Visite du pape François: l'interview de l'archevêque de Marseille en intégralité

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L'archevêque de Marseille, Monseigneur Jean-Marie Aveline, répond aux questions de Bruce Toussaint, dans le cadre de la visite du pape François à Marseille.
Transcript
00:00 - Un invité exceptionnel de BFMTV, l'homme qui est chez lui, ici à Marseille, et surtout qui est derrière la venue du pape François en France, ou plutôt ici à Marseille.
00:10 On verra qu'il y a bien une distinction dans quelques instants. Bonjour Mgr Aveline.
00:15 - Bonjour.
00:16 - Merci beaucoup de nous accueillir au pied de Notre-Dame de la Gare dans un décor extraordinaire.
00:21 Oui, c'est une visite à Marseille ou une visite en France ?
00:25 - Alors, bon, Marseille est en France, mais le pape insiste sur le fait qu'il vient à Marseille, parce qu'il vient à Marseille pour conclure des journées méditerranéennes, des rencontres méditerranéennes.
00:39 Et donc, il vient à cause de cet événement-là et pour travailler avec nous sur la Méditerranée. C'est ça le plus important.
00:47 Le pape vient pas à Marseille pour qu'on regarde le pape. Il vient à Marseille pour qu'avec lui, on regarde la Méditerranée.
00:53 Mais ça, ça concerne la France, parce que la France, dans son histoire, a une responsabilité aussi dans l'espace méditerranéen.
01:00 Donc c'est pour la France qu'il vient à Marseille pour regarder ensemble la Méditerranée.
01:05 - Vous avez aussi réussi à le convaincre de faire une messe au vélodrome. Ça, c'était pas gagné d'avance. Mais ça va être un moment extraordinaire.
01:15 - J'espère, oui. Bon, il y a les contraintes d'un voyage, forcément. Mais dans les discussions avec lui, je lui disais...
01:25 Venir à Marseille, Marseille ne s'explique pas sans le peuple. Mais ça, le pape, il comprend très bien. Au contraire, c'est avec lui-même qu'on apprend un peu plus ça.
01:35 Et donc je lui dis qu'il faut que le peuple de Marseille ait l'occasion de pouvoir prier avec vous.
01:39 - Ce pape continue ses périples malgré une santé moins bonne. Tout le monde le sait. Comment va-t-il, d'ailleurs ?
01:49 - Il a beaucoup de volonté. Moi, je suis très très impressionné. J'en ai encore vu la semaine dernière. Beaucoup, beaucoup de volonté.
01:58 Il m'a dit... Ils sont fatigués, fatigates. Et les autres aussi, ils sont fatigués. Mais moi aussi, des fois, je suis fatigué, fatigate.
02:07 Mais je suis fatigate. Un bel café et on y va. Alors il y a cette volonté profonde d'aller jusqu'au bout de sa mission et puis de passer par-delà les fatigues,
02:21 parce que oui, le handicap, comme il l'a dit d'ailleurs au retour de Mongolie, il voyage pas aussi facilement qu'avant.
02:28 Mais voilà. Alors ici, on a aménagé les choses. C'est mieux aussi qu'il y ait 3 demi-journées pour qu'il soit moins chargé,
02:35 qu'il puisse avoir du repos, qu'il puisse reprendre force. Mais il a une volonté extraordinaire qui...
02:43 — Ce sera court mais intense. Le président Macron sera là pendant les 2 jours où le souverain-pontif sera à sa présidence.
02:51 Où sera-t-il d'ailleurs le pape François pendant ces... — Là où vous êtes. Enfin pas ici, mais dans cette maison.
03:00 — Dans cette maison. — Oui. Et oui, parce qu'en principe, le pape, quand il va dans un pays, est accueilli à la nonciature,
03:06 donc à l'ambassade du Saint-Siège dans ce pays. Mais nous, ici, on n'a pas de nonciature. Alors on sera une nonciature annexe.
03:13 — Mgr Abdel, vous êtes archevêque de Marseille depuis 2019. Vous êtes né en Algérie, un peu avant l'indépendance.
03:24 Vous avez dû quitter ce pays. Et puis vous êtes installé... Votre famille s'est installée ici, à Marseille.
03:32 — Mes parents, hein. Nous sommes arrivés à Paris... Enfin arrivés à Marseille, puis montés tout de suite à Paris par le fossé,
03:42 qui était le train de nuit de l'époque, mais avec rien, hein, parce que... Moi, je suis l'aîné de la quatrième génération à être né en Algérie.
03:52 Mais c'était une autre immigration à la fin du XIXe. Mon père, comme du côté de ma mère d'ailleurs pour la plupart,
04:00 il venait d'Andalousie. À la fin du XIXe, probablement, il y avait eu une succession de sécheresses ou de famines ou je ne sais quoi,
04:07 qui avaient jeté aussi sur les routes des gens qui cherchaient du travail. Et vous savez, sur l'ensemble de la Rose des Vents,
04:13 les flux migratoires en Méditerranée peuvent changer de sens. Là, ils allaient du nord vers le sud. Et c'est comme ça qu'ils ont quitté l'Andalousie
04:19 pour s'installer en Oranie, qui était tout proche. Et donc bon, ils sont devenus Français, voilà, de cette façon-là. Mais s'ils étaient des pieds noirs,
04:31 s'ils le sont, et moi aussi, ça n'était pas des colons. C'était des ouvriers. Et il m'a fallu beaucoup de temps pour comprendre tout ça et m'expliquer à moi-même
04:43 ce qui s'était passé. Et donc effectivement, on a... En tout cas dans ma propre histoire, il y a ce que représente un déracinement. Et oui, ça fait partie de moi.
04:56 — Mais vous êtes profondément attaché à cette ville de Marseille. — Oui, très profondément. — C'est quoi pour vous être marseillais, d'ailleurs ?
05:02 Vous me disiez il y a quelques instants que vous aviez expliqué au pape à quoi ressemblait cette ville, ce qu'elle était. Quel mot avez-vous utilisé ?
05:13 Qu'est-ce que c'est être marseillais ? Qu'est-ce que c'est que cette ville ? — Oui. J'ai essayé de lui expliquer que cette ville a une ressource énorme.
05:22 C'est que personne ici n'ignore que dans son identité, il y a toujours une part d'altérité. Ça, on le sait parce que c'est des couches migratoires successives qui ont fait Marseille.
05:38 C'est rare qu'on choisisse de venir habiter... On échoue à Marseille, si vous voulez. Nous, c'est comme ça. On est allés à Paris. Puis à Paris, quelques années plus tard, en 1966,
05:46 il y a eu dans la famille un certain nombre de drames très graves qui ont fait que mon père a demandé une mutation, mon père a eu le cheminot, une mutation pour n'importe où.
05:55 Et il s'est trouvé que la direction de la SNCF à Marseille cherchait quelqu'un pour un poste qui corresponde à peu près à ses compétences. C'est comme ça qu'on est arrivés ici.
06:03 Et j'ai compris après que c'est ça, l'identité de Marseille. Marseille a cette chance de te donner une identité dont tu peux être fier, fier d'être marseillais avant même d'avoir tes papiers,
06:13 fier d'être marseillais parce que tout le monde sait ici que dans l'identité, il y a une part d'altérité. C'est pas toujours facile à vivre. La ville, on peut pas dire que ce soit non plus un modèle de cité paisible.
06:25 Voilà, ça n'est pas facile. Mais c'est la vie. Mais on le sait ici. Et c'est ça que j'ai mis en valeur auprès du pape pour lui expliquer ça parce que c'est une ressource.
06:38 Justement, comment est-ce que vous, vous-même, dans votre quotidien d'archevêque, dans la mission qui est la vôtre ici, comment est-ce que vous arrivez à vivre, j'allais dire même à supporter cette violence dont on dit qu'elle gangrène la ville ?
06:54 Les règlements de compte quasi quotidiens. Quel message veut-on que vous passiez aujourd'hui ?
07:00 J'essaye d'être... de pas oublier d'où je viens. Quand je passe à la gare et que je vois des gens, j'essaye de pas oublier d'où je viens.
07:11 Et puis aussi de ne pas céder à la tentation facile qui consisterait à aller dire aux gens il faut vivre ensemble, il faut vivre ensemble.
07:20 Mais ceux qui vous disent ils font vivre ensemble là dans ces quartiers, après ils repartent chez eux, hein. Et ils habitent pas là.
07:27 Et alors vous avez des discours faussement naïfs qui viennent prôner le vivre ensemble, mais après ils retournent.
07:33 Ou d'autres faussement agressifs qui viennent profiter de la difficulté du vivre ensemble pour leurs propres intérêts.
07:41 Mais ceux-là aussi, ils habitent ailleurs. Il faut respecter la population qui est là. Et moi j'essaye de faire en sorte que beaucoup de chrétiens,
07:48 et j'ai pas besoin de forcer parce qu'il y a des jeunes chrétiens qui sont merveilleux, qui vont habiter par choix là et là, travailler à faire du lien,
07:58 à prendre soin de la population, à faire du soutien scolaire. Il y a des choses merveilleuses à Marseille pour ça. J'ai expliqué tout ça au pape aussi.
08:05 Et c'est une ressource aussi. J'ai une toute dernière question. Mgr Ravin, vous êtes cardinal désormais, depuis l'année dernière.
08:16 Est-ce qu'on y pense ? Est-ce qu'on pense, peut-être même malgré soi, à la possibilité qu'offre ce titre de cardinal, peut-être un jour, d'atteindre cette fonction extraordinaire de souverain pontife ?
08:38 Est-ce qu'au fond de soi, on y pense forcément ? Pour l'instant j'ai tellement de choses à penser que je suis pas... Bon après, il y a des gens qui y pensent pour nous.
08:50 Il y en a qui y pensent pour nous. Mais vraiment ça m'habite pas parce que d'abord je suis heureux dans le service que j'essaye de rendre ici.
09:01 Je suis heureux dans la mission qui est la mienne. Je vois bien qu'il y a beaucoup de choses à faire. Et puis je vois aussi, en discutant avec le pape, je vois aussi les contraintes de son ministère.
09:12 Je vois la beauté aussi. Voilà. On a parlé aussi tous les deux de ce ministère qui est le sien. Voilà. Moi, non, j'ai pas trop le temps d'y penser.
09:23 Et puis je ne le souhaite pas non plus. Je voudrais faire mon travail du mieux possible.
09:29 – Merci infiniment Mgr Abdel. Merci d'avoir répondu à mes questions. – Merci à vous.

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