• l’année dernière
Que faire face à l'afflux sans précédent de migrants sur l'île de Lampedusa ? Débat avec Ayyam Sureau Philosophe, fondatrice et directrice de l'Association Pierre Claver, face au politologue Dominique Reynié. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-lundi-18-septembre-2023-9454235

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00:00 ce matin sur l'une des questions essentielles, sans doute les plus compliquées des années à venir,
00:04 la question migratoire. La semaine dernière, la petite île italienne de Lampedusa, 7000 habitants
00:11 a vu débarquer sur ses côtes 11 000 migrants arriver sur 200 bateaux. Les images sont
00:17 impressionnantes, dramatiques, mais elles ne sont pas nouvelles. Alors que faire ? Comment gérer cet
00:23 afflux migratoire qui semble inexorable et ne s'arrêtera pas demain ? Pour en débattre,
00:29 Ayam Suro, philosophe fondatrice directrice de l'association Pierre Clavert qui aide les migrants
00:35 à s'intégrer et Dominique Reynier, professeur à Sciences Po, directeur de la fondation pour
00:40 l'innovation politique. On vous entend Dominique tous les mardis en toute subjectivité à 7h20.
00:46 Bonjour à tous les deux, merci d'être là tous les deux. Ça va effectivement être le grand défi de
00:51 l'Europe ces prochaines années. Alors sur Lampedusa, l'Italie dit que la situation est insoutenable.
00:54 Emmanuel Macron appelle au devoir de solidarité européenne quand l'Allemagne a annoncé dans un
00:58 premier temps qu'elle fermait ses portes avant de faire finalement volte-face. Question simple sur
01:04 un sujet où il n'y a pas de réponse simple. Que faire Dominique Reynier ? Déjà d'une certaine
01:10 manière il faut que les auditeurs comprennent qu'on ne pourra pas faire grand chose parce que
01:15 rien n'a été fait au cours du dernier quart de siècle qui pourtant annonçait ces mouvements et
01:21 qui n'ont pas cessé de s'amplifier parce que c'est la combinaison de nécessité de quitter son pays
01:29 pour faire vivre sa famille. Moi je suis toujours à coeur de dire ça pour commencer c'est à dire que
01:35 en ce qui me concerne si j'étais à la place de ceux qui tentent de franchir la mer pour venir ici
01:41 je ferais la même chose pour sauver sa famille. Donc il y a une puissance de nécessité qui est
01:47 un premier facteur. Il y a des mafias infâmes qui vendent pour 1500 dollars, 6000 dollars,
01:53 jusqu'à 6000 dollars un passage où on peut périr. Il y a des enjeux maintenant géopolitiques où la
02:00 Russie on le voit bien essaye de nous déstabiliser. C'est pas la première fois ça s'était déjà
02:03 produit en 2021 via la Biélorussie. Et nous avons des politiques qui depuis 25 ans ne s'y sont pas
02:10 intéressés et l'Europe qui n'arrive pas à coordonner une action. Ça veut dire que dans un premier temps
02:16 on pourrait traiter le cas des 11 000 migrants irréguliers qui arrivent à Lampedusa mais en
02:24 posant aussitôt la nécessité de ne plus accueillir de cette façon là. C'est à dire de conditionner
02:29 les arrivées y compris en dehors du territoire européen par des procédures qui seraient régulières
02:35 et qui seraient précédées éventuellement même. C'est à dire qu'on les accueille ceux-là parce qu'ils sont là et
02:39 ensuite c'est fini. Mais à condition d'avoir une vraie réponse sur l'après parce qu'aujourd'hui on le fait mais sans avoir de réponse après.
02:45 I am sure.
02:47 D'abord il ne faut pas confondre les images qui sont une représentation avec le réel.
02:55 Première chose. Et les images nous ont montré une île de 20 km carré envahie par des migrants.
03:09 Elle est envahie parce qu'elle fait 20 km carré. Et cet envahissement est plutôt celui de notre émotion.
03:18 Pour moi la première chose à faire c'est cesser d'être cette Europe émotive qui lorsqu'elle voit un enfant mort sur la plage accueille un million de personnes dans l'instant.
03:31 Et quand il lui arrive un incident, une mauvaise passe, refuse. Il y a deux impasses et on s'est mis dans cette impasse de l'émotivité qui est cette réponse simple.
03:47 Vous dites qu'il n'y a pas de réponse simple. Il y en a eu deux. Et les deux sont mauvaises.
03:52 La première c'est l'ouverture totale des frontières, le monde des anges qui est inacceptable.
03:58 La réponse humaniste.
04:00 Et la fermeture totale des frontières qui est tout simplement, comme on le voit, impraticable.
04:05 Et donc que faire ? On ne va pas le dire en 15 minutes le lundi matin puisque, comme vous le dites très bien, ça fait 25 ans qu'on ne le trouve pas.
04:13 Donc ce n'est pas nous deux qui allons trouver en revanche.
04:15 Si, en 15 minutes vous allez trouver ce qu'on ne trouve pas en 25 ans.
04:17 Je vais vous dire quelque chose et je pense que Dominique Régnier, puisque c'est son métier, sera peut-être d'accord avec moi.
04:25 C'est qu'on pourrait avoir le courage de reconnaître que ce qui nous arrive là est un phénomène nouveau.
04:31 C'est-à-dire que les migrations de ce type qui arrivent en Europe ne sont pas comparables à ce que l'on a vu dans l'après-guerre.
04:41 Ce n'est pas comparable. C'est le résultat de quelque chose que nous avons voulu.
04:45 Nous avons voulu un monde fluide, un monde de circulation et nous l'avons fait.
04:53 Nous avons cru, comme Gribouille, que nous allions faciliter la circulation des capitaux, des marchandises, mais pas des hommes.
05:02 Nous avons pensé de manière simpliste, encore une fois comme Gribouille, que si l'Europe était une et que les hommes pouvaient circuler à l'intérieur,
05:10 elle devait être, je crois que le mot est de Claire Rodier, que je trouve formidable, "fluide à l'intérieur, blindée à l'extérieur".
05:18 Qu'est-ce qui est fluide à l'intérieur et étanche à l'extérieur sinon un ballon de baudruche ?
05:23 - Dominique Régnier, vous êtes d'accord avec elle ? - Oui, je suis d'accord avec ça.
05:26 J'ajouterais un élément qui tient non pas à notre naïveté, mais à une sorte d'espoir peut-être ingénue quand même.
05:37 C'est que la globalisation s'accompagnerait d'une démocratisation du monde et que conséquemment,
05:42 le désir de quitter des pays difficiles faiblirait et qu'au fond chacun serait bien chez lui en dehors des zones de...
05:48 - Ça c'était le rêve des années 90. On va démocratiser, ils vont s'enrichir et rester chez eux.
05:53 - Absolument. Mais je suis tout à fait d'accord avec Ariane Soureau pour dire que cette situation est sans précédent.
05:58 Vous savez, vous l'avez sans doute dit déjà au micro, que nous avons déjà à Lampedusa sur l'année aujourd'hui le double des entrées de l'année dernière,
06:07 sachant que si on compare il y a 20 ans, sur l'année c'était 8000 arrivés. Là déjà on est à 126000 depuis janvier, avant d'avoir fini l'année.
06:16 Et donc nous avons une sorte de phénomène incroyable où vous trouvez non seulement, je ne parle pas de Lampedusa, mais pour l'Europe,
06:23 non seulement on vient de Syrie, d'Afghanistan, Tunisie, Maroc, Algérie bien sûr, Afrique subsaharienne, Egypte, Inde, Pérou, Moldavie, Yémen, Biélorussie, Cuba.
06:33 Evidemment l'Europe est un espace merveilleux et on s'y dirige pour y vivre aussi bien que possible.
06:41 Et il est certain de mon point de vue que nous sommes face à deux impossibilités. Une première impossibilité qui est d'accueillir sans réguler, sans conditionner,
06:56 parce que là nous allons avoir une réaction politique, que nous voyons déjà en Europe, qui va faire chanceler nos démocraties, qui les renversera.
07:06 Ça ne se produira pas ces grandes migrations. C'est ça qu'on ne voit pas aujourd'hui.
07:10 L'extrême droite parle de "submersion migratoire" après Lampedusa. Comment recevez-vous le terme, Ayam Suro, extrême droite, qui parle fort,
07:18 qui se fait lire sur ce que vous allez voir, mais qui ne parvient pas plus à régler le problème ?
07:26 Dans la phase actuelle. La phase suivante, ça viendra. La phase actuelle, c'est l'échec de Meloni. C'est très important ça.
07:34 L'AFD en Allemagne, c'est à 24% aujourd'hui. Ils sont en train de devenir le premier parti. La phase suivante, c'est le passage à la violence.
07:42 C'est déjà le cas en Grèce. Vous avez des organisations en Grèce d'extrême droite qui s'en prennent physiquement aux migrants par bande.
07:51 Vous avez des bandes organisées. Ce sera ça la prochaine étape. Si Meloni n'y parvient pas, elle n'y parvient pas. La prochaine étape, ce sera ça.
07:58 Les Européens, de manière chaotique, de manière spontanée et de manière très violente, s'efforceront de défendre...
08:05 Ayam Suro ?
08:07 Je crois qu'on tombe dans un piège en pensant que le problème, c'est l'extrême droite. Le problème, c'est notre incapacité à trouver des solutions.
08:17 Parce que l'extrême droite décrit une situation, n'apporte aucune solution.
08:22 Mais vous êtes d'accord avec ce terme de submersion migratoire ? Vous diriez que c'est ça ce qui se passe ?
08:27 Non. La submersion, c'est justement le fait de se trouver sous l'eau, étouffé, incapable de respirer.
08:36 Et ça communique un sentiment d'impuissance.
08:41 Le sentiment d'impuissance que nous avons en Europe ne vient pas de la submersion d'une île de 20 km² par 11 000 migrants.
08:52 Je vous rappelle que le stade de France contient 80 000 migrants. Là, c'est 11 000 migrants qui arrivent sur 20 km².
08:59 Et par un glissement cognitif absolument extraordinaire, on a l'impression que cette petite île de 20 km², c'est l'Europe.
09:06 Et mon Dieu, ça déborde ! En fait, ça déborde du cadre de l'écran de notre télévision.
09:11 Donc ça déjà, cette image, cette représentation qui engendre la peur, ces mots de chaos, de submersion qui engendre la peur, ne font rien d'autre qu'engendrer la peur.
09:22 Maintenant, nous, pour ne pas faire, et j'ouvre les guillemets, le jeu de l'extrême droite, qui est une phrase que j'entends depuis 20 ans,
09:28 nous avons fini par provoquer ce que nous redoutions.
09:31 Nous avons laissé l'extrême droite seule parler des problèmes, les vrais problèmes, c'est-à-dire le problème de l'intégration,
09:39 le problème du tri, n'est-ce pas ? Parce que nous fonctionnons par tri en Europe entre le bon réfugié et le mauvais migrant.
09:46 Et seule l'extrême droite a été là pour dire, le réfugié est parfois un migrant, et le migrant est parfois un réfugié.
09:55 Et que cette sélection que nous faisons, cette vieille sélection qui est fondée sur la Convention de Genève, qui elle, date de 1951, c'est-à-dire de l'après-guerre, n'est pas opérante aujourd'hui.
10:06 Il n'y avait que l'extrême droite pour le dire. Et tout le monde, pour ne pas faire le jeu de l'extrême droite, a menti tranquillement pendant 20 ans.
10:14 C'est de là que vient cette...
10:17 Vous avez raison, mais...
10:18 Je suis parfaitement d'accord avec ça.
10:19 Oui, mais on comprend bien que vous êtes d'accord, mais vous, vous êtes d'accord avec le terme de submersion migratoire ?
10:24 Aujourd'hui, l'année dernière, en Europe, il y a eu un million d'arrivants, candidats à l'asile. Un million.
10:31 Donc ce n'est pas 11 000, c'est un million. 11 000, c'est l'impéduleur.
10:34 Mais c'est pour ça que je vous pose la question, vous.
10:36 Et 300 000 franchissements irréguliers, selon Frontex, qui a du mal, évidemment, par définition, à les estimer.
10:42 Mais il faut faire quoi, Dominique Régnier ? Il faut fermer les frontières ? Il faut laisser les bateaux couler en mer ?
10:46 Regardez ce que fait l'Arabie Saoudite. Je ne dis pas qu'il faut le faire, mais regardez ce que fait l'Arabie Saoudite.
10:51 Bon exemple.
10:52 Elle tire à la mitrailleuse sur les réfugiés éthiopiens. L'Algérie repousse les familles vers le désert.
10:58 La Tunisie fait la même chose.
11:01 Non mais, nous sommes, nous...
11:03 Non mais vous dites "Mélanie n'y arrive pas, mais maintenant il faut que ça change".
11:05 Alors il faut faire quoi ? Il faut tirer sur les jambes ? Tirer sur les bateaux ?
11:08 Bien sûr que je ne peux pas recommander ça, Léa Salamé.
11:10 Évidemment. Mais avant que cela devienne une idée qui s'installe sans nous consulter et en nous contournant, évidemment,
11:17 il faut que nous attribuions la responsabilité de la décision à ceux qui sont en place.
11:24 Les nationaux, les gouvernants nationaux, comme les gouvernants européens, ne disent rien.
11:28 Sinon des généralités ou des choses qui ont l'air bienveillantes mais qui ne servent à rien.
11:33 Nous avons là...
11:34 Mais dites-nous ce qu'il faudrait dire. C'est quoi ? C'est un pacte européen de migration tel qu'on l'attend ?
11:38 S'il n'y a pas de frontières européennes, il n'y aura même plus d'Europe.
11:42 Ça c'est sûr. On le voit maintenant.
11:44 Il faut des frontières, de vraies frontières, défendues réellement, y compris militairement.
11:49 On l'a vu avec la Biélorussie et la Pologne.
11:51 Si nous n'avons pas de vraies frontières, ça ne marchera pas.
11:53 Il faut ensuite, avec les pays de départ,
11:55 on le fait un peu, pas assez, même si c'est compliqué,
11:58 davantage de négociations et d'échanges économiques pour les charger.
12:04 D'une partie du travail de sélection, la demande peut se faire depuis les pays de départ.
12:08 On n'a pas mis ce système en place. On l'a un peu esquissé, on ne l'a pas mis en place.
12:12 Et puis il faut quand même une intégration économique de l'ensemble de ces deux zones.
12:15 Moi je rappelle qu'aujourd'hui, quand je regarde notre histoire commune avec la Méditerranée,
12:21 nous n'avons pas d'université euro-africaine,
12:25 nous n'avons pas d'université franco-marocaine,
12:27 nous n'avons pas d'université franco-tunisienne ou je ne sais quoi.
12:30 Nous n'avons pas imbriqué au fond nos systèmes.
12:33 Je ne crois pas du tout que c'est une fermeture plus efficace qui nous sauvera.
12:43 Je ne pense pas. Ce que je crois, et ça ce sont des choses pratiques,
12:48 puisque les Assalamées, vous voulez qu'on donne des raisons, des choses pratiques.
12:52 Il y a pas mal de choses que nous n'avons pas faites.
12:55 Nous n'avons pas autorisé les personnes qui désiraient venir en Europe
13:03 à demander le droit de venir en Europe ailleurs qu'en Europe.
13:08 Et donc nous les obligeons.
13:10 Et nous avons une part de responsabilité dans ces naufrages et ces drames,
13:13 puisque il est impossible d'entrer en Europe autrement qu'en arrivant en bateau
13:21 et en demandant l'asile.
13:23 Puisque nous avons tout simplement fermé, interdit l'immigration irrégulière.
13:28 Et on peut le faire, on a le droit.
13:31 Mais il faut la permettre.
13:33 La première chose c'est ça, c'est d'autoriser.
13:35 Mais vous savez que c'est difficile, vous qui connaissez bien l'Afghanistan par exemple.
13:39 Si je suis une Afghane aujourd'hui et que je veux partir en France, comment je fais ?
13:43 Mais vous savez que tous les Afghans qui viennent en France passent par d'autres pays,
13:46 comme le Pakistan ou l'Iran.
13:48 Donc ce serait de demander au Pakistan.
13:50 Et il faut absolument mettre des consulats dans les pays limitrophes,
13:53 des pays que ces gens quittent.
13:55 Donc ça c'est la première chose, c'est-à-dire de rétablir la possibilité
13:58 de demander l'asile ou l'immigration.
14:01 Pourquoi toujours l'asile et seulement l'asile ?
14:04 Pourquoi seulement l'asile ?
14:06 Vous savez, vous disiez tout à l'heure, nous pensions que la démocratisation du monde
14:11 allait être le problème.
14:12 Mais qu'est-ce que nous avons fait envers la démocratisation du monde ?
14:15 Nous avons au contraire admis que le non-européen était tout à fait incapable
14:20 des changements politiques, sociaux, culturels qu'il fallait.
14:24 Nous l'avons admis et que donc la seule possibilité pour eux d'entrer dans l'histoire
14:27 était en fait de franchir les kilomètres.
14:29 Au contraire, ce que nous avons fait, au lieu d'ouvrir les universités
14:33 pour vous parler afro-européenne, ce que nous avons fait, c'est de nous compromettre
14:38 avec les gouvernements corrompus et oppressifs qui font le malheur de leur peuple
14:44 et qui viennent chez nous.
14:45 Qui sont aujourd'hui nos partenaires, nos amis, avec qui nous signons des pactes,
14:50 à qui nous donnons de l'argent pour que les gardent à distance.
14:53 Comment c'est fini maintenant ?
14:54 La Tunisie, la Turquie...
14:55 Et la Libye !
14:57 C'est le chaos en Libye.
14:59 Oui mais nous avons des pactes avec la Libye, nous avons des traités avec la Libye.
15:02 Nous payons les Libyens pour qu'ils violent, torturent et éloignent de nos côtes les migrants.
15:09 Nous sommes complices de véritables crimes.
15:13 Merci à tous les deux.
15:14 Ayam Suro et Dominique Régnier d'avoir été à notre micro ce matin.

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