Militante féministe et antimilitariste exilée en France, Pinar Selek continue depuis 25 ans à subir l'acharnement de la justice turque. Après quatre procès où elle a été acquittée, un cinquième qui devait se tenir en septembre, a été reporté, en même temps que la Turquie lançait contre elle un mandat d'arrêt international. Dans son dernier livre, "Le chaudron militaire", la sociologue étudie la façon dont le service militaire sert à forger l'hégémonie masculine en Turquie dans un contexte mondial dominé par le néolibéralisme, les guerres et la montée des régimes autocratiques. Comment en sortir ? Quelles sont les nouvelles formes de résistance à adopter ?
Entretien avec Jean-Jacques Régibier, journaliste
Entretien avec Jean-Jacques Régibier, journaliste
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00:00 -Bonjour, Bénar Celek. Vous venez d'écrire un nouveau livre.
00:03 Je le montre tout de suite.
00:05 On va en parler dans quelques minutes,
00:07 dans quelques instants, mais avant, je voudrais parler de vous,
00:11 de parler de votre situation actuelle.
00:14 Je rappelle que depuis 25 ans,
00:16 vous...
00:17 Il y a un acharnement judiciaire contre vous en Turquie.
00:21 Vous avez eu quatre procès,
00:23 quatre procès pour lesquels vous avez été acquittée à chaque fois.
00:26 Il y en a un cinquième qui est en cours.
00:29 Une audience devait se dérouler il y a quelques jours.
00:32 Il a été reporté.
00:34 Dans le même temps, la Turquie a délivré
00:37 un mandat d'arrêt international contre vous,
00:40 c'est-à-dire que la persécution continue
00:42 sous deux aspects à l'heure actuelle.
00:45 Je voudrais vous demander comment vous vivez cette situation
00:48 et quels sont les enjeux actuels de cette situation
00:51 dans laquelle vous vous trouvez ?
00:53 Je rappelle que vous êtes, Bénar Celek,
00:56 vous êtes française de nationalité également.
00:59 Oui, peut-être...
01:03 D'abord, je vais souligner un point très important.
01:07 Moi, j'ai été arrêtée en 1998,
01:12 donc un peu plus que 25 ans.
01:14 C'est ce qu'on disait.
01:16 Et là, le début de l'acharnement que je subis,
01:20 c'était à cause de ma recherche sur la question kurde.
01:24 Ça commençait comme ça.
01:26 J'étais une Turque qui travaille sur la question kurde
01:29 et j'avais fait une histoire orale.
01:31 La recherche a duré plus que deux ans.
01:33 J'étais en train de préparer un livre
01:36 et j'ai été arrêtée.
01:37 La police m'a demandé les noms de mes interlocuteurs.
01:42 Donc, j'ai dit non.
01:44 Ils m'ont dit que si je leur donnais quelques noms,
01:47 après, si je leur promets de ne pas publier le livre,
01:50 je leur laisserais tous les livres.
01:53 À l'époque, il y avait des disquettes.
01:55 -Vous deviez leur donner.
01:57 -Ils ont pris tous mes documents.
02:01 Mais heureusement que je n'avais pas écrit
02:04 les noms des personnes ou l'identité des personnes.
02:07 Ils m'ont dit que si je ne publie pas ce livre,
02:10 si je leur donne les noms, ça sera un secret entre nous.
02:13 Donc, ça a commencé comme ça. C'est très important de le souligner
02:17 parce que les accusations sont venues après.
02:21 Moi, j'ai résisté malgré la torture
02:24 et j'ai été emprisonnée avec un autre acte d'accusation
02:28 par complicité avec l'organisation terroriste.
02:31 C'était comme ça.
02:32 Deux mois après, à la prison,
02:34 alors que je ne pouvais pas bouger parce que la torture était très dure,
02:38 j'ai vu à la télévision que m'accusaient
02:41 d'un attentat qui n'a même pas eu lieu.
02:44 Voilà.
02:45 Mais il y avait une très grande solidarité autour de moi.
02:48 Je peux vous dire que c'est un peu unique en Turquie.
02:51 La solidarité existe pour tous les procès,
02:54 mais mon procès était un peu unique parce qu'il y a eu tout le monde.
02:58 Les enfants de rue, les prostituées,
03:00 les personnes LGBT, les intellectuels, les universitaires,
03:05 plein, plein, les Kurdes, les Arméniennes.
03:07 Donc, les gens qui ne se retrouvent jamais
03:09 se sont retrouvés devant mes tribunaux, mais c'est pas ça.
03:12 C'est plutôt... J'avais plus de 200 avocats.
03:16 Mon père est avocat et ma soeur, elle a changé son métier.
03:19 Elle est devenue avocate dans ce processus
03:22 et il y a eu une lutte juridique minutieuse.
03:25 Et chaque fois que...
03:26 Donc, par rapport à cette histoire d'attentat,
03:31 déjà, le faux témoin qui a dit que ce n'était même pas un militant,
03:37 il a dit que ce n'était pas moi qui l'ai fait,
03:39 la police m'a fait signer avec la force
03:41 et ils m'ont dit que je fais avec Pénal Sélék,
03:45 mais je ne connais pas cette dame, etc.
03:47 En dehors de ce taveu sur la torture,
03:50 il n'y a pas d'autre chose.
03:52 En plus, le tribunal a demandé aux experts
03:55 d'analyser la situation, qui ont dit qu'il n'y a pas de bombes.
03:59 Donc, il y a deux experts et la police, au début,
04:02 qui avait dit qu'il n'y a pas de bombes.
04:04 -Il n'y a aucun fondement à l'accusation.
04:05 -Il n'y a pas aucun fondement, mais...
04:07 Donc, chaque fois que les juges ont vu le dossier,
04:10 ils m'ont acquittée.
04:12 Donc, on peut dire que même en Turquie,
04:15 on ne peut pas parler d'un état de droit
04:17 et on sait que la violation de droit est très, très forte,
04:23 mais quand même, ils m'ont acquittée.
04:25 -Quand même, on sait. Mais ce n'est pas fini.
04:27 -Donc, mon dernier acquittement, c'était en 2014.
04:30 Et après 2014,
04:33 le procureur a fait l'appel, comme tous les fois,
04:37 mais ils n'ont pas envoyé la cassation,
04:39 parce que quatre fois, c'est beaucoup,
04:41 ils ont envoyé la Cour suprême, c'est la juridiction turque.
04:45 Et moi, j'ai demandé à mes avocats,
04:46 ça va durer combien de temps, leur décision,
04:49 ils m'ont dit deux ans, un an, etc.
04:51 Donc, moi, j'étais acquittée en 2014.
04:54 Et les années ont passé,
04:56 et début de cette année, 2013, 2023, pardon,
05:00 en janvier, on vient d'entendre que le tribunal,
05:04 la Cour suprême, a demandé ma prison à vie,
05:11 et bien, me condamner tout seul, pas l'autre,
05:14 parce que l'autre, il est acquitté,
05:16 et le procureur a fait juste seulement l'appel.
05:18 Et après, il y a eu un nouvel tribunal qui s'est ouvert,
05:23 c'est cinq ans de procès, et maintenant...
05:26 Donc, il y a eu une délégation très importante
05:29 qui est allée à Istanbul, en mars,
05:32 donc ils ont reporté en septembre...
05:35 -En septembre de cette année. -De cette année.
05:37 -L'année prochaine, pardon. -Non, non.
05:39 Ils ont reporté en septembre qu'on a passé.
05:42 Et ils ont dit qu'ils ont demandé l'extradition à la France
05:46 et l'entité rouge à l'Interpol
05:48 pour pouvoir m'entendre.
05:50 Ils ont reporté parce qu'ils ne savent pas quoi faire aussi,
05:53 parce qu'ils ont une obligation de suivre la décision
05:56 de la Cour suprême.
05:58 C'est pas la cassation, c'est la Cour suprême,
06:00 mais ils n'ont pas suivi depuis deux audiences,
06:02 et ils ont dit qu'on va envoyer plus d'éléments
06:06 en France et à l'Interpol
06:09 pour qu'ils acceptent de vous délivrer.
06:11 -De vous arrêter. -Et donc, après,
06:14 ils ont reporté le procès
06:16 en juin 2024.
06:20 Donc, voilà.
06:21 Et donc, ça veut dire que l'échargnement,
06:25 l'épée de Damoclès, il est toujours sur moi.
06:28 Et donc, qu'est-ce qu'il y a ?
06:31 Il y a plusieurs effets.
06:33 Je ne veux pas parler de ma famille...
06:36 -Il y a cet effet épée de Damoclès,
06:38 et le fait que vous soyez sous le coup d'un mandat...
06:41 -D'arrestation. -D'arrestation
06:42 qui n'est pas clair, qui n'est pas terminé.
06:45 -C'est ça. Donc, je ne parle pas
06:48 des effets psychologiques, etc.,
06:50 donc j'essaie de résister.
06:52 Mais ce qui est important, moi,
06:54 j'ai dit que depuis le début,
06:57 je ne veux pas jouer dans ce mauvais film de science-fiction.
07:01 Je vais tourner mes films.
07:02 Je vais continuer à problématiser les questions,
07:06 à faire des recherches, à poser des questions,
07:08 à développer des analyses,
07:10 d'être vraiment dans mon travail,
07:13 dans mon métier.
07:15 Et j'ai continué comme ça.
07:17 Bien évidemment, je peux dire que la France,
07:20 d'abord en me donnant la protection
07:23 de l'asile politique,
07:26 et après, quand je suis devenue française depuis 2017,
07:29 mais aussi, les universités m'ont accueillie,
07:32 en commençant par l'université de Strasbourg
07:34 et maintenant l'université de Nice.
07:37 Et maintenant, je suis enseignante-chercheuse,
07:39 j'ai des responsabilités pédagogiques,
07:41 je suis co-coordinatrice de l'Observatoire de migration
07:44 dans les Alpes-Maritimes,
07:46 et je m'amène plein de recherches,
07:47 je publie des articles dans des revues scientifiques,
07:50 et j'ai des recherches sur multi-sites,
07:54 c'est-à-dire en Italie, en Suisse, etc.
07:56 Mais pour l'instant, je ne peux pas.
07:58 -C'est la question que j'allais vous poser.
08:01 Est-ce que vous pouvez être...
08:02 Quand vous êtes invitée par une université italienne,
08:05 vous pouvez y aller ? -Non, je ne peux pas y aller.
08:08 Je ne peux pas quitter la France pour l'instant,
08:10 parce que je ne sais pas ce qui est...
08:12 On ne nous a pas répondu encore.
08:14 Et surtout, je suis responsable de l'Observatoire,
08:17 et je ne peux pas...
08:18 Entre l'Italie et la France,
08:20 donc mes responsabilités concernent aussi l'Italie,
08:22 mais je ne peux pas y aller,
08:24 parce que nous travaillons avec l'université de Genève,
08:27 mais je ne peux pas.
08:28 Donc, maintenant, cette décision me prive
08:33 de mes libertés académiques et de mes libertés de recherche.
08:36 -Exactement. -Oui.
08:37 -Je vous repose la question.
08:39 Est-ce que vous vous sentez, aujourd'hui,
08:41 Pénar Sélék, en sécurité en France, tout simplement ?
08:44 -Non, parce que...
08:45 Parce que j'ai...
08:47 Je...
08:49 Comme je continue à agir,
08:51 je continue à m'exprimer,
08:54 je continue à écrire,
08:55 euh...
08:57 J'ai des menaces très importantes,
09:00 et surtout par rapport à la question arménienne,
09:03 que je crie beaucoup, je m'engage beaucoup.
09:06 Dans mon dernier livre,
09:08 "On va parler de la Chaudron militaire turc",
09:10 la maison d'édition a écrit "Pénar Sélék est persistent".
09:14 Donc, comme je suis persistent,
09:16 j'ai dit que la vie peut être courte,
09:18 mais je veux bien vivre de façon beau, belle,
09:22 et donc la peur diminue la qualité de la vie,
09:26 de l'engagement,
09:28 donc j'essaie d'être vraiment...
09:30 Euh...
09:31 Libre dans la pensée,
09:33 et cela a eu un résultat.
09:36 L'extrême droite turque
09:39 me menace de façon régulière et très, très forte.
09:42 Donc je ne peux pas me déplacer tout seul,
09:45 je suis toujours accompagnée, etc.
09:47 -On fait une pause avec vous sur ces questions.
09:51 Je reparle de votre livre,
09:52 "Le Chaudron militaire", un exemple de production
09:55 de la violence masculine.
09:57 C'est un thème sur lequel vous travaillez depuis des années.
10:00 Votre précédent livre en parlait également.
10:02 Pourquoi, j'allais dire,
10:04 le service militaire, en Turquie,
10:07 est, selon vous, un des endroits
10:10 où se crée, où se produit, effectivement,
10:13 cette violence masculine,
10:16 cette mise en place d'une mentalité masculine, répressive,
10:21 que vous dénoncez dans tous vos livres
10:24 et en dehors de vos livres ?
10:26 Qu'est-ce qui se passe dans cette institution-là ?
10:29 -J'ai voulu montrer surtout
10:34 comment on peut expliquer
10:36 les causes géopolitiques
10:40 des violences collectives
10:42 ou des violences en général.
10:44 On peut expliquer par des rapports sociaux,
10:47 par des explications géostratégiques,
10:49 mais moi, je voulais aussi contribuer
10:54 comme sociologue et montrer comment c'est possible
10:57 et quelle forme prend ces violences.
11:00 C'est très important pour moi.
11:02 Donc, j'ai essayé de montrer
11:04 quels mécanismes, en général,
11:07 transforment un bébé à un assassin.
11:10 Et j'ai vu qu'il y a plusieurs mécanismes
11:13 qui sont ensemble.
11:16 Et j'ai vu beaucoup...
11:20 En concernant la Turquie, par exemple,
11:23 le militarisme, le nationalisme, le sexisme
11:27 s'articulent, ont besoin de l'un de l'autre.
11:29 Et le pouvoir étatique, le pouvoir politique,
11:32 veut s'appuyer toujours sur les pouvoirs sociaux,
11:35 ils le réaniment, ils le reproduisent, etc.
11:38 -En permanence. -En permanence.
11:40 Donc, ils ont besoin des pouvoirs masculins
11:44 et ils ont besoin
11:47 de créer des sujets de violence.
11:50 Mais comment ils vont créer des sujets de violence ?
11:53 Avec les valeurs existantes dans la société,
11:55 en promettant aux hommes les pouvoirs.
11:58 Ce livre, j'ai dit que...
12:01 Un des lieux d'enfermement, comme disait Foucault,
12:04 service militaire, mais on pouvait choisir d'autres choses,
12:08 mais juste dans le service militaire,
12:10 il y avait... C'est un espace homosocial,
12:14 où il n'y a que des hommes.
12:15 Donc, là, vous pouvez voir toutes les relations
12:18 avec le grand pénis, donc avec l'État,
12:22 et qui leur apprend, d'abord, des hiérarchies entre les hommes,
12:26 après, ils leur disent, si tu veux avoir un pouvoir,
12:30 il faut que tu suives les règles, il faut que tu fais ce qu'on te dit.
12:34 Et moi, j'ai fait une recherche,
12:36 j'ai publié "Devenir homme en rampant",
12:39 qui est traduit en plusieurs langues,
12:41 et c'est publié en Turquie.
12:43 C'était ma dernière recherche en Turquie,
12:45 et j'ai discuté après.
12:47 Et après, comme dans le monde actuel,
12:51 je n'ai pas besoin de vous raconter, de vous décrire,
12:54 mais maintenant, c'est la barberie, c'est l'horreur.
12:57 - On va en parler. - Et donc, j'ai dit que maintenant,
13:00 il faut que je prenne la plume,
13:02 il faut que je dialogue avec cette ancienne recherche
13:05 que j'avais faite, il faut que je dialogue
13:07 avec d'autres chercheurs, d'autres philosophes,
13:10 d'autres penseurs, penseuses,
13:13 pour développer des analyses, pour pousser un peu l'analyse.
13:16 Et donc, à partir de "Chaudron militaire turc",
13:19 j'explique un peu tout ce mécanisme
13:22 qui transforme un bébé en anastasiste.
13:24 - Vous êtes sociologue, donc vous faites de l'enquête de terrain.
13:27 Dans vos précédents livres, vous aviez travaillé
13:30 en parlant avec des hommes,
13:32 quel que soit leur âge, origine sociale, etc.
13:34 Pour celui-ci, comment avez-vous fait ?
13:36 - Pour celui-ci, donc, j'avais publié le livre
13:40 comme un choral, donc il y avait plein d'hommes qui parlaient.
13:43 Donc, moi, je me suis mise...
13:46 Et aussi, je veux dire que quand j'ai publié ce livre,
13:49 donc j'ai fait deux ans et demi de recherche,
13:52 et après j'ai publié le livre
13:54 pour contribuer à la discussion en Turquie.
13:56 J'étais en Turquie à l'époque, au débat dans l'espace public.
13:59 Donc j'ai écrit assez rapidement le livre.
14:02 Donc j'ai mis mes analyses,
14:03 mais j'ai mis en avant les témoignages des hommes
14:06 pour montrer quelque chose assez rapidement.
14:09 Mais, dix ans après,
14:11 quand je me suis mise devant ce choral,
14:14 j'ai commencé à dialoguer avec ce choral et réfléchir,
14:17 pousser ma réflexion.
14:18 Donc c'est plus qu'une recherche de terrain,
14:22 c'est plus un travail de réflexion.
14:24 Et j'ai dialogué avec Hannah Arendt,
14:27 avec Deleuze, avec des différents philosophes
14:30 pour comprendre aujourd'hui la France,
14:33 la mondialisation, la paramilitarisation,
14:37 comment les hommes s'arment partout, etc.
14:41 Et cet exemple.
14:42 Donc j'ai voulu mettre un perspectif, cet exemple.
14:46 -C'est ça que vous apportez dans ce nouveau livre,
14:48 au-delà de la situation de la Turquie à l'heure actuelle,
14:52 sur laquelle vous avez déjà travaillé.
14:55 Vous dites, vous exposez ce point particulier
14:59 selon lequel on dépasse bien le cadre de la Turquie
15:03 et que les raisons qui font qu'on en arrive à la situation
15:06 sont mondiales à l'heure actuelle,
15:08 comme le capitalisme est mondial. Vous dites
15:11 que le capitalisme est dans son développement exponentiel,
15:14 actuel, et la cause aussi de tout ça,
15:16 peut-être avec des points plus forts dans certains pays,
15:19 mais sur le fond, partout.
15:21 -Tout à fait.
15:22 Dans le premier livre, dans mon premier travail,
15:25 j'ai essayé de montrer un peu l'articulation
15:27 du nationalisme, militarisme et sexisme,
15:30 mais dans mon nouvel "Réflexions",
15:32 j'ai introduit aussi dans cette articulation
15:35 le capitalisme et le renouvellement du capitalisme,
15:38 ces nouveaux dispositifs.
15:40 Je parle même de l'Amazon,
15:43 donc comment ça se fait,
15:45 et je parle surtout de la paramilitarisation.
15:49 Là, je parle des loups gris,
15:51 mais ce n'est pas juste pour le contexte turc.
15:53 On peut même lire, comprendre,
15:56 Damas, Daesh, à partir de cet exemple,
16:00 mais comment la mondialisation néolibérale
16:04 de l'économie a modifié les institutions
16:10 et les dispositifs de pouvoir dans cette société.
16:14 Donc comment l'État ne détient pas aujourd'hui
16:20 la légitimité de la violence.
16:23 Donc c'est pour cela que j'ai essayé de vous montrer,
16:26 et j'ai juste ouvert des pistes d'analyse.
16:29 Donc c'est un petit livre, comme vous voyez,
16:31 mais j'ai montré qu'il faut regarder
16:34 à ce qui nous paraît très normal
16:37 pour comprendre les mécanismes qui jouent
16:39 dans nos sociétés actuelles.
16:41 -Et où ça nous paraît de plus en plus évident.
16:45 On a l'impression que dans toute cette région,
16:48 on va en parler quand même,
16:49 que vous connaissez bien ce Moyen-Orient,
16:52 on est à l'heure actuelle très loin
16:55 de la paix et de l'égalité entre hommes et femmes
16:58 pour lesquelles vous me dites depuis toujours.
17:00 C'est là qu'on voit à l'heure actuelle
17:02 presque exactement le contraire de ce que vous décrivez.
17:06 On le voit à l'heure actuelle en Israël et à Gaza.
17:09 On le voit également dans le nord du Rojava,
17:12 dans le nord de la Syrie,
17:14 où les territoires majoritairement occupés par les Kurdes
17:17 sont bombardés à l'heure actuelle,
17:19 il faudra le rappeler, par l'aviation turque.
17:22 On le voit en Ukraine, on le voit également...
17:25 -En Arménie. -En Arménie, j'allais y venir.
17:27 Et en Azerbaïdjan.
17:29 -On a l'impression que tout ce pour quoi vous luttez
17:32 et tout ce pour quoi luttent tous ceux qui vous soutiennent,
17:36 on a exactement l'exemple inverse sous nos yeux à l'heure actuelle.
17:40 Comment vous analysez cette situation ?
17:42 Encore une fois, dans une grande région,
17:45 vous connaissez très bien.
17:47 -Je ne sais pas si on peut faire une petite comparaison,
17:51 une réflexion sur la Deuxième Guerre mondiale,
17:54 mais c'était les perdants de la colonisation de l'époque.
17:57 Maintenant, c'est les multinationaux,
17:59 c'est pas le même type de colonisation,
18:02 mais les Etats résistent,
18:03 et il y a des perdants de la mondialisation néolibérale.
18:07 Il y a des nouvelles alliances,
18:09 et il faut vraiment bien regarder ces nouvelles alliances
18:12 et dire que maintenant,
18:14 il y a une nouvelle guerre de partage des terrains.
18:18 Et surtout, là, il y a des nouveaux types de militaires,
18:23 des armées,
18:25 et de nouveaux types de dispositifs.
18:27 Donc, ce que je dis dans le livre,
18:29 ça confirme aussi tout ce qui se passe.
18:32 Moi, je pense que...
18:35 On est contre...
18:38 Face à un nouveau fascisme,
18:41 comme on dit, néolibéralisme, néoconservatisme,
18:45 mais un néofascisme...
18:46 qui vise aussi les femmes, les corps de femmes,
18:53 en Afghanistan,
18:55 mais aussi en France,
18:57 parce qu'il n'y a pas une grande réflexion en France
19:01 sur notre passé,
19:03 sur comment ça peut être normal
19:05 que l'extrême droite prenne la parole comme ça,
19:08 comme s'il n'y avait pas de résistance,
19:10 de libération, etc.
19:12 Et si on ne réfléchit pas sur cette propre question,
19:16 on ne peut pas être fort pour l'autre non plus.
19:18 Donc, on est vraiment face à une attaque fasciste
19:23 qui vise pas seulement les femmes,
19:25 les homosexuels, les personnes LGBTQ,
19:28 mais aussi toutes les autres populations.
19:31 Et je me dis, ça, c'est pas juste...
19:35 Les deux populations qui étaient génocidées
19:39 dans la Première Guerre mondiale,
19:42 pardon, dans le XXe siècle,
19:44 les Arméniens et les Juifs,
19:47 sont en train d'être massacrées.
19:49 Et les Kurdes, dans tout ça,
19:51 ils étaient massacrés aussi.
19:53 Et maintenant, ils sont visés...
19:55 Vraiment, il faut faire quelque chose.
19:57 C'est pas trop tard encore.
19:59 Il faut faire quelque chose.
20:01 Mais si vous avez remarqué,
20:03 je vais juste vous lire la dernière phrase de mon livre.
20:08 "En général, je finis toujours mes livres avec un espoir."
20:12 Tous mes livres sont comme ça.
20:14 Je parle de...
20:15 J'allie le pessimisme de l'intelligence
20:18 et l'optimisme de la volonté,
20:20 mais je fais l'optimisme de la volonté à la fin.
20:22 Mais là, je dis,
20:24 "Quand le mar à le raciner n'est pas un rhume,
20:26 "on ne peut pas le soigner avec un peu de miel et de citron."
20:30 C'est comme ça.
20:31 On n'est pas dans une période facile.
20:33 -Je voulais vous poser aussi une question.
20:36 Est-ce que vous pensez que le retour de la politique des blocs,
20:39 des grandes puissances,
20:41 est tout à fait favorable à cette situation ?
20:44 Est-ce que c'est pas là qu'est le problème, finalement,
20:47 de laisser le monde sous la domination, finalement,
20:50 hébété, nous, hébété, de ces grands blocs,
20:53 de ces grandes puissances, dont on a l'impression
20:56 qu'ils sont les seuls à parler ?
20:58 Est-ce que c'est pas là une des raisons
21:00 qui fait qu'on se trouve dans une situation accélérée,
21:03 aggravée, à l'heure actuelle,
21:05 dans certains points particuliers de la planète ?
21:08 -Oui, tout à fait.
21:09 Parce que les outils de pouvoir sont beaucoup développés
21:13 et ils sont plus efficaces.
21:15 Et la mondialisation néolibérale de l'économie fait ça.
21:21 Il y a une centralisation énorme de l'économie,
21:25 de l'argent, du capital.
21:28 Et cette centralisation
21:30 amplifie ou renforce les écarts existants
21:35 entre les régions, entre les populations, etc.
21:39 Et comme l'État s'est retiré de tous les droits sociaux, etc.,
21:44 les opprimés deviennent de plus en plus fragiles.
21:48 Donc la mobilité devient la seule façon de survie.
21:52 Mais aussi,
21:54 il y a une nouvelle classe multinationale.
21:59 Donc c'est pas la France, la bourgeoisie française,
22:02 qui colonise tel pays,
22:04 mais c'est plutôt une face à une centralisation
22:09 au niveau mondial de l'économie,
22:11 mais aussi de leur pouvoir politique et militaire.
22:17 Donc, quelquefois, on se demande
22:20 si la mondialisation veut dire en même temps
22:24 que les individus, les acteurs sociaux et ces populations
22:29 ont très peu de marge de manœuvre.
22:34 Mais en même temps,
22:36 moi je fais des recherches sur l'immigration
22:39 et je lis et je vois
22:42 qu'il se passe beaucoup de choses dans la misibilité.
22:47 -Des nouvelles formes de résistance ?
22:49 -Des nouvelles formes de résistance et de structuration
22:52 des nouvelles relations sociales.
22:54 Et surtout, quand on est dans la mobilité,
22:57 on crée beaucoup de choses.
22:59 Il y a une autre mondialisation par le bas.
23:01 Et il y a d'autres cultures qui se développent.
23:05 Mais il faut pas oublier que malgré ça,
23:08 il y a beaucoup de différences entre les...
23:10 Le refoulement de force, c'est très important.
23:13 Donc tout peut exploser
23:16 ou peut-être, avec le temps, il peut y avoir des avancées.
23:20 Moi, j'ai décidé,
23:22 comme dans mon dernier roman, "Azucena ou les fourmis en zine",
23:26 donc je parle des fourmis en zine,
23:29 j'essaie de répondre à votre question dans mon dernier roman.
23:33 Et je pense que nous devons juste penser
23:38 "Qu'est-ce que je peux faire aujourd'hui ?
23:40 "Comment je peux avancer ?" et ouvrir des galeries.
23:43 -On se trouve ici au coeur du Conseil de l'Europe.
23:46 C'est le Conseil de l'Europe qui nous accueille.
23:48 On les en remercie.
23:50 Est-ce qu'une institution comme celle-ci, en France,
23:53 ici, à Strasbourg, vous semble importante à l'heure actuelle ?
23:57 -Alors, comme je vous ai dit, tout est important.
23:59 Il faut pas attendre beaucoup de choses.
24:02 Il faut pas attendre des choses très rapides.
24:04 Mais il faut toujours s'aimer.
24:06 La visibilité et la continuité du discours sont importants.
24:10 Je vais vous donner juste un petit exemple.
24:13 J'ai travaillé depuis 2-3 ans sur le diaspore arménien.
24:17 Et comment le diaspore arménien, quand il était détéritorialisé,
24:21 quand il n'y avait aucun pays qui le soutenait, etc.,
24:27 comment ils ont vraiment créé leur communauté ?
24:31 Au travers des revendications politiques,
24:33 des reconnaissances, etc.
24:35 Quand j'ai parlé avec plein de personnes du diaspore arménien,
24:39 ils me racontaient qu'on parlait d'abord avec les élus locaux,
24:43 après, on parlait avec TARC.
24:45 Il n'y a pas de résultats très rapides.
24:48 Mais aujourd'hui, quand même, malgré tout,
24:50 cette question est devenue dans l'agenda politique
24:54 de l'espace politique international. Voilà.
24:57 -Justement, le Conseil de l'Europe, où nous nous trouvons,
25:01 vient de décerner le prix Vaclav Havel des droits de l'homme
25:04 à Osman Kavala, évidemment, que vous connaissez,
25:07 qui est en prison en Turquie et qui a été condamné à perpétuité,
25:11 rappelons-le, en Turquie.
25:13 Voilà une petite chose, on pourrait dire,
25:16 mais est-ce que c'est important, en l'heure actuelle,
25:18 pour Osman Kavala d'abord,
25:20 mais peut-être pour les autres prisonniers politiques ?
25:23 On pense à Selahattin Debitas,
25:25 on pense aussi à Ocalan, d'une certaine manière.
25:28 Est-ce que c'est important qu'une décision comme ça,
25:31 de remise d'esprit Vaclav Havel,
25:33 soit attribuée à Osman Kavala,
25:35 soit attribuée à un des prisonniers célèbres,
25:37 j'allais dire, en Turquie ?
25:39 -C'est très important, mais quand même,
25:42 ça ne récompense pas...
25:44 C'est pas une bombe sur les terribles blessures,
25:49 parce que, en différence avec tous ses amis,
25:52 ils sont en prison, moi, je suis dehors.
25:54 C'est pour cela que je suis dangereuse aussi,
25:57 parce que je continue toutes mes activités et je parlais.
26:00 Donc ça, c'est très important,
26:02 mais je crois que le Conseil de l'Europe
26:05 ou ses institutions européennes
26:07 peuvent faire plus que des prix ou des déclarations, etc.
26:12 Il faut un peu, je crois, réfléchir à pousser des limites
26:17 pour que les populations aient la confiance
26:20 à ces institutions démocratiques.
26:22 -Vous pouvez-vous attendre quelque chose
26:24 du gouvernement français, tout simplement, aujourd'hui ?
26:27 Vous ne souhaitez pas en parler ?
26:29 -Le gouvernement français,
26:31 ou pas seulement le gouvernement français,
26:34 mais les institutions françaises, depuis mon arrivée,
26:38 vraiment, j'ai été très bien accueillie,
26:40 parce que j'étais déjà en lien avec les universités.
26:44 J'ai une protection fonctionnelle.
26:47 Madame la ministre des Affaires étrangères
26:50 a déclaré que je serai dans la protection de la France
26:55 jusqu'au bout.
26:56 Donc elles ont mis sur leur site,
26:59 et après, elles ont ouvertement exprimé
27:03 que le mandat de réintégration internationale
27:06 entrave mon travail.
27:08 Donc je pense que la France,
27:11 pour me créer une liberté d'expression et de vie,
27:14 fait tout ce qu'elle peut.
27:17 Mais juste, moi, je me dis,
27:19 moi, je suis une citoyenne française, maintenant,
27:22 qu'elle peut jouer plus de rôles dans l'Europe
27:26 surtout quand la ministre, elle, a dit
27:29 que ce procès qui dure depuis 25 ans
27:32 et le mandat international entravent le travail de Pénar Sélék.
27:36 Donc je veux bien qu'elle joue un rôle
27:38 au niveau des autres pays européens
27:40 pour mon liberté de circulation et de recherche.
27:43 -Penar Sélék, qu'est-ce qu'on peut faire ?
27:46 Vous êtes soutenue, on le sait,
27:47 mais qu'est-ce qu'on peut faire pour vous ?
27:50 -Moi, je veux bien,
27:52 surtout pour le procès qui va venir,
27:55 en juin 2024,
28:00 comme il y a plein de dates,
28:02 j'imagine une délégation internationale,
28:05 au moins 500 personnes.
28:07 La solidarité qui se rendrait à Istanbul
28:11 pour participer à mon procès, c'est très important.
28:14 Ca joue à chaque fois,
28:15 parce que comme il y a une très grande solidarité,
28:18 ils ne peuvent pas me condamner encore.
28:20 C'est très important, cette solidarité internationale
28:23 et la visibilité.
28:24 -Est-ce qu'il y a une chose, autre,
28:26 qui est très importante à l'heure actuelle,
28:29 sur laquelle vous voudriez mettre le doigt, insister ?
28:32 -Euh... Je veux...
28:34 Oui, parce qu'aujourd'hui...
28:37 Une grande partie des prisonnières politiques en Turquie
28:43 sont des femmes.
28:45 La plupart sont des femmes kurdes.
28:47 Ce sont des anciens députés, anciens maires.
28:50 Et ce sont des otages,
28:53 parce que cette libération des femmes,
28:55 et surtout libération des femmes kurdes,
28:57 a beaucoup dérangé le régime.
29:00 Elles sont depuis des années en prison.
29:03 On n'entend pas de halle.
29:04 Donc je veux bien que...
29:06 Euh...
29:07 Ceux qui suivent votre...
29:11 votre programme,
29:13 ceux qui nous écoutent,
29:14 je veux bien qu'ils essayent de se renseigner plus
29:18 sur ces personnes,
29:19 essayer de communiquer avec elles,
29:22 même si c'est en prison,
29:23 communiquer avec leur famille
29:25 et faire quelque chose aussi pour toutes ces femmes en prison.
29:29 -Merci beaucoup, Mme Selleck,
29:31 pour cet entretien complet.
29:32 Et puis on continue bien sûr à vous suivre et être avec vous.
29:36 -Merci. -A bientôt.
29:37 -A bientôt. Merci.
29:39 Sous-titrage ST' 501
29:41 [Souffle du vent]
29:42 [Clic]