L'intelligence Artificielle va-t-elle nous mettre au chômage

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L'intelligence Artificielle va-t-elle nous mettre au chômage
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00:00:00 ...
00:00:15 -Bonsoir à toutes, bonsoir à tous.
00:00:17 Bienvenue sur le plateau de "C'est ce soir".
00:00:20 Quel est le point commun entre Brad Pitt
00:00:22 et les salariés de l'entreprise française Onclusive ?
00:00:25 D'Hollywood jusqu'à Courbevoie,
00:00:27 tous voient leur travail menacé.
00:00:29 Par l'irruption de l'intelligence artificielle.
00:00:32 217 licenciements à venir en France,
00:00:34 pendant qu'aux Etats-Unis, des acteurs et des scénaristes
00:00:37 s'inquiètent d'être tous remplacés.
00:00:39 Entrons-nous dans une nouvelle ère
00:00:41 qui va bouleverser le monde du travail.
00:00:43 Faut-il croire ce qui prédise la disparition à terme
00:00:46 de 300 millions d'emplois à travers le monde ?
00:00:49 L'IA va-t-elle nous mettre au chômage
00:00:51 ou sera-t-elle notre nouvelle collègue préférée,
00:00:54 celle qui nous permettra de mieux, voire de moins travailler ?
00:00:57 On a une heure pour en débattre. C'est ce soir.
00:01:00 Musique de tension
00:01:02 ...
00:01:04 -C'est ce soir avec Arthur Chevalier.
00:01:06 Salut, Arthur. -Salut, Camille.
00:01:08 -Un sujet qui, je sais, te tient particulièrement à coeur.
00:01:11 Ce soir, tu t'es déjà amusé par le passé
00:01:13 avec l'intelligence artificielle, notamment en faisant parler
00:01:16 Napoléon à l'occasion de son bicentenaire,
00:01:19 mais aussi en éditant un livre coécrit avec une IA.
00:01:22 "Si Rome n'avait pas chuté" de Raphaël Dohan,
00:01:24 qu'on avait reçu sur ce plateau
00:01:26 la saison dernière. L'IA, une technologie
00:01:28 qui suscite beaucoup d'espoir, de crainte, de fantasme.
00:01:31 Parmi les plus inquiets, il y a peut-être vous,
00:01:34 Fabrice Epelboin. Bonsoir. -Bonsoir.
00:01:36 -Vous êtes un entrepreneur du numérique,
00:01:39 enseignant, spécialiste des médias sociaux.
00:01:41 Pour vous, on est assis sur une bombe.
00:01:43 Tous les métiers où l'on n'utilise pas nos bras
00:01:46 sont menacés et la France n'est pas préparée.
00:01:49 Bonsoir, Laurent Daudet. -Bonsoir.
00:01:51 -La bombe qu'évoque Fabrice Epelboin,
00:01:53 c'est peut-être un peu vous qui l'a posée,
00:01:56 vous avez fondé une entreprise qui s'appelle Light On,
00:01:59 une sorte d'alternative française à ChatGPT,
00:02:01 pour faire simple, avec des solutions
00:02:03 à destination des entreprises.
00:02:05 Vous nous expliquerez.
00:02:06 Mais ça ne vous empêche pas de vous poser des questions.
00:02:10 "Comment j'ai failli vendre mon âme à l'IA ?"
00:02:12 C'est le sous-titre de cette BD
00:02:14 que vous avez écrite, illustrée par Apupen,
00:02:16 qui sort mercredi prochain,
00:02:18 dans laquelle vous mettez en scène un chef d'entreprise
00:02:21 qui vous ressemble un peu et qui s'interroge
00:02:24 sur le comportement pervers de son activité.
00:02:26 Face à vous, une philosophe qui ne s'inquiète pas du tout.
00:02:30 -Attendez, vous allez vite. -Je suis allée vite.
00:02:32 Pas trop, en tout cas. -Bonsoir, Juliette.
00:02:35 -On en parlera. -Vous êtes l'une
00:02:37 des grandes spécialistes françaises du travail,
00:02:39 de l'organisation du travail et des rapports sociaux.
00:02:42 Vous nous avez dit en préparant l'émission
00:02:45 que vous ne croyez pas au remplacement de nos emplois
00:02:48 par les machines et qu'il faut voir l'IA
00:02:50 comme une opportunité pour des salariés
00:02:53 qui, d'un coup, seront délestés des tâches les plus ingrates.
00:02:56 Concrètement, qu'est-ce que ça va produire,
00:02:58 cette collaboration entre l'humain et la machine ?
00:03:01 C'est une question qui vous intéresse.
00:03:03 -Bonsoir. -Bonsoir.
00:03:05 -Vous êtes philosophe, spécialiste des nouvelles technologies
00:03:08 et rédactrice en chef du média en ligne Philonomiste.
00:03:11 En préparant l'émission, vous nous avez dit
00:03:14 que quand on travaille avec une IA,
00:03:16 est-ce qu'on travaille pour elle, avec elle, contre elle ?
00:03:19 Est-ce que c'est notre boss ou notre collègue ?
00:03:22 On en discutera ensemble.
00:03:23 On en discutera avec Alexandre Viros.
00:03:26 Bonsoir. -Bonsoir.
00:03:27 -Bienvenue. Vous êtes le président d'Adeco,
00:03:30 le premier groupe d'intérim en France.
00:03:32 Vous êtes très au fait des mutations du marché du travail.
00:03:35 Vous avez été visionnaire sur l'intelligence artificielle
00:03:39 puisque dès 2018, vous disiez qu'il faut s'emparer de cet outil.
00:03:43 Je crois qu'Adeco utilise des IA
00:03:45 pour aider les recruteurs à sélectionner des profils.
00:03:48 Peut-elle, l'IA, contrairement à ce qu'on pense,
00:03:51 améliorer le marché du travail ? Vous nous direz ça.
00:03:54 Merci à tous et à toutes d'avoir accepté notre invitation à débattre.
00:03:58 La discussion commence après le billet,
00:04:00 signé Pierre-Michel.
00:04:03 ...
00:04:09 -Sur le principe, ça paraît ludique.
00:04:11 -Les histoires de nos grands héros américains
00:04:15 nous rappellent ce que notre pays représente.
00:04:18 -Faire parler Trump en français,
00:04:20 ici, en anglais.
00:04:21 ...
00:04:23 Rendre le général international.
00:04:26 -C'était une fois un ancien pays.
00:04:28 -Sur le principe, pourquoi pas faire du stand-up
00:04:31 avec un faux Jerry Seinfeld ?
00:04:33 ...
00:04:40 ...
00:04:42 On peut aussi générer la voix d'Angèle
00:04:44 par intelligence artificielle.
00:04:45 ...
00:04:49 Sur le principe, c'est original, mais ça commence à la foutre mal.
00:04:52 ...
00:05:00 Comédien de doublage, acteur et même cascadeur.
00:05:03 ...
00:05:09 -Aux Etats-Unis, mais pas seulement,
00:05:11 c'est toute l'industrie du divertissement qui tremble.
00:05:14 ...
00:05:22 -Dans le divertissement, mais pas seulement,
00:05:25 on craint le grand remplacement.
00:05:26 -Les prévisions les plus pessimistes
00:05:29 évoquent déjà 300 millions de postes supprimés.
00:05:31 -En premier lieu, ceux de l'agence de relations publiques inclusive.
00:05:35 Le groupe vient d'annoncer à ses 383 salariés
00:05:37 que la moitié des postes sera remplacée
00:05:39 par une intelligence artificielle.
00:05:41 -D'une ampleur comme ça, d'une violence comme ça,
00:05:44 non, on ne s'y attendait pas.
00:05:46 Des cadres, des directeurs, des techniciens de production,
00:05:49 ça concerne tout le monde.
00:05:50 -Ca va vite. Il y a quelques mois, Sam Altman,
00:05:53 le fondateur de ChatGPT, se voulait rassurant
00:05:55 devant des sénateurs américains.
00:05:57 ...
00:06:02 Mais il y a quelques jours, on apprenait
00:06:04 qu'une entreprise polonaise avait choisi
00:06:06 une intelligence artificielle comme directrice générale expérimentale.
00:06:10 ...
00:06:18 Son autre président a l'air content.
00:06:20 ...
00:06:26 Le nom de cette entreprise,
00:06:28 Dictador.
00:06:30 ...
00:06:33 -Dictador, vaste programme.
00:06:36 Alors, on vient de voir les images,
00:06:38 ce sont à la fois des acteurs, des scénaristes, des humoristes,
00:06:41 les salariés français d'Inclusive,
00:06:43 une entreprise spécialisée dans la veille média,
00:06:46 les revues de presse, ou même la directrice générale
00:06:49 d'un producteur de rhum polonais.
00:06:51 On a appris qu'il y avait du rhum polonais.
00:06:53 Ce qui est important, ce sont des métiers
00:06:55 qui n'ont rien à voir les uns avec les autres
00:06:58 et qui semblent tous menacés par l'IA.
00:07:00 Comment regardez-vous ça, les uns et les autres ?
00:07:03 Est-ce que Fabrice et Pelleboin,
00:07:04 on est sur le point d'être tous mis au chômage ?
00:07:07 -On est sur le point d'être obligés de se poser la question
00:07:10 de quel est mon rapport à moi, travailleur,
00:07:13 avec ces outils-là,
00:07:14 comment vont-ils pouvoir m'apporter quelque chose,
00:07:17 quelles sont les menaces qu'ils représentent.
00:07:20 On est clairement sur une course
00:07:21 entre le besoin d'en faire un allié,
00:07:24 d'augmenter sa productivité,
00:07:26 ou les champs d'expertise et de compétences
00:07:28 qu'on peut avoir avec ces outils-là,
00:07:31 et la menace de ne plus trouver d'emploi,
00:07:33 parce que si mon voisin multiplie par cinq sa productivité,
00:07:36 à un moment, on va se marcher sur les pieds,
00:07:38 car la croissance n'est pas en rendez-vous
00:07:41 et ne pourra pas nous permettre de travailler
00:07:43 en multipliant par cinq notre productivité.
00:07:46 L'un d'entre nous va se retrouver au chômage.
00:07:48 -Juliette Funès, vous n'étiez pas très inquiète,
00:07:51 ou en tout cas, vous ne croyez pas
00:07:53 au grand remplacement des salariés par la technologie.
00:07:56 -Je vous l'ai ticté un peu vite.
00:07:58 Je crois que ce n'est pas une fatalité,
00:08:00 derrière toute intelligence artificielle,
00:08:02 il y a encore des intelligences humaines.
00:08:05 L'intelligence artificielle s'automatisera
00:08:07 par rapport à son créateur.
00:08:09 Pour l'instant, c'est de la science-fiction.
00:08:12 Dans tous les milieux où il y a de l'intelligence artificielle,
00:08:15 sauf exception, je sais que vous allez parler d'un cas,
00:08:18 les emplois n'ont pas disparu, les tâches ont évolué,
00:08:21 les avions peuvent décoller et atterrir tout seuls.
00:08:24 Il y a des intelligences artificielles depuis des années.
00:08:27 Il y a toujours un commandant de bord et un copilote dans un cockpit.
00:08:31 Les médecins, vous avez un cancer,
00:08:33 c'est fantastique, parce qu'on va adapter le protocole
00:08:36 en fonction de la nature de votre tumeur.
00:08:38 C'est l'intelligence artificielle qui le permet.
00:08:41 Mais il y a toujours une décision collégiale
00:08:44 de médecins et les oncologues.
00:08:45 Si je prends des métiers moins considérés,
00:08:48 une assistante, dans mon smartphone,
00:08:50 j'ai absolument tout, mes agendas,
00:08:52 mes connexions pour prendre des taxis, des trains, etc.
00:08:55 Mon assistante ne fait pas la même chose
00:08:58 que ce qu'elle faisait il y a 15 ans,
00:09:00 mais j'ai toujours besoin d'une assistante.
00:09:03 La révolution des tâches n'est pas une disparition des emplois.
00:09:06 Ca va bonifier les emplois.
00:09:07 Tout ce qui est sur une logique très procédurale,
00:09:10 très mécanisé, très automatisé,
00:09:12 indigne de l'intelligence humaine,
00:09:14 va être remplacé par l'intelligence artificielle.
00:09:17 -On peut comprendre l'inquiétude de certains salariés.
00:09:20 -Il y a des dérives.
00:09:22 Vous allez voir une entreprise
00:09:23 qui utilise l'argument de l'intelligence artificielle
00:09:26 pour justifier l'injustifiable.
00:09:28 Il y a une méfiance.
00:09:30 On est dans un optimisme BA du tout et un angélisme.
00:09:33 Il y a toujours un esprit critique, un discernement à avoir,
00:09:36 mais comme dans tout progrès, il y a des avantages et des inconvénients.
00:09:40 -Viraud, vous comprenez l'inquiétude
00:09:42 qui monte chez certains salariés ?
00:09:44 Il y a même un mot pour ça,
00:09:46 c'est le faux beau "fear of being obsolete",
00:09:48 la peur de devenir obsolète.
00:09:50 On peut devenir obsolète ?
00:09:51 -Je pense que l'inquiétude est légitime.
00:09:54 Si on n'est pas inquiet, c'est qu'on n'est pas lucide.
00:09:57 C'est une transformation majeure.
00:09:59 Je suis assez d'accord avec ce que vous avez dit.
00:10:02 En réalité, depuis la révolution industrielle
00:10:05 ou les révolutions technologiques,
00:10:07 même avant celle-ci, il y a des transformations profondes.
00:10:10 Là, il y a beaucoup d'attention,
00:10:12 parce que c'est spectaculaire,
00:10:14 Chad J. Petit a été adopté à une vitesse sidérante.
00:10:17 Je crois qu'il y a un biais,
00:10:18 parce que ça concerne beaucoup les cols blancs, les cadres.
00:10:22 Quand il y a eu beaucoup d'automatisation,
00:10:24 de robotisation, des tâches, des cols bleus,
00:10:27 il n'y a pas eu cette dimension de panique anthropologique
00:10:30 qu'on connaît aujourd'hui.
00:10:32 Dans mon métier, on a vu le métier de chariste,
00:10:35 qui lui-même a beaucoup évolué,
00:10:38 d'un métier qui était un métier de force physique
00:10:42 à un métier de conduite d'engin,
00:10:44 à un métier de téléconduite d'engin,
00:10:46 à un métier où il faut même modifier
00:10:49 des éléments de la tablette pour le conduire.
00:10:51 Avec l'IA, il faut qu'on ait ça en tête.
00:10:54 Vous avez raison.
00:10:55 Il va falloir qu'on maîtrise l'outil, l'objet,
00:10:58 qu'on ne soit pas complètement victime de ce qui va se passer.
00:11:01 Un point intéressant, dans ce que vous venez de dire,
00:11:04 c'est le côté très contre-intuitif
00:11:07 du fait qu'on a pensé pendant des années
00:11:09 que les robots allaient remplacer les métiers les plus manuels.
00:11:13 Avec l'IA, on se rend compte
00:11:16 que ce sont au contraire des métiers très qualifiés
00:11:19 qui sont menacés.
00:11:20 Tout à fait.
00:11:21 Je rejoins ce qui a été dit.
00:11:24 C'est ce qui est nouveau.
00:11:26 Des métiers qu'on estimait créatifs,
00:11:28 qu'on estimait à l'abri de ce type de technologies,
00:11:32 où on disait que c'était très loin
00:11:34 pour écrire des romans, dessiner des logos, etc.
00:11:37 Maintenant, c'est le pouvoir de la donnée.
00:11:39 On a beaucoup de données et on peut faire des algorithmes
00:11:43 extrêmement efficaces pour attaquer ce type de métier.
00:11:46 Après, ce qui fait peur,
00:11:49 c'est effectivement des transformations,
00:11:52 des mutations de l'emploi,
00:11:54 mais c'est surtout la vitesse.
00:11:55 Là, on parle de technologies,
00:11:57 c'est des technologies d'IA génératives.
00:12:00 Les fondements ont été écrits il y a cinq ans.
00:12:04 L'impact que ça a eu en cinq ans, c'est phénoménal.
00:12:07 On n'est vraiment qu'au tout début d'une nouvelle vague.
00:12:10 C'est bien malin celui qui pourra prédire ce que ça sera
00:12:13 dans trois ou cinq ans.
00:12:14 -Apolline Guillaume, sur la vitesse,
00:12:17 je m'adresse à la philosophe des sciences.
00:12:20 Est-ce que c'est peut-être aussi une révolution technologique
00:12:24 qui a été faite plus vite que l'humanité ?
00:12:26 Est-ce que c'est ça qui fait que la technologie peut-être
00:12:29 se retournerait contre nous ?
00:12:31 -Le terme de "se retourner contre nous" est un peu fort.
00:12:34 Je voudrais rebondir sur l'idée de révolution anthropologique.
00:12:37 Ce qu'on expérimente là et dans les images qu'on a vues,
00:12:41 c'était le vertige de la remplaçabilité.
00:12:43 Soudain, il y a plein de gens qui avancent,
00:12:46 pensés irremplaçables,
00:12:47 qui réalisent qu'ils ne le sont pas.
00:12:49 C'est une tension qui est inhérente au monde du travail.
00:12:53 Si je pars en congé maternité ou que je dois m'absenter,
00:12:56 je dois formaliser un tas de processus,
00:12:58 la façon dont je travaille, et la transmettre à quelqu'un.
00:13:01 Je ne suis pas juste une personne qui travaille,
00:13:04 je remplis une fonction.
00:13:05 Ce que je fais peut être explicité.
00:13:07 On se rend compte qu'à partir du moment où c'est explicitable,
00:13:11 transmissible, ça peut être mis dans un code,
00:13:14 fait par une machine.
00:13:15 On voyait bien la scénariste qui disait
00:13:18 que ça n'a pas de sens.
00:13:19 Mais si ça a un sens,
00:13:21 c'est parce qu'une partie de ce qu'elle faisait
00:13:23 était déjà, d'une certaine manière, remplaçable.
00:13:26 C'est peut-être...
00:13:28 Voilà, le choc est difficile.
00:13:31 C'est ça qui est nouveau.
00:13:32 -C'est pas la même chose d'avoir peur d'être remplacée
00:13:36 par la personne qui nous remplace pendant un congé maternité
00:13:39 et la peur d'être remplacée par une machine.
00:13:42 C'est différent, j'imagine.
00:13:44 -C'est pas exactement la même chose,
00:13:46 mais je pense que ça fait écho
00:13:48 au même problème, à la même tension
00:13:50 entre la personne et la fonction.
00:13:52 Là, tout d'un coup, on se rend compte
00:13:54 que ces 10 dernières années, ces 30 dernières années,
00:13:57 le côté fonctionnel du travail procédural,
00:14:00 le travail prescrit a pris, petit à petit,
00:14:02 le pas sur le travail vécu.
00:14:04 Maintenant, on a un retour de bâton
00:14:06 et on se rend compte que c'est peut-être allé un peu loin.
00:14:09 -Vous nous avez dit, en préparant l'émission,
00:14:12 la peur d'être remplacée par une machine
00:14:14 est presque aussi ancienne que l'humanité.
00:14:17 -Oui, c'est une créature technologique
00:14:19 qui vient remplacer l'humain, c'est aussi vieux que l'humain,
00:14:22 mais je crois qu'il y a des choses, comme disaient les anciens,
00:14:26 qui dépendent de nous et d'autres qui ne dépendent pas de nous.
00:14:29 Pour l'instant, l'intelligence artificielle
00:14:32 dépend de nous. Donc si on veut en faire
00:14:34 des puissances autonomes qui rivalisent avec nous,
00:14:37 on en fera des puissances autonomes.
00:14:39 Si on veut en faire des moyens à notre service,
00:14:42 on en fera des moyens.
00:14:43 Il y a une phrase géniale d'Alain qui peut s'adapter à ça.
00:14:46 "L'intelligence artificielle va devenir..."
00:14:49 On ne sait pas, mais on dirige toujours.
00:14:51 C'est à nous de donner le sens aux événements que l'on vit.
00:14:54 Si on veut en faire une situation catastrophique,
00:14:57 on en fera une. Si on veut trouver des bienfaits inespérés,
00:15:00 on y trouvera. C'est une question de volonté,
00:15:03 de lucidité et de responsabilité humaine.
00:15:06 -Vous avez l'avis ? -Oui, parce que c'est une question
00:15:09 de choix, c'est sans doute aussi une question de choix politique,
00:15:12 mais même dans le monde du travail,
00:15:15 il faut savoir comment on va s'adapter
00:15:17 à accepter ce genre de technologie.
00:15:19 Ce que vous disiez sur la dimension très prescriptive
00:15:22 et procédurale d'un certain nombre de métiers,
00:15:25 c'est aussi, et là, c'est un plus positif,
00:15:27 il y a une opportunité à se dire que finalement,
00:15:30 tous ces gens qui se vivaient peut-être
00:15:32 comme une extension du disque dur malgré eux,
00:15:35 on peut aspirer à autre chose, là, on libère un champ pour eux,
00:15:38 pour qu'ils arrivent à faire autre chose.
00:15:41 Quand on parle d'un livre écrit avec l'aide de l'IA,
00:15:44 finalement, c'est intéressant,
00:15:46 parce que, je crois que, peut-être le disiez-vous,
00:15:48 l'auteur, lui, devient un peu le réalisateur,
00:15:51 et c'est un rôle artistique et créatif qui existe,
00:15:54 donc c'est tout ça qu'il faut réinventer.
00:15:56 -Ce qui inquiète dans cette révolution
00:15:59 en termes du monde du travail, c'est qu'il y a une automatisation
00:16:02 de l'intelligence, on n'y était pas préparés.
00:16:05 On a cité au XIXe siècle une automatisation
00:16:07 de beaucoup d'artisanats, qui étaient dérivés de l'artisanat.
00:16:11 On disait que c'était l'avenir, la technologie.
00:16:13 On réinvente pas la roue, et vous avez raison,
00:16:16 on les connaît depuis longtemps.
00:16:18 Mais l'automatisation de l'intelligence,
00:16:21 on croyait qu'en termes d'appréhension
00:16:23 de nos compétences, de notre valorisation,
00:16:26 on pensait que ça s'était "préservé".
00:16:28 Entre guillemets, ça ne l'est pas,
00:16:30 on peut devenir un réalisateur,
00:16:32 on devient le grand penseur de la superstructure,
00:16:35 mais on se rend compte qu'un article,
00:16:37 chaque GPT peut le faire.
00:16:39 C'est l'aspect de la société un peu dur à vivre.
00:16:42 Les scénaristes, on va écrire comme Balzac, comme Proust.
00:16:45 -Vous avez raison, c'est une difficulté à vivre,
00:16:48 une gêne, mais transformée en peur.
00:16:50 On dit que c'est une menace, mais on est dérangé,
00:16:53 car il y a quelque chose de confortable
00:16:55 dans l'esprit humain, c'est de se mettre sur des rails.
00:16:58 Quand on a fait sa journée de boulot,
00:17:01 qu'on a coché les 23 cases, qu'on a l'insentiment
00:17:04 d'avoir bien fait son job, on se rend compte
00:17:06 que c'est une menace, et on va transformer une gêne en peur.
00:17:10 -Il y a un certain nombre d'études
00:17:12 qui sont sorties ces derniers mois
00:17:14 et qui prédisent des disparitions d'emplois,
00:17:17 et ce sont des chiffres vertigineux.
00:17:19 Je citais celle de Goldman Sachs, Fabrice Epelboin,
00:17:22 300 millions d'emplois qui devraient disparaître.
00:17:25 Pour un groupe de chercheurs d'Harvard,
00:17:28 c'est 47 % des emplois qui pourraient être confiés
00:17:30 à des ordinateurs.
00:17:32 Est-ce que ces chiffres-là,
00:17:33 c'est la réalité qu'on doit regarder en face ?
00:17:36 -C'est la date ?
00:17:37 -Il suffit de regarder les vieilles prédictions
00:17:40 de Goldman Sachs pour se rassurer.
00:17:42 La seule chose dont on est à peu près certain,
00:17:45 c'est qu'il y a des centaines de millions d'emplois
00:17:48 qui vont être affectés, pas disparaître,
00:17:50 mais changés profondément.
00:17:52 Une grande partie des emplois dans le monde occidental
00:17:55 va évoluer, et va évoluer de façon très significative.
00:17:59 Il y a une responsabilité collective
00:18:01 qui est de préparer la société.
00:18:03 On n'est pas bien placés en France
00:18:05 pour faire des aventures non techniques.
00:18:07 Il y a une responsabilité individuelle,
00:18:10 d'aller faire joujouer avec ChatGPT,
00:18:12 de comprendre ce qui se prend,
00:18:14 de dépasser les a priori qui consistent
00:18:16 à taper quelque chose, avoir une réponse idiote,
00:18:19 et dire que ça n'a aucune valeur.
00:18:21 D'essayer de comprendre comment ça peut s'intégrer
00:18:24 dans son travail du quotidien,
00:18:26 quel rapport on peut avoir avec cet objet, cet outil.
00:18:29 Les développeurs informatiques ont un rapport fascinant
00:18:32 avec ChatGPT, parce qu'on peut multiplier
00:18:35 les chiffres de 4, 5, 6 quand on développe du code.
00:18:37 Mais il faut savoir ce qu'on attend de la machine,
00:18:40 il faut en quelque sorte la coacher,
00:18:43 et les résultats peuvent être absolument fous.
00:18:45 Là-dessus, il y a une multitude de responsabilités,
00:18:48 aussi bien sociétales, politiques, économiques.
00:18:51 Les chefs d'entreprise ont des responsabilités gigantesques.
00:18:55 -C'est la question que j'allais poser.
00:18:57 Je vous la pose, Alexandre Viros.
00:18:59 L'accompagnement de ces salariés dont le métier va être transformé,
00:19:03 de qui ça relève ?
00:19:04 Est-ce que ça relève de notre responsabilité individuelle ?
00:19:08 Les politiculés ? Les dirigeants d'entreprise ?
00:19:11 -J'ai toujours considéré qu'il y a un trio
00:19:13 qui est responsable de cette question,
00:19:15 de l'adaptation de nos compétences au nouveau monde.
00:19:19 C'est un trio entre l'individu, l'entreprise et son chef,
00:19:22 et les pouvoirs publics.
00:19:23 Ce que vous disiez, d'ailleurs, c'est juste pour être précis,
00:19:27 il y a les métiers qui vont être changés,
00:19:29 mais en réalité, c'est les tâches qui vont être changées.
00:19:33 L'intelligence artificielle, la robotisation,
00:19:35 les métiers existent encore,
00:19:37 mais ce sont les tâches réalisées qui ont été changées.
00:19:40 Là où il y a une responsabilité à l'entreprise,
00:19:43 c'est d'acter le fait qu'on n'a plus un stock de compétences
00:19:47 qu'on a acquises à la sortie de l'école,
00:19:49 et ça dure toute une vie.
00:19:51 Il faut avoir un raisonnement, pour filer la métaphore,
00:19:54 en se disant que tout au long de la vie,
00:19:56 il faut qu'on apprenne, apprendre à apprendre,
00:19:59 apprendre à apprendre et à réapprendre.
00:20:02 C'est fondamental, et c'est ça qu'il faut faire.
00:20:05 Vous avez raison, la France est malheureusement mal équipée
00:20:08 pour raisonner de cette manière, parce que les gens ne le font pas,
00:20:12 parce qu'on voit la formation comme un coût
00:20:15 et jamais comme un investissement,
00:20:17 donc on raisonne à l'envers.
00:20:18 -Et comme quelque chose d'initial.
00:20:21 C'est catastrophique.
00:20:22 Les études datent du XXe siècle.
00:20:24 Il est évident qu'il faut qu'on repense notre système éducatif,
00:20:28 probablement en bon moment,
00:20:30 mais il faut faire quelque chose qui se déroule sur toute la vie.
00:20:34 C'est indispensable.
00:20:35 On a besoin de réinventer un système éducatif
00:20:38 qui soit accessible et offert à tous, pas juste aux jeunes.
00:20:41 -Laurent Daudet ?
00:20:42 -Sur ce point, je pense que c'est vraiment quelque chose de clé,
00:20:46 la formation de l'ensemble de la société,
00:20:48 mais on a une chance, avec cette nouvelle génération
00:20:51 d'intelligence artificielle, qu'elle s'utilise en langage naturel,
00:20:55 en français, en anglais, dans la langue de tous les jours.
00:20:59 Il y aura beaucoup de métiers d'informaticien.
00:21:01 Il y a tous ces nouveaux métiers d'accompagnement,
00:21:04 de déploiement en entreprise
00:21:06 et dans les administrations de l'intelligence artificielle.
00:21:10 Tout le monde peut s'y mettre.
00:21:11 C'est extraordinaire.
00:21:13 Et même, ça peut aider.
00:21:14 Certains métiers pour lesquels la maîtrise de l'orthographe
00:21:19 peut être un obstacle,
00:21:20 ça peut permettre à certaines personnes
00:21:24 qui ont eu une éducation
00:21:26 qui n'était pas forcément celle qu'on a toujours rêvée,
00:21:30 qui peuvent accéder à certaines fonctions
00:21:32 car on a un correcteur orthographique parfait
00:21:35 qui peut générer des textes excellents.
00:21:37 Ça peut être une chance pour beaucoup d'emplois.
00:21:40 -J'ai un exemple.
00:21:41 Ca me fait penser à un exemple.
00:21:43 Nous, on a développé ce qu'on appelle un producteur de CV.
00:21:47 Parce qu'en fait, pour beaucoup des personnes
00:21:50 qui trouvent un emploi via Adéco,
00:21:52 la rédaction d'un CV, c'est pénible.
00:21:55 Le système est encore structuré autour du CV.
00:21:57 On a fait un instrument qui permet de faire
00:22:00 avec du natural language processing,
00:22:02 qui analyse la langue naturelle, la personne dit ce qu'elle a fait,
00:22:06 et grâce à une version ouverte de ChatGPT,
00:22:08 ça génère automatiquement un CV.
00:22:10 Là, c'est un très bon usage de ChatGPT.
00:22:13 -Maintenant, dans les entreprises,
00:22:15 les IA vont lire les CV.
00:22:17 -C'est sûr qu'il y a quand même quelqu'un...
00:22:19 -Abril Viau.
00:22:21 Ce que vous soulignez là qui est intéressant,
00:22:24 c'est que c'est un objet technique
00:22:26 dont la fonction ne précède pas l'usage.
00:22:29 C'est-à-dire qu'on est avec un...
00:22:31 Un peu comme à l'apparition d'Internet,
00:22:33 on est avec quelque chose qui est un peu un ovni,
00:22:36 dont on peut pas vraiment...
00:22:38 On n'a pas vraiment l'impression que ça a une utilité.
00:22:41 Je me rappelle, au début, on se disait,
00:22:43 "Ça sert à quoi ? On a déjà Google, on a déjà des traitements de texte."
00:22:47 Je pense qu'on est juste au début de quelque chose.
00:22:50 Il n'y a pas, d'un côté, les groupes humains,
00:22:53 qui sont bien cantonnés avec son intelligence propre,
00:22:55 et de l'autre côté, la machine qui viendrait lui voler son travail.
00:22:59 Je pense qu'il y a une 3e entité un peu composite
00:23:02 qui va se créer, qui va être un composite d'humains et de machines.
00:23:05 Je dis pas qu'on va être des cyborgs,
00:23:08 mais il y a peut-être une émergence,
00:23:10 quelque chose qui va apparaître dont on connaît pas la nature,
00:23:13 dont on n'a pas encore l'idée,
00:23:15 qui sera plus de l'ordre de la coopération sociale
00:23:18 que machinique ou robotique, comme on pouvait avoir avant.
00:23:21 -Laurent Daudet, je disais en vous présentant
00:23:24 que vous avez fondé LightOn,
00:23:25 une start-up qui a mis au point un modèle de langage
00:23:29 similaire à ChatGPT,
00:23:32 qui vend des services aux entreprises.
00:23:34 J'ai fait un tour sur votre site.
00:23:36 Il s'agit de résumer automatiquement des documents,
00:23:39 d'analyser les commentaires des clients d'une entreprise.
00:23:43 Je disais aussi en vous présentant,
00:23:45 le sous-titre de votre BD,
00:23:47 c'est "Comment j'ai failli vendre mon âme à l'intelligence artificielle".
00:23:51 Le personnage principal, un chef d'entreprise comme vous,
00:23:54 s'interroge beaucoup sur le sens de la technologie
00:23:57 qu'il met au point.
00:23:58 Est-ce que vous, à un moment de votre parcours,
00:24:01 vous avez eu l'impression de vous avoir vendu votre âme ?
00:24:04 Qu'est-ce que ça veut dire ?
00:24:06 -Vendu mon âme, je sais pas encore.
00:24:08 Mais c'est vrai qu'au quotidien,
00:24:10 on est sur une technologie puissante
00:24:12 qu'on ne peut pas ne pas s'interroger sur les impacts
00:24:15 que ça a d'un point de vue sociétal,
00:24:17 d'un point de vue...
00:24:18 -Tous ces employés de "onclusive" qui ont plus de 50 ans,
00:24:21 18 ans d'ancienneté,
00:24:23 qui sont en couple avec quelqu'un qui va être licencié,
00:24:26 est-ce que vous vous interrogez
00:24:28 sur les conséquences que de telles solutions
00:24:31 peuvent avoir socialement ?
00:24:33 -Comme on disait, il va y avoir des conséquences.
00:24:36 Ca va changer les emplois, ça va en faire disparaître,
00:24:39 ça va en créer d'autres.
00:24:40 Moi, ce que j'ai tendance à dire,
00:24:42 c'est pas que vous allez être remplacé par une machine,
00:24:45 mais par des gens qui utilisent l'IA.
00:24:48 Après...
00:24:49 Bien entendu, la promesse de cette IA,
00:24:55 c'est, imaginons pour un médecin,
00:24:57 qui passe plus de temps dans le rapport humain
00:24:59 qu'à remplir son formulaire pendant une consultation,
00:25:02 alors qu'on voit très bien, quand on va à l'hôpital,
00:25:05 qu'il passe beaucoup de temps à être dans l'administratif,
00:25:08 à gérer de la paperasse,
00:25:10 et pas tellement à s'occuper de vous.
00:25:12 La chance qu'on a, peut-être que cette technologie,
00:25:15 nous permet d'avoir un nouveau rapport avec la machine,
00:25:18 des assistants qui seraient plus efficaces
00:25:20 et qui nous aideraient à faire des tâches rébarbatives.
00:25:23 - Après, ce qui est intéressant,
00:25:25 c'est qu'effectivement, c'est un drame social,
00:25:28 comme il y en a tant d'autres dans ce pays
00:25:30 qui sont pas liés à l'intelligence sociale.
00:25:32 La formation par IA, c'est un truc
00:25:34 qui est en train de révolutionner l'apprentissage en général.
00:25:37 Donc, ce que je veux dire par là,
00:25:39 c'est que ces personnes-là,
00:25:41 qui pourraient perdre leur emploi
00:25:43 et être remplacées par des personnes qui maîtrisent l'IA,
00:25:46 vont aussi bénéficier de la mobilité que permet l'IA,
00:25:48 c'est-à-dire d'apprendre à travailler plus vite.
00:25:51 Là, tout de suite, comme c'est un embryon,
00:25:53 ça paraît être un discours quasiment de la science-fiction,
00:25:56 mais en fin de compte, ça va devenir un automatisme.
00:25:59 C'est comme si, il y a 20 ans, on disait qu'on était remplacé
00:26:02 par des gens qui savent s'en servir.
00:26:04 On peut comprendre que les gens qui ne savaient pas s'en servir,
00:26:08 c'était un peu brutal, mais aujourd'hui,
00:26:10 ça paraîtrait une évidence.
00:26:12 Les problèmes qu'elles posent, elles les résoudent aussi.
00:26:15 -Juliette Funès, vous...
00:26:17 Vous, vous dites que, finalement,
00:26:20 et ça peut paraître contre-intuitif,
00:26:22 que l'irruption de l'IA dans le monde du travail,
00:26:25 elle va permettre d'humaniser les relations au travail.
00:26:28 Intuitivement, on aurait plutôt l'impression
00:26:30 que si on travaille avec une IA,
00:26:32 il y a un côté assez déshumanisant
00:26:34 à la collaboration avec la machine.
00:26:36 -Je parie sur le contraire.
00:26:37 Depuis des années, on n'en peut plus.
00:26:39 Des entreprises disent qu'à l'heure des kick-off,
00:26:42 on va réinjecter... Le mot est abominable.
00:26:44 On voit une seringue qui réinjecte l'humain.
00:26:47 -C'est quoi, des kick-off ?
00:26:48 -Les séminaires de fin d'année.
00:26:50 Cette année, on a décidé de mettre l'humain au coeur.
00:26:53 L'entreprise ne serait rien sans les hommes et les femmes.
00:26:56 La plupart du temps, c'est du pipo depuis des années.
00:26:59 Pourquoi ? Parce qu'on ne cultive pas,
00:27:01 on ne fait pas en sorte que les salariés soient considérés
00:27:04 comme des humains. Avec l'arrivée de l'IA,
00:27:06 tout ce qui est procédural, mécanisé, automatisé,
00:27:09 peut être remplacé. On va garder les salariés
00:27:12 pour ce qu'ils ont de particulièrement humain.
00:27:14 Je vais être concrète. C'est ça, aussi,
00:27:16 pour éviter l'inquiétude, la peur généralisée.
00:27:19 Il faut voir ce qu'on a de spécifique.
00:27:21 On n'est pas remplaçable.
00:27:23 Exemple, la prise de risque.
00:27:24 La machine est incapable de prendre des risques,
00:27:27 au sens où je l'entends.
00:27:28 Les risques qu'elle prend sont intégrés dans ses algorithmes.
00:27:32 Mais des risques à partir de rien, elle n'en est incapable.
00:27:35 -La prise de risque, c'est nécessaire ?
00:27:37 -Les gens, les plus jeunes, ont besoin de retrouver
00:27:40 un potentiel d'action dans leur vie professionnelle.
00:27:43 J'ai envie d'être acteur, auteur de ma vie professionnelle.
00:27:46 Pour agir à partir de soi-même, être un sujet,
00:27:49 il faut prendre un risque.
00:27:50 On n'agit jamais sans risque.
00:27:52 On applique pour appliquer.
00:27:54 C'est ce que fait mieux que personne la machine.
00:27:56 Exemple, on parle beaucoup de management par la confiance.
00:28:00 Les gens télétravaillent, on n'a plus les collaborateurs
00:28:03 sous l'œil, donc on doit faire confiance.
00:28:05 On parle de l'étymologie, mais ça fait appel à de l'irrationnel,
00:28:09 à de la croyance, c'est un pari sur l'inconnu.
00:28:11 C'est pas du tout du domaine algorithmique rationnel
00:28:14 de la machine.
00:28:16 Je peux pas être trop longue et monopoliser la personne,
00:28:19 mais il y a des exemples.
00:28:20 Vous avez parlé de la créativité.
00:28:22 Pour l'instant, je suis pas sûre que la machine
00:28:25 puisse faire... Elle peut reproduire des poèmes,
00:28:28 mais trouver un style, écrire comme Hugo,
00:28:30 ou devenir Lucchini, comme un acteur,
00:28:32 où toute la créativité, l'histoire des sciences,
00:28:35 l'histoire de l'économie, se fait par rupture,
00:28:38 rupture épistémologique.
00:28:39 On crée du nouveau à partir du non-né,
00:28:42 mais le nouveau, c'est une émergence,
00:28:44 un commencement.
00:28:45 Le règne de l'IA, c'est la continuité améliorée,
00:28:48 mais c'est pas la discontinuité
00:28:50 sur laquelle repose toute créativité.
00:28:52 Donc, vous voyez, il y aurait plein d'exemples
00:28:55 qui montrent que l'intelligence humaine excède encore...
00:28:58 Oui, l'intelligence humaine excède encore l'IA.
00:29:01 -C'est pas long, je vous ai vu faire la moue.
00:29:04 -Il y a quand même, dans cette génération d'outils,
00:29:07 quelque chose qui relève de la créativité.
00:29:09 C'est clair que l'intelligence artificielle
00:29:12 n'ira pas créer du Duchamp au début du XXe siècle.
00:29:15 Par contre, créer du Georges Braque à partir de Picasso,
00:29:18 ça, si.
00:29:19 Très clairement...
00:29:21 -Pour bien comprendre, Marcel Duchamp,
00:29:23 donc une rupture, une révolution en nom de l'art...
00:29:26 -En proposant un concept en rupture radicale.
00:29:29 -Georges Braque n'est pas l'inventeur du plurisme.
00:29:32 Il prend avec Picasso une voie plus classique,
00:29:34 qui évolue à partir d'un tubule, qui était les impressionnistes,
00:29:38 mais qui est dans une continuité, qui continue à faire des tableaux.
00:29:42 Et on n'aura pas de Duchamp,
00:29:43 mais on n'a pas besoin de Duchamp à tout bout de champ.
00:29:46 On a essentiellement besoin de successeurs à Picasso.
00:29:50 Cette créativité, typiquement, qui fait qu'aujourd'hui,
00:29:53 le métier de photographe et d'illustrateur
00:29:56 va littéralement disparaître entre Dalí et...
00:29:58 C'est quelque chose qui n'a plus d'avenir.
00:30:02 C'est triste, mais ça n'a plus d'avenir,
00:30:04 sauf dans des cadres artistiques très particuliers.
00:30:07 Mais le gros du métier,
00:30:08 ce qui fait l'essentiel de l'emploi chez les photographes,
00:30:12 c'est terminé.
00:30:13 -Vous voyez un peu le triste.
00:30:14 -Quand ta photographie a été inventée au 19e siècle,
00:30:18 il y a eu une panique chez les peintres,
00:30:20 et pour autant, la chose n'a pas été remplacée.
00:30:23 Il y a eu une coexistence. On a réorganisé les tâches.
00:30:26 -On a eu ça avec le cinéma et le théâtre.
00:30:28 Le théâtre a pris une place culturelle.
00:30:31 -Le théâtre est devenu secondaire face au cinéma
00:30:33 qui proposait un modèle industriel, le diffusion.
00:30:36 On est dans ce genre de rupture aussi.
00:30:38 Le métier de photographe n'a pas d'avenir.
00:30:41 -Ce que vous dites fait écho à une crainte
00:30:43 qui est assez partagée, notamment dans les matiers créatifs,
00:30:47 qui repose sur une vision singulière, une personnalité.
00:30:50 C'est celle d'une production culturelle
00:30:52 qui serait standardisée à Pauline Guillot.
00:30:55 -Oui, standardisée et qui perdrait
00:30:57 ce qui fait la spécificité de l'intelligence humaine.
00:31:00 Je rebondis sur ce que vous disiez,
00:31:02 qui est sa normativité.
00:31:04 On a parlé de créativité.
00:31:05 Je ne saurais pas me prononcer sur l'avenir de l'IA.
00:31:08 Ce dont on est sûr, c'est que la capacité de l'être humain
00:31:11 à dire "ça, c'est beau, ça, c'est moche",
00:31:14 d'imposer une norme, une valeur, du beau, du vrai, du bien,
00:31:18 c'est quelque chose que la machine n'aurait pas.
00:31:21 Je fais un saut de mouton sur ce que vous disiez
00:31:25 sur les licenciements.
00:31:27 On parle souvent en disant "ça va remplacer des emplois".
00:31:30 Il ne faut pas oublier que derrière, il y a des humains.
00:31:33 Il y a des personnes qui choisissent, à un moment donné,
00:31:36 de licencier la moitié de leurs effectifs.
00:31:39 C'est pas l'IA qui le licencie, c'est l'humain qui prend
00:31:42 la responsabilité et qui juge en fonction des fins qu'il se donne,
00:31:46 le profit, la productivité, qui juge que c'est mieux
00:31:49 de faire ceci que cela.
00:31:50 Cette normativité, il ne faut pas perdre de vue
00:31:53 que c'est une normativité humaine.
00:31:55 -La PDG polonaise robotique est vraiment un coup de pub,
00:31:59 parce que, non, un PDG, c'est quelqu'un
00:32:02 qui doit prendre des décisions, comme vous disiez,
00:32:05 et pour prendre des décisions, il faut se donner un cap,
00:32:08 et pour ce faire, il faut avoir une norme.
00:32:10 -Jamais un outil ne peut justifier une décision.
00:32:13 On l'avait vu lors du télétravail.
00:32:15 Beaucoup disaient que le télétravail empêchait
00:32:18 le travail collectif. C'est faux.
00:32:20 C'est difficile d'organiser tant de travail,
00:32:23 tant d'outils, donc jamais, ça serait de la mauvaise foi.
00:32:26 Remettre sur un outil une incapacité humaine
00:32:28 ou une décision humaine qu'on ne veut pas avouer.
00:32:31 -Laurent Delay, vous voulez y réagir ?
00:32:33 -Il y a un point sur lequel je voudrais insister,
00:32:36 c'est le fait qu'il ne faut pas voir cette IA
00:32:39 comme un outil froid. L'IA a été faite par des humains,
00:32:42 avec des choix de base de données,
00:32:44 de base d'entraînement, de sujets sur lesquels on veut
00:32:47 qu'elle s'exprime ou pas, des choix de...
00:32:50 qui impactent énormément la façon dont l'IA va réagir.
00:32:55 Si je donne un exemple, je parlais avec...
00:32:57 On parlait ici de création artistique.
00:33:01 Je parlais avec quelqu'un qui voulait faire un outil
00:33:04 pour les écrivains. Il me disait que si il utilisait
00:33:07 ChargeGPT, ça ne marchait pas.
00:33:09 "Est-ce que tu peux me faire une IA
00:33:11 "dans les tragédies grecques, dans le polar,
00:33:13 "toutes les perversions humaines ?"
00:33:15 ChargeGPT gomme tout ça. Il interdit tous les sujets
00:33:18 de perversions. Donc, quelque part...
00:33:21 -Il est woke. -Oui, oui.
00:33:24 -Il peut se déprogrammer de son...
00:33:26 -Il faut de l'open source pour avoir beaucoup de...
00:33:29 -L'open source peut être une solution.
00:33:31 -C'est un contre-pouvoir. -On sait ce qu'il y a
00:33:33 sous le capot par opposition
00:33:36 aux algorithmes d'Open AI, où, pour le coup,
00:33:38 plus le temps passe et moins ils sont open.
00:33:41 -Open AI, l'entreprise qui a donné naissance à ChargeGPT.
00:33:45 Puisque vous parlez d'écrivains, racontez-nous comment
00:33:48 s'est passée cette collaboration entre l'homme
00:33:51 et l'IA pour écrire le livre "Si Rome n'avait pas chuté".
00:33:54 -C'était un projet qui avait été pensé par l'auteur.
00:33:56 C'est un livre d'un être humain et l'idée...
00:33:59 -Vous l'avez édité, ce livre. -Non, mais...
00:34:01 -Ils vous ont pris en compte. Vous êtes l'éditeur.
00:34:04 -Oui, exactement. D'ailleurs, c'est marrant.
00:34:07 Quand j'avais apporté le 1er projet en PDF imprimé au bureau,
00:34:10 les gens regardaient ça. On parlait de la peur.
00:34:13 Ils étaient stupéfaits. C'était au mois de janvier.
00:34:16 La rapidité des choses. Ils étaient stupéfaits de voir ça.
00:34:19 Ils n'y croyaient pas. C'était pas possible.
00:34:21 Nous, on l'a fait parce que c'était porté par un auteur.
00:34:24 Dans ce livre, il y a des points de cet historien,
00:34:27 car il est historien, sur ce que raconte la machine
00:34:30 là où elle délire. C'est une neucronie.
00:34:33 ChargeGPT ne serait pas capable d'écrire un livre d'histoire
00:34:36 car la machine commet des erreurs factuelles.
00:34:39 Ce qui est inadmissible.
00:34:40 On n'a pas enclenché un mouvement de remplacement ni les êtres humains.
00:34:45 Sur ce livre, on a travaillé comme d'habitude.
00:34:47 On a repris les images informatiquement
00:34:51 quand elles étaient imparfaites. On a corrigé la ponctuation.
00:34:54 Un correcteur humain a travaillé.
00:34:56 C'est une bonne idée.
00:34:58 Ça donne une idée de ce que peut être l'outil pour faire ça.
00:35:02 Mais ça aurait coûté 25 fois plus cher de faire ce livre illustré.
00:35:05 Il aurait été inabordable pour une maison d'édition normale.
00:35:09 On n'avait pas les moyens. Là, à quoi sert l'IA ?
00:35:12 A faire une superproduction hollywoodienne, livresque,
00:35:15 qui a servi à ça.
00:35:17 Un des points intéressants aussi pour ça,
00:35:20 c'est que l'IA touche aussi à ses limites.
00:35:25 Son style, c'est celui d'un enfant de 14 ans qui commence à écrire.
00:35:29 Mais elle est parfois très surprenante.
00:35:31 Elle a inventé une forme de latin cohérente.
00:35:34 Je ne parle pas un très bon latin,
00:35:36 mais Raphaël parle aussi bien latin et grec que français.
00:35:39 Les mots latins qu'elle invente font tout à fait...
00:35:42 On peut créer une généalogie d'où ils viennent.
00:35:45 Elle est parfois stupéfiante de créativité, d'intuition.
00:35:49 Ce que j'entends dans tout ce processus,
00:35:51 c'est une collaboration avec l'intelligence artificielle,
00:35:55 qui était à la fois une assistante et une technologie
00:35:58 qui pouvait donner des idées.
00:36:00 Est-ce toujours le cas ?
00:36:02 Je prends un autre exemple, plus concret, dans un autre domaine.
00:36:06 Il est tout à fait documenté que les livreurs de nourriture
00:36:09 sur les différentes applications sont soumis, finalement,
00:36:13 à des algorithmes qui leur disent où aller, quand y aller.
00:36:16 Là, on est moins dans une forme de collaboration
00:36:19 que dans une forme d'aliénation.
00:36:21 Est-ce que tous les métiers peuvent être concernés
00:36:24 par ces processus vertueux que vient de nous décrire Arthur ?
00:36:27 -A la fin, c'est un choix humain.
00:36:29 Quand on parle de la tyrannie des algorithmes,
00:36:32 c'est qu'il y a quelqu'un qui a choisi,
00:36:34 c'est un peu fort, de se comporter comme un tyran,
00:36:37 parce qu'on pourrait avoir une autre approche
00:36:39 de ce que c'est que la livraison.
00:36:41 Du contrat social, il faudrait qu'il y en ait un de meilleure qualité
00:36:45 entre les sociétés qui les utilisent et ces livreurs.
00:36:48 On ne peut pas se cacher derrière une grande innovation technologique
00:36:52 pour dire qu'on ne peut pas faire autrement.
00:36:54 On a licencié les 2/3 des effectifs,
00:36:56 dans les autres, on va les payer comme on les paye.
00:36:59 Il y a une responsabilité humaine.
00:37:01 Ce que vous disiez, c'est exactement ça.
00:37:04 Reprendre la place de l'humain, la prise décidée,
00:37:06 c'est prendre un risque.
00:37:08 Une décision par rapport à l'algorithme,
00:37:10 tyrannique ou pas tyrannique, c'est une prise de risque.
00:37:14 Vous arbitrez entre l'énorme gain de productivité
00:37:17 qui est objectif, qui est lié à l'utilisation de l'algorithme,
00:37:20 et toutes les conséquences qui sont celles que vous avez citées.
00:37:24 En permanence, c'est ça.
00:37:25 Ce qu'une IA ne pourra pas faire, c'est cette prise de risque,
00:37:29 cette prise de conscience.
00:37:31 Si on va sur la créativité, j'aime bien Mathieu Crawford,
00:37:34 c'est trouver le problème.
00:37:36 Elle peut résoudre le problème, mais chercher le problème.
00:37:39 C'est des choses qu'elle ne sait pas faire.
00:37:41 Il faut aussi, pardonnez-moi,
00:37:43 garder la tête froide tant qu'on peut,
00:37:46 pas céder à tous ces chiffres un peu délirants,
00:37:49 en tout cas spectaculaires, sortis par Goldman Sachs.
00:37:52 On voit bien comment c'est.
00:37:54 On tire le trait avec des tableurs Excel
00:37:56 en se disant que 300 millions, un quart des tâches,
00:37:59 c'est plus compliqué.
00:38:00 -Dans le fonctionnement d'une entreprise,
00:38:03 il y a la question du rendement.
00:38:05 Le rendement n'a pas de morale.
00:38:07 -Ca ne veut pas dire qu'on ne peut pas avoir une morale,
00:38:10 mais le but de l'entreprise, c'est la performance.
00:38:13 Mais sur l'idée de l'aliénation, il faut caper les gens,
00:38:16 il faut armer les gens pour qu'ils ne perdent jamais de vue
00:38:20 la finalité d'un outil.
00:38:21 Il y a vraiment une logique humaine qui aime,
00:38:24 comme je l'ai dit, cette logique procédurale.
00:38:27 C'est ce dont notre pays crève dans la bureaucratie.
00:38:30 Il ne s'agit pas de critiquer les process,
00:38:32 car aucune organisation ne peut vivre sans procédure.
00:38:35 Mais quand la procédure devient le sommet des priorités,
00:38:39 la priorité absolue au détriment du sens de la situation,
00:38:42 c'est là qu'on tombe dans l'absurdité.
00:38:44 Ce qui m'inquiète plus,
00:38:46 ce n'est pas l'intelligence artificielle
00:38:48 qui remplacerait l'intelligence humaine,
00:38:51 mais l'intelligence humaine qui s'artificialise.
00:38:54 Il y a une culture psychique à faire auprès des collaborateurs
00:38:57 pour dire "vous avez cet outil,
00:38:59 "mais ce n'est pas le process qui est la finalité ultime."
00:39:02 Il faut garder en tête le sens de la situation.
00:39:04 - Fabrice Epelboin ?
00:39:06 - Un autre problème avec les collaborateurs d'une entreprise,
00:39:09 c'est que si je multiplie ma productivité par deux,
00:39:12 mon premier réflexe sera d'aller demander une augmentation
00:39:15 et à défaut de l'obtenir, d'aller trouver une autre entreprise
00:39:19 pour m'employer ou de devenir freelance.
00:39:21 C'est ce qui va se passer très rapidement
00:39:24 dans le développement informatique.
00:39:26 Les entreprises ont deux façons d'intégrer cet outil.
00:39:29 Soit de façon centralisée,
00:39:31 on peut imaginer intégrer ça au process de l'entreprise
00:39:34 et faire l'application la plus évidente,
00:39:37 c'est la relation clientèle.
00:39:39 On peut avoir des chatbots, qui jusqu'ici étaient de l'ordre du fantasme,
00:39:43 et qui sont efficaces.
00:39:44 - Des petits robots
00:39:45 qui vont remplacer vos robots.
00:39:47 - Quand on t'en dit...
00:39:49 - Mais par contre, si au sein de vos employés,
00:39:52 vous commencez à avoir une concurrence
00:39:54 plus augmentée, non seulement votre capacité de production
00:39:57 va être débordée,
00:39:59 vous n'aurez pas suffisamment de clients
00:40:01 pour répondre à votre capacité de production,
00:40:04 donc vous serez tenté par un plan social,
00:40:06 mais vous aurez des problèmes de relations sociales
00:40:09 au sein de votre entreprise.
00:40:11 Vos employés seront légitimes à demander des augmentations,
00:40:14 surtout vu la situation économique actuelle.
00:40:17 Ils seront légitimes pour vous demander des augmentations
00:40:20 et pour claquer la porte si vous ne leur donnez pas ça.
00:40:24 - Pauline Guillot, justement,
00:40:25 sur ces relations sociales au sein de l'entreprise.
00:40:28 - Je rebondis sur ce que vous dites,
00:40:31 mais je pense que les gens demanderont une augmentation
00:40:34 ou une diminution de leur temps de travail.
00:40:36 Si on regarde le choix de travailler un certain nombre d'heures...
00:40:40 - Ce qui revient au même,
00:40:42 à ce sujet que les charges,
00:40:43 une diminution de temps de travail,
00:40:45 les charges explosent.
00:40:47 - La question qui pose l'intelligence artificielle,
00:40:50 c'est de manière générale, pourquoi on travaille encore ?
00:40:53 Pourquoi on va travailler dans quelques années ?
00:40:56 Souvent, on se pose la question de manière très individuelle,
00:40:59 le sens du travail, si il faut trouver un sens, etc.,
00:41:02 comme si c'était un problème psychologique,
00:41:05 alors que c'est un problème collectif.
00:41:07 Pourquoi on se fatigue ? Pourquoi on se lève le matin ?
00:41:10 C'est ce qui se passe.
00:41:12 On se réveille et on se dit, collectivement,
00:41:14 avec mon équipe, avec les gens qui m'entourent,
00:41:17 qu'est-ce qui fait que j'ai envie d'aller au travail
00:41:20 si je sais que ce que je fais en une journée,
00:41:23 je peux faire ?
00:41:24 - C'est ça qui nous fait peur,
00:41:26 c'est le fait d'être peut-être demain
00:41:28 dans une société où le seul effort qui va nous rester à faire,
00:41:32 c'est Anna Arendt qui disait ça,
00:41:34 c'est de consommer tout ce qu'on produit.
00:41:36 On va être dans une société où le travail aura une seconde place
00:41:40 et on va devoir se demander ce qu'on fait.
00:41:43 - Ce qui est intéressant,
00:41:44 c'est que pour revenir sur ce que vous disiez,
00:41:47 moi, j'ai l'impression de loin
00:41:49 que l'intelligence artificielle, dans une entreprise,
00:41:52 permet de redonner enfin le pouvoir aux gens créatifs.
00:41:55 En réalité, il y avait des grandes inégalités.
00:41:58 Une entreprise s'est construite autour de spécialités,
00:42:01 de couloirs qui ne se croisent jamais.
00:42:04 Le type qui était mauvais en rédaction,
00:42:06 qui ne savait pas remplir un tableau Excel,
00:42:09 le mec qui ne savait pas coder,
00:42:11 il s'est codé de façon rudimentaire.
00:42:13 Là, tout à coup, enfin, depuis 40 ans,
00:42:15 la créativité va être valorisée.
00:42:17 Vous ne pensez pas qu'on peut le voir de cette façon ?
00:42:21 - Je suis un peu partagée,
00:42:22 parce que je me dis peut-être
00:42:24 que 100 % de créativité, 8 heures par jour,
00:42:27 être entièrement dans la valeur ajoutée,
00:42:29 je me demande si c'est un peu fatigant aussi
00:42:32 et si on n'a pas besoin d'avoir des respirations
00:42:35 de temps en temps, des moments procéduriers.
00:42:37 - Une minute de créativité dans une vie,
00:42:40 c'est rare.
00:42:41 - C'est très ambitieux de se dire qu'on va être
00:42:44 tout le temps super créatif, en train de prendre des risques.
00:42:47 Je pense qu'il faut aussi penser qu'on aura besoin,
00:42:50 et je pense que les moments sociaux,
00:42:52 les moments de réflexion collective
00:42:54 vont être aussi importants.
00:42:56 On ne va pas être dans le deep work intense
00:42:59 à faire des choses extraordinaires.
00:43:01 Il ne faut pas mettre trop de pression sur les gens.
00:43:04 - Oui, mais parce que ce que vous dites juste là,
00:43:07 ce qui est intéressant, c'est, finalement,
00:43:09 si l'IA peut permettre à l'entreprise
00:43:12 de corriger ses propres mots sur les 50 ou 60 dernières années,
00:43:15 c'est-à-dire l'excès de process et de procédures
00:43:18 qui sont déroulées à 100 % pendant le temps de travail,
00:43:22 et on ne fait que ça.
00:43:23 Dès que vous avez une pause, vous discutez,
00:43:25 c'est du temps perdu.
00:43:27 Le travail à la chaîne,
00:43:28 et les modes de management qui existent depuis des années,
00:43:31 on a l'impression que c'est ça.
00:43:33 La réalité d'une entreprise,
00:43:35 c'est heureusement un peu plus complexe que ça
00:43:38 et un peu plus riche que ça.
00:43:39 Je pense que si on arrive à dégager
00:43:41 tout ce temps procédural, ces process,
00:43:44 ces "bullshit jobs", comme on dit,
00:43:46 où personne ne reconnaît,
00:43:47 ne comprend vraiment ce qu'il fait,
00:43:49 à quoi ça sert, parce qu'on lui dit "tu t'occupes de ça",
00:43:52 on peut imaginer une dystopie autour de ça,
00:43:55 mais si ça permet de régler, d'accélérer ces process,
00:43:58 pour, comme vous le disiez, dans l'exemple médical,
00:44:01 passer moins de temps à faire de la paperasse,
00:44:03 mais faire plus d'humains, parler à ses collègues,
00:44:06 avoir du temps collectif, puis la créativité collective.
00:44:10 Je comprends ce que vous dites,
00:44:11 il y a la créativité ultime, mais simplement se dire
00:44:14 "on va réorganiser le travail".
00:44:16 Quand vous avez une équipe très opérationnelle,
00:44:19 parfois, le moment de créativité, c'est se dire
00:44:21 "comment on va organiser les choses,
00:44:23 "comment on va changer ou améliorer un produit ?"
00:44:26 Il y a un niveau de créativité modeste, mais réel,
00:44:29 qu'on peut réactiver grâce à ça.
00:44:31 Je pense à ça quand vous parliez de la question du sens.
00:44:34 -Si tant est qu'on ne leur impose pas comment faire les choses,
00:44:37 parce qu'il y a des moments sous-optimaux dans le travail
00:44:40 qu'il va falloir conserver pour le bien,
00:44:43 je pense, pour le bien-être des gens.
00:44:45 La tentation de l'IA, c'est de dire
00:44:47 qu'on va pouvoir tout optimiser de manière uniforme,
00:44:50 là où il y a des poches de contingence,
00:44:52 des poches d'hésitation,
00:44:54 qui sont importantes dans la vie sociale
00:44:56 et dans le développement personnel.
00:44:58 D'avoir des moments où on ne sait pas,
00:45:01 plutôt que d'aller directement se tourner vers l'IA
00:45:04 et se demander ce qu'on devrait faire,
00:45:06 peut-être se poser la question en prenant le risque
00:45:09 de se tromper.
00:45:10 -C'est ce que vous dites,
00:45:11 mais un travailleur, ça n'a jamais été
00:45:14 un bout de procédure
00:45:16 ou une machine humaine qui applique une procédure.
00:45:19 On a voulu faire croire ça, on a voulu le dire,
00:45:21 il ne faut pas le faire.
00:45:23 Là, c'est peut-être l'occasion d'avoir un révélateur
00:45:26 que ce n'est pas ça et qu'il faut qu'on fonctionne.
00:45:29 On a surprocessé les modes de fonctionnement
00:45:31 et les modes de travail.
00:45:33 C'est peut-être ce que l'IA permet de résoudre.
00:45:35 -Ca n'était pas ça, mais ça a été ça
00:45:38 depuis des années dans les entreprises,
00:45:40 et ça explique une grande part de la démotivation,
00:45:43 parce qu'on a considéré les gens comme des bons soldats
00:45:46 qui devaient appliquer et qui n'étaient pas des sujets humains.
00:45:49 Je crois, au contraire, que c'est une réalité
00:45:52 qui a fait son temps et qu'on passe à un nouveau sens du travail.
00:45:55 Quand vous parlez de la place du sens du travail,
00:45:58 je crois que c'est déjà le cas.
00:46:00 C'est plus une finalité en tant que telle,
00:46:02 c'est plus un but, pour ma génération,
00:46:04 généraliste, parce que c'est faux,
00:46:06 mais pour ma génération et les précédentes,
00:46:09 le travail pouvait être une finalité.
00:46:11 Le travail, c'est un moyen pour vivre.
00:46:13 C'est un peu comme la santé, je fais un dernier parallèle.
00:46:17 Le travail ne disparaîtra jamais,
00:46:19 on doit bosser pour vivre, pour nourrir ses enfants.
00:46:22 Le travail est essentiel pour vivre,
00:46:24 mais on ne vit pas pour une bonne santé,
00:46:26 on ne vit pas pour un travail.
00:46:28 Le paradoxe auquel on assiste, c'est que le travail,
00:46:31 pour faire sens, doit concéder à n'être qu'un moyen
00:46:34 au service de la vie, et pas l'inverse,
00:46:36 modèle sur lequel les anciennes ont vécu.
00:46:39 -Ce que j'entends dans vos échanges,
00:46:41 c'est que l'intelligence artificielle répond
00:46:43 aux nouvelles aspirations des nouvelles générations
00:46:46 dans leur relation au travail,
00:46:48 et que c'est peut-être une opportunité
00:46:50 pour réfléchir à la place que doit avoir le travail dans nos vies.
00:46:54 Fabrice Epelbouin, vous êtes sur la même ligne ?
00:46:57 -Il y a quand même une réalité avec laquelle il faut faire face,
00:47:00 l'économie. Une entreprise, c'est là pour faire des profits,
00:47:04 à quelques exceptions près, c'est la position
00:47:06 dans laquelle est bloqué son dirigeant
00:47:09 ou son directionnaire, et que les marchés sont par essence
00:47:12 limités par la croissance de l'économie dans laquelle ils se trouvent.
00:47:16 Si on augmente la productivité de 20 %
00:47:18 dans une croissance de 2 %, il va y avoir d'un surplus,
00:47:21 et donc ça va créer un problème.
00:47:23 Ca va créer un problème dans certaines entreprises,
00:47:26 dans certains secteurs, dans certains types de profession,
00:47:29 mais il va y avoir un gros bouleversement
00:47:32 qui nous faut accompagner, politiquement, socialement.
00:47:35 -Est-ce qu'on est capables, politiquement,
00:47:38 d'accompagner une technologie qui va plus vite que le politique ?
00:47:41 -Politiquement, on est dans un pays où tout le monde est dirigé
00:47:45 par des Sciences Po et des HEC.
00:47:47 On n'a pas de culture technique à la tête de l'Etat.
00:47:50 On a quelques exceptions, comme Thierry Breton,
00:47:53 qui est un ingénieur, mais l'écrasante majorité
00:47:55 des dirigeants politiques n'a aucune culture scientifique.
00:47:59 On est là, en ce moment, au milieu d'une loi sur le numérique
00:48:02 où le rapport Sinaloa est exécrable,
00:48:04 90 % des amendements n'ont aucun sens techniquement,
00:48:07 et on a fait le travail de la gravité
00:48:09 pour éviter d'engorger les services hospitaliers,
00:48:12 avec les petits vieux qui se cassent le coccyce.
00:48:15 Ca n'a aucun sens.
00:48:16 Ce n'est pas ces gens-là qui peuvent prendre en main
00:48:19 l'intelligence artificielle, anticiper les évolutions
00:48:22 et offrir un cadre au pays.
00:48:24 On n'est pas outillé en France, on n'a pas la culture
00:48:27 qu'il faut pour arriver à se saisir de ce problème-là
00:48:30 autrement qu'avec des effets de com'.
00:48:33 -Ce que vous nous décrivez, c'est un problème
00:48:35 de débat démocratique autour de l'intelligence artificielle ?
00:48:39 -Il y a des enjeux démocratiques et économiques,
00:48:42 et c'est un enjeu politique.
00:48:44 Il semble quand même que les politiques en France
00:48:47 aient compris qu'il y avait quelque chose qui se passait.
00:48:50 Après, savoir s'ils vont mettre les moyens en face
00:48:53 et qu'ils sont à la hauteur des enjeux,
00:48:56 que ce soit d'un point de vue de l'éducation,
00:48:58 d'un point de vue de l'économie, etc.,
00:49:01 et je pense beaucoup du transfert de valeurs.
00:49:04 Il va y avoir de la destruction de valeurs créée
00:49:06 à certains endroits, beaucoup d'autres à d'autres endroits.
00:49:10 Est-ce que la valeur est créée uniquement en Californie
00:49:13 ou y en a-t-elle aussi chez nous ?
00:49:15 -Le cloud, l'une des précédentes évolutions technologiques
00:49:19 qui était le cloud, a impacté l'économie française
00:49:22 comme une immense désindustrialisation
00:49:25 informatique pour aller reconstruire des usines
00:49:28 en Californie.
00:49:29 C'était une catastrophe en termes de transfert de valeurs.
00:49:33 -Le cloud, vous avez raison, et les chips, les microprocesseurs...
00:49:36 -Et les chips... -On peut lister...
00:49:38 -C'est une constante du numérique depuis les années 80.
00:49:42 Ca augmente la productivité, oui,
00:49:44 mais si ça augmentait la croissance des pays occidentaux
00:49:47 dans des proportions considérables, soit à mesure de ce qu'elle détruisait,
00:49:52 ça se serait vu. -Ca se voit dans le cours
00:49:54 de bourse d'Apple et d'Amazon.
00:49:56 -Ca détruit des choses que ça ne remplace pas.
00:49:59 C'est sûr et certain.
00:50:01 -Vous parliez du débat démocratique.
00:50:03 Les deux ennemis, c'est pas d'accuser une classe politique.
00:50:06 Ils sont pas scientifiques, pas compétents pour décider.
00:50:10 Le philosophe roi, Platon, finissait mal.
00:50:12 On ne peut pas décider. Je crois pas qu'il soit constructif.
00:50:16 Mais les deux ennemis, c'est un mot qui est revenu le plus
00:50:19 depuis notre heure de discussion, la peur,
00:50:22 qui altère les représentations.
00:50:24 On a plus du tout le monde à avoir peur.
00:50:26 Au contraire, c'est un signe de lucidité,
00:50:29 qui a toujours été considéré depuis 25 siècles
00:50:31 comme un sentiment inférentil, puéril.
00:50:34 La peur a des vertus. Si un lion arrive sur le plateau,
00:50:37 je vais me sauver. Mais elle a aussi un inconvénient,
00:50:40 c'est qu'elle altère les représentations.
00:50:43 On tombe dans des prédictions hasardeuses terrifiantes.
00:50:46 La peur, je trouve, tétanise notre pays.
00:50:49 Tous les sujets d'actualité, vous le voyez bien,
00:50:52 sont des sujets d'angoisse ou de peur.
00:50:54 Deuxièmement, c'est l'idéologie.
00:50:56 Vous avez l'intelligence artificielle,
00:50:59 les scientifiques, les ateliers de l'intelligence artificielle,
00:51:02 qui pensent que l'humanité va être augmentée,
00:51:05 pour faire vacciner tout le monde.
00:51:07 Vous imaginez, on n'y est pas encore.
00:51:09 Et les réactionnaires, avec un saupoudrage complotiste,
00:51:13 qui disent que les esprits et la civilisation déclinent,
00:51:16 les enfants ne savent plus rien faire.
00:51:18 Comment défendre un outil qui peut être fantastique
00:51:22 sans tomber dans l'idéologie intransigeante ?
00:51:24 -Puisque vous parlez d'idéologie, je voudrais montrer
00:51:27 une des planches de la BD de Laurent Daudet,
00:51:30 qui nous a interpellé à la rédaction.
00:51:32 C'est une discussion entre deux personnages
00:51:35 qui s'interrogent sur les suppressions d'emplois
00:51:38 à venir avec l'intelligence artificielle.
00:51:41 Elles seront colossales. C'est le prix du progrès.
00:51:43 Mais pour qui ? Qui paie les pots cassés ?
00:51:46 Les multinationales vont se goinfrer,
00:51:48 alors que 90 % de la population pourrait être affectée.
00:51:52 Sans parler de ce que ça va coûter en énergie et en ressources,
00:51:55 c'est le rêve de qui, ça ? Est-ce que c'est vraiment le tien ?
00:51:58 Je traduis ceci, Vignette, en quelques phrases.
00:52:01 Ce que vous demandez, c'est le progrès, certes,
00:52:04 mais quel progrès ?
00:52:05 Peut-on réfléchir ensemble sur ce qu'on considère être le progrès ?
00:52:09 -C'est exactement tout l'enjeu.
00:52:11 Le but de cette bande dessinée,
00:52:13 c'est de faire réfléchir les gens et de dépasser cette peur.
00:52:17 Vous avez raison. Marie Curie dit
00:52:19 "Rien n'est à craindre, tout est à comprendre."
00:52:22 C'est ça. Une fois qu'on comprend ce qu'il y a derrière cette technologie,
00:52:26 comment on la construit, quelles sont ses limites ?
00:52:29 Il n'y a pas de vraie intelligence.
00:52:31 On peut débattre sur la notion d'intelligence,
00:52:34 mais ça reste de la statistique, des machines.
00:52:37 Donc, une fois qu'on a dépassé ce fantasme
00:52:41 qui est nourri aussi par la science-fiction,
00:52:43 et la science-fiction est géniale pour nous faire réfléchir,
00:52:47 il y a aussi le Terminator,
00:52:49 toutes ces notions qui sont là pour...
00:52:52 La peur bloque.
00:52:53 Une fois qu'on s'arrête là...
00:52:55 -On est une société qui s'aide à la peur.
00:52:58 Le principe de précaution fondé sur la peur.
00:53:01 Je ne vais pas faire référence à ça,
00:53:03 mais c'est en cas de peur, en cas de doute,
00:53:05 envisage le pire.
00:53:07 On est une société qui s'aide à l'idéologie du risque zéro,
00:53:10 l'inocuité totale.
00:53:11 Quand on est dans cette idéologie, on n'agit jamais.
00:53:15 Notre réalité quotidienne nous montre qu'on est paralysés
00:53:18 et que les intelligences sont engourdies.
00:53:20 -Je reviens à la question que je vous ai posée,
00:53:23 que j'adresse à vous, Alexandre Viros.
00:53:25 Comment est-ce qu'on fait en France
00:53:27 pour organiser un vrai débat démocratique
00:53:30 sur le type de société vers lequel on veut aller,
00:53:32 avec des outils comme l'intelligence artificielle ?
00:53:35 Est-ce qu'il y a des règles à mettre, des limites à poser ?
00:53:39 -Jean a une parole. -Jamais.
00:53:41 -Non, non. Je pense qu'il faut qu'on...
00:53:44 -Ce qui est important, ce que vous disiez d'ailleurs
00:53:46 sur l'opacification de JGBT,
00:53:49 ça, pour moi, c'est un signal d'alarme.
00:53:53 Ce que je redoute le plus,
00:53:54 et ce qu'on devrait redouter, c'est l'incompréhension.
00:53:58 Pour revenir à ce que vous disiez,
00:54:00 ce que je disais au début, quand je disais avoir peur,
00:54:03 c'est être lucide, c'est juste dire qu'il se passe quelque chose
00:54:06 d'énorme, c'est pas anormal de mettre un temps d'arrêt.
00:54:09 Il faut les moyens de comprendre.
00:54:12 Et ça, c'est pas une règle, c'est un principe.
00:54:14 Si c'est opaque, ça ne marchera pas.
00:54:17 Deuxièmement, je pense qu'il faut donner la chance,
00:54:20 enfin, pas la chance, les moyens aux principaux concernés
00:54:24 de s'approprier ces outils,
00:54:25 sinon, vous devenez l'esclave de l'outil, pas l'inverse.
00:54:28 Ca s'appelle de l'aliénation.
00:54:30 C'est la responsabilité des pouvoirs publics,
00:54:33 des entreprises, et des individus d'accepter de se former.
00:54:38 Donc, rien qu'en citant ces deux éléments-là,
00:54:41 je pense que ça fait partie de ce que l'on doit faire
00:54:44 pour construire une société qui puisse s'accaparer
00:54:46 cette transformation, qui est majeure,
00:54:49 mais dont on ne doit pas avoir peur.
00:54:51 -Concrètement, c'est une formation pour tous les employés,
00:54:54 tous les salariés... -C'est pour tous les citoyens.
00:54:57 -Moi, mon métier, je ne forme pas tous les citoyens,
00:55:00 mais on a 500 000 personnes qui trouvent un métier
00:55:03 chaque année avec nous.
00:55:05 Bon, on est un gros...
00:55:06 Je ne pensais pas parler de ça, forcément, aujourd'hui,
00:55:10 mais on est un organisme de formation privée.
00:55:12 Pourquoi ? Parce qu'on considère qu'une entreprise
00:55:15 doit former comme une seconde nature.
00:55:17 Pas parce qu'on nous a dit qu'il fallait le faire,
00:55:20 mais parce qu'on doit, en permanence,
00:55:22 être dans ce monde apprenant.
00:55:24 Je parlais de flux plutôt que de stock,
00:55:26 c'est comme si le point de départ était bon jusqu'à la fin.
00:55:30 Ca ne marche plus comme ça.
00:55:31 C'était vrai, je reprends l'exemple du début,
00:55:34 d'Ecaristes dont les métiers ont changé.
00:55:36 On les oublie un peu,
00:55:38 parce que ça touche les cols blancs,
00:55:40 mais ça va toucher les pans entiers de la société.
00:55:42 -C'est une question que je pose à tout le monde.
00:55:45 Qu'est-ce qu'on prévoit pour ces gens-là ?
00:55:47 Entre le moment où ils apprennent un nouveau métier,
00:55:50 qu'en fait, la vie, c'est avec les IA,
00:55:53 qu'est-ce qu'on fait pour ces métiers qui vont être supprimés ?
00:55:56 On voit bien que c'est exponentiel.
00:55:58 Qu'est-ce qu'on fait ? -Pardonnez-moi,
00:56:01 mais si je prends juste à court terme,
00:56:03 le principal problème que nous rencontrons,
00:56:06 je n'ai pas voulu débattre sur le sujet de la productivité,
00:56:09 une croissance non productive,
00:56:10 mais ça, c'est en France,
00:56:12 mais aujourd'hui, le principal problème,
00:56:14 c'est une pénurie d'emplois,
00:56:16 une pénurie de main-d'oeuvre.
00:56:18 On n'arrive pas à trouver suffisamment de personnes.
00:56:21 Ce n'est pas l'intelligence artificielle,
00:56:23 mais c'est au-delà.
00:56:25 Aujourd'hui, la question, c'est de manière générale,
00:56:28 comment on forme suffisamment de personnes au métier de demain.
00:56:31 Les métiers d'hier, on les fait encore un peu aujourd'hui.
00:56:35 Par exemple, ça, c'est Oria,
00:56:36 mais on va dire la construction de moteurs thermiques,
00:56:40 il faut encore les construire.
00:56:41 Il faut construire des moteurs électriques.
00:56:44 On a encore les moteurs d'hier,
00:56:46 les moteurs de demain qu'il faut construire.
00:56:48 En réalité, aujourd'hui,
00:56:50 il y a beaucoup d'offres d'emplois qui existent.
00:56:53 Ce n'est pas pour dresser un paysage trop rose,
00:56:55 mais la réalité, c'est que c'est un peu plus compliqué
00:56:58 de dire qu'il y a une destruction brutale,
00:57:01 c'est zéro, et il faut attendre et voir.
00:57:03 -C'est pas une régulation normale ?
00:57:05 -Il y a une transition.
00:57:07 Ce qui fait mal dans le pays, c'est les transitions.
00:57:10 -Et les formations.
00:57:11 Vous avez un boulevard,
00:57:12 parce que la formation,
00:57:14 ça ciblera sur les métiers qui sont demandés,
00:57:16 et ça évitera les formations débilisantes
00:57:19 que les gens se coltinent depuis des années,
00:57:21 dans des séminaires ouverts pendant 3 jours,
00:57:23 pour voir s'ils ont l'esprit collectif ensemble.
00:57:26 C'est un enfer.
00:57:27 Enfin, on va arriver à des formations qui forment,
00:57:30 qui augmentent l'humain,
00:57:32 qui améliorent les qualifications des gens,
00:57:34 et pas ces formations stéréotypées.
00:57:36 -Et en particulier, les humains qui ne sont pas ou plus
00:57:39 dans des entreprises.
00:57:41 Il faut vraiment éviter de laisser aux entreprises
00:57:44 cette charge, qu'ils la fassent, c'est très bien,
00:57:47 mais si, à partir du moment où on est exclu de l'entreprise,
00:57:50 soit parce qu'on est au chômage, soit parce qu'on est freelance,
00:57:53 on n'a pas accès à cette formation
00:57:56 qui permet de prendre le train de cette intelligence artificielle,
00:57:59 on va avoir des exclusions en pagaille.
00:58:02 -Je pense que c'est important de dire,
00:58:04 formation à l'IA, mais aussi formation par l'IA.
00:58:07 L'IA peut être un outil formidable pour aider
00:58:09 à travers tous les champs d'information.
00:58:12 -Mais elle ne remplacera pas un enseignant
00:58:14 qui a du charisme, de l'autorité.
00:58:16 -Il y a une question que je me pose,
00:58:18 et là aussi, j'ai pas de réponse,
00:58:20 mais dans le rapport qui avait été fait par OpenAI en mars
00:58:24 sur le monde du travail, il détaillait tous les métiers
00:58:27 qui étaient pas menacés ou pas exposés.
00:58:29 Il y a beaucoup de métiers qui ne sont pas valorisés
00:58:32 et pour lesquels personne ne va aller chercher de formation.
00:58:35 Je me demande aussi si ça va pas un petit peu modifier
00:58:38 certaines attraits pour pas mal de métiers,
00:58:41 notamment des métiers manuels, du soin,
00:58:43 qui vont peut-être se structurer différemment,
00:58:46 qui vont peut-être prendre en importance
00:58:49 et être peut-être plus désirables,
00:58:51 parce qu'ils ont moins vocation à être remplacés, automatisés.
00:58:55 Je sais pas, c'est une question ouverte.
00:58:57 -Ca rejoint aussi les débats qu'il y a eu au moment du Covid
00:59:01 sur le renversement des valeurs...
00:59:03 -Peut-être que oui, ça va aller.
00:59:05 -Moi, il y a une question que je voulais vous poser,
00:59:08 puisqu'on fait le même métier, on est toutes les deux journalistes,
00:59:11 ça fait partie de la liste des métiers qui sont menacés
00:59:15 ou en tout cas qui vont être bouleversés.
00:59:17 Est-ce que vous, vous vous sentez remplaçable ?
00:59:20 -Je sais qu'il y a une partie de ce que je fais qui est remplaçable,
00:59:23 mais le chaos n'est pas remplaçable.
00:59:26 Il y a beaucoup de choses dans la façon dont on travaille,
00:59:29 pas que moi, mais pas mal de personnes,
00:59:31 qui est de l'ordre un peu du chaos,
00:59:34 c'est-à-dire des choses qui sont pas forcément,
00:59:37 comme je disais au début, tout ce qui est verbalisable,
00:59:40 qu'on peut expliquer en plein d'étapes.
00:59:43 Si seulement je faisais toute ma to-do liste,
00:59:45 je serais remplaçable par une dernière,
00:59:48 mais je fais un milliard de choses qui sont pas sur ma liste,
00:59:51 qui sont parasites et qui me font perdre du temps,
00:59:54 et qui, au final, rendent le résultat de mon travail
00:59:57 plus intéressant.
00:59:58 Il y a beaucoup de choses que je pourrais déléguer,
01:00:01 mais il faudra toujours qu'il y ait un peu de chaos.
01:00:04 -Est-ce que toutes les rédactions en chef
01:00:07 ou tous les patrons de médias en ont conscience
01:00:10 que le chaos est nécessaire ? -C'est mon avis personnel.
01:00:13 -C'est un point intéressant. -La principale menace
01:00:16 pour les médias, c'est qu'on est dans un système économique
01:00:19 qui est structurellement déficitaire depuis 20 ans,
01:00:22 et les médias, aujourd'hui, ce sont l'assistance respiratoire
01:00:26 de la part de subventions d'Etat, de milliardaires généreux.
01:00:29 Le principal danger de l'intelligence artificielle,
01:00:32 c'est son coût de revient qui permet d'envisager
01:00:35 des médias extrêmement rentables, ce qui n'est pas possible
01:00:38 ou ce qui est très rare aujourd'hui.
01:00:41 -Extrêmement rentables et qui risquent de perdre leur saveur
01:00:44 en perdant du chaos humain. -On ne va pas remplacer
01:00:47 Mediapart, c'est pas possible. Par contre, des médias
01:00:50 comme Entertainment, avec du prêt-à-mâcher...
01:00:53 -A la FP, quoi.
01:00:54 -Par exemple. -Brancher un chat JPP
01:00:57 sur AFP, Reuters, Bloomberg, et à partir de là...
01:01:00 -C'était l'entreprise dont on parlait au début.
01:01:02 -L'équivalent d'une rédaction web, ça ne pose aucun problème.
01:01:06 Le problème, c'est qu'on a habitué,
01:01:08 avec la presse gratuite financée par la télévision,
01:01:11 les gens à consommer ce genre de médias.
01:01:14 Une petite élite qui a les moyens se paye un abonnement
01:01:17 chez Mediapart et lit de la vraie investigation.
01:01:20 Mais ça reste une petite élite.
01:01:22 Les abonnés de Mediapart, c'est 100 000 personnes en France.
01:01:25 Le gros consomme du bâtonnage, de dépêche AFP.
01:01:28 Et ça, chat JPP le fait très bien.
01:01:30 On va avoir cette nouvelle génération de médias
01:01:33 qui vont être quasiment entièrement automatisés,
01:01:35 avec des prix de revient qui permettront de les rentabiliser
01:01:39 avec de la publicité et de faire beaucoup d'argent,
01:01:42 ce qui est invraisemblable.
01:01:44 Ca va profondément affecter le monde médiatique.
01:01:46 -Ca change le modèle économique de l'Internet.
01:01:49 -Le modèle des contenus a changé.
01:01:51 -Le contenu est généré par des IA,
01:01:53 et le contenu est lu aussi par des IA.
01:01:56 -A commencer par Google.
01:01:58 -Oui, et Google vide la publicité, principalement.
01:02:01 C'est pour ça que Google réagit par rapport à chat JPP.
01:02:05 Mais pour eux, c'est une menace existentielle.
01:02:07 -Il y a quand même une limite à la manière dont...
01:02:11 On a publié récemment un article sur le sujet,
01:02:14 sur les IA qui se cannibalisent elles-mêmes.
01:02:17 C'est vrai qu'on voit que si on est dans un monde
01:02:19 où il n'y a que des textes qui sont produits par des IA,
01:02:23 ce qui se produit, je ne saurais pas expliquer pourquoi,
01:02:26 mais c'est que les IA baissent en qualité.
01:02:28 Leurs réponses se dégradent très rapidement.
01:02:31 Il y a un espoir qu'il y ait toujours besoin de l'humain
01:02:34 pour produire du contenu de qualité.
01:02:36 On n'est pas dans un monde qui va être à 99 % rempli
01:02:39 par du brouhaha généré par des IA,
01:02:42 mais j'espère qu'il y aura toujours un peu de données humaines.
01:02:46 Sinon, ça se cassera la figure. -C'est rassurant.
01:02:49 J'espère que pour nos testes, l'IRA aura toujours...
01:02:52 -On finit sur une note positive alors qu'on était tétanisés.
01:02:55 -L'IA aura toujours besoin de l'humain
01:02:57 si elle veut produire des choses de qualité.
01:03:00 Merci à tous. On arrive à la fin de l'émission.
01:03:03 Merci pour ces échanges passionnants.
01:03:05 C'est un sujet qu'on va continuer à suivre.
01:03:07 On vous reverra peut-être sur ce plateau.
01:03:10 Peut-être que je serai remplacée. D'ici là, on verra.
01:03:13 Merci beaucoup, Juliette Funès.
01:03:15 Au titre de votre dernier essai,
01:03:17 "Le siècle des égarés",
01:03:18 paru aux éditions de l'Observatoire,
01:03:21 il vient de ressortir en poche.
01:03:23 Apolline Guillot, merci également.
01:03:25 On continue à vous relire sur le média en ligne
01:03:27 "Philonomiste", qui est associé à "Philosophie magazine".
01:03:31 Voici le prochain numéro, celui d'octobre.
01:03:34 "Peut-on être en accord avec soi-même ?"
01:03:36 C'est une nouvelle version, m'a-t-on dit, de "Philosophie magazine".
01:03:42 Merci beaucoup, Alexandre Viros.
01:03:44 Aux plaisirs de vous revoir sur ce plateau.
01:03:46 De même, Fabrice et Paul Bouin.
01:03:48 Laurent Dodé, je termine avec votre BD,
01:03:51 que j'ai également à côté de moi.
01:03:53 "Dream Machine, comment j'ai failli vendre mon âme
01:03:56 "à l'intelligence artificielle",
01:03:58 sort mercredi aux éditions Flammarion.
01:04:00 Avant de nous quitter, un petit mot sur cette journée du 21 septembre.
01:04:04 C'est la journée mondiale de la lutte contre la maladie d'Alzheimer.
01:04:08 C'est pour cette raison qu'Arthur et moi portons ce petit bracelet jaune
01:04:12 avec les personnes touchées par la maladie et leurs proches.
01:04:15 France Télévisions s'associe à la Fondation pour la Recherche Médicale.
01:04:19 Si vous voulez les soutenir, rendez-vous sur le site frm.org,
01:04:22 qui doit s'afficher sur votre écran,
01:04:24 ou par SMS, vous pouvez donner 10 euros
01:04:27 en envoyant le mot "AGIR" au 92 300.
01:04:31 Arthur, merci beaucoup.
01:04:33 On se retrouve mercredi prochain, toujours sur le même plateau.
01:04:37 C'est ce soir de revient dès lundi.
01:04:39 Merci de nous avoir suivis.
01:04:41 Je vous souhaite une belle fin de semaine et un bon week-end. Salut.
01:04:45 ...

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