Albert Einstein _ L’homme et le génie

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00:00 Aujourd'hui, le progrès fait partie de notre quotidien.
00:04 Moteur d'avion, DVD, CD, GPS, lecteur optique...
00:09 Toutes ces inventions sont devenues banales.
00:12 Toutes doivent pourtant leur existence aux découvertes d'un homme.
00:17 Albert Einstein.
00:20 Le physicien le plus connu du XXe siècle est tant adulé par les scientifiques
00:24 qu'il est devenu un célèbre.
00:27 Il est tant adulé par les scientifiques comme par le public
00:31 que sa seule image rapporte des millions d'euros chaque année.
00:35 Albert Einstein a révolutionné la physique.
00:38 Il a redessiné la géométrie de l'univers.
00:41 C'était il y a un siècle.
00:43 Comment a-t-il fait ? Qui était-il ?
00:46 Quel a été le parcours de cet enfant, fasciné par une boussole à l'âge de 5 ans ?
00:50 De cet adolescent rêvant de chevaucher un rayon de lumière ?
00:53 De cet homme déterminé, assailli par des questionnements simples
00:57 qui ont fait de lui un génie ?
01:00 Il y avait là, au dehors, le vaste monde qui existe indépendamment des hommes
01:19 et se dresse devant nous comme une énigme, grande et éternelle,
01:23 mais partiellement accessible à notre perception et à notre réflexion.
01:28 La contemplation de ce monde était comme la promesse d'une libération.
01:32 L'appréhension intellectuelle de ce monde extérieur, à notre propre personne,
01:36 m'apparaissait plus ou moins consciemment comme le but suprême à atteindre.
01:41 Les hommes d'hier et d'aujourd'hui qui partageaient ce point de vue,
01:45 ainsi que les connaissances qu'ils avaient acquises,
01:48 étaient pour moi des amis que je ne perdrais jamais.
01:52 Le chemin qui mène à ce paradis n'était pas aussi aisé
01:55 ni aussi séduisant que celui du paradis religieux.
01:58 Il s'est cependant révélé sûr, et je n'ai jamais regretté de l'avoir choisi.
02:12 Albert Einstein naît en pleine révolution industrielle.
02:16 Le XIXe siècle est riche en avancées technologiques et scientifiques.
02:20 Alors que la population se déplace majoritairement en voiture à cheval,
02:24 les savants comprennent de mieux en mieux l'électricité,
02:27 qui est depuis peu utilisée à grande échelle dans l'industrie.
02:30 Thomas Edison vient même d'inventer l'ampoule électrique.
02:34 Et une curiosité interpelle de nombreux chercheurs.
02:37 Le courant électrique fait bouger les aiguilles d'une boussole.
02:41 Une science toute nouvelle voit le jour.
02:44 Une science mettant en jeu des forces que l'on ne voit pas à l'œil nu.
02:48 Les chercheurs découvrent l'infiniment petit, et avec lui, l'électromagnétisme.
02:53 C'est dans ce contexte que le petit Albert grandit,
02:56 choyé par son père, Hermann Einstein,
02:58 ingénieur et propriétaire d'une usine d'électrochimie,
03:01 et sa mère, Pauline Koch,
03:03 amatrice de piano qui transmettra la passion de la musique à son fils.
03:08 Albert est un jeune garçon solitaire, au caractère trempé.
03:11 Accompagné dans l'enfance par sa jeune sœur Maya,
03:14 il grandit sans plus de heurts qu'un défaut de langage.
03:17 Quand Albert Einstein avait environ 3 ans, il semblait attardé.
03:22 En effet, il ne parlait pas beaucoup.
03:24 Il a parlé très tard,
03:26 et ses parents étaient un peu effrayés à l'idée qu'il soit vraiment malade.
03:31 Peut-être qu'en compensation,
03:33 il a développé une extraordinaire acuité visuelle dans sa façon de voir le monde,
03:38 car tout au long de sa vie,
03:40 il a mis des images sur les problèmes pour les rendre concrets,
03:44 même quand il s'agissait de choses très abstraites en physique.
03:49 Et très tôt, Albert fut interpellé par les choses abstraites.
03:55 Un jour de 1883, alors qu'il a 5 ans, il tombe malade.
04:01 Et ce jour-là ?
04:03 Son père lui offrit un cadeau, une boussole.
04:08 Et ça a été un moment important, voire décisif dans sa vie.
04:21 Je crois me souvenir que cet événement me laissa une impression profonde et durable.
04:27 Il devait donc y avoir derrière les choses quelque chose de profondément caché.
04:32 Dès lors, le jeune Albert passa des heures à observer avec émerveillement le comportement de cette boussole.
04:41 Lorsqu'il s'interrompait, c'était pour se plonger dans la lecture d'un livre de géométrie que lui avait offert son oncle Jacob.
04:48 C'est intéressant de constater que ces deux cadeaux ont en quelque sorte prédit sa vie entière.
04:56 D'un côté, la compréhension de l'électricité et du magnétisme,
04:59 et de l'autre, il a terminé en changeant toute notre conception de la relation de la géométrie au monde.
05:05 S'il est intrigué dès le plus jeune âge par les mystères que peut offrir le monde qui l'entoure et la géométrie,
05:10 le jeune Albert n'en aime pas pour autant l'école.
05:13 En fait, il lui voue même une véritable aversion.
05:16 Il a vite compris que l'école fonctionnait principalement par « je te dis ce que tu dois faire, et tu le fais parce que je te le dis ».
05:26 C'était à l'opposé de sa façon de penser et d'être.
05:29 Alors bien sûr, il était très bon dans certaines disciplines, math et physique, il était même loin devant les autres.
05:40 Donc il s'ennuyait dans ses classes.
05:44 Et je pense que parfois, il en savait autant que ses professeurs.
05:54 Et ça, ce n'était pas bon.
05:57 Ce jeune homme, en quelque sorte, les remettait en cause.
06:03 Et doucement, Einstein a développé un irrespect total pour toute autorité.
06:12 Les années passent tant bien que mal.
06:17 Albert tient le coup dans cette école allemande qu'il honit.
06:19 Il a un rêve, intégrer l'école polytechnique de Zurich et ainsi obtenir les clés de la compréhension de l'univers.
06:26 Mais l'entreprise d'électrochimie de ses parents périclite et il décide de partir monter une nouvelle affaire à Milan.
06:35 Il confie alors leur fils à des proches.
06:38 À 14 ans, le jeune Albert a déjà beaucoup appris par lui-même et suit des cours au gymnasium, le lycée allemand.
06:44 C'est un enfant déterminé qui ne s'en laisse pas compter.
06:48 Une fois ses parents à Milan, il réussit à convaincre ses professeurs de le laisser partir.
06:56 Car il voulait quitter cette école qu'il détestait.
07:01 Et alors, il a acheté un billet pour Milan et a voyagé tout seul jusqu'à là-bas.
07:09 Et il est arrivé devant ses parents et a dit « Je suis là ».
07:15 Et évidemment, ça a été terrible.
07:19 La question a été « Que fait-on maintenant ? »
07:22 Parce qu'il n'avait pas de diplôme de fin d'étude.
07:25 Et il ne pouvait donc pas entrer à l'université.
07:29 Tout leur projet évidemment s'effondrait.
07:32 Si Albert est heureux de s'être enfin débarrassé de l'école allemande,
07:36 il n'a pas réalisé que ses chances d'entrer à l'école polytechnique se sont ainsi évanouies.
07:40 Hermann et Pauline sont désespérés. Que vont-ils bien pouvoir faire de leur fils ?
07:45 C'est alors qu'une alternative s'offre à eux.
07:48 Il y aurait une école en Suisse, à Haro, qui pourrait permettre à Albert d'obtenir l'Abitur,
07:53 l'équivalent du baccalauréat, seul moyen de pouvoir entrer au Polytechnicum de Zurich.
07:59 Albert se rend donc seul à Haro, où il est hébergé chez l'un de ses précepteurs, M. Winteler.
08:09 Chose inattendue, il va très vite s'épanouir dans ce nouvel environnement.
08:13 La grande différence entre l'école d'Haro et celle de Munich, à laquelle il était habitué,
08:21 c'est qu'Haro était beaucoup, beaucoup plus libéral.
08:25 Le but de cette école était d'aider les élèves à se développer,
08:31 à avoir leurs propres opinions, à avoir leurs propres pensées,
08:36 et non pas « tu fais ce que je te dis de faire, parce que je te le dis ».
08:41 Donc, tout l'esprit était complètement différent, plus républicain, disons.
08:50 Et apparemment, il commença à adorer cette école.
08:55 C'est un vrai miracle que l'entreprise éducative moderne n'ait pas encore complètement étouffée
09:00 la curiosité sacrée propre à l'esprit de la recherche.
09:04 Car cette petite plante fragile a besoin d'encouragement et surtout de liberté, sinon elle dépérit.
09:10 C'est une grave erreur de croire que le plaisir d'observer et de chercher
09:15 puisse être induit par la contrainte ou par le sentiment du devoir.
09:19 Soudain, Albert découvre un milieu qui lui convient parfaitement.
09:29 Enfin, il peut s'exprimer librement, faire part de ses observations, de ses intuitions et de ses déductions.
09:35 Il change.
09:37 Il ne réfrène plus ses idées, aussi farfelues soient-elles,
09:41 et il s'adonne avec joie, le soir, au violon avec toute la famille Winteler.
09:45 Pour autant, son rapport à l'autorité n'évolue pas.
09:48 Il ne témoignait pas pour autant plus de respect à ses professeurs.
09:56 Je veux dire qu'il était un critique né, ou un sceptique.
10:00 La différence, c'est qu'à Harrow, ses professeurs disaient
10:05 « Ok, laissez-le être critique, laissez-le envisager les choses différemment. »
10:11 Critique, sceptique, refusant toute autorité,
10:16 ces traits de caractère pourraient-ils expliquer le génie d'Einstein ?
10:23 Je crois que la plus forte motivation des hommes pour les arts et la science
10:27 est l'envie de fuir la vie quotidienne avec sa grossièreté et sa monotonie,
10:32 et de se réfugier dans un monde peuplé des images de sa propre création.
10:37 Mettre des images au service de la science, une méthode qu'Albert applique très jeune.
10:43 Un jour qu'il se promène, observant la nature à l'œuvre, perdu dans ses réflexions,
10:50 il se demanda soudain ce qu'il se passerait si un homme accompagnait un rayon de lumière.
10:54 Il a fait cette expérience de pensée, il s'est dit « J'ai un faisceau lumineux,
11:03 un faisceau lumineux qui va à la vitesse de la lumière,
11:07 et si moi je me mets en chemin parallèlement à ce faisceau lumineux,
11:12 si je me mets à cheval sur un rayon lumineux, disons pour prendre une image,
11:16 comment est-ce que je vais voir les autres rayons lumineux ?
11:20 Moi, les autres, tous vont à la vitesse de la lumière. »
11:24 Et il réalisa que s'il faisait ça, il ne verrait plus la lumière,
11:31 car cette lumière serait figée, et de la lumière figée, ça n'existe pas.
11:39 Donc, qu'est-ce qui ne va pas avec ma façon de penser ?
11:48 Si cela n'est pas possible pour Albert, c'est tout simplement parce qu'il sait
11:51 que le rayon de lumière devrait se comporter selon les règles de la mécanique classique
11:55 établie par Galilée au XVIIe siècle.
11:58 Si on se trouve dans un train, et que parallèlement à notre voie, il y a un autre train,
12:05 si les deux trains roulent en même temps à vitesse constante et en ligne droite,
12:08 sans aucun repère extérieur,
12:10 il est impossible de dire que les trains sont en mouvement l'un par rapport à l'autre.
12:15 Vus d'un train ou de l'autre, ils semblent tous les deux à l'arrêt.
12:19 C'est ainsi qu'il en déduit qu'en chevauchant son rayon de lumière,
12:24 il devrait voir l'autre rayon à l'arrêt.
12:26 Mais dans ce cas, il n'y aurait plus de lumière, puisqu'il était admis que la lumière
12:31 est une onde qui se propage à une vitesse constante, quelle que soit sa direction.
12:35 Cette réflexion ne le quitte plus.
12:38 À la fin de l'année, Albert obtient son diplôme et est accepté à l'école polytechnique de Zurich.
12:43 Il est heureux. Passionné par la lumière et par le magnétisme depuis tout petit,
12:47 il va enfin obtenir des réponses. Mais c'est la déception qui l'attend.
12:51 Il réalise qu'encore une fois, ce qui l'intéressait vraiment,
12:56 la physique théorique moderne, n'était pas enseignée du tout,
13:01 car il s'agissait pour cette école de former des ingénieurs ou des enseignants.
13:06 On apprend aux ingénieurs, c'est comme cela que ça se fait.
13:12 C'est comme ça que l'on calcule.
13:15 C'est un bâtiment, ça doit rester droit.
13:19 Mais pour Einstein, la question était pourquoi le bâtiment tient droit ?
13:24 Et pourquoi fait-on ces calculs ?
13:26 C'était ça qui l'intéressait beaucoup plus.
13:29 Einstein était un jeune homme très ambitieux.
13:32 Dès ses études universitaires à l'école polytechnique de Zurich,
13:37 il séchait les cours de certains de ses professeurs
13:41 parce qu'il jugeait que ça ne parlait pas de choses à la pointe de la physique.
13:46 Et il allait étudier les derniers articles parus
13:50 de certains des meilleurs scientifiques de l'époque.
13:53 Albert cherche toujours désespérément à résoudre ce qui ne va pas
13:58 dans sa chevauchée du rayon lumineux.
14:00 Il se plonge dans la lecture de James Clerk Maxwell.
14:05 Il découvre ainsi qu'en 1864, ce dernier a mis au point des équations
14:09 expliquant comment électricité et magnétisme interagissent.
14:13 La matière est composée de particules chargées positivement et négativement.
14:21 Ces charges électriques en se déplaçant engendrent un courant électrique.
14:25 Or, une particule chargée crée autour d'elle un champ électrique.
14:31 Si cette particule est en mouvement, et si elle oscille,
14:34 un champ magnétique est engendré.
14:36 Selon la théorie de Maxwell, la variation avec le temps d'un champ électrique
14:42 et d'un champ magnétique engendre une onde électromagnétique
14:45 qui se propage dans l'espace vide à une vitesse constante
14:48 qui est celle de la lumière.
14:50 299 792 458 m/s.
14:57 De plus, la propagation des ondes électromagnétiques,
15:02 et donc de la lumière, résulte de la vibration de l'éther.
15:06 Une substance imaginée comme le support physique des champs
15:10 et qui serait sans poids, transparent, sans frottement.
15:13 L'éther occupait l'espace absolu de Newton, le vide.
15:17 Il paraissait nécessaire aux physiciens du 19e siècle
15:20 car il fournissait un support à la propagation de la lumière,
15:23 tout comme l'air permet au son de se propager ou l'eau à la vague.
15:28 Obsédé par ses lectures et ses recherches,
15:30 il n'en oublie pas pour autant les plaisirs de la vie.
15:33 Dans sa classe, il y avait une femme,
15:37 Mileva Maric,
15:40 qui était originaire de l'Empire Austro-Hongrois.
15:44 Dans un premier temps, je pense,
15:47 il voulait juste quelqu'un à qui parler de ce qu'il faisait
15:51 et de ce qu'il faisait.
15:53 Il voulait juste quelqu'un à qui parler de ce qu'il faisait
15:56 et de ce qu'il pensait en science.
15:58 Et doucement, ça s'est transformé en une relation
16:02 qui a évolué vers d'autres sentiments, pour ainsi dire.
16:06 Albert est heureux, mais préoccupé.
16:20 Les théories du grand Maxwell, père fondateur de l'électromagnétisme,
16:24 lui posent problème.
16:26 L'électricité et le magnétisme de Maxwell
16:35 mènent à une asymétrie qui n'est pas présente dans un phénomène.
16:39 Qu'est-ce que cela signifie ?
16:43 Il n'y a rien de faux dans les équations de Maxwell,
16:47 mais elles trouvent Leinstein.
16:49 Imaginez que vous avez une bobine de fil conducteur
16:52 attachée à une ampoule et que vous avez un aimant.
16:55 Selon les équations de Maxwell...
16:57 Si l'on déplace la bobine de fil avec un mouvement rectiligne
17:00 et uniforme vers l'aimant,
17:02 le champ magnétique engendre une force
17:04 qui pousse les charges électriques de la bobine,
17:07 créant ainsi un courant électrique.
17:09 L'ampoule s'allume.
17:17 Mais si c'est au contraire l'aimant que l'on déplace vers la bobine de fil,
17:21 cette fois-ci, lorsque le champ magnétique approche de la bobine,
17:24 un champ électrique se crée.
17:26 C'est ce champ électrique qui met les charges électriques en mouvement,
17:30 créant ainsi un courant qui allume l'ampoule.
17:33 Deux explications complètement différentes. Un fait.
17:38 C'est le genre de choses qu'Einstein haïssait.
17:41 Einstein commençait toujours ses articles par ce genre d'asymétrie bizarre.
17:45 Vous pensez qu'il y a deux explications.
17:47 Je vais vous montrer qu'il n'y en a qu'une.
17:50 Mais pour cela, il lui fallait trouver la raison de cette asymétrie.
17:54 À son habitude, lorsqu'un problème le préoccupe,
17:59 Albert aime à flâner dans la campagne zuricoise.
18:02 Et si c'était l'éther le problème ?
18:04 Ce support que l'on a en quelque sorte créé,
18:06 car comme cette onde sur l'eau,
18:08 on pensait que la lumière avait besoin d'un support
18:10 pour se déplacer dans l'espace absolu.
18:13 Alors qu'Albert travaille sur cette nouvelle idée,
18:15 il reçoit une lettre de l'université.
18:17 Il a obtenu son diplôme,
18:23 mais cela n'est pour lui qu'une formalité
18:25 qui sanctionne un examen absurde.
18:27 Pour lui, ça n'avait pas de sens
18:30 de lui demander de répéter ce qu'on lui avait enseigné.
18:34 Bien sûr, je peux répéter ce que j'ai entendu,
18:37 mais je ne peux pas dire que c'est le bon sens.
18:40 Je ne peux pas dire que c'est le bon sens.
18:43 Mais la vraie question, c'est qu'est-ce que je pense de ça ?
18:46 Comment je l'interprète ?
18:48 D'ailleurs, ce qu'il souhaite avant tout,
18:50 c'est une place à un poste universitaire,
18:52 un travail qui lui permette de se consacrer
18:54 entièrement à la recherche, à ses réflexions.
18:57 Une seconde lettre lui apprend que justement,
18:59 ce poste à l'université de Zurich lui est refusé.
19:02 C'est une période difficile qui commence.
19:08 Après qu'il eût fini ses études,
19:11 peut-être à cause de son attitude rebelle
19:14 envers les autorités,
19:17 il ne parvient pas à trouver un travail, ou que ce soit.
19:20 Il était incapable d'obtenir un poste à l'université
19:23 en tant qu'assistant, ni même en lycée.
19:26 Il a fait de nombreuses tentatives.
19:28 Il a essayé de donner des cours particuliers à des étudiants.
19:31 Et ça, ça a marché un tout petit peu.
19:33 Donc, vraiment, il était pratiquement affamé.
19:37 Albert est anéanti, humilié.
19:40 La personne pour laquelle ça a été sans doute le plus tragique
19:43 était le père d'Einstein.
19:45 Avoir un fils qui ne réussissait pas,
19:47 alors que c'était sa vocation qu'il était doué pour ça,
19:49 à rentrer dans le monde académique,
19:51 à tel point que le père a même écrit des lettres
19:53 à des grands scientifiques en les suppliant
19:55 d'essayer de prendre son fils comme assistant.
19:57 Ça devait être dur pour le père.
19:59 Albert ne renonce pas.
20:02 Il postule et postule encore, en Suisse, en Allemagne,
20:05 et pour oublier ses ennuis,
20:07 il se plonge dans ses recherches scientifiques
20:09 ou joue du violon.
20:11 Mais le sort s'acharne sur lui.
20:15 Au printemps 1901,
20:24 Mileva tombe enceinte.
20:26 Et ça, bien sûr,
20:28 c'était une immense catastrophe pour eux deux.
20:34 Car il y a cent ans,
20:36 attendre un enfant hors mariage
20:38 n'était vraiment pas facile.
20:40 C'était vraiment une catastrophe.
20:42 Et le mariage n'était même pas une option,
20:45 car il n'avait rien, elle n'avait rien.
20:47 Et pour ne rien arranger,
20:49 les parents d'Einstein
20:51 étaient complètement contre cette relation,
20:53 particulièrement sa mère.
20:55 Elle était vraiment contre.
20:59 Mileva est donc rentrée chez ses parents.
21:02 Elle n'avait pas d'autre solution.
21:04 Albert est acculé.
21:07 Comment trouver un travail pour nourrir sa famille
21:09 alors que toutes les facultés le rejettent ?
21:12 Qui sont-ils tous pour le mépriser ainsi ?
21:14 Comment faire ?
21:16 Il devra alors son salut à Marcel Grossmann,
21:19 un ami mathématicien du Polytechnicum.
21:22 C'est grâce à Marcel qu'Albert avait pu rattraper
21:24 les cours qu'il séchait et réussir ses examens.
21:27 Et encore une fois, c'est Marcel qui va le tirer d'affaire.
21:31 Je crois que Marcel Grossmann,
21:34 a été le premier à réaliser
21:36 qu'Einstein avait un gros potentiel
21:39 pour être un grand scientifique.
21:41 Et il dit cela à son père.
21:43 Grossmann père était riche,
21:46 et il connaissait le directeur de l'Office des brevets à Berne.
21:51 Il lui a demandé de faire un travail pour nourrir sa famille.
21:59 Il lui demanda donc de le prévenir
22:02 s'il engageait de nouvelles recrues.
22:05 Il préviendrait alors l'ami de son fils, Einstein.
22:11 Quelques mois plus tard, Albert peut postuler.
22:15 Certains d'obtenir le poste, ils se rendent à Berne.
22:18 Milleva accouchait d'une petite liserle le 4 février 1902.
22:22 Tu vois, c'est finalement bien une petite liserle,
22:25 comme tu le souhaitais.
22:27 "Bonne santé", crie-t-elle comme il faut.
22:29 "Comment sont ses petits yeux ?
22:31 "À qui de nous deux ressemble-t-elle le plus ?
22:33 "Il faut absolument que tu me la dessines
22:35 "quand tu iras un peu mieux."
22:37 À Berne, Albert parvient à donner quelques cours particuliers
22:46 qui lui permettent de mettre un peu d'argent de côté
22:48 et de louer un appartement pour accueillir sa famille.
22:51 Enfin, en juin 1902,
22:54 il prend ses nouvelles fonctions au bureau de la propriété intellectuelle de Berne
22:58 et, à sa grande surprise,
23:00 il adore ce travail qui n'a pourtant rien d'académique.
23:03 Einstein était ravi d'avoir ce travail.
23:07 Il l'adorait.
23:08 Il adorait chacun de ses aspects.
23:10 Et je pense qu'il prenait beaucoup de plaisir à étudier ses brevets.
23:14 Il était en quelque sorte au premier rang de la parade des inventions modernes,
23:19 telles que les radios, les horloges,
23:23 mais également toutes sortes de mécanismes.
23:25 Et le directeur de l'office des brevets
23:29 lui avait enseigné d'être extrêmement critique,
23:33 de ne pas prendre le point de vue de l'inventeur.
23:37 Et cela devait lui convenir à merveille.
23:39 Si le XIXe siècle, avec la maîtrise de l'électricité
23:45 et les avancées de l'électrodynamisme,
23:47 a contribué au développement industriel,
23:49 il en est de même avec l'invention,
23:51 de la locomotive et des machines à vapeur.
23:54 Les réseaux ferrées se développent à travers le monde,
23:58 amenant leur lot de problématiques.
24:00 Il y avait des trains qui voyageaient à travers la Russie,
24:06 le Canada, les États-Unis, l'Europe,
24:08 et qui traversaient les vastes structures d'est en ouest.
24:12 À cette époque, chaque petite ville avait sa propre heure.
24:16 Donc, quand le train arrivait,
24:18 vous aviez toujours la question suivante.
24:20 Si le train part à 2h36,
24:22 quelles 2h36 ?
24:24 Les 2h36 de la ville ?
24:26 Les 2h36 où le train est parti ?
24:28 Les 2h36 d'où le train se rend ?
24:31 Cela devenait très déroutant.
24:33 Mais ça allait encore,
24:34 tant que vous n'aviez qu'un train qui circulait.
24:36 Mais qu'arrive-t-il quand deux trains se croisent ?
24:39 Dans ce cas, vous avez au point d'intersection
24:46 l'heure de la ville située à l'intersection,
24:48 l'heure d'une voie et l'heure de l'autre voie.
24:51 Et vous voyez comment cela devient un problème impossible à résoudre
24:54 quand vous essayez de mettre en place un réseau ferré.
24:57 Albert est désormais aux premières loges
25:07 des grandes préoccupations pratiques de son siècle.
25:09 La chance tourne enfin.
25:11 Non seulement il gagne correctement sa vie,
25:13 mais il est également stimulé par les idées créatrices des inventeurs
25:16 et il peut réfléchir aux problèmes scientifiques qui le préoccupent.
25:19 Après une période d'adaptation,
25:21 Einstein a réussi à faire le travail qu'on demandait de lui
25:24 pour examiner les brevets et résumer ces brevets,
25:27 le matin seulement,
25:29 en se gardant toute l'après-midi
25:31 pour pouvoir réfléchir sur les problèmes de physique fondamentale.
25:34 Ainsi comblé, il peut enfin se marier avec Mileva qui le rejoint.
25:41 Mais sans Liserle, leur petite fille.
25:43 A-t-elle été adoptée ?
25:45 Est-elle morte des suites d'une maladie ?
25:47 Personne ne suce jamais ce qu'il a devin d'elle.
25:50 Albert n'en parlera plus jamais et ne laissera rien paraître.
25:54 Comme à son habitude, il se réfugie dans le travail
25:59 et aime à retrouver ses amis, Konrad Habicht et Maurice Solowin,
26:02 pour des échanges aussi bien littéraires que musicaux.
26:05 Ce club de lecture qu'ils appelaient Academia Olympia
26:09 a joué un rôle important pour Einstein.
26:11 Ils ne discutaient pas d'équations,
26:13 ils ne discutaient pas quels sont les derniers résultats techniques
26:16 qu'il faudrait améliorer, mais ils discutaient
26:19 qu'est-ce que c'est que l'espace, qu'est-ce que c'est que le temps,
26:22 qu'est-ce que c'est qu'une loi physique,
26:24 quels sont les fondements du principe d'induction
26:27 en philosophie expérimentale.
26:29 Et ça, ça a donné sans doute une grande liberté d'esprit à Einstein
26:32 pour renouveler les concepts fondamentaux de la physique.
26:41 Einstein est torturé, assaillé de pensées.
26:44 Finalement, qu'est-ce que le temps ?
26:47 Ce temps qui passe inexorablement
26:51 et qui ne lui offre pas de solution à ses problèmes.
26:54 Pourquoi la théorie de la relativité de Galilée
27:00 lui indique que son rayon de lumière serait à l'arrêt ?
27:03 C'est une chose impossible.
27:06 Et pourquoi deux mêmes phénomènes
27:08 auraient deux explications différentes, impossibles aussi ?
27:12 Alors qu'il est de nouveau papa,
27:30 Albert se plonge corps et âme dans ses questionnements
27:33 tout en conciliant sa vie de famille.
27:37 Reprenons.
27:38 Si je pose ce que dit Maxwell,
27:40 le père fondateur de l'électromagnétisme,
27:42 la vitesse de la lumière est, si on l'arrondit,
27:45 constante à 300 millions de mètres par seconde.
27:48 Est-ce qu'un rayon de lumière me semblerait immobile
27:52 si je voyageais à côté de lui ?
27:54 Les principes de la physique édictés par Galilée et puis par Newton
28:00 me disent qu'il n'existe qu'un espace, absolu,
28:03 qu'un temps, absolu,
28:05 que le temps et l'espace sont des données fixes et universelles,
28:08 ce qui implique que les distances sont également absolues.
28:12 Je peux ainsi calculer des vitesses.
28:14 Si je vois un train qui avance en ligne droite à une vitesse régulière,
28:19 ce train va à la vitesse de 5 mètres par seconde.
28:22 Si je suis dans ce train, sans repère extérieur,
28:25 je ne perçois pas que j'avance, j'ai l'impression d'être à l'arrêt.
28:29 Si alors je lance une balle,
28:32 qui va à la vitesse de 1 mètre par seconde,
28:35 si je suis à l'extérieur du train,
28:37 la balle va en fait à 1 + 5 mètres par seconde,
28:41 c'est le théorème d'addition des vitesses.
28:44 Mais si j'applique la même règle à mon rayon de lumière,
28:48 mon train va toujours à la vitesse de 5 mètres par seconde.
28:52 Si je suis dans ce train et que j'envoie un rayon lumineux,
28:56 ce rayon lumineux va à la vitesse de 300 millions de mètres par seconde.
29:01 Mais si je suis à l'extérieur du train,
29:04 le rayon lumineux va aller à la vitesse de 300 millions de mètres par seconde,
29:08 + 5 mètres par seconde.
29:10 Dans ce cas, la vitesse de la lumière n'est pas constante,
29:14 ce n'est pas possible.
29:16 Agacé, il rentre chez lui et s'enferme dans son bureau.
29:22 Le lendemain, alors qu'il se promène dans les Hauts-de-Berne
29:27 avec son ami Michael Ebesso,
29:29 comme à son habitude, il l'entretient de ses dernières réflexions.
29:32 Il n'avait pas besoin des autres pour être créatif,
29:38 mais il avait besoin d'eux comme caisse de résonance.
29:42 Et toute cette atmosphère,
29:46 son cerveau constamment stimulé,
29:49 tout ça était d'un très grand soutien.
29:52 Et sa question fut la suivante.
29:57 Newton et Galilée pourraient-ils s'être trompés ?
30:00 "Impossible", lui répond Besso.
30:02 "La cinématique galiléenne est la base depuis 200 ans."
30:05 Mais Albert n'est déjà plus avec son ami.
30:08 Au loin, il aperçoit un clocher,
30:10 et une autre question lui vient à l'esprit.
30:13 Est-ce que deux événements qui se déroulent au même instant pour un observateur
30:17 sont également simultanés pour un autre observateur situé en un autre lieu ?
30:21 Besso reste sans voix tant la réponse lui semble évidente.
30:26 "On pensait très bien connaître les idées fondamentales de l'espace et du temps.
30:31 Et depuis Newton, tout le monde pensait savoir ce qu'était le vrai espace et le vrai temps,
30:37 et que la simultanéité absolue,
30:40 deux événements qui se déroulaient au même moment,
30:43 était la même pour tout le monde."
30:45 Albert ne pense plus qu'à ce problème.
30:47 Ce n'est que le lendemain, à la suite d'une nuit agitée,
30:50 qu'il se réveille emprunt d'une excitation sans nom.
30:54 "Et soudain, Einstein affirme que la lumière lui est apparue,
30:58 et qu'il savait comment le résoudre."
31:01 En fait, la simultanéité n'existe pas,
31:07 ou du moins elle existe uniquement si deux événements se produisent dans un même lieu.
31:11 Or, lorsqu'Albert regarde l'heure sur le clocher,
31:14 il est dans un lieu différent, à distance d'une autre personne qui se trouverait juste en bas du clocher.
31:21 Albert voit que l'horloge indique 5 heures,
31:24 la même heure que doit voir l'autre homme a priori au même moment.
31:28 Ces deux événements semblent simultanés.
31:33 Cela est vrai si l'on nommait le fait que pour qu'Einstein perçoive l'heure,
31:37 il a fallu que la lumière lui transmette l'information.
31:40 Or, la lumière parcourt 300 millions de mètres en une seconde.
31:45 Einstein étant à 5000 mètres de l'horloge,
31:48 la lumière a mis 1667 centaines de millionnièmes de secondes pour lui transmettre l'information.
31:54 Tandis que l'observateur situé à 5 mètres a obtenu l'information en 200 millions de secondes.
32:01 L'observateur situé en bas du clocher a reçu l'information avant Albert.
32:07 Les deux observateurs ont donc vu l'heure à quelques centaines de millionnièmes de secondes de différence.
32:12 Si cette différence est infime, voire ridicule à taille humaine,
32:16 elle est énorme à l'échelle de l'Univers,
32:18 et se révèle capitale pour une industrie qui se développe à toute vitesse
32:22 et qui a besoin de mesures précises.
32:24 Avant Einstein, tout le monde considérait qu'il y avait un temps absolu,
32:28 comme si dans l'Univers, il y avait une grande horloge cosmique invisible,
32:33 mais identifiée soit à la réalité physique, soit même pour certains à une divinité hors de la nature,
32:40 et qui marquait ce déroulement du temps absolu.
32:43 En remettant la simultanéité en question, Albert peut également remettre le temps en question.
32:50 Et pour cela, il part d'eux.
32:53 Deux principes.
32:55 Vous ne pouvez jamais dire que vous êtes en train de bouger si vous avancez toujours à la même vitesse.
33:00 Et la vitesse de la lumière est constante.
33:03 Ces deux principes sont devenus les piliers de la théorie de la relativité.
33:09 Et de là, il construit quelque chose qui eut d'énormes conséquences,
33:14 et changea notre idée d'espace et de temps.
33:17 Car en effet, si l'on a trois locomotives qui se déplacent ensemble en mouvement rectiligne uniforme,
33:23 c'est-à-dire qui ne subissent aucune interaction, même pas la gravitation,
33:27 et qui sont séparées par exactement la même distance.
33:30 Dans chaque train se trouve une horloge, sur lequel se trouve un observateur,
33:35 nous avons donc deux référentiels, celui où se trouve notre observateur,
33:40 et celui où se trouvent les locomotives.
33:42 Aucune des horloges n'est à la même heure, il faut les synchroniser.
33:46 Pour cela, le train B envoie au train A et C un signal lumineux qui contient l'information.
33:52 Il est midi pile.
33:54 A, B et C ne se voient pas bouger, ils se voient au repos.
33:59 A et C reçoivent en même temps le signal de la vitesse de la lumière.
34:03 A et C reçoivent en même temps le signal lumineux leur indiquant « il est midi pile ».
34:08 A et C synchronisent leurs horloges.
34:11 L'observateur qui est sur le quai, donc dans un autre référentiel, ne voit pas du tout la même chose.
34:18 Lorsque le commandant envoie le signal « il est midi pile » à chaque train,
34:22 C va à la rencontre du signal alors que A le fuit.
34:26 Pour l'observateur, C va obtenir en premier le signal.
34:31 L'horloge C va donc indiquer « midi », tandis que l'horloge A indiquera encore 16h30.
34:37 Tès que le signal atteint A, l'horloge A indiquera « midi pile ».
34:42 Mais l'horloge C aura avancé du temps nécessaire à A pour recevoir le signal.
34:46 Les deux événements ne sont pas simultanés pour l'observateur.
34:50 L'horloge qui est devant sera en retard sur l'horloge qui est derrière.
34:54 Les horloges ne sont pas synchronisées.
34:57 Donc deux horloges au repos, dans un référentiel, peuvent être synchronisées.
35:02 Mais dans un autre référentiel, où elles sont en mouvement, elles ne sont pas synchronisées.
35:07 C'est-à-dire que la simultanéité dépend de la position et de l'état de mouvement où vous êtes.
35:15 Et c'est ça dont la mécanique classique ne tenait pas compte.
35:18 Désormais, le temps est relatif.
35:21 Et qu'en est-il de l'espace ? Des équations de Maxwell ?
35:25 De cette bobine de fils et de cet aimant,
35:27 dont les réactions s'expliquent différemment selon le point de vue duquel on se place ?
35:31 Albert, en fait, résout le problème.
35:35 Il supprime l'éther et de ce fait l'espace absolu.
35:38 Dorénavant, l'espace sera également relatif.
35:42 La démarche d'Einstein est tout à fait révolutionnaire.
35:48 Parce que si vous lisez les articles des compétiteurs d'Einstein,
35:54 ceux qui écrivaient sur le même sujet, sur ce sujet-là,
35:57 qui va devenir la théorie de la relativité restreinte,
36:00 les autres auteurs présupposent un espace absolu
36:04 et présupposent le concept habituel de temps absolu.
36:08 Einstein a abordé le problème presque complètement à l'envers.
36:11 Il a commencé non pas en demandant quelle est la nature de la matière,
36:14 mais en posant une question que seul un enfant poserait.
36:17 Il dit, qu'est-ce que l'espace ? Qu'est-ce que le temps ?
36:20 Qu'est-ce que signifie la simultanéité ?
36:23 Son intuition était différente de celle des autres.
36:27 Il comprenait les choses en profondeur.
36:31 Il avait une façon de penser qui ne s'apprend pas.
36:35 Soit vous l'avez, soit vous ne l'avez pas.
36:38 Albert consacre les semaines qui suivent à la rédaction d'un article intitulé
36:46 "Sur l'électrodynamique des corps en mouvement,
36:49 autrement dit, la relativité restreinte".
36:52 Il l'envoie à la plus grande revue scientifique de l'époque,
36:55 Annalen der Physiks, et attend anxieux les réactions à sa publication.
36:59 Mais rien ne vient. Il se remet au travail.
37:03 Cette année 1905, il a eu une explosion intellectuelle, si l'on peut dire.
37:11 Vous pouvez considérer que de 1902 à la fin de 1905,
37:17 c'était une sorte de période d'incubation.
37:21 Et boum ! En 1905, tout est sorti.
37:27 Albert publie en effet dans la foulée quatre autres articles
37:31 qui vont se révéler tout aussi importants pour la physique moderne
37:34 que la théorie de la relativité restreinte.
37:36 Et parmi cela...
37:38 E = mc2
37:41 La fameuse équation E = mc2
37:43 E = mc2
37:45 E = mc2
37:47 Cette formule nous dit que la matière,
37:51 que l'on considérait depuis l'avoisier comme étant permanente,
37:55 puisque l'on savait que rien ne se perd, rien ne se crée, mais tout se transforme.
38:00 Ainsi, si un glaçon fond, la quantité de liquide récupéré
38:04 aura la même masse que le glaçon,
38:06 tout comme la vapeur d'eau aura la même masse que l'eau avant son évaporation.
38:11 Cela veut dire que la notion fondamentale que depuis des siècles
38:14 la matière était quelque chose de pérenne, de permanent, devenait fausse,
38:19 puisque avec Einstein, la matière peut se dissiper,
38:23 peut se transformer en énergie,
38:25 ce qui change profondément le concept de matière.
38:28 Albert lui-même s'interroge sur sa découverte.
38:32 Il écrit ainsi à son ami Konrad Habicht.
38:36 Il m'est tout à coup venu à l'esprit que le principe de relativité
38:40 associé aux équations fondamentales de Maxwell
38:43 implique que la masse d'un corps est une mesure directe de l'énergie qu'il renferme.
38:47 La lumière transfère la masse.
38:50 C'est une pensée amusante et séduisante,
38:53 mais je n'ai aucun moyen de savoir si le bon Dieu ne me mène pas en bateau en se riant de moi.
38:58 Pour arriver à cette conclusion,
39:01 Einstein considère un corps qui émet des rayons lumineux dans toutes les directions.
39:05 Or, on sait que la lumière possède une certaine énergie.
39:10 Par conséquent, ce corps, lorsqu'il émet de la lumière, perd de l'énergie.
39:14 Einstein trouve qu'à chaque fois que ce corps perd de l'énergie,
39:18 il perd nécessairement une certaine quantité de masse.
39:21 En généralisant ce résultat théorique,
39:23 il en conclut que toute masse renferme une énorme quantité d'énergie
39:27 qui se calcule par sa masse multipliée par la vitesse de la lumière au carré,
39:31 E = mc².
39:36 Toute énergie peut ainsi, en principe, se transformer en masse,
39:39 et toute masse peut se transformer en pure énergie.
39:42 Mais il faut faire intervenir des processus de désintégration au niveau nucléaire.
39:47 C'est ce principe qui sera mis en application des années plus tard dans la bombe dite atomique.
39:54 Un gramme de matière libère alors une énergie capable de raser des villes entières.
39:59 [Bruit de vent]
40:02 1905. Albert attend avec impatience des retours sur ses articles.
40:08 Mais rien ne vient.
40:10 Il se consacre alors à son jeune fils, Hans Albert.
40:13 Il obtient même une promotion à l'office des brevets et gagne très bien sa vie.
40:17 Mais ce n'est qu'une maigre consolation.
40:20 1906. Enfin, les premières réactions sur la relativité restreinte lui parviennent.
40:26 Il devient doucement célèbre, mais seulement sur le papier.
40:29 Personne ne l'avait vraiment vu à part un assistant de Max Planck
40:34 qui avait fait le voyage jusqu'à Berne pour le rencontrer à l'office des brevets.
40:38 La chose amusante, c'est que, quand cette personne, Max von Loh, arriva à l'office,
40:46 et quand Einstein arriva et passa devant lui,
40:49 von Loh se dit "ça ne peut pas être cet homme, il avait juste 30 ans, vous savez".
40:55 Il n'avait rien d'un vieux professeur pompeux.
40:58 Sa première pensée, telle qu'il la décrit plus tard,
41:02 fut qu'il ne pouvait pas imaginer que c'était la personne qui avait trouvé cette théorie.
41:08 Mais si, c'était lui.
41:11 Max Planck, physicien allemand réputé, rédacteur en chef de la revue Annalen der Physix.
41:17 Albert ne sait pas encore que l'éminent physicien deviendra l'un de ses plus précieux alliés.
41:24 Albert reprend confiance en lui,
41:26 ragaillardi par ses nombreuses correspondances avec d'autres scientifiques,
41:29 il espère toujours trouver un poste universitaire.
41:32 Il réalise ce qu'il a fait.
41:35 Il commence à se dire "avec tout ce que j'ai fait,
41:38 c'est beaucoup beaucoup plus que ce que les professeurs de l'université de Berne ont fait,
41:42 et eux, ils enseignent.
41:45 Quelque chose ne va pas".
41:48 Dans le même temps, il reprend ses recherches, obsédé par une question.
41:53 La gravitation.
41:55 Et si cela le préoccupe, c'est à cause de la relativité restreinte.
41:58 Sa propre théorie a un défaut.
42:00 Elle s'applique uniquement à un univers de corps
42:02 se déplaçant à une vitesse constante dans un espace vide, sans gravitation.
42:07 Einstein voulait simplifier le monde.
42:10 Il voulait formuler les lois de la physique
42:13 de façon à ce qu'elles ne dépendent pas d'un état de mouvement particulier,
42:16 comme l'accélération.
42:18 Il pensait que les lois de la physique devaient être valables
42:22 quelle que soit la perspective selon laquelle on se plaçait.
42:25 Une même théorie devrait donc pouvoir s'appliquer dans tous les univers.
42:31 Il lui faut généraliser la théorie de la relativité restreinte.
42:34 Mais comment faire ?
42:36 Un jour, en 1907, nous sommes toujours à l'office des brevets,
42:40 il regarde par la fenêtre et voit un ouvrier réparer le toit d'un bâtiment juste à côté.
42:45 Et il a alors une pensée terrible.
42:49 Il se dit que se passerait-il si l'ouvrier tombait du toit à travers l'air
42:54 et qu'il y avait son marteau.
42:56 Il ressentirait le monde comme s'il n'y avait pas du tout de gravité.
43:01 Et cela signifie alors que l'accélération,
43:06 quand vous tombez et vous allez de plus en plus vite,
43:09 annule la gravité.
43:11 Einstein imagine alors un ascenseur dans lequel se trouve un homme.
43:17 Si cet ascenseur tombe en chute libre,
43:19 pendant un instant la personne va avoir l'impression de flotter,
43:22 comme s'il n'y avait pas de gravitation,
43:24 avant de se sentir attiré par le sol à cause du champ gravitationnel terrestre.
43:28 Si ce même ascenseur se trouve dans l'espace,
43:31 là où il n'y a aucun champ gravitationnel,
43:33 l'homme va flotter.
43:35 Et si l'ascenseur est soudain tiré par le haut,
43:38 l'homme va soudainement toucher le sol de la cabine.
43:41 Pour l'homme à l'intérieur de cette cabine, à ce moment précis,
43:44 rien ne peut lui indiquer s'il est dans un champ gravitationnel
43:47 ou dans un champ d'accélération.
43:49 Einstein pensait qu'il y avait une équivalence entre la gravité et l'accélération,
43:57 et que la gravité n'était en fait rien de plus qu'une autre forme d'accélération.
44:01 Il appela cela « la pensée la plus heureuse de sa vie ».
44:04 Et c'est aussi une simplification.
44:07 Deux choses deviennent une seule.
44:09 Gravité et accélération sont maintenant une seule et même chose.
44:13 Mais que faire de cette équivalence ?
44:16 Est-ce que cela pourrait permettre à Albert de trouver comment agit la gravitation ?
44:20 Voilà une question intéressante,
44:23 qui va le mener à la théorie de la relativité générale.
44:26 Octobre 1909. Albert est enfin connu et reconnu.
44:34 Il est accepté comme enseignant à l'Université de Zurich,
44:37 et il va pouvoir se consacrer uniquement à ce qui le passionne.
44:42 Et il ne manque pas de s'intéresser à de nombreux sujets scientifiques,
44:46 parfois à des moments bien surprenants.
44:49 Il était invité à donner une conférence
44:53 à la plus importante rencontre de physiciens à cette époque en Europe.
44:58 C'était l'occasion d'être sur scène.
45:05 On lui demanda d'expliquer la théorie de la relativité restreinte.
45:09 Et il répondit, vous savez, je pense que tout est clair,
45:14 et qu'il n'y a pas grand-chose à discuter.
45:17 Je préférerais discuter de quelque chose que je ne comprends pas,
45:21 et que vous non plus, vous ne comprenez pas.
45:24 C'est le problème des radiations que nous devons résoudre.
45:27 Et personne n'a compris ce qu'il disait.
45:30 Il ne proposait pas de solution, il a juste dit, regardez,
45:33 il y a un problème, j'y réfléchis, pourquoi pas vous ?
45:38 Cet emprunt de tant de questionnements,
45:40 qu'il commence à entrevoir la façon dont les éléments
45:43 constitutifs de la généralisation de la théorie de la relativité
45:46 vont se mettre en place.
45:48 Avant Einstein, l'espace était quelque chose de rigide,
45:51 rien ne pouvait le modifier.
45:53 Dans cette théorie, l'espace est un milieu élastique,
45:57 quelque chose que l'on peut déformer.
45:59 Donc Einstein nous dit que la masse, l'énergie,
46:03 par E=mc² des corps, change la géométrie autour d'eux.
46:08 Depuis Newton, on savait qu'un corps qui se déplace dans le vide,
46:13 sans subir aucune interaction, avance à vitesse constante
46:16 sur une trajectoire rectiligne.
46:19 Pour modifier ce mouvement rectiligne uniforme,
46:22 il faut qu'une force entre en action.
46:25 Ici, c'est la force gravitationnelle du Soleil
46:27 qui s'exerce sur la Terre.
46:30 Il semblait donc établi que la Terre tournait autour du Soleil
46:33 à cause de la force gravitationnelle exercée par le Soleil sur la Terre.
46:38 Pour Einstein, il n'y a plus de force gravitationnelle.
46:41 C'est la masse du Soleil qui déforme l'espace-temps,
46:44 un milieu élastique.
46:46 La Terre suit alors une trajectoire
46:48 qui est la plus droite possible dans cet espace déformé.
46:51 Mais à proximité du Soleil,
46:53 la déformation de l'espace-temps imposée par la masse du Soleil
46:56 fait que la Terre a l'air de suivre une trajectoire courbe.
47:01 Dorénavant, la masse change donc l'espace et le temps.
47:06 Mais passer de l'idée à la concrétisation de cette théorie
47:09 n'est pas si simple.
47:11 Albert va consacrer tout le temps disponible à ce problème
47:14 sans grand soutien.
47:16 Pour la majorité des scientifiques,
47:18 la question de la gravitation est réglée depuis Newton.
47:21 Alors pourquoi s'y attarder ?
47:23 Comme d'habitude, Albert s'en tête.
47:26 - Il y a tellement d'exigences pour cette théorie
47:29 qu'il n'arrive pas à les mettre tous ensemble.
47:31 C'est ça qui était techniquement très difficile.
47:33 En plus, il n'y avait pas les outils mathématiques complets
47:36 qui étaient nécessaires à Einstein.
47:38 - Son ami Grossmann lui prête encore une fois main forte.
47:41 Mais cela ne suffit pas.
47:43 Quels sont ces nouveaux outils
47:45 qui vont lui permettre de construire cette théorie ?
47:48 Comment les trouver en étant de plus en plus isolés ?
47:51 La guerre a éclaté.
47:53 - À Berlin, pendant la guerre, dans les années 1914-1915,
47:56 la plupart de ses collègues et certains des plus prestigieux
47:59 comme Max Planck, Nernst, Fritz Haber,
48:02 sont des patriotes convaincus
48:05 qui volent la victoire de l'Allemagne
48:07 et qui font tout pour.
48:09 Einstein, en revanche, il est pacifiste, convaincu
48:12 et donc il considère qu'il est entouré de fous,
48:15 de ces militaristes à tout crin.
48:17 Donc ça doit couper encore plus les communications
48:20 avec ses collègues.
48:22 Donc Einstein s'enferme dans sa bulle.
48:25 - 1915, 8 ans ont passé.
48:28 Albert se consacre maintenant nuit et jour à ses recherches.
48:32 - Ça a été la plus dure période de travail de toute sa vie.
48:37 Plus dure qu'en 1905.
48:40 Mais il résout le problème finalement.
48:43 Il a été capable d'y voir clair
48:46 et de trouver une explication complète de la gravité.
48:49 Une explication qui pouvait remplacer complètement
48:52 celle de Newton.
48:54 Et ça a été, je crois, le plus grand moment de sa carrière,
48:57 peut-être même l'apogée de sa carrière
48:59 et de bien des façons de la physique moderne.
49:02 - Il réalisa que bien qu'il s'agisse d'un travail intellectuel,
49:07 il subissait, comment dire,
49:11 vraiment un très grand stress.
49:16 Un stress presque physique.
49:20 Dans ce sens, ce fut avant tout
49:23 une performance intellectuelle de premier ordre.
49:28 Mais, je ne veux pas exagérer, ça l'a presque tué.
49:33 - Albert, très affaibli,
49:36 a enfin réussi à mettre l'univers en équation.
49:39 (musique)
49:45 Mais une partie de la communauté scientifique
49:47 ne voit pas cette nouvelle théorie d'un bon oeil.
49:50 - Quelque temps après la publication
49:52 de la théorie de la relativité générale,
49:54 beaucoup de physiciens la rejettent
49:56 à cause de ces mathématiques compliquées.
49:58 Ils pensent que la physique ne doit pas être comme ça.
50:01 On ne doit pas avoir besoin de mathématiques de haut niveau.
50:04 On ne doit parler que de forces et d'équations
50:06 que l'on maîtrise complètement.
50:09 - Quelle ironie.
50:11 Ces mêmes mathématiques qui lui ont donné tant de peine
50:14 n'empêchent d'obtenir la reconnaissance
50:16 de certains de ses pairs.
50:18 Qu'importe, Albert, fidèle à lui-même,
50:20 défend ses théories et cherche toujours
50:22 à percer les secrets de l'univers.
50:24 - Avant Einstein, on n'avait jamais osé
50:26 écrire des équations pour décrire
50:28 la structure de tout l'univers,
50:30 c'est-à-dire de toutes les étoiles,
50:33 de toutes les galaxies,
50:35 de l'ensemble de tout l'univers.
50:37 Einstein, en 1917, parce qu'il a créé
50:40 la théorie de la relativité générale,
50:42 se rend compte que cette théorie est à même
50:45 de pouvoir donner un cadre de description
50:48 du cosmos.
50:50 Einstein est donc le créateur
50:53 de la cosmologie scientifique.
50:56 - Il faudra attendre encore quelques années
50:58 pour que la théorie de la relativité générale
51:00 soit propulsée au devant de la scène.
51:03 Albert pensait qu'il était possible
51:05 de prouver la théorie de la relativité générale
51:07 lors d'une éclipse solaire.
51:09 Il pensait qu'à cette seule occasion,
51:11 il serait possible d'observer les rayons lumineux
51:13 d'un groupe d'étoiles déviés par la masse du Soleil
51:16 et donc d'apporter la preuve de la déformation
51:18 de l'espace-temps.
51:20 - Juste après 1919,
51:25 il y a une expédition.
51:27 Un pacifiste britannique nommé Eddington
51:31 veut vérifier les prédictions
51:33 de son collègue pacifiste allemand.
51:36 Il publie les résultats qui montrent
51:38 que les étoiles semblent être repoussées du Soleil
51:40 et obscurcies par la Lune.
51:42 Et le monde devient fou.
51:44 - Il y a eu une annonce dramatique
51:47 à la Société royale des sciences de Londres
51:54 dans laquelle les Anglais,
51:56 alors qu'ils sortaient d'une guerre meurtrière
51:59 avec les Allemands,
52:00 annonçaient que la plus grande théorie
52:02 créée par le plus grand génie anglais
52:04 depuis des siècles, Newton,
52:05 était mise à bas par une théorie
52:07 créée par un Allemand,
52:09 le peuple ennemi que l'on venait de battre.
52:12 - Soudain, Einstein est en couverture
52:15 de tous les journaux à travers le monde.
52:17 Les titres disent "Le ciel expliqué",
52:19 "Les étoiles sont courbées".
52:21 C'est un moment extraordinaire
52:23 de ceux qui captivent les gens
52:25 épuisés et traumatisés par la guerre.
52:28 Soudain, ils peuvent regarder quelque chose dans les cieux.
52:31 En une seule nuit,
52:33 Einstein devient le plus grand physicien,
52:35 le plus célèbre physicien au monde.
52:38 - C'est finalement en 1921
52:40 qu'Albert recevra le prix Nobel
52:42 pour une découverte d'une tout aussi grande importance
52:45 et rédigée également en 1905.
52:48 L'effet photoélectrique.
52:50 Mais c'est une autre histoire.
52:52 - Vous vous imaginez que je regarde l'œuvre de ma vie
52:59 avec une calme satisfaction ?
53:01 Mais vu de près, il n'en est rien.
53:04 Il n'y a pas un seul concept dont je sois convaincu
53:07 qu'il résistera.
53:09 Et je me demande même
53:11 si je suis sur la bonne voie.
53:15 Sous-titrage Société Radio-Canada
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