"Une génération lassée de mentir" : Rahma Adjadj nous présente son livre "Nous les transgressives", une prolongation de son enquête journalistique sur les jeunes femmes d'origine maghrébine qui dissimulent leur vie sentimentale à leur famille, prises entre exigences familiales et émancipation.
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00:00 Parler des femmes maghrébines, ça crispe.
00:02 Même si on est une femme maghrébine et parler de notre vécu, ça crispe parce qu'on est des sujets politiques en fait.
00:07 Et ça je m'en suis rendue compte sur Twitter à la sortie de l'article.
00:11 Déjà ce que les gens voyaient c'était le monde.
00:14 C'était pas forcément Myriam et Rama qui viennent faire une pige parce que les gens connaissent pas forcément l'envers du décor de notre métier.
00:19 Et donc c'était le monde qui fouille dans les culottes des maghrébines,
00:23 c'est littéralement ce qu'on m'a dit,
00:25 que j'étais une traîtresse de ma communauté et après plein d'autres remarques.
00:31 Voilà un florilège de remarques.
00:33 Mais en fait ce qui était aussi hyper frappant c'est que ça venait de personnes maghrébines,
00:38 de femmes qui étaient aussi concernées, qui disaient "oui c'est vrai ça existe mais on n'est pas obligées de laver notre linge, ça, en public".
00:44 Et d'autres personnes qui étaient plutôt des hommes blancs un peu fachos,
00:47 qui disaient "vous voyez c'était encore des filles qui sont martyrisées par leur famille,
00:52 qui sont dominées, qui sont obligées de mentir, les pauvres femmes il faut les sauver".
00:56 Et donc on était entre les deux, on a le droit de parler de ça et on n'a pas envie d'être récupérées par certaines personnes en fait.
01:02 - Avec des femmes d'origine maghrébine qui littéralement vous disaient "ok vous avez raison,
01:05 tout ce que vous dites est vrai mais on subit déjà du racisme, n'en rajoutez pas avec ça".
01:11 - Oui parce que en fait c'est ça le problème c'est que je suis d'origine maghrébine mais je suis aussi une femme.
01:17 Donc j'ai deux choses que je cumule et donc deux luttes.
01:21 Il y a une lutte antiraciste qui est là et qui mérite d'exister et d'être de plus en plus forte en France
01:28 et qui pour certaines personnes est LA lutte qu'il faut prioriser.
01:32 Il faut d'abord lutter contre le racisme en France parce que ce racisme tue nos frères, tue nos cousins et c'est ça qui prime.
01:39 Et donc on doit cacher, faire taire toutes ces femmes qui ont envie de lutter aussi pour nos droits au sein de nos familles,
01:48 de parler de sexisme parce que le sexisme est absolument partout, chez les maghrébins, chez des blancs, chez tout le monde, le patriarcat existe partout.
01:56 Et donc c'est juste ça en fait, ce pouvoir parler de sexisme tout en étant d'origine maghrébine, je trouve que c'est très compliqué.
02:04 - On vous a traité de traîtresse de la communauté et vous l'expliquez dans votre livre que dans la culture arabo-musulmane
02:11 il n'est jamais question du jeu mais de nous, nous la famille, nous la communauté, nos sœurs, nos frères.
02:17 - Je ne parle jamais de culture arabo-musulmane parce que c'est un terme que je n'utilise pas et que je n'emploie pas
02:22 parce que je trouve que ça efface toute la diversité de nos traditions, des différents arabo-musulmans pour moi ça ne veut rien dire.
02:30 Je parle vraiment ici de ma famille et de mon père justement qui ne se raconte jamais par exemple,
02:36 où c'est très important le regard des autres, de ce que les autres ont pensé de nous.
02:40 Et donc il faut, et surtout pour les filles, il faut en fait faire profil bas et c'est d'être propre quoi.
02:47 - Et à tort vous vous amène souvent sur le terrain du mensonge puisque c'est aussi ce que votre livre raconte
02:52 mais on parle trop peu souvent des raisons de ce mensonge, on parle des conséquences mais pas des causes.
03:00 Quelles sont les causes de ce mensonge ? Véritablement le patriarcat ?
03:04 - Oui, complètement. Ça a l'air d'être tout bête mais c'est ça et c'est ce que je raconte dans mon livre.
03:10 D'ailleurs j'ai été publiée dans les arènes par une éditrice qui s'est beaucoup reconnue dans mon histoire
03:17 et qui n'est pas d'origine maghrébine, c'est une femme blanche d'une soixantaine d'années qui a vécu dans les années 50-60
03:23 et qui disait "mais en fait c'est exactement ce que moi j'ai vécu quand j'étais petite".
03:26 Le fait de pouvoir, enfin de cacher son IVG, de mentir en fait sur ce qu'on fait parce que quand on est une femme
03:32 on ne nous pardonne rien, on ne pardonne pas nos erreurs, on ne pardonne pas nos choix.
03:36 On est obligé de vivre pour les autres, de rendre fiers nos pères, nos frères, les femmes de nos familles, celles qui nous ont élevées
03:42 et c'est encore le cas dans ma famille en fait.
03:45 - Et vous avez découvert, Larma, qu'elle avait, ces femmes d'origine maghrébine, même créé un groupe de discussion sur Discord
03:51 pour échanger autour de ce que vous racontez ?
03:53 - Oui, exactement, moi je trouve ça magnifique.
03:56 C'est la puissance de l'écriture, j'ai écrit ma vie en essayant d'être hyper dans l'intime
04:01 et ça a résonné chez d'autres personnes qui se sont réappropriées le terme de "transgressive"
04:05 que j'ai un peu inventé dans ma chambre, en me disant "il faut un mot pour nous nommer et pour qu'on soit réel, qu'on existe en fait".
04:13 Parce qu'on fait en sorte qu'on n'existe pas, on essaie de nous faire taire.
04:17 Et donc du coup ces femmes se sont réappropriées le terme, elles ont créé un groupe Discord entre elles,
04:21 elles ne m'ont jamais dit, et elles discutent entre elles et puis à chaque fois ça commence par "je suis une transgressive"
04:27 parce que...