Vincent Valinducq, médecin généraliste, raconte son rôle d'aidant et le combat qu'il a mené auprès de sa mère, atteinte de la maladie d'Alzheimer.
Son livre "Je suis devenu le parent de mes parents" vient de paraître aux éditions Stock.
Son livre "Je suis devenu le parent de mes parents" vient de paraître aux éditions Stock.
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00:00 Je suis devenu le parent de mes parents, là où habituellement j'avais ma mère et mon père qui prenaient soin de moi.
00:04 La maladie a pris place et les rôles se sont inversés.
00:07 Pendant 14 ans, j'ai accompagné ma mère qui était atteinte d'une maladie apparentée, la maladie d'Alzheimer.
00:13 Mon premier patient, étonnamment, ça a été ma mère.
00:16 J'ai commencé médecine en 2004-2005, j'avais 24-25 ans.
00:19 Je le révisais et puis au fur et à mesure, j'avais une maman qui venait me voir régulièrement dans ma chambre,
00:23 qui frappait à ma porte et qui me disait "Vincent, tu veux manger quoi ce soir ?"
00:25 Elle revenait une deuxième fois, puis une troisième fois, puis une quatrième fois.
00:29 Et puis sauf que quand j'arrivais le soir au dîner, dans l'assiette, il n'y avait pas du tout ce que j'avais demandé.
00:33 Et puis petit à petit, je me suis rendu compte qu'il se passait quelque chose.
00:37 Il y avait vraiment une maladie qui commençait à gagner du terrain.
00:39 Au début, on ressent de la colère.
00:41 Je me disais "Mais pourquoi elle ne retient pas ce que je lui dis ?"
00:42 En fait, la colère, elle était contre moi au final, parce que je pense que j'étais dans le déni total.
00:46 Et puis, quand j'ai pris conscience qu'elle n'y était pour rien, j'ai décidé de l'accompagner.
00:50 Le disque dur était en train de s'effacer.
00:52 Tout ce qu'elle avait pu apprendre, c'était en train de s'évaporer d'un coup.
00:55 Les pertes de la mémoire, des troubles dans l'équilibre, des problèmes dans la marche,
00:58 des problèmes dans la gestuelle aussi, pour essayer de manger, de boire,
01:01 et des troubles dans l'articulation pour parler.
01:04 Et puis finalement, ce qui s'envolait aussi, c'était une partie de moi,
01:07 parce que tous les souvenirs que ma mère avait de moi, ils étaient aussi en train de s'envoler.
01:11 Quand on ne le vit pas, c'est une chose extrêmement difficile de se rendre compte
01:16 vraiment la difficulté que c'est d'être aidant.
01:18 Et seuls ceux qui vivent cette situation peuvent le comprendre.
01:22 Aujourd'hui, on est quand même 11 millions d'aidants.
01:24 Et alors 11 millions d'aidants aussi bien pour des maladies neurodégénératives,
01:27 aussi des cancers ou des patients atteints d'un handicap ou une perte d'autonomie.
01:32 Quand on est aidant, la culpabilité, c'est totalement associé.
01:35 C'est-à-dire que 24 heures sur 24, même si vous faites le maximum,
01:38 vous ressentez de la culpabilité.
01:39 Je m'accordais très peu de temps de repos, je ne partais pas en vacances.
01:42 Je partais parce que tous les week-ends, je rentrais voir mes parents.
01:45 Toutes les vacances, j'étais également avec ma famille pour m'occuper d'eux.
01:48 Dès que je m'accordais le moindre temps de répit en soirée avec des amis,
01:51 à prendre un verre au cinéma, c'était l'angoisse totale
01:53 parce qu'au cinéma, je ne le captais pas du tout.
01:55 J'ai été aidant avec mon frère et mon père auprès de ma maman.
01:59 Et tous les trois, on a décidé de faire bloc pour la soutenir au sens propre.
02:03 Comme au sens figuré, on la tenait à bout de bras.
02:06 On a fait la promesse de ne jamais l'institutionnaliser.
02:09 Moi, je trouve que le système de soins français, aujourd'hui, on le sait,
02:11 il est en souffrance.
02:13 On dit qu'il s'effondre, mais il est déjà bien effondré.
02:15 C'est-à-dire que ce n'est pas normal d'attendre des mois
02:19 avant d'avoir un rendez-vous chez le spécialiste
02:21 ou d'être pris en charge aux urgences.
02:23 On sait qu'il y a beaucoup d'attentes.
02:24 Parfois, on passe du temps sur les brancards.
02:26 Il faut absolument améliorer la prise en charge dans sa globalité.
02:29 Je pense qu'il faut aussi améliorer la prise en charge et le maintien à domicile
02:33 des personnes le plus longtemps possible à domicile et dans les meilleures conditions.
02:38 Pour prendre soin de soi, je pense qu'il est important d'être aidé.
02:41 Et quand on est aidant, la difficulté, c'est d'apprendre à accepter d'être aidé.
02:45 À un moment donné, j'ai franchi la porte d'une psychologue.
02:47 Ça m'a beaucoup aidé à passer le cap.
02:49 Maintenant, on a pu être aidé aussi avec la mise en place des oxygères de vie.
02:52 Une personne professionnelle, elle, qui vient à la maison,
02:54 qui va s'occuper de la personne à aider.
02:57 Une autre est arrivée, Marie-Popine, c'est la maison,
02:59 s'appelle Sandrine, elle a changé nos vies.
03:01 Elle a apporté vraiment de l'oxygène.
03:02 Et je pense que ça, c'est l'une des difficultés.
03:04 Quand on est aidant, on a souvent très peur de faire entrer quelqu'un d'inconnu à l'extérieur,
03:08 de le faire entrer dans le foyer de la maison.
03:10 Et en réalité, non, il faut vraiment se laisser porter.
03:12 Il faut accepter d'être aidé parce que ça soulage.
03:15 Et le fait d'avoir été aidé par Sandrine et ensuite,
03:18 Chérifa, Roselyne nous ont rejoints.
03:19 Ça nous a permis à nous de nous concentrer uniquement sur les moments plus légers avec ma maman.
03:23 Vous avez la personne que vous avez toujours connue en face de vous,
03:26 mais qui finalement ne vous reconnaît pas.
03:28 Vous n'avez plus le même échange que vous aviez pu avoir avant,
03:30 les mêmes rires, les mêmes sourires.
03:32 Et en fait, c'est assez compliqué de vivre ça.
03:34 Et c'est vrai que c'est ce qu'on appelle un deuil blanc.
03:36 La routine qui s'est installée pendant 14 ans, c'était une fatigue extrême.
03:39 Et encore une fois, je n'étais pas le seul.
03:41 Il y avait une équipe de trois autour de ma mère.
03:43 Il y avait mon père, mon frère et moi.
03:44 Et puis, petit à petit, mon père aussi a commencé à tomber malade.
03:47 Parce qu'il faut le savoir, quand on est aidant,
03:49 ça touche la santé physique, mais aussi la santé mentale.
03:53 Et les statistiques le disent, un tiers des proches aidants décèdent avant les aider.
03:58 Et ça, on a pu le voir malheureusement sur mon père,
04:01 qui a été extrêmement fatigué et qui mettait de côté sa santé, son suivi médical.
04:07 Et de plus en plus, il est tombé malade.
04:09 De plus en plus, mon frère et moi avons été aidants de nos deux parents.
04:13 Mon père est décédé un mois et demi après ma mère.
04:15 Donc, il n'est pas parti avant, mais la fatigue et puis le chagrin
04:19 étaient tellement énormes qu'il nous a quittés un mois et demi après.
04:21 Les parents me manquent terriblement.
04:23 Tous les jours, on y pense et c'est encore frais.
04:25 Ça fait à peine un an que j'ai perdu d'abord ma mère et puis ensuite mon père.
04:28 Mais là, j'ai l'impression que je commence un nouveau chapitre de ma vie.
04:32 Je reprends celui que j'avais mis en pause il y a 14 ans.
04:34 Et là, aujourd'hui, j'en commence à nouveau.
04:36 Alors, il y a un manque terrible.
04:38 Mais je me dis qu'aujourd'hui, j'ai peut être un autre combat à mener.
04:41 Et c'est celui des aidants.
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