devenir désormais son principal boulet ?
00:23 L'état de santé de son économie inquiète.
00:25 Ce qui inquiète aussi ce sont les conséquences qu'aurait un arrêt franc de la locomotive chinoise.
00:31 Certains n'hésitent pas à parler d'un moment,
00:34 l'Eman pour la Chine, référence à la faillite de la banque américaine en 2008.
00:38 Elle avait créé une crise financière mondiale.
00:40 Nous n'en sommes pas là apparemment.
00:42 Pour bien comprendre d'abord les faits, rien que les faits,
00:45 c'est l'heure de nos indispensables.
00:47 Bonsoir Quentin Berrichel, merci d'être là également.
00:55 D'abord, de quoi parle-t-on quand on parle de cette crise chinoise ?
00:59 Eh bien d'abord, immobilière Thomas.
01:01 Une image suffit pour vous que vous compreniez l'ampleur de cette crise.
01:04 Nous sommes à proximité de Shenyang, c'est à l'est du pays.
01:08 Et ce que vous voyez là, c'est littéralement une ville fantôme.
01:12 Un immense complexe immobilier construit en 2010,
01:16 mais arrêté subitement quelques années plus tard par le promoteur chinois.
01:20 Des centaines de maisons qui sont aujourd'hui sans propriétaire.
01:24 C'est l'un des symboles de la crise qui touche la Chine actuellement,
01:28 et la chute des principaux promoteurs immobiliers privés chinois.
01:32 On parle là tout de même de 80 sociétés qui tombent une à une,
01:36 comme des dominos.
01:37 Pour vous donner un ordre d'idée, il y a le dernier exemple en date.
01:40 Country Garden, le numéro 1 de l'immobilier en Chine.
01:44 Le promoteur représente 3 000 chantiers en Chine,
01:47 des immeubles, des villes entières même.
01:50 Le géant était vu comme l'entreprise la plus solide de Chine.
01:53 Mais il y a 10 jours, Country Garden annonce
01:56 ne pas pouvoir rembourser sa dette colossale,
01:59 1 400 milliards de yuan, soit 176 milliards d'euros,
02:04 l'équivalent du PIB de la Hongrie.
02:07 Cette chute suit celle d'un autre grand promoteur chinois en 2021,
02:11 Evergrande, incapable de rembourser ses centaines de milliards de dettes
02:15 à ses créanciers.
02:17 Le groupe a depuis disparu des bourses asiatiques.
02:20 Ses sommes, ses promoteurs les avaient empruntées sur les marchés
02:23 et les banques chinoises.
02:24 Ces défauts de paiement fragilisent donc le système financier chinois,
02:29 menacé aujourd'hui d'effondrement.
02:31 Alors comment la Chine en est arrivée là ?
02:33 Eh bien parce que pendant des dizaines d'années,
02:35 le régime chinois a accordé des crédits à tour de bras
02:38 aux constructeurs immobiliers.
02:40 Les prix ont alors augmenté, créant une bulle spéculative
02:43 qui semble avoir explosé ces derniers mois.
02:46 Le prix des maisons et des appartements est en chute libre,
02:49 près de 15% moins cher dans certaines régions.
02:52 Et malgré cela, les ventes immobilières s'effondrent en Chine.
02:55 Mais cette crise n'est pas qu'immobilière.
02:58 Non, c'est également une crise de croissance.
03:01 Et un chiffre résume tout.
03:03 En 2022, regardez, le taux de croissance de la Chine n'a atteint que 3%.
03:08 Alors certes, c'est loin d'une récession,
03:10 mais c'est tout de même la plus faible croissance chinoise
03:12 depuis plus de 45 ans.
03:14 Et cette année 2023 pourrait être encore pire,
03:17 selon certains analystes économiques.
03:19 Il est de plus en plus probable que la croissance annuelle du PIB chinois
03:23 va rater la barre des 5%.
03:26 Alors l'une des principales raisons de ce ralentissement,
03:28 c'est la guerre en Ukraine et l'inflation des prix.
03:31 Les principaux clients occidentaux ont réduit leurs commandes faites à Pékin.
03:35 L'atelier du monde produit moins et donc exporte moins.
03:39 Dans la foulée, la consommation des ménages tagne également en Chine.
03:43 Après un net rebond en début d'année 2023, vous le voyez,
03:46 elle a de nouveau ralenti ces derniers mois pour atteindre péniblement
03:50 les 1% en juillet dernier par rapport à l'an précédent.
03:54 Enfin, dernier indicateur de cette crise en Chine,
03:57 c'est le taux de chômage des jeunes, 21,3%,
04:02 jamais vu dans le pays,
04:03 à tel point que le Bureau des statistiques de Chine
04:06 a décidé ces derniers jours qu'il ne publierait plus
04:09 les chiffres du chômage pour cette tranche d'âge jusqu'à nouvel ordre.
04:13 Un jeune sur cinq au chômage en Chine.
04:16 La question évidemment qu'on se pose, c'est est-ce qu'il y a un risque de contagion ?
04:19 Est-ce qu'il y a un risque pour nous que nous revivions la crise financière de 2008 ?
04:24 Alors, la plupart des experts indiquent que le risque est très limité, Thomas.
04:28 D'abord parce que la situation est très différente de 2007,
04:31 au début de la crise, lorsque la banque Lehman Brothers s'était effondrée.
04:35 Elle avait entraîné dans sa chute des dizaines d'autres banques occidentales
04:39 qui avaient investi massivement dans le marché financier américain.
04:42 En Chine, malgré les quelques investissements étrangers,
04:45 le marché est considéré comme fermé, très peu accessible pour les investisseurs occidentaux.
04:51 Les institutions financières américaines ou encore européennes
04:53 sont donc moins dépendantes de la situation chinoise.
04:56 Et selon plusieurs spécialistes, comme Samy Char, économiste interrogé dans le Figaro,
05:02 les entreprises françaises ne sont pas exposées directement à l'immobilier résidentiel chinois.
05:07 En revanche, si la crise dure en Chine, certains experts notent qu'il pourrait y avoir des effets,
05:13 tout de même sur nos économies occidentales.
05:15 D'abord parce que la Chine, c'est l'atelier du monde.
05:18 De nombreuses usines produisent pour le marché occidental.
05:22 On pense au téléphone, au matériel informatique ou encore au textile.
05:26 Si la Chine produit moins et exporte moins,
05:29 la France, par exemple, aurait moins de produits chinois
05:32 ou tout du moins fabriqués en Chine sur son marché.
05:35 La consommation diminuerait.
05:37 Pas forcément une bonne nouvelle pour la croissance française.
05:40 Merci, Quentin, pour toutes ces précisions.
05:42 François Langlais, quand Joe Biden qualifie la situation économique chinoise de "bombe à retardement",
05:47 est-il dans le vrai ?
05:49 C'est les subprimes à la chinoise.
05:51 Ça a été très bien décrit par Quentin, c'est-à-dire qu'il y a cette espèce de mécanique de surinvestissement.
05:56 Finalement, quand vous prenez les 40 dernières années,
05:59 le PIB par tête a été multiplié par 25 en Chine.
06:02 Ça n'est jamais arrivé dans l'histoire de l'humanité.
06:06 Le carburant de cette croissance hors du commun,
06:10 ça a été le plus grand exode rural de tous les temps.
06:14 On a transporté des centaines de millions de paysans
06:17 dans les villes de la côte orientale
06:19 pour les faire travailler pour l'exportation sur l'Occident.
06:22 Et on a construit des villes pour les loger.
06:24 C'est ça, la croissance chinoise.
06:26 C'est les locaux pour les loger,
06:28 c'est les routes pour les faire circuler,
06:29 les piscines pour les baigner,
06:30 les écoles pour les éduquer.
06:32 C'est ça, c'est fini.
06:34 On a fait ce travail-là.
06:35 La démographie chinoise est aujourd'hui sur un déclin important.
06:39 Pour vous donner un seul chiffre,
06:41 chaque année, la population active chinoise
06:45 diminue aujourd'hui de 7 millions de personnes.
06:48 Donc il y a évidemment une base très importante,
06:52 c'est de l'ordre de 900 millions, c'est très important.
06:54 Mais c'est dire l'extraordinaire rapidité de ces évolutions.
06:58 Donc quand vous superposez la crise d'investissement,
07:01 qui est analogue à celle qu'avait connue le Japon
07:04 à la fin des années 80,
07:05 ou les pays émergents, les dragons asiatiques
07:08 à la fin des années 90,
07:09 et quand vous superposez ça à la crise démographique
07:14 et au découplage, pour les raisons politiques,
07:16 très bien expliquées par Quentin,
07:19 vous arrivez à la conclusion qu'il se prépare
07:22 un krach économique en Chine de première ampleur,
07:26 qui à mon sens, remet en cause l'idée selon laquelle
07:30 la Chine pourrait un jour rattraper les États-Unis.
07:33 Ce n'est pas du tout évident que ça arrive.
07:36 On va parler évidemment de ce qui nous concerne, nous, Européens.
07:39 J'aimerais savoir si cette crise va nous toucher ou pas.
07:42 Les économistes cités par Quentin disent non,
07:45 ce n'est pas exactement la même situation
07:47 que ce qui s'est passé à partir de 2005, 2007, 2008
07:51 avec la faillite de Lehman Brothers.
07:54 Je me souviens qu'à l'époque,
07:55 de très nombreux experts nous disaient
07:57 exactement la même chose.
07:59 Les banques sont solides, elles sont financées.
08:01 La crise est circonscrite, elle ne sera pas mondiale.
08:04 Est-ce le même scénario ou pas ?
08:07 C'est vrai que le système financier mondial,
08:10 au fond, sa solidité est égale à celle du maillon le plus faible,
08:14 par définition.
08:15 Donc si une banque solide est en relation d'affaires
08:19 avec une banque qui ne l'est pas,
08:20 mécaniquement, elle prend le risque de ne pas être payée,
08:23 de ne pas avoir sa contrepartie.
08:24 C'est ce qui s'est passé au moment de Lehman Brothers.
08:26 C'est ce qui a fait que les banques européennes
08:28 ont été emportées dans la tourmente mondiale.
08:30 Mais différence d'importance quand même
08:33 qui a été rappelé par Quentin,
08:34 New York, c'était le cœur de la finance mondiale.
08:38 Aujourd'hui, la finance, la Chine, ce n'est pas le cas.
08:40 C'est un pays très important.
08:43 Mais la finance mondiale vit bien au-delà de la Chine.
08:46 Donc je pense que les risques de contagion financière
08:49 sont moins importants qu'à l'époque.
08:51 Alors il reste la contagion commerciale.
08:54 Il y a un élément qu'on peut rajouter,
08:55 c'est que des grandes entreprises comme Volkswagen
08:58 réalisent plus de 40% de leurs profits en Chine.
09:02 Si la Chine va mal, ça sera 40% en moins.
09:05 LVMH vend évidemment énormément en Chine,
09:08 même si, avec une sagesse remarquable,
09:12 l'entreprise a développé un nouveau pied,
09:14 je pense, en prévision de la crise chinoise,
09:17 avec l'acquisition de Tiffany aux États-Unis.
09:19 De fait, c'est un groupe qui est vulnérable.
09:21 Beaucoup de groupes de premier plan occidentaux
09:24 sont vulnérables au ralentissement chinois
09:26 par le canal commercial.
09:27 Il y a un autre élément,
09:29 mais là, Sylvie connaît ça beaucoup mieux que moi,
09:32 c'est les espèces d'effets politiques indirects.
09:38 Si la Chine retrouve une croissance de l'ordre de,
09:42 je ne sais pas, entre 0 et 2%,
09:44 le pacte social est rompu.
09:46 On peut s'attendre à avoir des troubles,
09:48 ou en tout cas, on peut s'attendre à ce que le pouvoir,
09:52 pour prévenir les troubles,
09:54 coalise le pays dans une opération nationaliste
09:59 qui là, pourrait avoir des conséquences politiques
10:01 et militaires beaucoup plus graves pour nous.
10:03 - Vous pensez à Taïwan, et on va y revenir évidemment.
10:05 - C'est plutôt de ce côté-là que je vois le risque de la croissance,
10:07 disons de l'effondrement économique chinois.
10:11 - Quelques chiffres pour illustrer ce que vous venez de nous dire.
10:14 Le FMI table sur une croissance chinoise inférieure à 4%
10:17 dans les années à venir, elle pourrait être de 2% en 2030.
10:22 En admettant que ce ralentissement se fasse dans la douceur,
10:26 une croissance chinoise à 2%,
10:29 qu'est-ce que ça veut dire pour le reste du monde ?
10:31 Est-ce synonyme de récession en Europe,
10:34 de récession aux États-Unis où les échanges de dettes
10:37 entre les deux pays n'ont jamais été aussi importants ?
10:41 Qu'est-ce que ça veut dire pour l'ensemble de la planète ?
10:43 - Je ne suis pas sûr que ce soit aussi négatif que ça.
10:45 C'est une redistribution de la richesse.
10:47 - Je n'affirme rien.
10:48 - Un monde où la Chine croit à 10 ou 12%, en grande partie,
10:53 d'ailleurs grâce aux délocalisations,
10:55 l'investissement occidental considérable
10:56 qui a été fait dans l'industrie là-bas,
11:00 il exerce sur les salaires ici une pression concurrentielle très forte
11:04 dont profitent le consommateur et l'actionnaire.
11:07 Ça a été les deux gagnants de l'opération délocalisation en Chine.
11:10 Ces deux-là, avec une Chine qui ralentit,
11:13 ils vont probablement payer la note.
11:15 Les prix seront plus élevés, on commence à le voir,
11:18 et l'actionnaire, on peut imaginer que les profits seront plus faibles.
11:20 Je vous parlais de Volkswagen il y a un instant, ou de LVMH.
11:23 Pour autant, il y aura des gagnants, cette affaire-là.
11:26 Et notamment, on peut imaginer que dans un monde
11:31 de surcroît un peu démondialisé, avec la rivalité entre les blocs,
11:36 avec une Chine qui n'exerce plus une espèce d'aspiration
11:41 des capitaux d'investissement industriel,
11:44 on peut imaginer que les classes moyennes occidentales
11:50 seront moins exposées qu'elles ne l'ont été dans les dernières décennies.
11:53 Donc je ne serai pas aussi négatif que ça sur les conséquences de moyen terme,
11:58 même si là on parle non pas de 2024, mais plutôt de l'horizon 2030.
12:03 2%, c'est tout à fait auraisemblable.
12:06 Si la Chine connaît le même destin que le Japon,
12:09 ça ne sera pas 2%, ils seront contents d'avoir 2%.
12:13 Et parce que la déflation, c'est zéro pendant 20 ans.
12:17 Alors, je voudrais rebondir sur l'un des points que vous avez mentionnés,
12:21 sur les conséquences de ce que pourrait être cette crise économique
12:24 si elle venait à se concrétiser.
12:26 Pour l'instant, nous disent les experts au niveau mondial,
12:29 ce ne sera pas le cas.
12:30 Est-ce qu'elle peut déboucher sur une crise politique ou militaire ?
12:34 Pour dire les choses simplement, est-ce que Pékin pourrait,
12:38 sous l'impulsion peut-être des plus nationalistes,
12:41 se radicaliser, tenter, et certains régimes l'ont fait,
12:44 par exemple, une attaque sur Taïwan pour,
12:49 j'allais dire, occuper les populations à autre chose ?
12:53 Alors, on ne peut plus jamais dire jamais.
12:57 Je veux dire, on a effectivement l'exemple de l'invasion russe de l'Ukraine.
13:05 En même temps, tous les experts militaires disent que la Chine
13:09 ne peut rien faire avant 2027 sur le plan militaire,
13:12 qu'elle n'en a pas les moyens.
13:14 C'est demain 2027 quand même.
13:16 Oui, mais il y a encore du temps,
13:17 y compris peut-être pour redresser aussi l'économie.
13:21 Tout ce qu'a dit François est évidemment très juste.
13:24 L'étrante glorieuse de la Chine,
13:27 c'était lié précisément à cet exode rural.
13:30 La Chine, c'était 70% de ruraux,
13:34 et chaque année, on dépassait le pourcentage.
13:40 Moi, j'étais là-bas quand on est passé à 50%.
13:42 Vous avez été ambassadrice de France en Chine ?
13:45 Absolument.
13:46 Je le précise pour ceux qui ne connaissent pas votre série.
13:48 L'autre problème, c'est lié un petit peu à l'idéologie et à Xi Jinping,
13:54 c'est qu'il y a une réforme qui est indispensable à faire,
13:56 c'est de redonner à l'entreprise privée,
13:58 qui est beaucoup plus performante,
14:01 le lead d'une certaine manière,
14:02 parce que ces réformes devaient être faites,
14:05 et c'est l'inverse qui s'est passé.
14:06 C'est ces mastodontes économiques qui dépendent de l'État
14:12 et qui ne sont pas du tout créatifs
14:14 et qui ne créent pas non plus d'emplois.
14:17 Donc, je pense que c'est le gros problème,
14:19 indépendamment, évidemment, des pertes démographiques
14:22 qui sont essentielles,
14:24 de cette crise de l'immobilier qui était plus ou moins prévisible.
14:27 C'était 30% du PNB de la Chine,
14:31 et les grands milliardaires chinois
14:33 qui, ensuite, ont bâti d'autres usines dans d'autres domaines,
14:38 c'était des...
14:40 Je ne sais plus comment on dit en français,
14:41 c'était des développeurs,
14:43 c'était des promoteurs immobiliers.
14:47 Donc, effectivement, la Chine doit changer de modèle de croissance
14:51 et puis, effectivement, renforcer la consommation intérieure.
14:56 Mais je pense que le principal, c'est ça,
14:58 c'est ce rapport entre le secteur privé
15:01 et le secteur de ces mastodontes très politiques
15:05 qui dépendent de l'État.
15:06 - Et le début de cette crise, elle vient de l'État chinois,
15:08 puisqu'elle a décidé de changer les règles, en quelque sorte.
15:11 Pardon, François, on reviendra vous dans un instant.
15:13 Jean-Dominique Merchat voulait réagir.
15:14 - Oui, ce qui me frappe, c'est qu'effectivement,
15:18 mais ça a été très bien dit,
15:19 c'est qu'il y a un régime de parties uniques
15:24 comme celui du Parti communiste chinois,
15:28 doit passer un compromis,
15:29 doit passer un contrat avec sa population.
15:32 Ce contrat, depuis une génération, plus d'une génération,
15:35 il s'appelle l'enrichissement.
15:37 L'enrichissement massif et rapide,
15:40 extraordinaire enrichissement de la population chinoise.
15:43 Ça, ça a assuré la stabilité du régime.
15:46 Il y avait eu les années du maoïsme
15:48 qui avaient été très différentes,
15:49 et puis depuis les années 80,
15:51 c'est ça qui fonctionne en Chine.
15:53 Si ça, ça s'arrête, si le moteur s'arrête comme ça,
15:56 parce qu'on rentrerait dans ce qui a été décrit
15:58 comme le scénario japonais,
16:00 c'est-à-dire la stagnation économique
16:02 sur fond de vieillissement extrêmement rapide
16:06 et prononcée de la population.
16:08 C'est exactement ce qui s'est passé au Japon.
16:10 Il faut retrouver un nouveau compromis politique
16:13 entre le Parti communiste,
16:14 qui est quand même une dictature, et la population.
16:17 Ça ne marche pas qu'à la schlague,
16:19 y compris un régime totalitaire.
16:21 Ça marche aussi dans un compromis social,
16:23 parce qu'il faut que les acteurs sociaux jouent le jeu.
16:26 Il faut qu'il y ait une base politique.
16:28 Alors c'est vrai, il y a le risque d'une fuite en avant nationaliste,
16:32 rapide, en disant "Écoutez, maintenant,
16:35 c'est maintenant ou jamais, on vieillit,
16:39 il faut en gros qu'on fasse des choses avant l'âge de la retraite,
16:43 et c'est maintenant qu'on va le faire."
16:44 Il y a ce risque réel d'une fuite en avant nationaliste
16:48 si jamais la mécanique économique
16:51 rentre dans un modèle de stagnation ou de faible croissance.
16:57 Il y a un vrai risque, moi je pense.
16:58 - François Langlais.
16:59 - Oui, je pense qu'en fait, ce que dis-je en 2 minutes qui est tout à fait juste,
17:02 c'est la fuite en avant, l'échappée possible.
17:06 L'autre, mais elle n'est pas contradictoire d'ailleurs,
17:08 c'est la fuite en avant financière avec l'endettement,
17:11 un peu à la japonaise justement.
17:13 Il y a quelque chose qu'on sous-estime considérablement,
17:15 que personnellement j'ai beaucoup sous-estimé.
17:17 Je pronostique cette crise financière chinoise depuis 10 ans.
17:21 Donc j'étais en avance si je dis les choses de façon flatteuse,
17:26 ou un peu décalée si je dis la réalité.
17:29 Et qu'est-ce que j'avais sous-estimé ?
17:31 Le fait que quand vous avez 10% de croissance et 15% d'inflation par an,
17:36 votre PIB augmente de 25% chaque année.
17:39 Donc votre dette accumulée diminue de 25% chaque année,
17:44 ce qui autorise l'utilisation massive du crédit
17:47 justement pour financer ces gigantesques plans de logement qu'on a vus.
17:50 Un élément, juste un chiffre pour compléter ce que disait Quentin,
17:53 150 millions de logements seraient inoccupés aujourd'hui.
17:57 Donc 25% de PIB en croissance par an,
18:01 ça vous assure l'impunité totale.
18:03 2% de croissance et 0% de prix,
18:05 c'est 2% d'augmentation du PIB.
18:08 C'est plus du tout la même limonade,
18:10 c'est même pas le prix du taux d'intérêt.
18:12 Ça veut dire que le pays surendetté,
18:14 au lieu de pouvoir se débarrasser grâce à l'inflation de la dette accumulée,
18:18 voit le niveau de l'eau monter.
18:19 Et justement, c'est le scénario, la japonaise, qui se profile.
18:23 - Vous vouliez réagir ?
18:25 - Non, réagir sur le contrat social d'abord.
18:27 Moi je me souviens, j'étais à Pékin
18:30 au moment de la visite d'état de François Hollande,
18:32 et il y avait une rencontre en tête à tête
18:34 entre les deux présidents et leurs conjoints.
18:37 Et justement, Xi Jinping avait évoqué ça.
18:40 Il a dit, pendant la période maoïste,
18:45 la légitimité du parti, c'était l'unité de la Chine,
18:50 l'unification de la Chine.
18:51 Pendant la période de Deng Xiaoping, c'était l'enrichissement.
18:55 Et il dit maintenant, il faut trouver un autre modèle.
18:57 Et c'est à peu près il y a dix ans qu'il a dit ça,
19:00 sans trouver d'autre modèle,
19:02 ou au contraire, peut-être en renforçant la dimension idéologique.
19:08 - Oui, l'autre modèle, ça peut être Chine ou Boralès.
19:11 - Il y a eu la tentative sociodémocrate.
19:13 - Est-ce que le modèle qu'il a proposé,
19:17 qui justement peut-être montre ses limites aussi
19:19 à travers cette crise, c'est le modèle autocratique ?
19:22 Ce qui est frappant aujourd'hui avec Xi Jinping,
19:25 c'est qu'on est face à une dictature,
19:28 mais qui devient une autocratie dans toute sa splendeur,
19:32 où le pouvoir est de plus en plus concentré
19:34 entre les mains du chef et entre les mains de l'élite du parti.
19:40 Et donc, peut-être que ça, c'est les limites du système,
19:45 c'est-à-dire qu'il ne va pas être capable
19:48 de recréer une confiance qui permette de sortir de cette crise.
19:51 - On les a touchées du doigt, ces limites au grand du Covid.
19:54 - Bien sûr.
19:55 - C'est fait. C'était la décision d'un petit groupe de gens,
19:57 stupides, coûteuses,
19:59 mais finalement qui a été maintenu parce qu'il n'y avait pas de contre-pouvoir.
20:02 - Stupides et coûteuses, on le dit à postériorise.
20:05 Souvenez-vous qu'à l'époque où la Chine a mis en place
20:07 sa politique anti-Covid au tout début,
20:09 avec ses restrictions d'une sévérité sans comparaison,
20:13 tout le monde admirait cette discipline et ce modèle chinois.
20:16 Et le faible nombre de morts, même si on se doutait évidemment
20:20 que les chiffres n'étaient pas forcément livrés.
20:22 - Ça a changé de nature.
20:23 - Bien sûr.
20:24 - On était dans un autre paradigme.
20:28 Alors c'est vrai que des pays démocratiques l'ont adopté,
20:32 mais c'était des îles qui avaient pu justement contrôler
20:35 les entrées sur leur territoire.
20:37 - La situation économique aujourd'hui est quand même largement
20:40 le résultat de cette politique zéro Covid.
20:43 Moi j'étais en avril en Chine où il y avait un petit peu d'espoir,
20:46 d'ailleurs on le voit dans les graphiques,
20:47 c'est le moment où la croissance reprenait.
20:49 Mais c'est vrai que la plupart étaient très critiques sur cela.
20:53 C'est cela aussi qui affaiblit cette économie.
20:55 C'est cela également qui a provoqué toutes ces faillites.
21:00 Parce que comme les gens de toute façon ne pouvaient pas sortir de chez eux,
21:03 ils ne l'achetaient pas.
21:05 Les entrepreneurs n'avaient plus de contrat,
21:10 ils ont fait faillite.
21:12 Donc ça a été en fait un petit peu en cascade,
21:15 et c'est le prix qui est payé aujourd'hui de cette politique
21:18 qui a duré beaucoup trop longtemps.
21:20 - Une dernière question peut-être sur cette thématique.
21:23 Cette crise possible de l'économie chinoise,
21:26 est-ce qu'elle peut changer l'influence du pays sur le monde ?
21:30 La Chine est devenue le centre de l'Asie depuis des années.
21:34 Elle continue de l'être.
21:36 Militairement, elle a autant de bateaux militaires désormais que les États-Unis.
21:40 C'est une véritable puissance.
21:42 Est-ce que cette crise peut changer la donne ?
21:44 - Mais ça va tout changer, Thomas.
21:46 Le socle de la puissance militaire et géopolitique,
21:49 c'est toujours l'économie.
21:51 Toujours.
21:53 Vous pouvez avoir des pays avec une économie fragile
21:56 qui se rebellent à un moment,
21:58 ou qui justement se lancent dans des aventures nationalistes,
22:00 ça ne dure jamais.
22:02 Il faut relire Paul Kennedy, "Histoire des empires".
22:04 La moindre variation de richesse
22:08 se traduit par une variation des équilibres internationaux.
22:11 On peut penser, pour cette raison-là,
22:15 à mon avis aussi pour d'autres,
22:17 que la Chine ne sera jamais le maître du monde.
22:20 Ce n'est pas pour ça que les États-Unis le redeviendront.
22:22 Ils n'ont plus les moyens de l'assurer.
22:24 L'actualité qui se déploie sous nos yeux en témoigne.
22:28 Mais pour autant, un pays en difficulté, chez lui,
22:32 si on tire une ligne à 10-15 ans,
22:36 la Chine c'est un gigantesque Ehpad.
22:39 Un Ehpad ne va pas se lancer à la conquête du monde.
22:44 Les problèmes qui vont se poser,
22:47 c'est le financement de la santé,
22:49 c'est le financement de la retraite,
22:51 ça va mobiliser des sommes considérables
22:53 à l'aune de ce pays extraordinaire.
22:55 Tout ça dans un contexte où,
22:57 1) ils seront coupés de l'accès aux nouvelles technologies occidentales
23:00 sur lesquelles ils ont pu compter
23:02 sans aucune limite jusqu'à l'arrivée de Donald Trump,
23:05 et 2) au moment où, justement,
23:08 à cause du surinvestissement,
23:10 un petit peu comme les États-Unis l'étaient dans les années 1920,
23:13 la crise des années 1930,
23:15 c'est aussi une espèce de réaction
23:17 au surinvestissement considérable qui avait eu lieu à l'époque.
23:20 Vous additionnez tous ces paramètres,
23:23 on a du mal à imaginer une Chine
23:26 qui impose sa loi au monde.
23:28 On appelle ça des bulles, dans le jargon financier.
23:31 Le destin des bulles, c'est d'exploser.
23:34 Merci François pour ces précisions.