Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !
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00:00 -Elle représente un département français
00:02 que peu de gens sont capables de situer sur la carte.
00:05 Cela fait d'ailleurs partie du combat de mon invité,
00:08 Fer de Mayotte, un département comme les autres,
00:11 ni plus ni moins.
00:12 Musique intrigante
00:14 ...
00:25 Bonjour, Estelle Youssoufa. -Bonjour.
00:27 -Vous avez été élue députée en 2022
00:30 sans le soutien d'aucun parti politique,
00:32 c'est assez rare, on peut le souligner.
00:35 Vous siégez aujourd'hui au sein du groupe Liott.
00:37 Et alors, à l'Assemblée, vous portez presque tout le temps
00:41 ce châle que vous avez aujourd'hui sur vous
00:44 avec des fleurs d'Ylang-Ylang.
00:45 Vous l'avez sur votre photo officielle de députée.
00:48 Il a une signification politique particulière ?
00:51 -C'est une couleur qui est très banale à Mayotte,
00:54 qui incarne le combat des chatouilleuses,
00:57 les femmes qui se sont battues dans les années 70
00:59 pour que Mayotte reste française. -Chatouilleuses.
01:02 -Oui, parce que les combattantes
01:04 chatouillaient les émissaires comoriens ou français,
01:07 qui essayaient de nous convaincre de l'indépendance,
01:10 et donc, pour humilier ces bonhommes,
01:12 on les chatouillait. -Venez les chatouiller.
01:14 Votre père était maorais.
01:16 "Maorais", c'est le nom des habitants de Mayotte.
01:19 Vous êtes née en région parisienne, vous y avez grandi au début,
01:22 puis vous avez passé votre adolescence à Mayotte
01:25 et vous avez passé votre bac.
01:27 Ca veut dire quoi, pour vous, être maoraise ?
01:30 C'est une double culture ?
01:31 -C'est une des facettes de l'identité de la France,
01:34 même si la France le méconnaît.
01:36 Nous, on est des Français depuis 1841,
01:39 et oui, ça fait...
01:41 Même si Mayotte, effectivement, a des traditions et des cultures
01:45 très spécifiques par rapport à celles de l'Hexagone,
01:48 mais comme beaucoup de traditions ultramarines, elles sont
01:51 particulières. -Je fais un rappel historique,
01:54 vous ne connaissez pas l'histoire de Mayotte.
01:56 Les habitants de Mayotte ont voté plusieurs fois
01:59 pour rester français, quand le reste de l'archipel des Comores
02:03 a fait le choix de l'indépendance.
02:05 Depuis 2011, Mayotte est officiellement
02:07 un département français.
02:09 Cette identité française est profondément ancrée en vous.
02:12 -Non, mais le fait que vous posiez la question
02:15 traduit bien le sujet entre les hexagonaux et Mayotte.
02:18 On n'a pas le moindre doute sur le fait qu'on soit français,
02:22 mais nos compatriotes ne sauraient pas nous situer sur une carte
02:25 ou ne savent pas que nous sommes français avant Nice et la Savoie.
02:29 C'est vrai qu'on est une poussière dans l'océan Indien,
02:32 mais l'attachement à la mère patrie est très important,
02:37 parce que c'est une protection et c'est un choix.
02:39 C'est pas quelque chose de subi, contrairement à l'histoire
02:43 d'autres territoires ultramarins.
02:45 -Après le bac, vous vous êtes éloignée de Mayotte
02:48 pour faire des études en métropole.
02:50 Vous pourriez exercer un métier qui vous a donné
02:53 une certaine notoriété, car vous avez été journaliste
02:56 à la télévision, présentatrice de JT, notamment sur LCI.
02:59 Vous avez été aussi correspondante d'Al Jazeera à Londres.
03:03 Vous avez été reporter à France 2 pour l'émission
03:06 "Un oeil sur la planète".
03:07 Qu'est-ce qui vous a attirée vers ce métier de journaliste ?
03:11 -Je voulais voyager et j'étais curieuse.
03:13 Je suis toujours très curieuse et j'aime apprendre.
03:16 Donc, j'ai été journaliste pendant 20 ans.
03:19 J'ai étudié au Canada aussi. J'ai toujours voulu voyager.
03:22 -Vous avez arrêté le journalisme pour devenir consultante
03:25 en affaires internationales.
03:27 Vous avez organisé des forums en Afrique,
03:29 intégré des réseaux d'influence internationaux,
03:32 notamment les fameux Young Leaders.
03:34 Vous faites partie de la même promotion
03:37 qu'Edouard Philippe à l'époque.
03:39 Pourquoi avoir renoncé au journalisme ?
03:41 -Ah, j'ai eu des graves problèmes de santé.
03:45 J'ai eu un cancer du sein,
03:48 j'ai dû repenser la vie que je menais,
03:50 être dans un métier moins stressant.
03:52 Et puis, la tournure aussi
03:54 qui a pris le métier avec les réseaux sociaux.
03:57 J'ai été, c'est vrai, l'objet de beaucoup d'attaques
04:00 sur les enquêtes que j'avais pu mener.
04:02 Et à chaque fois, la virulence des attaques
04:05 qui étaient très personnelles sur les réseaux sociaux
04:08 et l'attitude de certains collègues,
04:10 confrères, qui avaient embrayé dans ce discours de haine,
04:15 m'avaient fait me sentir de moins en moins
04:17 à ma place dans le milieu.
04:19 -2018 a été une année charnière pour vous.
04:21 Le décès de votre père vous a ramené à Mayotte.
04:24 Au même moment, l'île vivait une crise sociale
04:27 assez profonde.
04:28 A la fin du mois d'avril, la chaîne Mayotte 1re
04:31 vous a proposé de remplacer au pied levé
04:33 un invité dans la principale émission
04:35 de débats politiques.
04:37 On va revoir un extrait de cette émission.
04:39 -Moi, je pense que Mayotte n'a rien à faire
04:42 avec les Comores, si ce n'est d'entraîner
04:44 des relations de bon voisinage qui s'arrêtent là.
04:47 Il faut se souvenir des propos de Bhamana.
04:50 On peut être voisin, frère, même père, même mère,
04:54 sous des toits différents.
04:55 Les Mahorais sont Mahorais français,
04:58 les Comores sont indépendantes et comoriennes.
05:01 Qu'elles le restent et qu'elles s'éclatent
05:04 avec leur indépendance.
05:05 -Merci, Estelle Souffa.
05:07 -Le temps est écoulé.
05:08 -On a l'impression que vous êtes entrée en journaliste
05:11 et que vous en êtes ressortie en femme politique.
05:14 -A l'époque, j'étais arrivée sur le plateau,
05:16 on m'avait parlé de questions institutionnelles
05:19 sans me donner la thématique de la discussion.
05:22 Et en fait, effectivement, le débat a porté en partie
05:25 sur les relations avec les Comores,
05:27 sur lesquelles j'ai une analyse très précise
05:30 et donc des positions,
05:32 et que j'ai alimentée,
05:33 ce qui a beaucoup surpris, en fait, à l'époque,
05:36 parce que je dis les choses très franchement.
05:38 -Vous avez tout de suite été repérée,
05:41 on peut le dire, par un collectif de citoyens
05:43 qui vous demandait de devenir leur porte-parole,
05:46 peu après cette émission,
05:48 c'est comme ça que tout a commencé.
05:50 Un an plus tard, vous vous êtes placée en garde à vue
05:53 avec votre frère à l'occasion de la visite d'Emmanuel Macron
05:56 à Mayotte, vous avez été arrêtée pour vous rapprocher
05:59 de l'endroit où il allait tenir un discours.
06:02 Ca a eu quel effet sur vous, cette arrestation ?
06:04 -C'est quelque chose de très violent.
06:08 J'ai des séquelles physiques, mon frère aussi.
06:13 Ca a été un traumatisme,
06:14 parce que mon engagement n'a toujours été
06:18 et n'est que républicain.
06:19 Et de se voir imposer l'arbitraire et la violence
06:24 contre un combat qui demande plus de justice,
06:27 plus de reconnaissance de la part de nos institutions,
06:31 moi qui suis fille et soeur de militaires,
06:34 c'est quelque chose de très choquant.
06:36 -Ca a renforcé votre détermination,
06:38 votre volonté de vous engager politiquement ?
06:41 -Ca, pour moi, ça a été intraumatisant
06:44 et ça m'a radicalisée dans l'idée
06:46 que pour que moi, une petite mouche,
06:49 fasse face à l'éléphant institutionnel,
06:53 je devais avoir raison.
06:54 Ca m'a convaincue qu'il fallait continuer le combat
06:57 et qu'on touchait quelque chose de vrai et de sensible.
07:00 -En 2022, le collectif des citoyens de Mayotte
07:03 vous a demandé de vous présenter aux législatives.
07:06 Vous avez dit que vous n'aviez pas envie d'y aller,
07:09 que ça ne vous appartient pas.
07:11 Qu'est-ce que ça veut dire, "ça ne vous appartient pas" ?
07:14 Vous y êtes allé sans vouloir ?
07:16 -Non, chez les insulaires, en fait, le collectif est capital,
07:19 parce que sur une île,
07:21 vous dépendez des autres pour votre survie.
07:23 Donc la logique freudienne de l'individu,
07:25 quand vous êtes sur une île, ça n'existe pas.
07:28 Vous appartenez à un groupe
07:30 et votre avis personnel vient après.
07:33 Mayotte est dans une situation de crise extrêmement grave
07:37 et nous, on avait travaillé pendant des années
07:39 pour que les élus reprennent nos revendications
07:42 et nos propositions, on travaillait considérablement.
07:45 Le fait que nos élus n'aient pas pris le relais,
07:47 avec la population, on s'est dit qu'on allait le faire nous-mêmes
07:51 et on allait t'envoyer.
07:52 Tu es présidente du collectif.
07:54 C'est pas quelque chose où, de la même manière
07:57 que je n'avais pas eu le souhait,
07:59 quand j'étais allée sur ce plateau de télévision,
08:02 d'entrer dans l'engagement et la politique,
08:05 en prenant la tête du collectif,
08:06 je m'imaginais pas arriver à l'Assemblée nationale.
08:09 -Sur la scène politique mahoraise,
08:11 vous avez un style qui détonne.
08:13 C'est un style à la fois très direct,
08:16 vous aimez bien les punchlines, vous avez beaucoup de répartis,
08:19 et ça vous vaut d'être surnommée députée piment oiseau.
08:22 Le piment oiseau, c'est un petit piment
08:25 qui est particulièrement fort.
08:26 Votre façon de faire de la politique
08:29 ne correspond pas forcément à la culture mahoraise.
08:32 -Alors, il faut savoir que le piment,
08:34 dans la cuisine mahoraise,
08:35 c'est l'ingrédient indispensable.
08:38 Donc, ce qui paraît, pour un palais occidental,
08:41 quelque chose d'un peu agressif, chez nous, c'est un compliment.
08:44 Un bon plat, il y a du piment dedans, d'abord.
08:47 Je le prends comme ça, et c'est dit avec beaucoup d'affection.
08:51 On m'appelle Putumgoa, c'est vrai, le piment oiseau.
08:53 Mais, effectivement, on a eu,
08:56 et on a traditionnellement,
08:58 ça revient encore à l'insularité,
09:00 on a une approche qui est toujours de créer du consensus,
09:04 et de ne pas faire perdre la face à nos interlocuteurs.
09:07 Ce qui est normal,
09:08 parce que vous vivez avec vos adversaires sur une île.
09:11 Or, moi, effectivement, je pense qu'à un moment,
09:14 il faut cesser les hypocrisies et qu'on se dise les choses.
09:17 J'accepte le désaccord, j'ai aucun problème avec ça,
09:20 mais je souhaite qu'on assume chacun ses positions.
09:23 -Vous n'hésitez pas à aller au clash ?
09:25 -C'est juste qu'on soit clairs, qu'on dise les choses.
09:28 Je n'aime pas l'ambiguïté, parce que l'ambiguïté,
09:30 à Mayotte, a nourri des décisions qu'on a prises malgré nous.
09:34 Nos élus avaient tendance à ne pas assumer leur choix.
09:37 En fait, la clarté impose ensuite la responsabilité.
09:41 C'est pour ça qu'effectivement, je suis très directe dans...
09:44 C'est aussi l'héritage d'avoir été pendant 20 ans journaliste,
09:48 où le langage journalistique est tout sauf ambigu,
09:51 ce qui est l'inverse du langage du politique.
09:53 -Au-delà de votre style,
09:55 il y a aussi vos prises de position qui ont pu choquer.
09:58 En 2019, vous avez appelé la France à envoyer,
10:00 je cite, "des fusillés commando"
10:02 pour dynamiter les usines qui fabriquent les Kwasa Kwasa,
10:05 ce sont ces barques par lesquelles arrivent les Comoriens
10:09 sur l'île de Mayotte.
10:11 Envoyer des commandos pour dynamiter des usines
10:14 dans un autre pays, vous n'y allez pas de main morte.
10:17 -Je rappelle que le président Hollande
10:19 avait envoyé des commandos en Syrie,
10:21 parce qu'il estimait les intérêts français menacés
10:24 par des opérations qui se tenaient en Syrie.
10:26 De la même manière, pour nous, à Mayotte,
10:29 qui, constatons l'arrivée,
10:30 la moitié de la population est étrangère sur notre île,
10:33 toujours par le même véhicule, des Kwasa Kwasa.
10:36 Je ne vous appelle pas à attaquer ou envahir un autre pays,
10:39 mais à détruire le lieu où on fabrique ces engins de mort,
10:42 de trafic humain, que sont les Kwasa Kwasa.
10:45 -Ca reviendrait à déclarer la guerre aux Comores ?
10:48 -La France n'a pas déclaré la guerre en Syrie,
10:50 mais elle a mené des opérations,
10:52 car nos intérêts stratégiques étaient menacés.
10:55 J'appelle sur un constat de dire que c'est une menace
10:58 de déstabilisation, ce flux migratoire à Mayotte,
11:00 qui menace notre souveraineté.
11:02 C'est tous les Premiers ministres successifs depuis 10 ans.
11:05 J'appelle mon pays à prendre les mesures à hauteur du sujet.
11:08 -Vos adversaires vous reprochent
11:10 d'être sur la ligne du Rassemblement national,
11:13 à la fois sur les questions d'immigration et de sécurité.
11:16 Vous avez eu une phrase qui semble confirmer
11:18 dans un article du Monde.
11:20 "Sur les questions migratoires et sécuritaires,
11:23 "on est d'extrême droite.
11:24 "Sur les questions sociales, on est d'extrême gauche."
11:27 Vous assumez une forme de proximité avec le RN ?
11:30 -Vous savez, vous avez un petit outil assez sympathique,
11:33 les algorithmes de data RN,
11:34 et vous avez l'historique de mes votes.
11:37 Vous verrez que je suis proche de l'UPS.
11:39 Je rappelle simplement que la question de la souveraineté
11:44 est malheureusement monopolisée par l'extrême droite,
11:47 alors que les questions migratoires,
11:50 pour Mayotte, sont centrales.
11:51 C'est le constat de tous.
11:53 Je déplore que les autres parties ne s'en emparent pas.
11:56 Je suis assez claire là-dessus.
11:58 Je pense qu'au contraire, on doit avoir un débat
12:01 sur les questions d'asile et d'immigration
12:04 qui soient partagées,
12:05 et pas laisser le monopole de ce sujet à l'extrême droite.
12:08 -On va terminer par notre quiz.
12:10 Je vous explique le principe.
12:12 Je vais commencer une phrase, ça va être à vous de la compléter.
12:15 -J'écoute.
12:17 -J'aurais réussi mon mandat si...
12:19 -J'arrive à améliorer la vie de mes concitoyens.
12:22 -Avoir de l'eau courante, ce serait une réussite pour mon mandat.
12:26 Autre chose qu'une maternité dans notre hôpital,
12:28 ce serait une grosse réussite.
12:30 Des routes supplémentaires départementales,
12:33 ce serait une réussite.
12:34 -Pour certains députés, Mayotte, c'est...
12:37 -Un problème. -Un problème !
12:38 -C'est un mystère et un problème.
12:43 C'est-à-dire que ça les empêche,
12:45 et je les empêche activement,
12:47 de voir les choses de manière simpliste.
12:50 -Enfin, être députée, c'est renoncer à...
12:53 -Beaucoup de choses.
12:54 -On met sa vie privée entre parenthèses,
12:57 c'est cannibale, c'est chronophage,
13:00 c'est très exigeant, c'est magnifique,
13:02 parce qu'on est au service de la population,
13:05 et je pense que c'est un privilège et un honneur
13:08 que je n'aurais jamais imaginé.
13:09 C'est un sacrifice.
13:11 -Merci, Israëlis Soufae, d'être venu dans "La Politique et moi".
13:15 (Générique)
13:17 ---
13:32 Merci.