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00:00 Bonjour Emmanuelle Béard.
00:01 Bonjour.
00:02 Merci beaucoup de prendre la parole ce matin sur RTL pour évoquer ce documentaire, un
00:06 silence si bruyant, qui sera donc diffusé le 24 septembre prochain sur M6.
00:11 C'est un documentaire sur l'inceste à voir impérativement.
00:15 Je le dis et je le martèle, c'est hyper sincère.
00:17 Ce documentaire est à la fois bouleversant et révoltant.
00:20 Il faudrait d'ailleurs sans doute le montrer dans tous les collèges, tous les lycées,
00:23 pourquoi pas même dans toutes les entreprises.
00:25 On va y revenir mais il faudrait que tout le monde le voie.
00:27 Avec la réalisatrice Anastasia Mikhova, vous avez rencontré trois femmes et un homme,
00:31 tous victimes d'inceste dans leur enfance.
00:34 Des histoires qui sont très très différentes les unes des autres mais qui ont un point
00:37 commun, c'est ce silence pesant, un silence qui hante tout le temps.
00:42 Oui, alors le silence c'est parce qu'il est très très difficile et particulièrement
00:48 pour un enfant.
00:49 Il faut imaginer que l'inceste c'est un pouvoir sur un plus faible.
00:57 L'inceste c'est une domination qui part, c'est un acte de domination qui passe par
01:02 le sexe.
01:03 C'est une façon de nier, d'écraser le plus petit, donc l'enfant.
01:09 Donc il est très difficile, c'est bouche cousue, il est très très difficile pour
01:13 un enfant qui est isolé par la personne qui lui fait subir ces violences sexuelles incestueuses.
01:19 Il est isolé et silencieux la plupart du temps.
01:22 Mais on reviendra sur ce sujet, l'enfant parle, moi j'en suis convaincue.
01:29 L'enfant parle, peut-être pas avec des mots qui rentreraient dans un cadre juridique,
01:34 mais si on est très à l'écoute et c'est la moindre des choses de la part de notre
01:38 société, de nos institutions, on se rend compte que l'enfant parle avec d'autres
01:42 mots, l'enfant parle avec des maladies, il a des symptômes à l'école, chez le médecin.
01:47 On va revenir sur cette critique que vous faites dans ce documentaire de la justice,
01:53 de la société et finalement de notre comportement à tous.
01:56 C'est en les écoutant, ces quatre personnes, que vous avez décidé de vous livrer ?
02:01 Il y a un moment donné, percuté par leurs mots, par leurs paroles, par leurs émotions,
02:08 je me suis dit que je ne pouvais pas ne pas parler.
02:11 Ça me semblait presque indécent.
02:13 Moi j'ai parlé, j'ai parlé dans mon cercle intime, j'ai parlé, mais je voyais que ça
02:19 n'imprimait pas.
02:20 J'avais l'impression que les gens n'entendaient pas ce que je disais et surtout j'avais l'impression
02:24 que les gens oubliaient très vite ce que j'avais dit.
02:27 Et donc, moi j'ai commencé ma vie de femme, ma vie d'adulte, j'ai choisi ce métier
02:33 de langage et de corps, j'ai fait des enfants, je me suis mariée et donc quelque part j'ai
02:39 couru, j'ai couru très loin, très vite.
02:41 Et puis je tombais, je tombais fréquemment.
02:44 Et puis, comme je l'ai dit dans le film, mes nuits blanches, des somnifères, des séquelles,
02:51 des choses qui envahissaient mon quotidien et ma vie.
02:54 Et je me suis dit, il faut absolument trouver l'outil juste pour parler de ça.
03:00 Et j'ai trouvé, grâce à Anastasia Mikhova et à notre rencontre, la possibilité d'en
03:06 faire un documentaire.
03:07 Vous êtes un fil rouge dans ce documentaire.
03:09 Oui, un fil conducteur.
03:10 Vous écoutez ses paroles et vous vous livrez, vous confiez vous-même avoir été victime
03:17 d'un cesse dans sa durée pendant quatre ans, entre 10 et 14 ans.
03:22 Et à l'époque, vous ne dites pas tout de suite les choses.
03:25 Non, pour toutes les raisons que je vous ai expliquées en début d'émission, l'enfant
03:30 se tait ou l'enfant parle mais avec des mots qui semblent incommunicables et que les adultes
03:37 n'entendent pas.
03:38 C'est à votre grand-mère que vous en parlez ?
03:40 C'est à ma grand-mère que j'en parle, oui.
03:43 Et quelle est sa réaction à ce moment-là ?
03:45 Je ne crois pas qu'elle comprenne, mais instinctivement, elle se dit qu'il faut en parler à mes parents
03:55 et qu'il faut que je parte de l'endroit où je suis.
03:58 Vous vous souvenez de ce que vous lui avez dit ?
04:00 Je lui ai dit la vérité.
04:02 Je lui ai dit exactement ce qui s'était passé pendant quatre ans.
04:09 J'ai donné des détails.
04:10 Je crois que je la gênais aussi.
04:13 Je crois qu'elle ne savait pas très bien quoi faire de ça.
04:16 Et je crois que comme d'autres, ça n'a pas vraiment imprimé.
04:20 Des années après, elle m'a dit, mais elle était grecque, elle m'a dit "mais qu'est-ce
04:23 que tu m'as dit exactement ?" J'ai dit "mon Dieu mamie, mais tu ne te souviens donc pas".
04:28 Et pourtant, ce que vous lui disiez était…
04:31 Et pourtant, elle m'a sauvée.
04:33 Oui, en même temps, la réalité, c'est qu'à 14 ans, on n'a pas envie de donner
04:39 des détails sexuels.
04:41 C'est très gênant.
04:42 Donc on dit d'autres choses ou on reste flou, trop flou peut-être, pour qu'ils impriment.
04:47 Et elle vous a sauvées ?
04:48 Oui.
04:49 Parce qu'elle vous sort de cet endroit où ça se passe ?
04:52 Oui, absolument.
04:53 De cet endroit, de ce lieu.
04:54 Vos parents, vous leur en avez parlé aussi.
04:56 Quelle a été leur réaction ?
04:59 La même.
05:01 C'est-à-dire qu'ils ont posé des questions qui me paraissaient à l'époque très difficiles
05:08 d'y répondre.
05:10 Mais j'ai dit ce qui était arrivé.
05:13 J'ai tout dit.
05:14 A aucun moment, l'un de ces adultes ne vous a dit "il faut porter plainte".
05:19 Je ne dis pas ça du tout pour les accabler, Manuel Véard.
05:22 C'est pour qu'on comprenne justement.
05:24 Les choses ont changé.
05:25 Moi, je viens d'avoir 60 ans, donc on parle d'il y a longtemps.
05:30 Et c'est vrai que le mot "inceste", moi, ce n'est pas parce que je me suis tue que je n'ai pas compris ce qui se passait.
05:37 Ce n'est pas parce que je n'ai rien dit que j'ai accepté.
05:42 Je ne sais pas comment vous dire, ça paraît paradoxal.
05:44 Mais à l'époque, on ne parlait pas d'inceste, on ne parlait pas de plainte.
05:50 C'était un sujet totalement tabou.
05:52 Non pas que ce ne soit plus tabou, parce que l'impression que ça me donne depuis que je fais ce film, c'est qu'il n'est pas tabou de le faire.
06:00 Mais par contre, il est tabou de le dire et de le penser.
06:04 Et c'est cet espace de pensée collective sur un traumatisme collectif qu'on a voulu créer avec Anastasia.
06:13 Et l'adolescente de 14 ans ne s'est jamais dit "il faut que cet homme paye".
06:17 Non, pas de cette façon-là.
06:19 Vous n'avez jamais songé à porter plainte ?
06:22 Vous dites dans le film "je n'ai pas voulu prendre le risque, on me dit un jour que ça n'a pas eu lieu".
06:27 Oui, parce que je sais que 70% des plaintes sont sans suite.
06:35 Donc des sans-suite, des non-lieux.
06:39 La justice aujourd'hui ne semble pas être à la hauteur de ce qui se passe dans notre pays.
06:47 Je ne suis pas folle des chiffres et je n'ai pas envie qu'on devienne un grand tout.
06:52 Mais c'est quand même 160 000 enfants, c'est un enfant toutes les 3 minutes.
06:56 Dans une classe de 30 enfants, vous avez toutes les chances d'en avoir 2 ou 3.
07:00 Un français sur 10, c'est énorme.
07:03 C'est énorme.
07:05 Donc c'est très bien cette injonction de dire "il faut prendre la parole, il faut parler".
07:10 Mais cette parole, il faut en faire quelque chose.
07:12 Il faut agir pour moi dans un ordre chronologique.
07:15 C'est-à-dire que si on ne sait pas quoi faire de cette parole d'un point de vue sociétal et judiciaire,
07:22 on ne peut pas entraîner les gens à juste dire les choses.
07:25 Il faut les protéger.
07:27 Et c'est vrai que force est de constater que le système judiciaire, pour le moment, n'a pas l'air de protéger nos enfants.
07:34 Mais pourquoi ? Parce qu'il est trop lent ?
07:36 Mais parce qu'il est trop lent, parce qu'il est encombré, parce que sans doute il n'y a pas assez de gens qui sont sur ses dossiers.
07:42 Et puis parce qu'on a peut-être des lois à changer.
07:47 Vous imaginez que quand un homme ou une femme est condamné pour violences sexuelles incestueuses,
07:56 il n'y a pas un retrait immédiat de l'autorité parentale, par exemple.
08:02 Il y a beaucoup de mères qui vont porter plainte, qui vont porter la parole de l'enfant,
08:06 et qui se retrouvent à être des mères soupçonnées d'aliénation parentale sur leur enfant.
08:10 - On est sous le somme d'avoir instrumentalisé leurs enfants pour accueillir ça.
08:13 - Exactement. Avec des risques, avec des pénalités des procédures judiciaires, avec des risques de prison, des amendes.
08:20 Et on s'est aperçus qu'il y avait des centaines et des centaines, des milliers de femmes
08:24 qui portaient cette parole-là, ce témoignage-là, en disant "je suis, je me retrouve sur le banc des accusés".
08:30 - Dans le documentaire, il y a le témoignage de Sarah et de sa fille, amusée dès l'âge de 4 ans,
08:36 et qui va parler à sa maman en lui expliquant. Sa maman entend et effectivement, elle va porter plainte.
08:41 Elle l'emmène voir des spécialistes. Les spécialistes, à l'époque, lui disent "elle n'est pas en danger".
08:45 - Oui. - Et cette petite fille, elle va être...
08:47 - Oui. Et elle dit cette chose, moi, qui m'a beaucoup frappée.
08:50 Elle dit "mais moi, je pensais que c'était des professionnels qui me répondaient.
08:54 Donc, s'ils me disaient que ma fille n'était pas en danger, s'ils me disaient qu'éventuellement,
08:58 ma fille peut-être inventait..." Alors que la fille de Sarah est très précise dans ce qu'elle dit.
09:04 Et donc, cette mère a été sous peine d'aller en prison et de payer une amende,
09:10 et de se voir retirer la garde de son enfant. Elle a été obligée de remettre l'enfant.
09:16 Donc, il faudrait au moins suspendre l'autorité parentale, le temps de l'enquête,
09:24 et le droit d'hébergement, et le droit de visite.
09:27 - Parce que cette petite fille, elle est allée pendant 4 ans chez son papa, en week-end sur deux, et ça a continué.
09:31 - Bien sûr, et ça ne s'est arrêté que parce qu'il a abusé de deux autres mineurs.
09:35 Ça ne s'est pas arrêté parce que la fille de Sarah a parlé.
09:38 Ça s'est arrêté parce qu'on s'est aperçu qu'il y avait des plaintes sur deux autres mineurs.
09:42 - Mais sincèrement, Emmanuel Béart, quand on voit ça, on dit "on marche sur la tête".
09:45 - En tout cas, on ne marche pas dans l'ordre chronologique.
09:47 Donc, c'est très bien tout ce qui se passe. Le gouvernement semble avoir envie de prendre en charge ça.
09:53 Mais il faut avancer tous ensemble. Vous disiez tout à l'heure, l'éducation.
09:57 Nous, on adorerait avoir un partenariat avec l'éducation nationale.
10:01 On adorerait aller avec ce film dans les écoles, dans les collèges.
10:04 Mais il faut aussi savoir qu'il semble y avoir des gardiens du temple à tous les étages.
10:09 Par exemple, les médecins. Dans notre film, il y a une femme, Norma, qui dit cette chose.
10:13 Elle dit "si le médecin m'avait dit pourquoi toutes ces cystites, mais j'aurais tout lâché.
10:18 Si le directeur de l'école m'avait dit pourquoi une telle violence, pourquoi un tel rejet, j'aurais tout dit".
10:24 Mais quand un médecin parle, il risque, pour émiction dans l'intimité des familles,
10:30 il risque d'être radié par l'ordre des médecins. Et tout est comme ça.
10:33 Donc, il faut s'attaquer à tout en même temps pour que cette parole ait une valeur,
10:38 pour qu'elle soit entendue et pour que l'enfant soit protégé.
10:41 Si un enfant parle et qu'il n'est pas cru, il risque de se taire à tout jamais.
10:46 Un français sur dix victime d'inceste. On rappelait ces chiffres.
10:50 On prend une classe de 30 élèves aujourd'hui, il y en a sans doute trois.
10:54 Je pense que tous les auditeurs qui nous écoutent tombent de leur chaise en entendant ces chiffres.
10:58 Ça veut dire qu'on en a tous dans notre entourage.
11:00 Essayer de comprendre ce que c'est. Essayer de comprendre ce que traversent physiquement et psychiquement ces enfants.
11:08 Qu'ils seront des adultes en danger, qu'ils seront des survivants. Pas des vivants, des survivants.
11:16 Vous avez l'impression de vous battre pour survivre aujourd'hui ?
11:19 Je vais vous dire une chose, c'est que pour avoir eu envie d'en crever pendant longtemps,
11:25 je pense que maintenant j'ai vraiment le droit d'avoir envie de vivre.
11:30 On peut en crever ?
11:31 On peut en crever, oui.
11:33 Vous avez fait le choix de taire le nom de celui qui vous a fait ça ?
11:37 Oui.
11:38 Pourquoi ?
11:39 Parce que ce n'est pas le sujet du film. Parce que ce n'est pas un film de règlement de compte.
11:45 Parce qu'il n'y a pas donné le nom de cette personne sur la place publique.
11:49 Ce n'est pas le sujet. Ce n'est pas à ça que j'ai eu envie de m'attaquer.
11:54 Ça, ça me regarde. Et j'en ferai ce que je voudrais.
11:58 Je demande à cette société de protéger les gens qui parleront.
12:01 Justement, tous ceux qui nous écoutent et qui effectivement...
12:04 Quand je dis notre société, c'est nos institutions. C'est l'institution judiciaire bien évidemment.
12:08 C'est tous ceux qui sont en charge de la protection des enfants.
12:13 C'est d'abord leur échec à eux, ces chiffres ? Un Français sur dix ?
12:17 Oui. Et c'est ça qu'il est important de regarder en face aujourd'hui.
12:21 Un grand merci en tout cas, Emmanuelle Béard. Un silence si bruyant.
12:25 C'est à voir. Et vraiment, je le répète, il faut voir ce documentaire.
12:29 Le voir le 24 septembre dimanche sur M6.
12:33 Ou en replay d'ailleurs.
12:35 Et j'en profite aussi pour saluer les quatre témoins de votre documentaire.
12:40 Je sais que vous ne voulez pas qu'on les appelle victimes.
12:42 Non, je dis que ce ne sont pas des victimes. Ils ont été victimes.
12:45 Nous ne sommes pas des victimes. On a été victimes. Ce n'est pas pareil.
12:48 Un grand merci. Vous serez par ailleurs cette semaine en une du magazine Elle.

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