• il y a 2 ans
Un mois après le passage de la tempête Daniel en Libye, les villes dévastées par les inondations attendent toujours l'aide promise par les autorités. L'ancien envoyé spécial de l'ONU en Libye Ghassan Salamé déplore l'incurie des dirigeants, dans un pays fracturé, entre rivalités internes et ingérences étrangères.

Invité : Ghassan Salamé, envoyé spécial de l’ONU en Libye 2017-2020
Présentation : Laurent Huguenin-Elie

Category

🗞
News
Transcription
00:00 Bonjour à toutes et à tous, soyez les bienvenus dans Géopolitis.
00:04 Près d'un mois après les ravages de la tempête Daniel qui a atteint la côte libyenne,
00:08 des corps pourraient encore être retirés des décombres ou repêchés dans la mer,
00:13 à Derna, ville dévastée par les flots, on compte des milliers de morts et de disparus.
00:17 Ces images d'apocalypse nous permettent de mesurer l'ampleur de cette catastrophe humanitaire
00:24 avec des dizaines de milliers de personnes déplacées,
00:26 victimes par ailleurs d'une situation extrêmement instable dans une Libye multifracturée
00:32 et minée par la corruption.
00:34 La chute de Kadhafi en 2011 a entraîné une longue période chaotique
00:39 qui se prolonge aujourd'hui avec deux gouvernements rivaux et une multitude de groupes armés.
00:44 De nombreux États étrangers sont impliqués, ils convoitent notamment le pétrole et le gaz libyens
00:49 tout en souhaitant étendre leur zone d'influence.
00:52 Nous en parlerons avec notre grand invité Hassan Salameh,
00:55 envoyé spécial des Nations Unies en Libye de 2017 à 2020.
00:59 La Libye n'en finit pas de souffrir.
01:03 Alors oui, le choc entre les deux parties rivales du pays
01:06 n'est pour l'instant plus aussi frontal qu'il y a quelques temps.
01:09 On assiste même, en coulisses, à une série d'arrangements
01:12 en maintenant le statu quo pour pouvoir partager les richesses de ce pays pétrolier.
01:17 Mais il ne faut pas s'y tromper.
01:18 En août dernier, de violents combats ont éclaté entre groupes armés dans la banlieue de Tripoli.
01:22 La fragmentation sécuritaire semble se poursuivre,
01:26 malgré un fragile accord de cesser le feu.
01:28 Les périodes de calme sont donc très précaires.
01:30 Et comme si cela ne suffisait pas,
01:32 les terribles inondations dans le nord-est de la Libye
01:35 sont venues s'ajouter à la douleur, au calvaire du peuple libyen.
01:39 Des images de désolation.
01:49 Des quartiers entiers engloutis, détruits par les immenses torrents d'eau et de boue
01:53 qui ont tout emporté sur leur passage.
01:55 Un bâtiment dans lequel se trouvaient 32 personnes a été rasé
02:00 et aucune d'entre elles n'a survécu.
02:02 Le désastre à Derna est énorme.
02:06 Les images satellites viennent souligner l'ampleur de la catastrophe.
02:12 Les dégâts sont indescriptibles, vertigineux,
02:15 tout comme le nombre de victimes, impossible encore à estimer.
02:19 On parle d'au moins plusieurs milliers de morts et de disparus,
02:22 des dizaines de milliers de déplacés
02:25 et une population tout entière traumatisée.
02:28 Nous n'oublierons jamais ce jour-là à Derna.
02:33 C'était la première fois que je voyais une telle chose dans ma vie.
02:39 Même pendant la guerre, ce n'était pas comme ça.
02:41 Un cauchemar en cette nuit du 10 au 11 septembre dernier,
02:47 la tempête d'Agnel qui sévissait dans le sud-est de l'Europe
02:50 atteint alors les côtes libyennes.
02:52 Les précipitations d'une rare intensité ont touché en particulier
02:56 toute la région vallonnée dite de la Montagne Verte,
02:59 avec des zones situées en contrebas
03:01 formant une véritable cuvette aux portes de Derna.
03:05 Sous la pression des eaux, les deux barrages construits
03:07 dans la périphérie de la ville ont fini par céder,
03:10 laissant se déverser les flots dévastateurs.
03:14 Pourtant, des experts avaient régulièrement pointé
03:17 la fragilité de ces barrages.
03:18 Il y a quelques mois, des fissures avaient été signalées
03:22 sans que rien ne soit entrepris.
03:24 Inaction et impréparation,
03:26 et dans les heures qui ont précédé la catastrophe,
03:29 annonces contradictoires.
03:31 Cette grande confusion, ce manque de coordination,
03:34 puis le difficile déploiement de l'aide internationale
03:37 s'explique notamment par une situation très complexe.
03:40 [Musique]
03:46 La Libye, dans le sillage de la chute de Kadhafi,
03:48 a connu une longue période de guerre civile,
03:50 menant à une atomisation du pays
03:52 et un éclatement des pouvoirs.
03:54 Résultat, une multitude de milices dispersées
03:57 et deux gouvernements qui aujourd'hui se font face.
04:00 [Musique]
04:02 A l'origine, le pays résulte d'un assemblage
04:05 de régions autonomes devenues provinces.
04:07 Un découpage traditionnel aboli depuis,
04:10 mais qui garde une place importante
04:12 dans la culture et l'histoire libyenne.
04:15 À l'heure actuelle, l'Ouest de la Libye
04:17 est dirigé par une administration reconnue par l'ONU,
04:20 basée à Tripoli,
04:21 celle du gouvernement d'Union Nationale
04:23 et de son premier ministre, Abdelhamid Zibaïba.
04:27 L'Est abrite le Parlement, basé à Benghazi,
04:30 mais dans les faits, ce versant est tenu
04:32 par l'armée nationale libyenne,
04:34 dirigée par le maréchal Khalifa Haftar.
04:36 C'est le véritable homme fort de la partie orientale.
04:40 Quant à la pointe sud du pays,
04:41 dont peu d'informations nous parviennent,
04:43 elle est gérée par les communautés tout-bou et tout à règle,
04:46 avec la présence de plusieurs groupes armés.
04:50 Aujourd'hui, un fragile accord de cesser le feu
04:52 laisse place à quelques arrangements précaires
04:55 et un calme très relatif,
04:57 sans pour autant contenir la violence des groupes armés.
05:00 Et dans l'attente d'hypothétiques élections nationales,
05:03 à chaque fois repoussées, les jeux de pouvoir se poursuivent.
05:07 Ainsi, dans cette ville de Derna,
05:09 considérée historiquement comme rebelle,
05:12 le maréchal Haftar en a profité pour réaffirmer son pouvoir.
05:17 Plusieurs arrestations y ont été menées à l'issue de manifestations,
05:21 face à la colère d'une population meurtrie et endeuillie.
05:26 - Rassane Salameh, bonjour.
05:30 - Bonjour.
05:31 - Merci beaucoup d'être avec nous.
05:32 Vous êtes professeur émérite à Sciences Po Paris,
05:35 ancien ministre libanais de la Culture,
05:37 envoyé spécial des Nations Unies en Libye de 2017 à 2020.
05:42 Vous êtes présent à Genève dans le cadre d'une conférence
05:45 que vous avez donnée au Graduate Institute.
05:47 On l'a vu sur ces images, la population est doublement victime
05:51 de la catastrophe d'une part bien sûr,
05:53 mais aussi d'une situation chaotique, vraiment difficile,
05:56 avec comme conséquence des infrastructures à l'abandon
05:59 et une aide humanitaire qui n'a pu arriver qu'au compte-gouttes.
06:04 - C'est une tragédie énorme en réalité.
06:08 Il y a deux barrages qui ont sauté, l'un qui est tout près de la ville,
06:12 à 3 km de la ville, au sud de la ville,
06:14 et l'autre, le plus important, à à peu près 17 km plus bas.
06:17 Les deux, face à l'ouragan Daniel, ont craqué.
06:23 Et la ville qui est en contrebas a été entièrement dévastée.
06:28 Toute la partie, l'ancienne partie du centre-ville,
06:32 qui est plutôt basse sur la mer, a été entièrement dévastée.
06:37 Le plus grave à l'heure qu'il est,
06:39 c'est que nous avons un peu plus de 4 000 décès confirmés,
06:43 mais il y a encore des milliers, des milliers, peut-être même 10 000,
06:47 on ne sait pas trop, de personnes dont on ne connaît pas le sort,
06:52 qui sont peut-être emportées par les vagues dans la mer
06:56 ou qui ont disparu d'une manière ou d'une autre.
06:58 - Des milliers de disparus, des milliers de déplacés.
07:00 - De déplacés aussi.
07:02 Parce qu'il faut savoir que ce mur d'eau qui a envoyé la ville
07:07 est arrivé jusqu'au quatrième étage des immeubles.
07:09 Donc il y a au moins les habitants des trois étages les plus bas
07:15 qui ont été emportés dans la vague.
07:18 Le plus grave aussi, c'est qu'il y a eu, juste avant ce désastre,
07:25 des instructions un peu contradictoires de la part des autorités.
07:31 À la fois, on leur disait de rester chez eux,
07:33 mais à la fois, on leur disait de quitter les lieux.
07:36 Donc les gens ne savaient pas.
07:38 Et du coup, ils n'ont pas pris les mesures nécessaires,
07:41 sauf les plus malins qui sont montés sur les toits ou qui se sont déplacés,
07:45 mais c'est une minorité.
07:46 La plupart des gens sont restés chez eux
07:48 et donc ont été emportés par les vagues.
07:50 Donc c'est une tragédie énorme qui est venue d'ailleurs quelques jours
07:56 après le tremblement de terre au Maroc
07:58 qui a ensanglanté deux fois l'Afrique du Nord
08:03 et bien entendu qui a ouvert les yeux sur le manque d'entretien,
08:09 l'incompétence, peut-être même l'indifférence des dirigeants du pays
08:15 pour le bien-être de la population.
08:18 Donc cette ville qui a déjà beaucoup souffert des combats depuis 2011,
08:26 plusieurs épisodes de combats,
08:28 souffrait maintenant d'une espèce de catastrophe naturelle
08:33 où la responsabilité des hommes est également à souligner,
08:37 bien entendu en matière d'impréparation, d'incompétence,
08:41 d'instruction contradictoire, etc.
08:43 On l'a vu dans le sujet, les différentes cartes avec les provinces,
08:48 mais beaucoup plus que divisées,
08:50 le pays est véritablement atomisé aujourd'hui
08:53 à l'origine de cette situation chaotique.
08:56 C'est 2011, c'est le point de rupture ?
08:58 Bien entendu, bien entendu.
08:59 Vous avez 42 ans de dictature kadhafienne.
09:04 Kadhafi qui a géré le pays à sa manière
09:07 en pénalisant certains, en récompensant d'autres,
09:12 en s'attirant les allégeances de certains,
09:15 mais aussi en éloignant de lui quelques autres, etc.
09:18 Et du coup, il y a cette intervention de l'OTAN en 2011
09:22 qui met fin à un régime et finit par assassiner Kadhafi lui-même.
09:29 Après, on a un drame qu'on avait déjà vécu en Irak en 2003,
09:36 c'est-à-dire il y a une intervention,
09:38 mais il n'y a pas une réflexion suffisante sur l'après-intervention.
09:42 Donc c'est bien de faire du régime change,
09:44 c'est peut-être bien, je ne suis même pas sûr que ce soit bien,
09:47 parce que dans ce cas précis,
09:48 je crois que l'OTAN a interprété d'une manière, disons controversée,
09:54 la résolution du Conseil de sécurité
09:57 qui ne l'autorisait pas vraiment à utiliser la force
10:00 pour faire ce changement de régime.
10:03 Mais de toute manière, cette intervention a lieu,
10:06 mais après, on laisse les Libyens à eux-mêmes.
10:08 Pendant un certain temps, ça va,
10:11 c'est-à-dire il y a un conseil provisoire qui prend les choses en main,
10:15 mais très vite, il y a une lutte pour le pouvoir
10:17 et le pays, loin de se diviser en deux ou en trois,
10:21 s'atomise, explose en un nombre de centres de pouvoir à travers le pays.
10:31 C'est un pays quand même qui est assez grand, même très grand,
10:34 mais surtout, c'est un pays riche.
10:36 Donc c'est un pays qui produit à peu près 1,2 million de barils/jour
10:40 et donc il y a une matière sur laquelle
10:44 les différents centres de pouvoir vont se battre.
10:47 – Et on va y venir justement parce qu'aujourd'hui,
10:49 le cessez-le-feu est dans l'ensemble respecté,
10:52 malgré des foyers de tensions qui sont nombreux
10:55 et la présence de groupes armés.
10:57 Il faut ajouter à la complexité du dossier l'ingérence étrangère.
11:00 Voyez ce sujet de Mélanie Oaïon.
11:03 [Musique]
11:12 C'était en février 2011, dans la lignée des printemps arabes.
11:16 Les Libyens se soulèvent contre la dictature du colonel Muammar Kadhafi.
11:21 Son clan promet d'écraser la révolte.
11:25 – Nous allons armer 5 millions de Libyens.
11:28 Il y aura des fleuves de sang dans toutes les villes de Libye.
11:32 [Explosion]
11:34 – Un mois plus tard, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni
11:37 lancent leur première frappe sur les bases stratégiques pro-Kadhafistes
11:41 après le feu vert des Nations Unies.
11:44 Chassé de la capitale, Muammar Kadhafi se retrouve piégé à Sirte, sa ville natale.
11:48 Lâché par la foule, il meurt le 20 octobre 2011
11:51 dans des circonstances encore floues.
11:55 La fin de la dictature a laissé place à une décennie de chaos en Libye
11:58 et le champ libre à l'ingérence des puissances étrangères.
12:02 Bon nombre d'États y voient le moyen de servir leurs propres intérêts et convoitent,
12:06 tout comme les deux autorités rivales de Tripoli et Benghazi,
12:09 les gisements de gaz et de pétrole libyens, première réserve de pétrole d'Afrique.
12:15 Tout d'abord, la Turquie, principale soutien à cette Libye reconnue par les Nations Unies.
12:20 Ankara et Tripoli ont signé toute une série d'accords économiques,
12:23 notamment dans le secteur des hydrocarbures.
12:26 La Turquie lui apporte son appui militaire.
12:29 Les troupes turques ont largement contribué à repousser en 2020 l'offensive du maréchal Haftar.
12:34 Et puis l'ancienne puissance coloniale en Libye, l'Italie,
12:37 a renouvelé son accord controversé avec les gardes-côtes libyens
12:41 pour freiner l'afflux de migrants vers l'Europe.
12:43 Le géant italien Eni vient de conclure un accord
12:46 pour exploiter des réserves de gaz au large des côtes libyennes.
12:51 Autre allié de poids, les États-Unis,
12:53 qui tentent de contenir l'influence grandissante dans l'autre camp, de la Russie.
12:58 Moscou a réaffirmé son soutien au maréchal Haftar.
13:01 Il a été reçu fin septembre par le président Poutine
13:04 après la récente visite d'une délégation militaire russe à Benghazi.
13:09 En appui aux troupes du maréchal,
13:11 plus d'un millier de membres des milices Wagner sont intervenus en Libye.
13:15 Le gouvernement de l'Est libyen peut aussi compter sur l'Egypte,
13:19 qui partage une frontière poreuse avec son voisin
13:21 et craint l'afflux d'armes de contrebande et de combattants djihadistes.
13:25 C'est aussi un moyen pour le CAIR de contrer l'influence de la Turquie
13:29 et des frères musulmans dans la région.
13:31 – Hassan Salamé, les enjeux sont d'importance géopolitique, économique,
13:42 bien sûr, vous l'avez rappelé, la Libye est riche en hydrocarbures
13:45 et ça a toujours suscité la convoitise des puissances,
13:47 mais il n'y a pas que ça, il n'y a pas que ça dans le fond.
13:50 Les États s'intéressent beaucoup à la Libye
13:52 et il y a cette insurance justement étrangère
13:55 pourquoi par exemple la Turquie s'implique-t-elle autant dans ce...
14:00 – La Turquie était l'un des plus grands constructeurs d'infrastructures
14:03 en Libye du temps de Kadhafi.
14:05 Donc il y a beaucoup de projets que vous voyez en Libye,
14:09 projets électriques, projets d'infrastructures,
14:11 l'aéroport de Benghazi, la centrale électrique d'Oubari etc.
14:16 qui avaient été construites par des sociétés turques,
14:19 mais pas achevées parce qu'il y a eu la révolution depuis
14:23 et donc la Turquie est très engagée dans le secteur de la construction en Libye.
14:29 En fait c'était un peu l'exemple que la Turquie voulait donner au reste de l'Afrique,
14:34 qu'elle avait maintenant des sociétés de travaux publics
14:37 qui étaient extrêmement puissantes.
14:40 Ensuite il y a le problème de la démarcation des frontières maritimes
14:46 et la Turquie a un vieux projet qu'elle a réussi d'ailleurs à imposer
14:50 à l'occasion des combats de 2019,
14:55 c'est d'essayer d'avoir une espèce de corridor à travers la Méditerranée
15:01 qui est fait largement au dépens de la Grèce, un peu même au dépens de l'Italie
15:06 et qui en réalité accorde à la Turquie un espace maritime que ses voisins lui contestent.
15:13 Donc la Turquie a plusieurs intérêts.
15:16 Ensuite il y a aussi l'investissement massif d'Air Dorgane dans l'ensemble de l'Afrique.
15:22 Il faut savoir qu'au cours des dix dernières années,
15:26 Turkish Airways par exemple a plus de 40 escales en Afrique,
15:30 alors elles partaient de zéro.
15:32 Ils ont construit une base à Djibouti,
15:34 ils ont des accords militaires avec plusieurs pays,
15:38 ils ont ouvert des tas d'ambassades sur l'ensemble du continent.
15:41 Donc il y a un intérêt réel de la Turquie pour l'ensemble de l'Afrique
15:46 et la Libye était un petit peu le modèle d'exposition pour eux du temps de Kadhafi
15:52 et ils veulent reprendre ce rôle.
15:54 Les zones d'influence, évidemment à l'Est,
15:56 le maréchal Haftar est soutenu par l'Égypte, les Émirats mais aussi la Russie.
16:01 Est-ce que l'on sait à l'heure actuelle quel est le rôle encore de la Russie
16:05 après notamment la disparition des numéros 1 et 2 du groupe Wagner ?
16:10 Le groupe Wagner existe encore en Libye,
16:13 peut-être pas avec les chiffres qui avaient atteint leur maximum,
16:17 peut-être qu'au moment le plus aigu de la guerre en 2019,
16:22 ils sont arrivés à 1200 à 1300 hommes.
16:25 Mais ils avaient ramené aussi avec eux des gens qui n'étaient pas dans Wagner
16:30 mais qui étaient payés par Wagner,
16:31 notamment des interprètes ou des cuisiniers syriens par exemple, etc.
16:35 Donc l'ensemble Wagner a participé à la guerre
16:39 et à un moment ils ont joué un rôle capital dans l'attaque
16:44 que le maréchal Haftar a engagée contre Tripoli au printemps 2019.
16:51 Est-ce que Haftar, entouré aujourd'hui de ses fils,
16:54 tire vraiment toutes les ficelles à l'Est ?
16:56 Non, il n'y a personne qui tire toutes les ficelles en Libye,
16:58 c'est ça le problème de la Libye,
17:00 c'est qu'il y a plusieurs centres de pouvoir.
17:03 Il y a Haftar, il y a le gouvernement de Tripoli,
17:06 il y a la grosse milice de Musrata,
17:10 il y a une milice importante aux Enteignes,
17:12 il y a également d'autres forces dans le pays,
17:16 il y a le Parlement qui est basé à Tobrouk,
17:20 il y a des centres de pouvoir variés.
17:23 Haftar est certainement un des acteurs importants de ce drame
17:27 mais ce n'est certainement pas le seul
17:29 et s'il y en avait un seul,
17:30 j'allais dire le pouvoir serait concentré.
17:32 Or aujourd'hui le pouvoir est plutôt diffus
17:35 entre ces centres de pouvoir,
17:37 beaucoup plus que concentré dans les mains d'un seul.
17:40 Vous avez été mandaté par l'ONU en 2017,
17:43 vous étiez donc émissaire en Libye,
17:44 vous avez tenté d'unir les Libyens
17:46 et justement freiner, restreindre l'ingérence étrangère.
17:50 On a l'impression d'ailleurs qu'à un moment donné,
17:53 il y avait beaucoup d'espoir, on y était presque,
17:56 et vous avez décidé de quitter vos fonctions en 2020.
17:59 Pourquoi cette mission impossible ?
18:01 Du tout, du tout.
18:02 J'ai dû quitter malheureusement
18:04 pour de très sérieuses questions de santé.
18:08 Pour dire les choses cruellement,
18:09 j'ai eu une tumeur au cerveau.
18:11 Donc j'ai dû aller me faire soigner.
18:15 Mais j'ai suivi, grâce au travail de mon équipe,
18:18 ce qui s'est passé ensuite.
18:20 Au moment où je suis parti,
18:22 ce n'est pas du tout par désespoir.
18:23 Au contraire, c'était un moment où on arrivait enfin
18:27 à faire tenir une conférence au niveau des chefs d'État,
18:29 où Poutine, Erdogan, Macron, Boris Johnson à l'époque,
18:33 et tous les autres étaient venus.
18:35 Le sommet, le fameux sommet de Berlin en janvier 2020,
18:38 qui a été un grand succès,
18:40 et qui est encore aujourd'hui la référence principale
18:44 pour ce qui se passe au niveau du processus politique.
18:47 On avait réussi deux choses.
18:49 D'abord, on avait réussi à imposer un cessez-le-feu
18:53 qui a été effectif à partir de l'automne 2020.
18:56 Et on a aussi réussi à faire couler de nouveau le pétrole
18:59 parce que la population a besoin d'être nourrie.
19:02 Au niveau politique, certes, on avait un grand projet
19:05 qui était la conférence nationale à Guedemes.
19:08 On n'a pas pu la tenir du fait de la guerre,
19:10 mais on en a tenu un avatar plus tard
19:13 qui s'appelle le dialogue politique,
19:15 qui a produit le gouvernement actuel à Tripoli.
19:17 Aujourd'hui, on assiste à un calme très précaire.
19:19 On a l'impression que chacun s'en accommode,
19:23 même à la clé des arrangements.
19:26 Mais tout cela est un peu trompeur.
19:28 Est-ce que le statu quo est viable ?
19:31 Le statu quo est viable en ce sens qu'il faut savoir
19:35 que ce genre de conflit civil ne se résout pas en un jour,
19:40 mais par un système d'accumulation de points positifs.
19:44 Moi, je constate, un, que le cessez-le-feu
19:47 que nous avions négocié en 2020 tient toujours.
19:50 Il y a encore quelques fois des RICs à droite et à gauche.
19:53 Il faut savoir que Gaddafi a laissé
19:55 20 millions de pièces d'armes dans les mains de la population.
19:59 Donc c'est presque un miracle que le cessez-le-feu tienne
20:03 alors qu'il y a toutes ces armes dans les mains de la population.
20:06 Deuxièmement, le pétrole n'a pas cessé.
20:09 Au contraire, il y a de nouveaux contrats
20:11 qui ont été signés au cours des deux dernières années
20:14 pour que le pays redevienne
20:16 un très grand producteur de pétrole et de gaz.
20:19 Donc les deux données fondamentales
20:21 pour le Libyen moyen sont là.
20:25 Il peut envoyer ses enfants à l'école parce qu'il y a le cessez-le-feu
20:28 et de l'autre côté, il peut obtenir son salaire
20:30 parce que le pétrole coule comme il faut.
20:33 Maintenant, il faut réunifier les institutions.
20:36 C'est le grand défi qui reste à faire.
20:40 Et cette réunification des institutions
20:43 passe normalement par des élections.
20:45 Or, les différents partis,
20:48 les différents centres de pouvoir dont je parlais tout à l'heure,
20:51 veulent faire des lois électorales sur mesure.
20:55 C'est-à-dire, chacun veut s'assurer
20:57 que la loi électorale va lui bénéficier à lui.
21:01 Donc si on met dans la loi électorale
21:03 qu'un binational ne peut pas se présenter
21:06 et qu'il se trouve que le Premier ministre actuel est binational,
21:08 il va le bloquer.
21:10 Si on dit qu'un militaire ne peut pas se présenter,
21:13 M. Haftar va s'y opposer.
21:15 Si on dit que les représentants de l'ancien régime
21:17 ne peuvent pas se présenter,
21:18 le fils de Kadhafi va s'y opposer.
21:21 Donc, comme vous avez une multitude de centres de pouvoir,
21:25 à chaque fois qu'on vient pour élaborer une loi électorale,
21:29 on arrive à ces veto de faits qui retardent.
21:35 Mais ça va aller dans ce sens.
21:38 Il faut avoir un peu de patience.
21:39 Moi, je suis assez confiant que dans les mois,
21:43 peut-être les années, mais je crois les mois qui viennent,
21:45 on va pouvoir arriver à faire accepter une loi électorale
21:49 qui ne soit pas, comment dirais-je,
21:52 descendue au fusil par l'un ou l'autre groupe.
21:57 Merci beaucoup, Hassan Salameh.
21:59 Merci de votre présence.
22:00 Je rappelle que vous étiez envoyé spécial des Nations Unies en Libye
22:04 de 2017 à 2020.
22:06 Merci à vous.
22:07 À ce dossier complexe et tragique vient s'ajouter un autre drame,
22:12 celui des migrants, avec notamment la Libye comme pays de transit.
22:16 Mais les routes se déplacent et de nombreux migrants
22:18 se retrouvent bloqués à la frontière entre la Tunisie et la Libye.
22:22 Mélanie Hoyon.
22:23 Bloqués à la frontière entre la Libye et la Tunisie,
22:33 ces migrants originaires d'Afrique subsaharienne
22:35 ne savent plus où aller.
22:36 Nous voulons quitter cet endroit.
22:41 Nous voulons partir.
22:43 Cet été, ils sont des centaines à avoir été chassés
22:46 de la ville tunisienne de Sfax,
22:48 après la mort d'un Tunisien dans des affrontements
22:50 entre des habitants et des migrants.
22:52 S'il vous plaît, je supplie l'ONU de venir nous aider,
22:56 de nous sortir d'ici, de venir nous sauver de cet endroit.
23:00 Nous mourrons de minute en minute.
23:02 À une cinquantaine de kilomètres, en plein désert,
23:08 ces migrants sont déshydratés et à bout de force.
23:11 Secourus par les gardes frontières libyens,
23:14 ils auraient été abandonnés là par les autorités tunisiennes.
23:17 Mon téléphone est en morceaux.
23:23 Ils l'ont cassé, puis ils m'ont envoyé dans le désert du Sahara.
23:29 J'ai marché pendant deux jours, sans nourriture, ni eau.
23:36 Certains ont pu trouver refuge dans un centre d'accueil
23:44 du croissant rouge tunisien.
23:47 Nous ne sommes pas des voleurs, nous sommes des migrants.
23:50 Nous ne sommes pas des tueurs, nous sommes des migrants.
23:53 Nous voulons juste une vie meilleure.
23:55 La Libye et la Tunisie sont des terres de transit
23:58 pour de nombreux migrants qui souhaitent rejoindre l'Europe.
24:02 Cette année, les arrivées au sud de l'Europe ont augmenté
24:06 et poursuivent une tendance à l'augmentation
24:09 depuis la fin de la première vague de Covid-19.
24:12 Mais elle reste bien en deçà du pic de 2015.
24:15 Cette année, sur les principales routes de Méditerranée,
24:18 la grande majorité ont traversé depuis la Tunisie
24:21 et dans une moindre mesure depuis la Libye et l'Algérie.
24:25 2500 personnes ont perdu la vie depuis le début de l'année,
24:33 dont 289 enfants, essentiellement lors des traversées par la mer.
24:38 Et plusieurs organisations ne cessent de rappeler
24:48 les conditions de vie déplorables en Libye de milliers de migrants
24:52 dans des centres de détention officiels et non officiels.
24:55 Dans ce dossier libyen tragique, il nous parvient aussi parfois
24:58 quelques images symboliques plus heureuses.
25:01 L'image d'une équipe de football de Libye, entre guillemets "réunifiée",
25:04 qui a pris part cette année aux éliminatoires de la Coupe d'Afrique des Nations.
25:08 L'an dernier, l'équipe avait pu retrouver son public à Benghazi
25:12 après neuf ans d'exil.
25:14 Tous portent aujourd'hui le même maillot et entonnent l'hymne national
25:17 dans un esprit qui se veut rassembleur.
25:20 C'est sur cette note qui ne nous fera pas oublier pour autant
25:23 la tragédie libyenne, mais qui nourrit symboliquement un peu d'espoir
25:26 que nous nous quittons.
25:28 Merci de votre fidélité sur RTS1, sur TV5MONDE et sur notre chaîne YouTube.
25:33 À bientôt et bien à vous.
25:36 (Générique)
25:39 ---
25:54 Merci.

Recommandations