Les Français n'ont jamais été aussi malheureux au travail. 44 % d'entre eux s'estiment en état de détresse psychologique. Plus de 2/3 seraient stressés par leur emploi. La conséquence d'une recherche d'une productivité accrue qui accentue les troubles musculo squelettiques, les fameux TMS, mais aussi les troubles psychologiques.
Avec l'instauration du télétravail et la dislocation des équipes, la crise sanitaire a encore accentué le mal être.
Témoignages de ces Français qui souffrent au travail. Quels sont les salariés les plus exposés ? Comment prévenir les principaux risques ? Et pourquoi les difficultés professionnelles peuvent avoir tant d'impact sur notre vie ?
Reportage Céline Crespy, Pierre-Yves Deheunynck et Marion Devauchelle.
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Avec l'instauration du télétravail et la dislocation des équipes, la crise sanitaire a encore accentué le mal être.
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NewsTranscription
00:00 -Je me suis mise en une merde au travail.
00:03 J'y arrive pas.
00:06 -Les Français n'ont jamais été aussi malheureux au travail.
00:11 44 % d'entre eux s'estiment en état de détresse psychologique.
00:15 Plus de 2/3 seraient stressés par leur emploi.
00:18 -On est en train de devenir dingue.
00:21 Trop d'emails, trop de réunions.
00:23 -Conséquence de dizaines d'années
00:26 où il a fallu gagner en productivité.
00:29 -On est dans le toujours plus,
00:31 avec toujours moins de salariés et de moyens.
00:34 -Les gens qui souffrent du travail sont perdus
00:37 parce qu'ils doivent faire face à des objectifs inatteignables.
00:41 -Instauration du télétravail, dislocation des équipes,
00:44 la crise sanitaire a accentué le mal-être.
00:48 -Tout ce qui donne sens par rapport au travail a changé.
00:51 Il y a eu un avant et un après Covid.
00:53 -Que disent les gens qui souffrent au travail ?
00:56 Comment prévenir les principaux risques ?
00:59 Sommes-nous arrivés au bout d'un système ?
01:02 -Moi, j'attends le bout.
01:03 Voilà. Attends.
01:05 Je suis convaincu que ça finira par venir.
01:07 Musique de suspens
01:09 ...
01:11 ...
01:12 -Quand on parle de souffrance au travail,
01:16 il faut d'abord citer un fait.
01:18 La France détient le sombre record
01:21 du plus grand nombre d'accidents du travail en Europe.
01:24 Plus de 630 000 par an,
01:26 deux fois plus que la moyenne des pays européens.
01:29 Dans son cabinet de médecine du travail...
01:32 -Allez-y. Entrez.
01:33 -Muriel Dumortier reçoit ses salariés blessés.
01:36 -Asseyez-vous.
01:37 -Ce matin-là, il s'agit d'une responsable
01:40 d'un magasin de meubles qui, après un arrêt de travail
01:43 de plusieurs mois, fait une visite de préreprise.
01:47 -Alors, l'accident du travail, c'était quand ?
01:50 -Le 11 août 2020.
01:52 -2020, qu'est-ce qui vous est arrivé ?
01:55 -Je suis tombée dans les escaliers
01:57 de ma réserve.
01:59 -D'accord. Du coup, vous...
02:02 Vous êtes tombée, vous vous êtes pas arrêtée, j'imagine ?
02:05 -Oui. Je me suis accrochée à mon travail.
02:08 -Voilà. Parce que ?
02:09 -Parce qu'il y avait besoin.
02:11 -Voilà.
02:12 -Et j'ai eu du mal à quitter le navire
02:15 et à me prendre en charge.
02:17 Et en fait, c'est la douleur qui n'était plus possible,
02:20 plus tenable, je ne dormais plus, je souffrais,
02:23 et mon bras ne fonctionnait absolument plus.
02:26 Il fallait vraiment faire quelque chose.
02:28 -Toutes les études montrent que les travailleurs français
02:31 sont des bons professionnels qui aiment leur métier,
02:34 leur entreprise. Vous en êtes encore une illustration.
02:37 -J'en suis la preuve.
02:39 -La preuve, c'est que même quand on a mal, on y va.
02:42 -C'est ça.
02:43 -En France, plus d'un tiers des salariés travaillent
02:46 alors qu'ils sont malades.
02:48 Et Muriel Dumortier a bien du mal à faire entendre raison
02:52 à sa patiente.
02:53 -Là, j'ai appuyé jeudi.
02:54 Pour l'instant, j'ai pas pu l'appuyer.
02:57 -Alors, moi, je pense que reprendre à temps plein
03:01 ce que vous avez fait,
03:03 c'est pas forcément une bonne idée.
03:05 Et moi, je vous encourage vraiment
03:07 à reprendre en butant thérapeutique,
03:09 en temps partiel.
03:11 C'est compliqué dans votre fonction.
03:13 -Ca va pas être gérable.
03:14 On ne trouve pas de personnel.
03:16 Encore une fois, je ne suis pas irremplaçable,
03:21 mais j'ai précisé que je reprenais à temps complet.
03:23 J'ai repris à temps complet.
03:25 Je ne me vois pas dire maintenant, finalement...
03:28 Non, je reprends qu'à mi-temps.
03:31 -Donc, je marque.
03:32 "Peut reprendre le travail
03:35 "sur un poste aménagé
03:38 "à condition de ne pas faire de manutention manuelle
03:41 "supérieure à 5 kg, ne doit pas travailler bras en l'air."
03:44 Une belle fin d'orthographe.
03:46 -Douleur aux épaules,
03:48 douleur au dos ou aux poignets.
03:50 -Des pathologies regroupées
03:53 sous le nom de troubles musculosquelettiques,
03:55 des TMS,
03:57 la maladie professionnelle la plus répandue
04:00 chez les salariés français.
04:02 Cette dame vient pour une simple visite de routine,
04:06 mais très vite, la docteure du mortier
04:09 va constater qu'elle est usée par le travail.
04:12 Musique intrigante
04:15 ...
04:18 -Vous travaillez là, vous faites le ménage à l'hôpital ?
04:21 -Oui. -Depuis combien de temps ?
04:23 -Depuis maintenant 6 ans.
04:26 Là-bas, c'est pas facile, c'est trop...
04:29 Il y a beaucoup de boulot. -Oui, oui.
04:33 Au niveau de votre santé,
04:34 il y a eu des choses nouvelles depuis la dernière visite ?
04:37 -Maintenant, là, j'ai...
04:39 J'ai mal aux épaules.
04:41 -Ah, vous avez mal à l'épaule.
04:43 -Ici, là. -L'épaule gauche.
04:46 -Et dans le dos, vous avez mal aussi ?
04:48 -Oui, des fois, j'ai mal au dos.
04:50 Musique douce
04:51 -Port de charge trop lourde, gestes répétitifs,
04:55 contrairement aux idées reçues,
04:57 les TMS touchent plus les femmes que les hommes.
05:01 -Pondez bien les bras.
05:02 Vous les mettez bien, bien, comme ça.
05:05 Vous allez résister à ce que je vais vous faire.
05:07 Vous faites les bras bien durs. Vous résistez.
05:10 Vous résistez, vous résistez.
05:12 Résistez.
05:13 Je vous fais mal, là ?
05:15 -Là. -De ce côté-là.
05:17 -C'est bon, oui.
05:18 -Encore le bras dur. Je vais les monter, vous résistez.
05:21 Vous savez, il va falloir que vous vous mettiez
05:24 sur votre bras au repos, madame.
05:27 Vous avez une inflammation au niveau des tendons
05:30 et au niveau des muscles de l'épaule.
05:32 Si vous tirez trop sur cette épaule douloureuse,
05:35 vous allez l'abîmer encore beaucoup plus.
05:38 Après, ça sera encore plus compliqué pour vous.
05:40 Je sais bien que pour vous, vous vous attendiez pas à ça.
05:44 Pour vous, c'est un petit choc.
05:46 Vous avez 58 ans, il faut faire attention à vous, madame.
05:49 Musique douce
05:50 -Dans son cabinet, la médecin voit de plus en plus de salariés
05:54 souffrant de TMS dès 50 ans
05:57 et s'interroge au moment où le report du départ à la retraite
06:00 allonge encore les carrières.
06:02 -Dans la grande majorité des emplois,
06:04 on est dans le "toujours plus", avec toujours moins de salariés
06:08 et toujours moins de moyens.
06:09 Du coup, il y a une usure prématurée articulaire.
06:13 Il est temps de penser conditions de travail.
06:15 Si on veut maintenir les gens, on travaille plus longtemps.
06:19 Pourquoi pas ?
06:20 Peut-être que ça se justifie au niveau politique,
06:23 j'ai pas d'avis à donner sur la question.
06:25 Mais si on veut faire ça, il faut faire de la prévention
06:28 dans les entreprises.
06:29 -Alors, certaines entreprises prennent le sujet à bras le corps.
06:33 Nous sommes chez l'un des leaders du secteur du nettoyage,
06:37 des métiers où les cas de TMS sont deux fois plus importants
06:41 que chez le reste des salariés.
06:43 -Bonjour. -Bonjour.
06:44 -Je suis docteur Mugard.
06:45 -Ce jour-là, des médecins du travail viennent constater
06:49 les mesures mises en place depuis deux ans
06:52 pour prévenir les TMS.
06:54 Musique de tension
06:56 ...
06:58 -Je vous invite à rentrer dans les sanitaires
07:00 pour voir la première démonstration.
07:02 C'est parti.
07:04 Je vous en prie. Allez-y.
07:05 -Pardon.
07:06 -Sondra, tu vas nous expliquer...
07:12 Ca, c'était avant.
07:14 -Donc là, comme vous pouvez constater
07:16 sur l'intervention de Sondra,
07:18 l'épaule est beaucoup sollicitée, de droite à gauche.
07:21 Donc c'est un effort physique qui est quand même considérable.
07:24 Même les chevilles sont sollicitées dans ce genre d'intervention.
07:28 En temps normal, Sondra nettoie une dizaine de sanitaires
07:31 par vacation.
07:32 Le fait de travailler matin et soir,
07:35 donc on ramène ça à la journée, ça fait une vingtaine de sanitaires,
07:38 une vingtaine de miroirs à nettoyer.
07:41 Il y a de l'impact sur les articulations,
07:43 d'où la nécessité de trouver des solutions
07:46 pour lutter contre les TMS.
07:48 -Mais avec l'introduction d'outils bien pensés,
07:52 les gestes sont différents.
07:54 Musique intrigante
07:58 -Le salarié, il fait moins d'efforts physiques
08:02 comparé à avant.
08:04 -Là, c'est des deux épaules qui travaillent,
08:06 alors que j'ai remarqué avant, c'est une seule épaule.
08:09 -On va le voir. -C'est réparti différemment.
08:12 -Et surtout, les appuis au niveau de sol.
08:15 -L'idéal, c'est d'alterner les tâches.
08:18 Quand quelqu'un fait essentiellement ce type d'activité,
08:22 c'est vrai que ça peut engendrer plus facilement des TMS.
08:26 -Ca vous amène à réfléchir à comment vous consommez votre fiche de poste
08:30 et quelles sont les tâches demandées. -Exactement.
08:33 Musique douce
08:34 -L'arrivée de nouveaux accessoires permet aussi d'éviter les chutes.
08:39 -On va tourner comme ça, de cette façon-là.
08:41 Musique douce
08:42 On va chercher l'armoire selon la hauteur.
08:45 C'est parti, Sandra.
08:47 Musique douce
08:49 -Dans une entreprise où la moyenne d'âge est de près de 50 ans
08:52 et où on peine à recruter, les TMS sont un fléau.
08:56 -Ca entraîne beaucoup d'absences, d'arrêts de travail
08:59 et on fait des déclarations de maladie professionnelle,
09:03 ce qui a un coût, évidemment, pour l'entreprise, également.
09:07 Musique douce
09:08 -Depuis la mise en place de ces simples outils,
09:12 l'entreprise a vu ses arrêts de travail baissés
09:15 et son turnover réduit.
09:17 Musique douce
09:19 -Quand vous avez beaucoup de personnes qui s'absentent,
09:23 forcément, il faut les remplacer.
09:25 Remplacer quelqu'un qui est titulaire d'un poste,
09:28 qui est formé, c'est toujours compliqué,
09:31 car la prestation ne sera jamais faite à 100 %
09:33 de la même façon qu'un titulaire.
09:36 -On a des gens qui travaillent dans de bonnes conditions
09:39 et on a surtout moins de coûts
09:41 comparés à des arrêts maladie à répétition.
09:45 -C'est un bon investissement ?
09:47 -Très bon investissement.
09:49 On est très contents d'avoir lancé ce programme
09:52 et on ne compte pas s'arrêter là.
09:54 -Mais depuis la crise sanitaire,
09:56 ces TMS ne sont plus la première cause d'arrêts de travail
09:59 de longue durée.
10:00 Ils ont été devancés par des troubles psychologiques
10:04 dus au travail.
10:05 L'Institut de veille sanitaire chiffra à 30 000
10:08 le nombre de burn-out chaque année,
10:11 mais le ressenti est tout autre.
10:13 Selon le dernier baromètre Opinion Way,
10:15 sur la santé psychologique des salariés,
10:18 30 % se disent au bord du burn-out.
10:20 Plus de deux tiers des salariés disent subir un stress régulier.
10:24 ...
10:26 -Installez-vous, je vous en prie.
10:28 -Ce matin, c'est une manager dans un cabinet de consulting
10:31 qui a demandé à être reçu par la médecin du travail.
10:35 Elle n'en peut plus.
10:38 -J'ai pas mal de responsabilités.
10:40 Il faut que je réalise les missions chez les clients.
10:43 Et à côté, il faut que je m'occupe du recrutement,
10:46 de l'avant-vente... -Dans ce jeu de parlais.
10:48 -D'offres, soutenances, etc.
10:50 J'ai de la gestion du carrière aussi à faire
10:53 sur une partie des consultants.
10:55 Plusieurs fois par semaine, je m'effondre,
10:57 mais sur trois fois rien.
10:59 On va demander "tiens, contact l'indulte
11:01 pour faire telle chose", ça prend 10 minutes.
11:04 Mais pendant deux heures minimum, je me mets à pleurer
11:10 et je suis incapable de faire quoi que ce soit.
11:12 Je n'y arrive pas.
11:14 -Est-ce que vous en avez parlé, votre indulteur ?
11:16 -Il m'a dit "tu as choisi de faire du conseil,
11:19 "tu as choisi de travailler plus pour gagner plus."
11:22 Donc il est normal de faire des lectures,
11:24 de faire des week-ends. Voilà.
11:27 Et depuis, j'ai arrêté de parler, parce que j'ai...
11:30 Enfin, ça a rompu...
11:32 L'indulte...
11:34 -Vous avez vu l'ADRH, madame ?
11:36 D'accord. Ca va être la personne à voir, alors.
11:39 Je vous rappelle que dans le code du travail,
11:42 celui qui est responsable des conditions de travail,
11:45 de la santé mentale et physique des salariés,
11:47 c'est l'employeur, et donc son représentant.
11:50 C'est l'ADRH qui doit être au courant.
11:52 -Il faut pas que ça vous change,
11:54 que ça vous change votre manière de voir le travail ?
11:57 Vous voyez ce que je veux dire ?
11:59 -Oui, oui, je vois.
12:01 En vrai...
12:03 Enfin, il y a quand même...
12:05 Je trouve... Enfin, tout s'accélère.
12:09 Tout s'accélère. On a besoin de faire toujours plus avec plus de moyens.
12:13 Je le vois dans mon conseil, mais aussi chez mes clients.
12:16 Aujourd'hui, j'entends dans un grand groupe,
12:18 les gens font des horaires de malade,
12:21 et ils vont encore avoir des restrictions budgétaires
12:24 qui font que les personnes qui partent ne sont pas remplacées.
12:27 Pour autant, il faut pouvoir assurer un meilleur positionnement
12:31 au sein d'une boîte.
12:32 Pfff...
12:33 Enfin, moi, j'attends le bout.
12:36 Voilà.
12:37 Je...
12:38 J'attends.
12:39 Mais je suis convaincu que ça finira par venir.
12:42 -Si cette jeune femme est visiblement surchargée de travail,
12:47 parfois, la pression peut être plus insidieuse,
12:51 simplement due à l'usage excessif
12:55 de la communication numérique.
12:57 -Les salariés sont submergés par les mails.
12:59 Ca augmente la charge mentale.
13:01 Vous êtes en train de travailler, en réunion, c'est un travail,
13:05 vous êtes en train de travailler sur un dossier,
13:08 vous êtes en...
13:09 Et puis, les mails continuent à arriver les uns derrière les autres.
13:13 Parfois, c'est juste des mails pour tenir au courant,
13:16 le fameux P.I.
13:17 Enfin, P.I., c'est en français, et le F.I.Y.,
13:20 pour ton information, mais ils sont noyés par les mails.
13:23 Parfois, il y a des informations qui passent à l'as,
13:26 parce que vous avez 60 mails,
13:28 et vous avez loupé celui qu'il fallait lire et réagir.
13:31 Et surtout, ce que je ressens,
13:33 c'est une priorité qui chasse l'autre priorité.
13:37 Une priorité chasse l'autre priorité.
13:39 Ca, c'est une réalité.
13:41 -Sentiment d'urgence, excès d'informations,
13:45 débordement du travail dans la sphère personnelle,
13:48 l'hyperconnexion engendre des risques.
13:51 C'est ce qu'a voulu mesurer Arthur Vincent.
13:57 Lui a créé un observatoire de ce qu'il appelle l'infobésité.
14:02 Alors, à chaque fois qu'il se rend dans une entreprise...
14:07 -Bonjour, tout le monde.
14:09 -...il pose les mêmes questions.
14:11 -Bonjour.
14:12 -Ca va ? -Oui, très bien.
14:14 Alors, grosse journée, beaucoup de mails à traiter ?
14:17 -Oui, actuellement, un peu plus d'une cinquantaine.
14:20 -Arthur a recensé qu'un cadre traite
14:23 entre 140 et 300 messages par semaine.
14:26 Et malgré le droit à la déconnexion
14:28 édicté dans une loi de 2017,
14:30 la journée de travail se prolonge souvent à la maison.
14:33 -Qu'est-ce qui se passe quand tu pères ?
14:36 -Même avec le smartphone, t'arrives pas à reconnecter ?
14:39 -Ca dépend des jours.
14:40 Il y a des jours oui et des jours non.
14:42 Lorsqu'on a une période avec beaucoup de projets
14:45 et qu'on doit être présent sur le terrain
14:47 ou qu'on a des événements en relation école,
14:50 avec des événements de rencontre avec des candidats,
14:53 oui, tu restes sur ton téléphone
14:55 pour pouvoir avoir une vision de ce qui se passe.
14:57 -Carrément. -Donc là, oui.
14:59 -Dans cette grande entreprise d'audit,
15:03 la DRH a conscience du problème.
15:05 -Bonjour, Mathilde. -Ca va ?
15:07 -Très bien.
15:08 -Mais les chiffres de l'étude la surprennent quand même.
15:12 -Ouais, bon, j'ai plu.
15:13 -On est bien.
15:14 -Je découvrais le petit fascicule avec les données.
15:19 -T'as réussi, ouais ? -Ouais, ouais.
15:21 -T'es contente du résultat ? -Ca me fait flipper, pour moi.
15:24 -T'as réfléchi, là.
15:25 -Car ce volume toujours plus important d'emails
15:29 n'est pas sans conséquence sur la santé.
15:31 -Cette densité d'informations et de sollicitations
15:36 tout le temps, ça rend dingue, en fait.
15:39 On dit qu'on est en train de devenir dingue,
15:41 trop d'emails, trop de réunions,
15:44 et clairement, nous, on en mesure le stress numérique,
15:48 les effets sur la concentration, sur le bien-être,
15:52 ça, on le mesure, on fait beaucoup de baromètres sociaux,
15:55 de performances, on en parle librement,
15:58 on sait que c'est le point noir.
16:00 -Sur l'hyperconnexion, on se rend compte
16:02 qu'il y a un tiers des gens qui, plus de 50 soirs par an,
16:05 renvoient des mails après leur journée de boulot.
16:08 C'est plus quelque chose de négligeable,
16:10 ça fait partie du quotidien. -Oui.
16:12 Je traite mes emails le soir car j'ai du temps.
16:15 A la limite, flexibilité, OK.
16:17 Mais les destinataires vont les recevoir.
16:19 "C'est pas grave, je leur ai pas demandé de réponse."
16:22 On oublie qu'il y a un lien de subordination.
16:25 Moi, je reçois des emails de mon manager
16:28 le soir ou tôt le matin.
16:29 Si c'est pas explicité,
16:32 je m'attends à ce qu'il attende une réponse.
16:34 Ou en tous les cas, pour beaucoup, ça va être...
16:37 "Il faut que je sois réactif, il faut répondre."
16:40 Une injonction implicite de faire quelque chose.
16:43 Et ça, démultiplier,
16:45 je pense que nos cerveaux, nos corps,
16:48 mais c'est déjà dans la tête,
16:50 ne sont pas faits pour intégrer et être autant stimulés
16:54 intellectuellement que tout le temps sur ce type de tâches.
16:58 -C'est les conséquences de ce fil qu'on a tiré pendant 40 ans.
17:01 -Pour Arthur et sa collègue,
17:03 analyser la façon dont les mails sont gérés
17:06 pourrait servir à repérer un salarié en détresse.
17:10 -Les gens qui ont une stratégie zéro mail le soir,
17:13 fin de journée, il me reste zéro mail à traiter.
17:16 On peut voir que petit à petit,
17:18 quand on va vers un burn-out, ça glisse.
17:20 Il va rester 10 mails,
17:23 puis 100 mails, puis 200 mails.
17:25 On voit bien qu'au bout d'un moment,
17:27 c'est la définition du stress que disait Arthur,
17:30 si on n'arrive plus à le traiter,
17:32 le stress devient trop important et on finit par craquer.
17:35 Nous, on pense qu'à un moment,
17:37 on va pouvoir mesurer les signaux faibles de ça
17:42 en fonction des habitudes de travail des personnes.
17:45 -Sans compter que la crise sanitaire
17:47 a accentué le phénomène.
17:50 -Maintenant, avec le travail à distance, l'hybride,
17:54 en fait, on met plus du tout de limites,
17:56 mais soi-même, avec soi-même,
17:59 et puis même en tant qu'organisation,
18:01 il faut rappeler que là, c'est la pause déjeuner.
18:04 -C'était un temps sacré, on ne mettait pas de réunion.
18:07 Petit à petit, vu que chacun s'est adapté pendant le Covid,
18:10 on a grignoté sur le temps du déjeuner.
18:13 Dans les stats, on le voit bien, ce temps de déjeuner n'est plus une pause.
18:16 -Autre changement dans les entreprises.
18:19 Les équipes dirigeantes et les organisations
18:22 sont de plus en plus fréquemment renouvelées,
18:25 avec leur bataillon de cadres intermédiaires
18:27 qu'il faut faire craquer coûte que coûte
18:30 pour qu'ils quittent l'entreprise.
18:32 C'est ce qui s'est passé pour celle que nous appellerons Suzanne.
18:36 Après 20 ans de bons et loyaux services
18:39 et un poste de manager,
18:41 la direction de son entreprise change.
18:44 Elle se voit très vite convoquée.
18:47 -J'ai été reçue par cette présidence
18:52 et elle a remis en cause
18:54 un point très précis de ma pratique professionnelle
18:58 pour laquelle je n'avais jamais eu de difficultés jusqu'à présent
19:01 et j'avais même, de la part de l'externe,
19:04 une certaine reconnaissance de qualité.
19:07 Il se trouve que cette présidence
19:10 avait tort sur le sujet même de cette convocation
19:15 et j'ai pu apporter dans l'entretien
19:18 une contradiction qui n'a pas du tout plu
19:20 et qui n'est pas passée.
19:22 Donc, à partir de ce moment-là, j'ai eu le sentiment
19:25 d'être la cible de quelque chose que je ne cernais pas.
19:29 Petit à petit, mon équipe était un...
19:33 en quelque sorte un outil
19:35 à la disposition de la gouvernance pour m'atteindre,
19:39 pour me discréditer, pour me démotiver,
19:42 et le tout avec un objectif de me faire quitter cette entreprise,
19:46 par une démission, sans doute,
19:48 et le comportement d'une partie de mes collaborateurs
19:51 allait vraiment dans le sens d'attaque.
19:54 -Malgré tout,
19:56 Suzanne ne fléchit pas.
19:58 Alors, la direction la convoque à nouveau
20:01 et lui propose une rupture conventionnelle.
20:04 -Je m'écroule, toute seule, dans mon coin.
20:08 Je ne le montre pas
20:10 et je demande à mettre fin à mon retien.
20:13 Et deux jours après,
20:15 j'élabore un scénario pour attenter à mi-jour.
20:20 Et c'est mon... Excusez-moi, c'est mon conjoint
20:23 qui décide de m'emmener chez le médecin traitant.
20:27 Et...
20:28 Et le médecin traitant me dit
20:31 "Vous êtes victime de harcèlement moral depuis deux ans.
20:37 "Je fais un retrait immédiat
20:40 "et vous ne retournerez plus dans cette entreprise
20:43 "parce que vous encourez un risque vital.
20:47 "Excusez-moi."
20:48 C'est encore très douloureux.
20:51 -Suzanne est en arrêt maladie depuis 18 mois.
20:56 Un arrêt qui peut se prolonger trois ans maximum.
20:59 Ensuite, le médecin du travail la déclarera probablement inapte
21:04 à retourner dans cette entreprise.
21:06 Et elle sera licenciée.
21:08 Muriel Dumortier en fait le constat tous les jours.
21:12 La souffrance vécue au travail s'apparente à une violence
21:16 qui nécessite le plus souvent un suivi psychologique.
21:20 Musique douce
21:22 ...
21:23 -Aujourd'hui, je suis revenue vous voir
21:26 parce que ça fait un moment que je ne vous avais pas vues.
21:29 Et...
21:31 Donc, je suis suivie...
21:33 J'ai été suivie par une psychologue
21:36 et je suis revenu.
21:38 -Je ne pense pas revenir dans mon entreprise.
21:41 C'est trop douloureux.
21:42 -Il faut que vous retrouviez la confiance aussi.
21:45 Confiance en vous.
21:46 Vous avez des compétences, même si on vous a dit
21:49 que vous ne saviez rien faire.
21:50 Oui, évidemment que vous savez faire.
21:53 ...
21:56 -Ca marche ?
21:57 -Oui.
21:58 -Cette souffrance engendre une remise en question
22:02 qui va bien au-delà de la sphère professionnelle.
22:05 ...
22:08 -Quand on est en souffrance au travail,
22:11 les salariés ne sont pas des malades psychiatriques.
22:14 Mais simplement, ce sont des salariés
22:16 qui sont déstabilisés d'une façon extrêmement profonde.
22:20 Ca veut dire que quand on a attaqué leur geste professionnel,
22:25 en réalité, on a mis à mal leur identité profonde.
22:30 C'est tout ce chemin-là qu'il faut reparcourir avec eux.
22:33 -Mais pourquoi ?
22:34 Certaines difficultés professionnelles
22:36 sont-elles capables de déstabiliser à ce point un individu
22:40 en remettant en cause son identité profonde ?
22:43 Une des raisons serait que les techniques
22:45 de développement personnel et leur injonction à s'accomplir
22:49 dans toutes les sphères de la vie
22:50 n'ont pas échappé au milieu de l'entreprise.
22:53 C'est la thèse de Thierry Jobard, selon lui,
22:56 sous couvert d'aider les individus à se sentir mieux
22:58 avec des prêt-à-penser du genre.
23:00 -Renouer avec sa volonté profonde,
23:04 le bonheur d'être soi,
23:05 c'est celui-là que j'ai trouvé ce matin.
23:07 Je donne mon narcissisme, toutes les clés pour enfin s'aimer.
23:11 -Les méthodes de développement personnel
23:13 auraient fait un effet pervers en milieu professionnel,
23:16 celui de faire reposer sur le seul salarié
23:19 les dysfonctionnements de l'entreprise.
23:21 -Les salariés, on va leur demander d'être créatifs,
23:26 de s'impliquer, de vouloir se réaliser dans son travail,
23:29 de vouloir s'accomplir dans son travail.
23:32 Cet engagement aux corps et à l'âme du salarié,
23:35 c'est plus simplement son travail qui compte, c'est sa personne.
23:41 Et si son travail est remis en question,
23:44 sa personne l'est aussi.
23:45 A partir de ce moment-là, jamais ils vont mettre en question
23:50 l'organisation ou le process, ou les procédures,
23:53 ou la hiérarchie.
23:54 -Pourtant, certains ouvrages peuvent aussi aider.
23:58 Beaucoup évoquent ici un best-seller du genre,
24:01 "Les quatre accords Toltec",
24:03 qui édicte quatre grands principes de vie.
24:05 -Il y en a un dont je me sers vraiment régulièrement,
24:09 c'est quand quelqu'un me fait quelque chose qui me plaît,
24:13 je me dis "ne le prends pas pour moi".
24:15 Il y a quelque chose qu'on fait dans "Un des quatre accords",
24:19 "ne le prends pas pour toi-même", c'est sa situation à lui
24:22 qui fait qu'il te renvoie cette parole.
24:25 Donc ça, ça m'aide beaucoup.
24:26 -Oui, mais si vous voulez,
24:28 un des autres enseignements des "Accords Toltec",
24:31 je ne sais plus exactement la formulation,
24:33 qui est quand même brillantissime,
24:35 et je me voudrais la dénaturer,
24:37 c'est...
24:38 Alors, attends.
24:39 (Il chante.)
24:41 "Que votre parole soit impeccable."
24:44 Voilà.
24:45 En entreprise, "Que votre parole soit impeccable."
24:47 Ça veut dire quoi, ça ?
24:49 Ça veut dire que si vous avez un problème,
24:51 par exemple, parce que le cas a été documenté,
24:54 si vous êtes victime de harcèlement,
24:56 pendant des mois et des mois,
24:58 et que ça vous détruit,
25:00 et que vous voulez en parler à votre hiérarchie,
25:03 elle va vous dire, "Attends.
25:05 "Que ta parole soit impeccable.
25:06 "Tu ne peux pas dire ça comme ça.
25:08 "Tu es trop agressive.
25:10 "Tu laisses parler ton émotion.
25:11 "Il faut le dire de telle ou telle façon."
25:14 Et qu'est-ce qui se passe ?
25:15 On est désapproprié de son propre langage
25:18 pour utiliser le langage de la nouvelle langue néolibérale.
25:22 Comme ça, on ne frasse pas personne.
25:24 Ça ne change rien.
25:26 La souffrance de la personne harcelée sera toujours là.
25:29 C'est ça, le problème.
25:31 -La crise sanitaire a été un facteur aggravant
25:35 de la souffrance au travail.
25:37 Selon Santé publique France,
25:40 la dépression serait désormais à l'origine
25:43 de 40 % des arrêts de travail.
25:45 [Musique]