Quand le Chili tombait sous la coupe de Pinochet

  • l’année dernière
Voilà 50 ans, une junte militaire prenait le pouvoir au Chili. Le 11 septembre 1973, l’armée, dirigée par le général Pinochet et soutenue en sous-main par les États-Unis, lance un coup d’État. Le palais présidentiel est pris d’assaut et le président Salvador Allende se suicide. Augusto Pinochet, qui affirme ne pas désirer le pouvoir, y restera pourtant 17 ans. Une dictature qui a fait plus de 3 000 morts et disparus. Aujourd’hui encore, la Constitution qui avait été écrite sur mesure pour lui en 1980, est toujours en vigueur. Et les débats sont vifs pour la modifier. Un reportage de Juliette Chaignon et Guillaume Gosalbes.
En 1980, Augusto Pinochet a fait voter une nouvelle Constitution lui accordant un nouveau mandat. Mais l’opposition politique s’organise et grandit. En 1988, le dictateur perd le référendum qui devait renouveler sa présidence. Il est contraint d’organiser des élections, qu’il perd également, et cède enfin le pouvoir en 1990.Huit ans plus tard, Augusto Pinochet est arrêté à Londres. Il est sous le coup d’un mandat international, lancé par la justice espagnole. Son statut de sénateur à vie ne lui permet pas de bénéficier de l’immunité parlementaire dont il se prévaut. Pendant 503 jours, il reste en résidence surveillée en Angleterre, jusqu’à ce que la justice anglaise estime que son état de santé ne lui permet pas d’être jugé. Il rentre au Chili en mars 2000 et échappera à la justice de son pays jusqu’à sa mort en 2006, à l’âge de 91 ans.Malgré les plaintes déposées pour tortures, beaucoup de victimes de la dictature n’ont pas obtenu de... Lire la suite sur notre site web.
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Transcript
00:00 [Générique]
00:13 C'est une période noire dans l'histoire du Chili.
00:16 Un régime qui pratiquait la torture, les disparitions forcées, qui écrasait toute forme d'opposition.
00:22 Une dictature qui a fait 3 000 morts et disparus et des centaines de milliers d'exilés.
00:27 C'était il y a 50 ans, une jeune militaire prenait le pouvoir au Chili, dirigée par le général Augusto Pinochet.
00:36 Nous sommes en 1973.
00:37 Le pays est plongé dans une grave crise économique.
00:40 L'opposition est dans la rue.
00:42 Le 11 septembre, l'armée dirigée par Pinochet et soutenue en sous-main par les États-Unis lance un coup d'État.
00:49 Le palais présidentiel est pris d'assaut.
00:51 Le président Salvador Allende se suicide.
00:54 Augusto Pinochet est nommé chef de l'État. Son credo ? Le retour de l'ordre et la reconstruction nationale.
01:01 Nous autres, nous ne désirions pas prendre la direction de ce pays.
01:06 Mais depuis le moment où nous sommes arrivés au pouvoir,
01:09 nous avons mis toute notre énergie pour aller de l'avant et ramener l'ordre dans le pays.
01:15 Augusto Pinochet ne désirait pas le pouvoir, donc il y restera pourtant 17 ans.
01:20 En 1980, il fait voter une nouvelle constitution qui lui accorde un second mandat.
01:25 Mais l'opposition politique s'organise et grandit.
01:28 En 1988, Pinochet perd le référendum qui devait renouveler une nouvelle fois sa présidence.
01:33 Il est contraint d'organiser des élections qu'il perd également et cède enfin le pouvoir en 1990.
01:40 Huit ans plus tard, Augusto Pinochet est arrêté à Londres.
01:43 Il est sous le coup d'un mandat d'arrêt international lancé par l'Espagne.
01:47 Mais son extradition est refusée pour raison médicale.
01:50 Il rentre au Chili en 2000.
01:52 Il échappera à la justice jusqu'à sa mort en 2006 à l'âge de 91 ans.
01:56 Aujourd'hui encore, la constitution qui avait été écrite sur mesure pour lui est toujours en vigueur.
02:01 Et les débats sont vifs pour la modifier.
02:04 Billets autour dans le Chili de Pinochet.
02:06 C'est un reportage de Juliette Chaignon et Guillaume Gossalves.
02:09 Patricia Espero n'oubliera jamais ce matin du 11 septembre 1973.
02:26 Membre du secrétariat privé du président, elle est alertée à 7 heures d'un coup de force de l'armée.
02:32 Elle se rend alors immédiatement au Palacio de la Moneda.
02:36 Je suis arrivée avec Tati, la fille d'Allende.
02:41 Elle a réussi à entrer.
02:42 Moi, j'étais tout de suite arrêtée.
02:44 Il y avait un petit tank ici, un véhicule des policiers.
02:48 Ils arrêtaient les hommes de la garde rapprochée d'Allende, qui ont ensuite été fusillés.
02:53 Ce matin là, en quelques heures, l'armée emmenée par le général Pinochet prend possession du palais présidentiel.
03:03 Salvador Allende demande à ses proches d'évacuer et décide de rester seule dans son bureau.
03:13 À ce moment là, nous avions compris qu'il n'y avait pas d'issue.
03:16 Moi, jusqu'à la fin, je n'ai pas cru qu'il pourrait y avoir un bombardement de cette intensité.
03:21 Acculé, le président refuse de se rendre et met fin à ses jours.
03:32 Ici, nous sommes face à la porte Morande, la porte par où le président est entré et où il en est sorti une dernière fois, mort après son suicide.
03:43 Et cette porte est restée fermée sous Pinochet, car c'est un symbole de la démocratie.
03:51 Tous les présidents élus sont entrés par là.
04:00 Pour Patricia et les soutiens de l'unité populaire, le choc est immense.
04:04 Le mouvement de gauche, qui rassemblait communistes et socialistes, rêvait avec Allende à sa tête depuis trois ans de changer la société chilienne.
04:14 Historiquement, le Chili a été un pays très inégalitaire, où une seule classe sociale détenait la majeure partie du capital et était très puissante en termes économiques.
04:30 Et aussi en termes idéologiques.
04:31 Le gouvernement de l'unité populaire venait offrir à la population une opportunité, l'opportunité d'être digne et d'être considéré comme un être humain.
04:43 Dès les premiers jours de dictature, une vaste répression se met en place.
04:53 Des centaines de personnes sont conduites au stade national.
04:59 Un lieu de sinistre mémoire, aujourd'hui visité et raconté par d'anciens prisonniers comme Manuel Mendez Silloa.
05:08 Ce qui s'est passé, c'est que le 12 septembre, Pinochet et toutes les forces armées sont sorties dans la rue pour aller dans les universités, les collèges, les bureaux, les usines.
05:27 Et tous les gens qui étaient dedans se faisaient arrêter.
05:30 Les douches, les vestiaires, le moindre espace est réquisitionné pour enfermer des prisonniers.
05:41 Entre 7000 et 20 000 détenus passent par le stade national durant les premiers mois de dictature.
05:50 Parmi eux, Inès Panjon, étudiante et militante communiste.
05:55 Elle est arrêtée elle aussi quelques jours après le coup d'Etat.
05:59 - Voilà, ça, c'était mon vestiaire.
06:05 Il y avait des femmes dans chacun d'entre eux.
06:09 On dormait par terre.
06:13 Il faisait très froid.
06:17 Et il fallait laisser un petit passage pour que les militaires puissent venir nous chercher dans la nuit et nous emmener dans les salles de torture et aux interrogatoires.
06:25 Parfois, des camarades sortaient et on ne les revoyait plus jamais.
06:38 Après la répression massive des premiers mois, la dictature déploie un réseau de 452 centres de détention, de torture et d'exécution à travers le pays.
06:49 La DINA, police politique du régime, investit la Villa Grimaldi en banlieue de Santiago.
06:58 Un centre clandestin pour une répression plus ciblée.
07:05 Miguel Montesinos, 21 ans à l'époque, en fut l'une des victimes.
07:09 - J'ai été dans cette cellule avec deux autres camarades et ces deux personnes sont encore portées disparues à ce jour.
07:18 Dans cette tour, le régime enferme les militants du mouvement de la gauche révolutionnaire et ceux des partis socialistes et communistes.
07:29 Miguel est l'un des rares à y avoir survécu.
07:34 - Le sujet de la torture et de toutes les punitions infligées par la dictature a beaucoup à voir avec l'idée de faire disparaître les organisations d'opposition.
07:48 Bien sûr, ceux qui subissaient le plus de répression ont été les partis de gauche, comme ils disaient, les partis marxistes.
07:57 Ils parlaient de fléau marxiste, de communiste.
08:01 Pour eux, tous les opposants étaient des communistes.
08:06 En quittant les lieux en 1978, la police politique détruit la plupart des bâtiments, reconstruits plus tard grâce aux témoignages et aux dessins de Miguel.
08:21 Durant les 17 ans de dictature, près de 200 000 Chiliens sont forcés à l'exil.
08:30 L'État reconnaît aussi près de 40 000 victimes, dont plus de 3 000 morts et disparues.
08:37 - Il s'appelait Juan Luis Rivera Smatu, détenu et disparu le 6 novembre 1975.
08:43 Gabi Rivera est encore enfant lorsque son père, leader syndical, disparaît.
08:49 - Nous le cherchions partout, avec ma mère et mon frère.
08:53 À la morgue, dans les cliniques, dans les hôpitaux, les lieux de détention, partout.
08:59 On nous disait non, il n'est pas là.
09:02 Au début des années 2000, l'armée affirme que tous les disparus ont été jetés à la mer.
09:13 Mais des ossements appartenant au père de Gabi Rivera sont finalement retrouvés dans un ancien lieu de détention.
09:21 Un cas rare. Au Chili, plus d'un millier de familles ignorent encore le destin de leurs proches.
09:29 - Aujourd'hui, nous devons absolument retrouver ces disparus, car il n'y a plus le temps.
09:35 Nous vieillissons tous, nos mères sont mortes, ces assassins sont aussi en train de disparaître.
09:41 On ne trouvera jamais la vérité si on ne se dépêche pas
09:45 et que l'on ne se décide pas d'agir, de définir les priorités pour le gouvernement.
09:50 Avec la recherche des disparus.
09:52 Un plan de recherche nationale des disparus a été lancé par l'actuel gouvernement de gauche.
09:59 Mais les associations réclament aussi l'ouverture des archives militaires, jusqu'ici refusées par l'Etat et par l'armée.
10:07 50 ans après le coup d'Etat, un héritage de la dictature divise encore la constitution de 1980.
10:16 Une première tentative de modification menée par la gauche pour un texte plus progressif a échoué.
10:23 Le deuxième processus constitutionnel est désormais dans les mains de la droite.
10:28 Une défaite, mais une étape importante pour le pays, selon ce député socialiste.
10:33 - Cela nous permettra de nous dire que l'on en a fini avec cette discussion sur la constitution
10:39 et que l'on pourra passer à autre chose.
10:42 Enfin, je pense qu'il y a des articles précis à supprimer.
10:46 Malgré plusieurs réécritures, la constitution conserve des piliers de la dictature.
10:53 Les systèmes privés de santé, d'éducation et de retraite.
10:57 Les droits syndicaux limités.
10:59 - C'est toute l'oligarchie chilienne qui s'est impliquée dans la dictature.
11:04 Et c'est toute la classe dominante qui aujourd'hui, d'une certaine manière, lutte pour défendre cet héritage.
11:10 Pinochet a privatisé des entreprises étatiques qui appartiennent encore aux personnes les plus riches du Chili.
11:16 Ce n'est pas normal que dans notre pays, des faits qui se sont passés il y a 50 ans
11:21 prennent encore autant de place.
11:24 A quelques pas de l'ex-Congrès, quelques dizaines de manifestants.
11:30 Des sympathisants d'extrême droite opposés au gouvernement.
11:37 Pour certains, c'est l'occasion de rappeler leur attachement à la dictature.
11:42 - Vouloir commémorer les 50 ans, c'est vouloir semer la gizanie, attiser la haine, pour que les gens se détestent.
11:50 Autant d'aliendés ont fait la queue pour acheter ne serait-ce que 250 grammes de sucre.
12:03 - La violence ici, il n'y en avait pas. Il fallait simplement maintenir l'ordre.
12:07 Mais on vivait en paix sous Pinochet. C'était un pays tranquille.
12:10 Les partisans les plus extrêmes vont jusqu'à nier le caractère dictatorial du régime de Pinochet.
12:17 - Dire que c'était un dictateur, c'est faux.
12:23 Les dictatures, c'est le Venezuela, le Nicaragua, Cuba.
12:27 La dictature, c'était aliendé. C'était le mal.
12:30 Les communistes, c'est le mal.
12:33 D'après une récente étude d'opinion, plus d'un tiers des Chiliens estiment que le coup d'État a libéré le pays du marxisme.
12:42 Près de la moitié pensent que la dictature avait du bon et du mauvais.
12:47 Une manière de faire l'impasse sur les violations des droits de l'homme,
12:51 pour ne retenir que la politique libérale du régime à l'origine du développement économique du pays.
12:59 Pour cet historien, ce récit national n'a rien de surprenant.
13:03 - Rappelons-nous que Pinochet a quitté le pouvoir avec une population qui le soutenait à près de 40%.
13:13 Et le vote de la droite dure qui s'identifiait auparavant à Pinochet,
13:19 et qui au fond y reste attaché, n'est jamais passé sous les 35%.
13:26 Cette opinion qui était cachée, que les gens ne s'aventuraient pas à exprimer,
13:32 aujourd'hui dans un contexte réactionnaire, est devenue plus courante.
13:39 Pourtant, la majorité de la population considère toujours que Pinochet
13:47 fut une dictature, qu'il y a eu une violation systématique des droits humains.
13:54 - Cet anniversaire divise profondément la société chilienne,
13:58 mais le gouvernement socialiste, critiqué pour sa gestion,
14:02 espère fédérer ses partisans dans un élan mémoriel.
14:06 Des dizaines d'événements sont prévus tout au long de l'année.
14:10 Des commémorations qui s'inscrivent dans le travail de mémoire,
14:14 débuté avec le retour à la démocratie.
14:17 En 15 ans, Pinochet est le premier à faire face à la démocratie.
14:22 En 15 ans, 3 commissions de vérité, réparation et conciliation ont vu le jour.
14:28 Un processus qui aboutit en 2010 à l'ouverture du musée de la mémoire
14:32 et des droits humains de Santiago, visité chaque année par plus de 150 000 personnes.
14:38 - Cette date, le 11 septembre 1973, a marqué un avant et un après dans l'histoire du Chili.
14:48 Car si les militaires étaient déjà intervenus en politique au cours du XXe siècle,
14:52 jamais il n'y avait eu un coup d'État de cette intensité.
14:56 C'était prémédité sous les ordres de la jeune militaire menée par Pinochet
15:01 pour que toute personne considérée comme ennemie interne soit expulsée du pays,
15:06 torturée ou assassinée.
15:09 - Il y a quelque temps, je disais que la dictature était derrière nous
15:17 et n'a pas eu un rôle si important au Chili.
15:20 Mais je n'avais pas totalement conscience de ce qui s'était vraiment passé
15:24 et de comment cela s'était passé.
15:27 - Chez moi, oui, on en parle parfois, mais cela génère des conflits.
15:33 Parce que nous avons tous des opinions différentes sur ce sujet
15:37 et chacun ramène l'histoire à son propre vécu.
15:41 Donc ça génère des conflits.
15:46 - La guerre est une bataille pour la mémoire encore vive
15:49 dans un pays où de nombreux civils ont collaboré avec le régime militaire.
15:53 Pour les associations, la justice n'est pas encore passée.
15:58 Sur plus de 700 militaires et civils condamnés,
16:01 moins d'une centaine ont effectué leur peine.
16:04 Le général Pinochet, arrêté à Londres en 1998 en vue d'un procès en Espagne,
16:10 est finalement mort au Chili 8 ans après, sans jamais avoir été jugé.
16:15 (Générique)
16:18 - Et voilà pour ce reportage au Chili,
16:21 50 ans après le début de la dictature de Pinochet.
16:24 Un reportage que vous pouvez retrouver bien sûr sur france24.com.
16:28 Je vous dis à très vite pour un nouveau numéro de "Vier retour".
16:31 (Générique)

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