Tout le monde la croyait folle, Victime d'un terrible secret de famille

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Pendant 40 ans Rozenn est passée pour folle aux yeux de tous, pourtant il n'en est rien. Elle n'est pas folle, elle est la victime d'un terrible secret de famille
Transcript
00:00 Pendant 40 ans, Rosen est passée pour folle aux yeux de tous.
00:09 Pourtant, il n'en est rien.
00:10 Rosen n'est pas folle.
00:12 Elle est la victime d'un terrible secret de famille.
00:15 J'ai conscience que cette histoire a un aspect incroyable.
00:19 Tout s'éclaire.
00:23 Tout prend sens.
00:25 C'est terrible, parce que tout prend sens et en même temps je me dis mais c'est pas
00:31 possible.
00:32 On nous a tout pris, on nous a dépouillés, on nous a pris 40 ans d'amour, 40 ans de
00:37 vie.
00:38 Rosen est née à Paris le 17 mars 1960.
00:44 Elle n'a qu'une certitude, sa date de naissance.
00:48 Pour le reste, elle ne sait rien.
00:50 Elle s'interroge.
00:51 Des doutes, des questions qui la hantent depuis l'enfance.
00:54 Le poids d'un secret de famille qui va la conduire au bord du suicide et de la folie.
01:00 Confrontée au non-dit depuis toujours, Rosen subit un électrochoc le 17 mars 1985.
01:09 A 25 ans, le jour de mon anniversaire, j'ai fait une crise d'angoisse, une attaque de
01:20 panique comme celle que je faisais quand j'étais enfant.
01:23 Et j'ai été tellement mal que j'ai cru que j'allais pour échapper à la souffrance
01:27 psychique et sauter par la fenêtre.
01:30 Le médecin est arrivé et il m'a trouvé dans un état vraiment de très grande souffrance,
01:36 de grande agitation.
01:37 Et il m'a demandé ce qu'évoquait pour moi l'anniversaire et la naissance.
01:44 Et je n'ai pas su lui répondre.
01:51 J'ai vécu dans le 13e arrondissement jusqu'à l'âge de 4 ans et demi.
01:57 Avec ceux que j'appelle aujourd'hui le père, la mère, parce que je ne peux plus les appeler
02:10 papa, maman.
02:11 Ce père et cette mère, comme elle les appelle, vont élever Rosen.
02:17 Lui est ébéniste, elle est secrétaire au Palais de justice de Paris.
02:22 Ils sont accaparés par leur travail et très vite, ils décident de confier Rosen à une
02:26 nourrice.
02:27 Elle s'appelle Antonia.
02:29 Antonia s'est occupée de moi jusqu'à mes 4 ans.
02:34 C'était une jeune fille qui était très douce, qui m'aimait beaucoup.
02:39 Ça m'a quand même beaucoup aidée à compenser sur toutes les difficultés relationnelles
02:45 avec la mère et sa brutalité.
02:47 C'était une enfant facile.
02:53 Elle avait plutôt intérêt parce que la mère n'était pas toujours très tendre avec elle.
02:58 Elle l'attrapait, elle la flanquait dans son lit de la porte au lit.
03:02 Et j'ai eu plus d'une fois peur parce que la fenêtre étant à côté, je me suis dit
03:06 si elle loupe son cou, la gosse, elle passe par la fenêtre.
03:09 Plus Rosen grandit, plus les brimades, les vexations et les humiliations se multiplient.
03:15 Rosen souffre en silence.
03:18 Les punitions, ça pouvait être enfermé au pain sec et à l'eau pendant un week-end.
03:22 C'était pas seulement les coups.
03:23 Je le lui ai dit un jour et ils m'ont répondu tous les deux, tu n'aimes pas ton papa, tu
03:30 t'en vas.
03:31 J'avais 3 ans et ils m'ont mise sur le palier avec une petite valise de poupée qu'ils ont
03:37 vidée.
03:38 Ils m'ont dit tu t'en vas.
03:40 Et je me suis retrouvée sur le palier, dans un premier temps très fâchée contre eux
03:46 en me disant mais qui sont ces gens pour oser me mettre sur le palier.
03:49 Et puis petit à petit, la colère a fait place à l'angoisse parce que je me suis réalisée
03:55 que sans eux, finalement, je n'étais pas grand-chose.
03:57 J'ai gardé de cet épisode le sentiment qu'on pouvait m'abandonner d'un moment à l'autre.
04:02 J'ai donné tout ce que j'ai pu en tant qu'affection, la consolant parce que même toute petite,
04:11 elle avait des temps où elle était silencieuse.
04:15 C'est vrai que si je regarde un petit peu tout ça aujourd'hui, je me dis bon, c'est
04:22 effectivement son caractère un peu calme.
04:25 Mais est-ce qu'elle était si calme que ça ?
04:27 J'ai été une petite fille qui s'est très tôt questionnée.
04:36 Très tôt, j'ai eu dans ma vie le sentiment que quelque chose ne tournait pas rond.
04:41 J'avais souvent questionné la mère au sujet de ma naissance.
04:45 Tous les enfants sont friands de savoir ce qui s'est passé à leur origine et qui posent
04:53 ces questions à leurs parents.
04:55 Comment c'était quand vous m'attendiez ? Comment c'était quand j'étais dans ton
04:58 ventre ? J'avais des doutes, le concernant lui, puisque
05:05 je suis née à une période où il était censé être en Algérie.
05:12 Et ces questions appelaient à une telle, ce n'est même pas une réticence, c'est
05:18 presque un rejet, que j'en avais fini par me dire bon, je suis née en 60, elle s'est
05:26 mariée en 62, ça veut dire qu'elle a été pendant deux ans mère célibataire, elle
05:31 en a honte.
05:32 Je suis un sujet de honte, c'est pour ça qu'elle ne veut pas en parler.
05:33 Le doute s'est nourri, il s'est construit tout au long de mon enfance, mon adolescence,
05:40 ma vie de jeune femme.
05:41 Pendant son enfance, Rosen s'interroge sur ses origines.
05:45 Pourtant, sa mère lui répond invariablement qu'il n'y a aucun doute.
05:50 Rosen est bien sa fille, une version à laquelle elle ne croit pas.
05:54 Privée d'amour, Rosen va alors se perdre.
05:57 A l'adolescence, mal dans sa peau, elle collectionne les aventures.
06:01 Bien évidemment, ce n'est pas de l'amour que je trouvais, c'était même tout le
06:08 contraire, parce que ce sont des prédateurs que je rencontrais.
06:13 Et dans ces rencontres, finalement, je me suis abîmée.
06:22 Quand j'ai eu 15 ans, j'ai rencontré le papa de mon fils.
06:30 Annoncer ma grossesse a été un exercice très périlleux, parce que j'avais très
06:39 peur de la brutalité du père.
06:41 J'avais été suffisamment cognée pour savoir que les coups, ça fait très mal,
06:47 autant que les paroles.
06:48 Mais là, physiquement, je me sentais quand même en charge d'âme.
06:52 Et donc, j'avais très peur pour moi autant que pour mon bébé.
06:56 Donc, un soir, je me suis enfermée dans les toilettes.
07:00 Et c'est enfermée dans les toilettes que j'ai crié à travers la porte que j'attendais
07:04 un bébé.
07:05 Aussi curieux que ça puisse paraître, j'étais heureuse d'être enceinte.
07:10 Je voulais mon enfant.
07:13 J'ai dû résister à de nombreuses pressions pour ne pas avorter, pour ne pas l'abandonner.
07:18 Un soir, la mère proposait de lui donner mon enfant.
07:23 Je n'ai pas compris sur le moment, je n'ai pas compris de quoi elle me parlait.
07:28 Et donc là, elle me met les points sur l'aîné.
07:32 Elle me dit, écoute, oui, c'est simple, tu pars en province quelque temps et quand
07:35 tu reviens, tu seras sa grande sœur.
07:37 Sa mère va aller jusqu'à lui demander de lui donner son enfant.
07:44 Qu'est-ce qui peut se passer dans la tête d'une maman pour proposer une telle chose
07:47 à sa fille ?
07:48 Alors, vous voyez, Rosane pressent qu'on lui cache quelque chose.
07:51 Elle ne sait pas encore quoi, mais elle le pressent.
07:53 Et au moment où elle a son bébé, sa mère, sans lui poser de questions, sans discuter
07:57 avec elle, lui propose tout d'un coup un mensonge, une complicité de secret.
08:02 Et alors, c'est très intéressant parce que très souvent, justement, on s'aperçoit
08:05 que quand il y a un secret dans une famille, le procédé utilisé par les gens qui ont
08:10 fabriqué ce secret, c'est de fabriquer de nouveaux secrets en rendant complices leurs
08:14 premières victimes.
08:15 Ce qui fait qu'après, la victime se trouve tellement ficelée dans un secret qu'elle
08:19 n'a plus aucun moyen d'énouer le premier.
08:22 Et donc, j'irais même jusqu'à dire que quand quelqu'un vous propose un tel secret,
08:25 il faut tout de suite avoir le réflexe de se dire, mais quand même, il doit y en avoir
08:28 un autre derrière.
08:29 Rosane est persuadée que ses parents lui cachent quelque chose.
08:38 Mais la naissance de son fils lui permet de mettre momentanément ses doutes de côté.
08:42 Rosane élève son fils, jusqu'aux 3 ans de Thibault, tout se passe bien.
08:46 Et puis ses angoisses la rattrapent.
08:48 Qui est-elle ? Rosane se sent de plus en plus mal.
08:51 Vers 18 ans, 19 ans, j'ai commencé à perdre le contact avec mon enfant.
08:58 C'est quelque chose qui s'est mis à polluer finalement toute ma vie.
09:06 Mais comme lui vivait avec moi, je pense que c'est lui qui en a très tôt souffert le
09:12 plus.
09:13 Pour l'amant, c'était encore une époque où ça allait bien.
09:19 Même si elle avait des doutes, elle vivait quand même.
09:21 Elle avait des amis, elle travaillait.
09:23 C'était une époque heureuse, on va dire.
09:28 À 30 ans, je suis tombée très malade.
09:36 D'attaque, de panique, en crise d'angoisse, en tentative de suicide.
09:40 Je me suis retrouvée en hôpital psychiatrique.
09:43 J'ai l'impression que toute ma vie s'était rétrécie jusqu'à devenir une seule question,
09:51 une litanie.
09:53 Mais qui suis-je ? Et si je suis bien sa fille, si je suis bien leur fille, alors pourquoi
09:58 je suis folle ? Et si je suis folle, j'ai plus qu'à mourir parce que ma vie ne sert
10:04 à rien.
10:05 Je suis en train de pourrir la vie de mon fils.
10:08 Il vaut mieux que je disparaisse.
10:10 J'avais 12 ans, 13 ans à l'époque.
10:17 Je crois que ça a duré un bon mois à peu près, voire deux mois.
10:21 J'ai été chez ma grand-mère.
10:23 C'était une époque où c'était tendu avec ma maman.
10:26 J'étais un jeune adolescent, ce n'était pas facile.
10:29 À ce moment-là, j'étais heureux d'être chez ma grand-mère parce que c'était plus
10:34 simple et en même temps, je me rendais compte quand même que ma maman était à l'hôpital,
10:37 mais je ne comprenais pas pourquoi.
10:39 Du coup, je crois que j'ai dû aussi faire un certain blocage, me protéger de tout ça.
10:48 Les médecins à qui j'avais fait part de mon vécu ont convoqué la mère.
10:54 Les médecins lui ont dit « votre fille est en très grande souffrance.
11:05 Elle se pose des questions sur ses origines.
11:09 Si on n'y répond pas, elle va se suicider ou elle va se laisser dépérir.
11:12 La dépression va l'emporter.
11:13 Donc madame, nous pour la soigner, on a besoin de savoir.
11:20 » Elle a dit aux médecins « enfin, ma fille est complètement folle.
11:24 Elle continue de croire qu'on lui ment ou qu'il y a des doutes à avoir sur ses origines.
11:30 Je suis sa mère.
11:32 » Les médecins se sont fiés à sa parole et moi, j'ai été soignée pour paranoïa.
11:41 Pour les médecins, Rosen n'a aucune raison de douter de ses origines.
11:46 Pendant deux mois, elle est internée, puis placée sous surveillance.
11:51 Ce suivi médical va durer pendant près de dix ans.
11:55 Puis peu à peu, Rosen retrouve une vie sociale et professionnelle.
11:58 Lentement, elle refait surface.
12:01 Les choses sont allées comme ça, tranquillement, jusqu'en 2000.
12:07 En 2000, j'ai eu 40 ans.
12:10 Je m'étais tellement bien reconstruite grâce à ma thérapie que j'en étais venue
12:14 à me dire « mais il y en a marre de croire que je suis folle.
12:18 Ça commence à bien faire.
12:20 Je vais aller mettre de l'ordre dans tout ça.
12:22 » Donc, je prends mon téléphone et j'appelle
12:26 Antonia et je lui dis « écoute, il faut que je te voie, il faut qu'on se parle.
12:30 » Là, il y a eu un grand blanc au téléphone et Antonia me dit « écoute, oui, j'ai
12:36 des choses à te dire.
12:37 Avant d'aller la voir, je vais quand même appeler la mère.
12:41 Je lui dis « écoute, voilà, j'ai eu un coup de fil de Rosen.
12:45 Il faut que tu aies une conversation avec elle.
12:48 » Elle me répond textuellement et ça m'est resté.
12:51 « Écoute, tu te débrouilles avec elle puisque c'est toujours toi qui as compté le plus
12:58 pour elle.
12:59 Si elle a besoin de savoir la vérité, tu lui dis la vérité, je te donne le feu vert.
13:04 » Le 30 mai 2000, elle est venue.
13:12 Je sonne à l'interphone, angoissée, mal dans ma peau, comme jamais j'ai été de
13:19 ma vie, ça c'est sûr.
13:21 Et je m'accrochais à ce feu vert.
13:24 Elle s'installe.
13:25 Bon, je propose des jus de fruits parce que je sentais que les gorges étaient sèches.
13:29 Moi-même, je n'étais pas très bien.
13:34 Et elle me dit « qu'est-ce que tu veux savoir ? »
13:40 « Je pense que tu veux une certaine vérité.
13:43 Et la vérité, je vais te la donner.
13:46 Le père n'est pas ton père.
13:51 » Et là, elle me dit « mais effectivement,
13:54 tu n'es pas sa fille à lui.
13:56 » Alors sur le coup, je me suis dit « bon, c'est pas très grave, c'est que ça,
14:00 c'est pas très grave.
14:01 Finalement, c'était beaucoup de bruit pour rien.
14:02 Ce n'est pas une catastrophe.
14:04 » Mais au même moment, elle ajoute « elle non plus n'est pas ta mère.
14:12 » Et là, si vous voulez, je me suis précipitée
14:15 à ses genoux.
14:16 Je lui ai demandé pardon.
14:22 Elle est restée stoïque.
14:28 Je lui ai dit « mais tu n'as pas à t'en vouloir.
14:30 » Je lui ai dit « maintenant, il faut tout me dire.
14:33 » Et à partir de cette phrase-là, j'ai pu
14:35 lui dévoiler ce que je connaissais.
14:38 « Tu es arrivé un bonjour au patronage, dans les bras de la mère.
14:43 Tu avais une dizaine de jours.
14:44 Elle voulait donner un sens à sa vie.
14:46 Et la religieuse nous a présenté, comme le bébé, que la mère avait adopté.
14:53 » La mère m'a raconté que j'étais un enfant
15:00 né sous X, abandonné par sa maman.
15:02 Elle m'a dit autre chose, mais je ne l'ai pas entendue.
15:08 « Ta maman est revenue lorsque tu avais à peu près 5 ans.
15:14 » Je lui explique que le père et la mère disaient
15:17 qu'il y avait eu un procès.
15:18 Et ça, je ne l'ai pas entendue parce que j'ai été pulvérisée par ces mots « tu
15:28 as été abandonné, ta maman t'a abandonné.
15:30 » C'est quelque chose que je ne pouvais pas entendre.
15:32 Il fallait que je prévienne mon fils.
15:33 Et là, je me suis dit « comment je vais annoncer ça à mon enfant ? »
15:42 « Ma mère, elle ne sait pas qui elle est et d'où elle vient.
15:46 » Ma maman m'a appelée pour me dire qu'elle
15:50 avait quelque chose d'important à me dire.
15:51 Ce jour-là, je dois dire que je m'attendais à quelque chose de gros, mais d'aussi énorme.
16:00 C'était quand même assez surréaliste.
16:04 Et en même temps, c'était quand même un grand soulagement de savoir qu'on n'était
16:07 pas issus de cette famille.
16:08 Et puis enfin, ces doutes étaient fondés.
16:13 Ma maman n'était pas folle.
16:15 Le monde ne s'est pas effondré, simplement, il a été éclairé.
16:23 À partir de cette date-là, c'est comme si j'étais sur les rails de ma vraie vie.
16:27 La main de mon enfant, à ce moment-là, je l'ai récupérée.
16:30 Et depuis, nous n'avons pas cessé de marcher ensemble.
16:38 J'ai redevenu sa maman.
16:39 Le mérite de la révélation, ça a été de pouvoir me dire que je n'étais pas folle.
16:45 On me faisait passer pour folle.
16:47 J'ai été soignée pour paranoïa, mais je n'étais pas paranoïaque du tout.
16:51 J'avais raison d'avoir des doutes.
16:53 Parce qu'on l'accusait de folle, mais en fait, elle n'était pas folle du tout.
17:00 C'était sa chair qui souffrait.
17:02 Ce n'était pas du tout elle qui était atteinte.
17:05 D'ailleurs, intelligente comme elle est, elle était loin de la folie.
17:09 Enfin, Rosen entend la vérité sur son histoire.
17:16 Est-ce qu'on peut parler réellement de révélation ?
17:19 Puisqu'elle a des mots très forts, elle dit "je le savais".
17:21 Rosen est dans une situation très particulière.
17:23 C'est-à-dire qu'on lui cache non seulement quelque chose d'important,
17:27 mais en plus, on lui cache qu'on lui cache quelque chose.
17:29 Sa mère lui dit "on ne te cache rien".
17:31 On s'aperçoit que c'est ça la situation la plus difficile.
17:34 Rosen est traité pour paranoïa pendant près de 10 ans.
17:36 A priori, ça aurait pu suffire pour la rendre folle.
17:39 Rosen était victime d'une vraie violence de la part de sa mère.
17:42 Elle avait raison de se sentir persécutée.
17:44 Mais les médecins ne pouvaient pas le savoir.
17:46 Elle n'était pas détectée, oui.
17:47 Donc, elle est soignée pour paranoïa, mais en même temps,
17:50 elle a eu pas seulement des médicaments, elle a eu une thérapie.
17:52 Et pour moi, il se passe quelque chose de très important.
17:55 C'est que dans la paranoïa, on a un adversaire, toujours le même.
18:01 Mais après la fin de son traitement, Rosen va changer d'interlocuteur.
18:06 Elle ne va plus poser toujours sa question à sa mère,
18:09 ce qui fait dire aux médecins qu'elle a eu un lien paranoïaque à sa mère,
18:12 mais elle va poser la question à sa nounou.
18:13 Et extraordinaire, la nounou va répondre.
18:16 La mère a une attitude qui peut paraître étrange.
18:18 Elle ne veut pas dire elle-même, mais elle dit à la nounou "tu peux tout raconter".
18:22 Alors, on se dit "mais pourquoi elle ne le dit pas elle-même ?"
18:24 Ça, c'est très intéressant.
18:25 C'est que souvent, on s'aperçoit que dans les secrets de famille,
18:28 le secret est gardé parce que la personne qui le garde ne peut pas en parler.
18:33 Et elle ne s'oppose pas forcément à ce que quelqu'un d'autre en parle.
18:36 Ce qui va sauver Rosen, c'est quand elle va accepter de décoller ce lien morbide
18:42 qu'elle avait avec sa mère, de toujours revenir vers elle,
18:44 "non maman, dis-moi la vérité, dis-moi la vérité",
18:46 quand elle va décoller ce lien et s'adresser à une autre personne,
18:49 ce qu'on appelle un tiers, on quitte la relation à deux,
18:52 on s'adresse à une troisième personne, la nounou,
18:54 et là, elle va découvrir ce qui a présidé à sa naissance.
18:58 "Lacus sinus et effusinus, et effusinus."
19:06 La vérité vient d'éclater au grand jour.
19:08 Non seulement son père n'est pas son père biologique,
19:11 mais sa mère n'est pas non plus sa mère biologique.
19:15 Une révélation qui ne permet pas à Rosen d'entendre une information cruciale.
19:20 Je me souviens de la phrase d'Antonia, "ta maman est revenue",
19:23 alors d'où, je ne savais pas, "ta maman est revenue",
19:27 et elle a fait un procès pour te reprendre.
19:30 J'ai commencé mes recherches pour retrouver ma mère.
19:34 Ce qui a un petit peu dénoué les choses,
19:37 c'est que l'avocate qui me suivait à ce moment-là,
19:40 a proposé d'écrire une lettre à celle qui se faisait passer pour ma mère,
19:45 en la sommant, de donner le nom de ma mère biologique.
19:49 Bon, moi je n'y croyais pas du tout,
19:51 et en fait, contre toute attente, suite à cette lettre d'avocat,
19:56 la mère a donné le nom de ma maman.
19:59 Voilà, c'est comme ça que j'ai su que maman s'appelait Simone Monro,
20:03 et ça a été à nouveau le début de mes ennuis,
20:05 parce que des Simone Monro, il y en a beaucoup en France.
20:09 Pour retrouver sa mère, Rosen fait appel à une généalogiste.
20:14 Elle s'appelle Anne-Sophie Chevalier.
20:17 En quelques semaines, celle-ci retrouve la trace de Simone Monro,
20:20 mais elle n'a pas l'autorisation de révéler son adresse à Rosen.
20:24 Reste alors une seule solution, lui écrire un courrier.
20:28 - J'ai pesé chaque mot.
20:33 Je l'ai refaite je ne sais combien de fois. Que dire ?
20:36 Que ne pas dire à cette femme, pour ne pas l'effrayer,
20:40 pour ne pas la détourner de moi, pour ne pas la culpabiliser,
20:43 pour ne pas attenter à l'équilibre qu'elle avait pu retrouver ?
20:47 Je ne savais rien d'elle.
20:50 Je l'ai remise à Mme Chevalier,
20:55 qui m'a dit, voilà, maintenant, on essaye d'attendre sereinement.
21:02 Le mardi 18 décembre, j'arrive sur mon lieu de travail,
21:07 et là la directrice me prévient qu'on me demande au téléphone.
21:11 Et là j'entends la voix de Mme Chevalier qui me dit,
21:14 bon voilà, je viens d'avoir votre maman au téléphone,
21:17 tout va très bien, et elle vous appelle ce soir.
21:21 Là où j'ai raccroché, j'avais vraiment beaucoup de mal à contenir les battements de mon cœur.
21:28 J'aurais dû rentrer en courant à la maison, j'aurais dû tout planter,
21:32 et finalement il n'y a plus que ma mère qui comptait.
21:33 Et au lieu de ça, je me suis vraiment très consciencieusement acquittée de ma journée de travail.
21:38 J'ai juste demandé à quitter mon poste dix minutes plus tôt.
21:42 Et quand je suis rentrée à la maison, j'ai trouvé sur mon répondeur trois messages.
21:48 Donc je compose un numéro, et là j'entends une voix,
21:54 une voix rapeuse, essoufflée, la voix de quelqu'un de malade.
21:58 Et ce n'est pas du tout la voix que j'avais imaginée de ma maman,
22:01 parce que pendant tous les mois où je l'ai cherchée,
22:04 j'ai eu le temps d'imaginer beaucoup de choses.
22:06 Et donc là, je me suis sentie très démunie,
22:10 je lui ai dit "Voilà madame, je suis votre fille".
22:15 Je pense qu'on était aussi intimidés et maladroites l'une que l'autre,
22:21 mais tellement heureuses, tellement heureuses.
22:24 Et là, je me mets à pleurer, ma mère me dit "Écoute, non, tu ne pleures pas,
22:28 parce que si toi tu pleures maintenant, moi je m'effondre".
22:32 Et je lui ai dit "Écoute, est-ce que vous me...
22:35 Tu, tu me dis tu, je t'ai dit de dire tu, est-ce que tu veux bien m'expliquer
22:39 pourquoi tu as été m'amener à m'abandonner, qu'est-ce qui s'est passé, voilà je...
22:43 Et là, ma mère s'est mise à crier, elle me dit "Je ne t'ai jamais abandonné,
22:47 je suis tombée dans un guet-apens, tu as été volée".
22:50 Et à partir de là, elle m'a raconté toute l'histoire.
22:53 Ma mère m'a expliqué que quand elle m'attendait,
23:06 elle avait la tuberculose, elle m'a raconté que,
23:11 pour notre malheur à tous,
23:15 elle avait rencontré à l'hôpital une religieuse, donc sœur Annette.
23:20 Et la sœur lui dit "Mais non, non, il ne faut pas vous séparer de votre bébé,
23:25 il ne faut pas l'envoyer en pouponnière, d'abord vous auriez beaucoup de mal à le récupérer.
23:29 Moi je vais me charger de la situation, partez vous soigner, moi je m'occupe de tout,
23:33 je vais trouver à ce bébé une bonne marraine,
23:38 qui prendra soin de lui pendant le temps où vous serez en sanatorium.
23:42 Et comme ça quand vous revenez, vous récupérez votre bébé".
23:46 Ce que ma mère n'a pas su, c'est que la religieuse,
23:54 avec des complicités de l'hôpital, a organisé une fraude
23:59 pour pouvoir me voler à ma mère, en espérant que ma mère ne reviendrait pas vivante de sanatorium,
24:06 et que donc le bébé serait volé sans que personne ne soit inquiété.
24:16 Il faut dire que tout a été organisé avant ma naissance,
24:20 la fraude a été organisée avant ma naissance.
24:24 J'ai été un bébé repéré dans l'œuf.
24:28 Sœur Annette a fait rencontrer à ma mère,
24:34 celle qui allait devenir ma marraine,
24:38 et qui ensuite est devenue la femme qui s'est fait passer pour ma mère.
24:45 Au moment où ma mère me parle, tout s'éclaire, tout prend sens.
24:52 Je l'écoute parler, elle a hâte de parler, elle a envie de parler,
24:56 on sent qu'elle a contenu tout ce qu'elle a pu dire.
25:00 Je l'écoute parler, elle a hâte de parler, elle a envie de parler,
25:04 on sent qu'elle a contenu tout ce qu'elle a pu dire.
25:08 C'est terrible, parce que tout prend sens, et en même temps je me dis mais c'est pas possible.
25:14 On nous a tout pris, on nous a dépouillés, on nous a pris 40 ans d'amour, 40 ans de vie.
25:20 Moi on m'a traité comme un objet, on m'a volé, mais c'est pas possible.
25:25 C'est pas possible.
25:28 Elle me dit plusieurs fois "je suis tombée dans un gâtapon".
25:32 Alors, moi à un moment je lui dis "bon mais...
25:38 mais quand tu es revenue de sanatorium, tu n'as pas voulu me reprendre,
25:43 et c'est là que je suis tombée dans un gâtapon".
25:46 Et elle me dit "mais c'est pas possible, c'est pas possible".
25:50 Et je lui dis "mais c'est pas possible, c'est pas possible".
25:54 "Venue de sanatorium, tu n'as pas voulu me reprendre".
25:57 Et c'est là où elle me dit "mais si, dans un premier temps, je suis allée voir ta marraine,
26:04 qui m'a dit "mais non, moi je l'ai reconnue, cet enfant maintenant c'est ma fille, moi je la rends pas".
26:08 Elle m'a dit "j'ai cru que j'étais dans un mauvais rêve".
26:12 Quand elle m'annonce que finalement, après toutes ces démarches,
26:16 elle apprend qu'elle a été volée, et non pas abandonnée,
26:19 je ne comprends pas du tout de quoi il s'agit.
26:24 Et là, elle m'explique son histoire.
26:26 Et c'est vrai que moi, si vous voulez, je ne pouvais pas croire
26:30 que des gens soient capables d'aller jusqu'au bout de telles horreurs.
26:33 - Audilora, merci d'être venue témoigner ce soir.
26:41 Vous êtes amie de Rosen et juriste, spécialiste du droit de la famille et de la filiation.
26:45 Je voudrais revenir juste sur un point juridique que j'ignorais.
26:48 Rosen est donc née d'un amour adultérin.
26:51 Qu'est-ce que cela signifie en 1960 ?
26:54 - On se situe avant la réforme de 1972.
26:57 À cette époque, il était interdit de reconnaître un enfant adultérin.
27:01 Une reconnaissance, si elle avait été faite, aurait été annulée.
27:04 Mais il est très important de souligner que la maman de Rosen
27:08 avait fait exactement ce qu'il fallait pour que la filiation soit établie avec son enfant.
27:13 - À savoir ?
27:14 - Elle était en instance de divorce avec son mari.
27:17 Ils étaient séparés déjà depuis longtemps.
27:19 Elle était enceinte de ce que son mari n'ignorait pas et d'un autre, évidemment.
27:23 Et lorsqu'elle était à l'hôpital, elle a indiqué son nom.
27:27 Il n'a jamais été question pour elle d'abandonner son enfant.
27:30 Elle a indiqué son nom et le nom de son époux.
27:33 Ce qui était essentiel pour que l'enfant soit déclaré en tant qu'enfant né de ce mariage.
27:41 De cette façon-là, l'enfant aurait été dans un premier temps considéré comme légitime.
27:45 Et le désaveu du mari aurait bien entendu détruit la filiation paternelle.
27:51 Mais la filiation maternelle serait restée établie.
27:54 - Alors Rosen parle de fraude. En quoi cette fraude aurait-elle précisément consisté ?
27:59 - Sur le registre de l'accouchement, des accouchements de cet hôpital parisien,
28:04 la maman de Rosen apparaît avec son identité, Madame Monroe épouse un tel,
28:11 ayant donné naissance à tel enfant, tel bébé, né à telle heure, tel poids, etc.
28:16 Et sur le registre des naissances, le même jour,
28:21 mais c'est normal que l'hôpital remplisse les deux registres,
28:23 normalement le registre des naissances est la reproduction fidèle
28:26 de ce qu'il y a sur le registre des accouchements.
28:29 Sur le registre des naissances, cet enfant apparaît né sous X.
28:33 Donc lorsque la mère est partie en sanatorium, je parle de la vraie maman de Rosen,
28:38 pour elle la filiation était établie.
28:40 - Elle avait donné tous les éléments.
28:42 Elle confiait ce bébé à une marraine, il était donc assez logique
28:45 que la marraine sorte de l'hôpital avec l'enfant sous le bras,
28:48 ça en soi c'est pas choquant puisqu'elle le lui confiait.
28:51 Mais elle pensait qu'en revenant du sanatorium,
28:53 elle n'aurait aucun mal à récupérer cet enfant.
28:57 - Vous dites le roi, le vol d'enfant est encore possible aujourd'hui ?
29:01 - Le vol d'enfant est encore possible, on en a eu des exemples dans l'actualité
29:04 au XXIe siècle et même en région parisienne.
29:07 Ça peut paraître tout à fait étonnant, mais bien sûr c'est encore possible.
29:11 Alors la technique de l'accouchement sous X, puisqu'il fait disparaître finalement
29:16 la mère biologique qui est censée n'avoir jamais accouché,
29:19 est une procédure qui est justifiée en censée par certains,
29:24 mais qui effectivement peut faciliter ces fraudes.
29:28 - Oui, c'est rapide.
29:34 - Rosenne n'a toujours pas vu sa mère, mais elle connaît maintenant sa véritable histoire.
29:40 Lui ressemble-t-elle ? Quel est son parfum ?
29:43 Rosenne va enfin savoir.
29:45 Elle va vivre l'un des moments les plus forts de sa vie.
29:49 Mais comment rattraper 40 ans d'absence ?
29:53 - Je lui ai parlé au téléphone le 18 décembre, c'est le 4 janvier
30:00 que nous nous sommes rencontrés pour la première fois.
30:04 Toutes mes frustrations d'enfant, le manque de câlins, le manque de bisous,
30:09 ça ne demandait qu'à sortir.
30:11 Ce qui fait qu'il y a eu un moment où j'ai cru que ma mère,
30:14 j'allais la prendre dans mes bras, j'allais...
30:17 J'ai vraiment une sensation, je crois que ma mère...
30:20 J'aurais voulu la sniffer ma mère, la prendre comme ça,
30:24 sniffer ma mère.
30:26 Et en face de moi, j'avais une mère qui avait envie de prendre son enfant,
30:32 son bébé.
30:34 Donc à un moment donné, nous sommes tombés dans les bras l'un de l'autre
30:37 et nous nous sommes sniffés.
30:39 C'est vraiment l'aspect très animal qui a parlé à ce moment-là.
30:44 Je me suis rendue compte, ne serait-ce que par ma ressemblance physique avec ma maman,
30:49 qu'enfin, je pouvais charnellement me raccrocher à quelque chose.
30:53 - C'était assez fort de pouvoir...
30:56 être dans sa vraie famille biologique.
31:00 - Très rapidement, quand on les a vus, nos discussions, nos centres d'intérêt,
31:04 nos façons de penser nous ont montré que nous étions du même sang,
31:08 ce qui n'était pas le cas du tout de ma pseudo-famille.
31:11 J'étais soulagé, quelque part, de me dire, mes origines biologiques sont belles.
31:18 Parce qu'aussi, ma vraie grand-mère, quelque part, je la trouvais plus belle
31:22 et le reste de ma famille plus belle que mon autre famille.
31:27 Peu de temps après...
31:30 Maman, qui était très mal en point quand je l'ai retrouvée,
31:37 maman a découvert qu'elle avait un nouveau problème de santé,
31:43 qu'il l'a emporté au mois de mai,
31:48 ce qui signifie que j'ai connu ma mère en tout et pour tout six mois.
31:56 Ce décès...
31:59 qui me faisait perdre ma mère une deuxième fois,
32:05 m'a été intolérable au point que...
32:10 j'ai pensé...
32:14 à nouveau au suicide.
32:18 Si personne ne me sortait de cette fraude,
32:25 si la justice ne pouvait pas me rendre ma filiation et mon nom.
32:31 La mort de Simone Monnereau, sa mère réveille en Rosenne un besoin vital de justice.
32:40 La reconnaissance de Simone Monnereau comme sa vraie mère,
32:44 seule maître Nathalie Roy-Guignout, accepte de livrer bataille à ses côtés.
32:48 Lors du procès, elle revoit "la mère", comme elle l'appelle, pour la première fois.
32:53 Une nouvelle épreuve pour Rosenne.
32:56 Dans le cadre de la confrontation, la fausse mère était présente,
33:06 assistée de son avocat, j'assistais Rosenne.
33:10 Ce qui a été le plus marquant, c'était véritablement le manque d'humanité de cette femme,
33:21 qui savait très bien que Rosenne n'était pas sa fille.
33:24 La mère était placée derrière moi, sur la gauche,
33:28 et je sentais la haine dans mon dos.
33:32 Et c'était tellement insupportable que j'ai dû sortir.
33:35 Les images que je peux avoir en tête, c'est aussi la pseudo-famille.
33:42 Je ne les avais pas revues depuis dix ans, et en fin de compte,
33:45 quand je les ai vues attendre sur le banc extérieur, en dehors de la salle,
33:53 je me suis dit "effectivement, ils n'ont pas changé,
33:55 c'est d'autant plus flagrant qu'on n'est pas de leur famille".
33:58 Et puis de leur part, aucune empathie, aucun signe, aucune tentative pour discuter.
34:05 Donc j'ai des images comme ça, assez nettes,
34:10 de cette famille qui était piteuse, qui était coupable déjà,
34:16 et qui manquait d'humanité, en fin de compte.
34:20 À un moment donné, mon fils a entrebâillé la porte,
34:23 et il m'a dit "viens vite, maître roi Guinehu te veut que tu sois là".
34:28 Je lui ai dit "il se passe quelque chose d'important,
34:31 donc je rentre à nouveau dans cette grande salle".
34:35 Et là, j'entends le procureur, qui était en train de s'adresser à la voleuse,
34:43 et qui lui disait "vous avez beaucoup de chance, madame,
34:46 d'avoir fait ce que vous avez fait en 60,
34:48 parce qu'à une autre époque, cela vous aurait valu la peine de mort".
34:53 Ce procès, je l'ai gagné par une condamnation de la mère voleuse,
34:58 à deux ans de prison avec sursis.
35:02 C'était quand même un moment fort, parce que moi qui l'ai entendu de vive voix,
35:05 j'ai entendu le procureur dans la salle, et bien...
35:09 C'est pareil, ça ne répare rien, parce que les failles ont eu lieu,
35:13 mais ça rétablit beaucoup de choses, ça remet en perspective beaucoup de choses.
35:17 Et là, je me suis dit "c'est presque gagné,
35:21 je pense que dans quelque temps je serai une petite Monroe".
35:24 [Musique]
35:32 - Rosane, bonsoir, merci de témoigner ce soir dans l'émission.
35:36 Aujourd'hui, vous êtes bien devenue une petite Monroe.
35:39 Vous avez livré une nouvelle bataille judiciaire
35:41 pour retrouver le prénom choisi par vos parents.
35:45 - Oui, c'était très important pour moi, en effet,
35:47 après avoir gagné au civil sur la restitution de ma filiation
35:52 et de mon nom de famille Monroe,
35:55 très important de constituer une entité identitaire,
35:59 et donc de récupérer le prénom qui allait avec Monroe.
36:04 Sinon, j'aurais été contrainte de porter,
36:07 de continuer de porter le prénom choisi par la voleuse d'enfant.
36:12 Et je suis d'autant plus attachée à mon prénom
36:15 que c'est mon papa qui l'a choisi.
36:18 Mon nom de famille Monroe me rattache à ma maman de naissance
36:22 et c'est Rosane, mon prénom, qui me rattache à mon papa.
36:26 - Rosane, vous avez écrit par ailleurs un livre dans cette lutte.
36:29 Vous avez écrit un livre, au nom de tous les enfants privés de leur origine.
36:33 - Oui, c'était peut-être un peu ambitieux de ma part,
36:37 mais je pense qu'on est privés de documents
36:40 qui donnent la parole aux enfants.
36:43 Moi, j'ai été cette enfant volée, cette enfant maltraitée,
36:46 et j'ai voulu prendre la parole au nom de tous ceux,
36:49 de tous les trahis de naissance.
36:51 Ce que je trouve aujourd'hui très choquant,
36:54 parce que je sais que je ne suis pas un cas isolé,
36:57 c'est que l'on puisse, quand on a été, dans son enfance,
37:03 à un moment où on était par définition vulnérable,
37:07 où on ne pouvait pas se défendre
37:09 et où on n'a pas été secouru par des adultes,
37:12 qu'on puisse se voir opposer des problèmes de prescription
37:15 lorsqu'on a, un jour dans sa vie, les moyens de venir dire
37:19 "j'ai été victime de prédateurs dans mon enfance".
37:22 - Vous vous battez contre la naissance aux X.
37:24 En quoi est-ce primordial de connaître ses origines ?
37:27 Je crois d'ailleurs que cela a été déterminant pour vous
37:29 d'un point de vue médical.
37:31 - J'ai été victime d'une pathologie.
37:34 Et si je suis vivante aujourd'hui devant vous,
37:36 c'est parce que j'ai pu mettre sur le bureau des médecins
37:40 mon hérédité médicale.
37:42 - Vous avez pu être soignée grâce à votre dossier
37:44 d'antécédent médicaux.
37:46 - Et si je n'avais pas retrouvé ma mère,
37:48 je n'aurais pas eu connaissance de ses antécédents
37:50 et je ne serais certainement pas là aujourd'hui pour vous parler.
37:53 Je voudrais d'ailleurs, si vous me donnez la possibilité,
37:56 exiger des mamans qui confient leur enfant à l'adoption
37:59 parce qu'elles ne pourront pas s'en occuper,
38:02 qu'elles laissent dans les dossiers médicaux
38:04 le maximum d'informations médicales,
38:06 ce qui serait le minimum en attendant la suppression
38:08 de la naissance sous X,
38:10 de façon à ce que les enfants,
38:13 qui n'ont pas à subir les conséquences
38:15 des choix de la mère, puissent se faire soigner
38:17 de manière décente et de façon à ce que ce carnet de santé
38:20 soit aussi un matériel très précieux
38:22 pour les parents adoptifs.
38:24 - Votre père, dans cette histoire, que lui est-il arrivé ?
38:27 - Je ne voudrais pas trop m'avancer.
38:30 On ne sait pas exactement ce qui s'est passé pour mon père.
38:33 On suppose que mon père a dû recevoir,
38:37 au moment où ma mère a posté une lettre pour lui,
38:40 elle était à l'hôpital, elle a posté une lettre
38:42 pour lui prévenir des dispositions qu'elle prenait pour le bébé.
38:45 On sait que la lettre a été interceptée par la religieuse
38:49 et on suppose qu'il a dû en recevoir une autre,
38:52 de quelqu'un qui lui a dit "le bébé n'est pas de vous".
38:56 D'ailleurs c'est un enfant noir.
38:58 Pendant tout le temps où la voleuse racontait
39:01 qu'elle allait adopter un enfant,
39:03 elle racontait que l'enfant à naître,
39:05 on ne savait pas quelle en serait la couleur.
39:07 Et on suppose que mon père a, peut-être même,
39:15 lui a tombé sous les yeux la fausse déclaration de naissance.
39:18 "Voilà monsieur, non seulement vous n'êtes pas le père de l'enfant,
39:20 il est noir, mais en plus la mère l'a abandonné."
39:24 Et donc mon père s'est retrouvé dépouillé et dévasté.
39:28 Et avec mes parents, ils ne se sont plus jamais revus.
39:31 - Quand je vois ces photos de votre papa,
39:35 votre papa enfant, cette ressemblance, c'est vous ?
39:39 - Oui, c'est moi. C'est moi et c'est mon fils aussi.
39:42 C'est trois générations de petits Monroe Noël,
39:46 puisque lui s'appelait Roger Noël.
39:49 Moi quand je vois cette photo, je suis...
39:54 Je suis à la fois très heureuse et dévastée moi aussi
39:59 parce que mon père est mort sans savoir la vérité.
40:04 Il est mort persuadé que la femme qu'il avait aimée,
40:08 qui portait son enfant, l'avait trahi.
40:11 Et après moi, il n'a pas eu d'autres enfants.
40:15 Il a eu une vie de couple, il a fondé une famille de...
40:21 de coeur, mais il n'a pas eu d'autres enfants.
40:25 Et je me dis que sans la naissance sous X et sans cette fraude,
40:29 mon père, j'aurais pu le serrer dans mes bras.
40:32 Et malheureusement, c'est une tombe que j'ai serrée dans mes bras.
40:36 - Merci Rosen. - Merci de m'avoir donné la parole.
40:38 - Merci de votre témoignage.
40:40 - Rosen a réussi à démêler les mensonges qui l'ont poursuivi toute sa vie.
40:48 Elle est parvenue à reconstituer le puzzle de son histoire, enfin presque.
40:52 Pour que Rosen puisse enfin regarder sereinement vers l'avenir,
40:56 une pièce manquait encore.
40:58 La reconnaissance du rôle de notre société dans son histoire tragique.
41:02 Rosen a intenté un procès en 2008 contre l'hôpital qu'il a vu naître.
41:07 Après trois ans de combat, aujourd'hui, on peut vous dire
41:11 que la responsabilité de l'hôpital dans la fraude a été reconnue par la justice.
41:16 C'est donc une énième victoire pour Rosen.
41:19 Sous-titrage Société Radio-Canada

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