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En 1973 est publiée pour la première fois en France l'Archipel du Goulag d'Alexandre Soljenitsyne. Un livre qui retrace les horreurs commises sur les prisonniers des camps de travail en URSS. Comment a-t-il été reçu par la classe politique française et plus particulièrement par la gauche française ? Et quelle a été la réception chez les intellectuels français ?Pour en débattre, Jean Crépu, réalisateur du documentaire, Stéphane Courtois, historien, professeur à l'Institut Catholique de Vendée, spécialiste du communisme et Serge July, journaliste.LCP fait la part belle à l'écriture documentaire en prime time. Ce rendez-vous offre une approche différenciée des réalités politiques, économiques, sociales ou mondiales....autant de thématiques qui invitent à prolonger le documentaire à l'occasion d'un débat animé par Jean-Pierre Gratien, en présence de parlementaires, acteurs de notre société et experts.

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Transcription
00:00:00 Générique
00:00:01 ...
00:00:16 -Bienvenue à tous dans "Débat doc".
00:00:18 "50 ans" a été publié en France, l'archipel du Goulag.
00:00:21 Il s'en vendra 1,2 million d'exemplaires
00:00:24 dans notre pays, 10 millions de par le monde.
00:00:27 Alexandre Solzhenitsyn y révéla l'ampleur
00:00:30 du système concentrationnaire soviétique.
00:00:32 Au beau milieu des années 70, son oeuvre fit l'effet d'une bombe.
00:00:36 C'est ce que va nous rappeler le documentaire exclusif
00:00:40 qui suit "L'archipel du Goulag, le courage de la vérité",
00:00:44 réalisé par Jean Crépu.
00:00:46 Je vous laisse le découvrir,
00:00:48 puis Jean Crépu sera avec nous sur ce plateau,
00:00:51 en compagnie de l'historien Stéphane Courtois
00:00:54 et du journaliste Serge Julli.
00:00:56 Avec eux, nous nous interrogerons sur les remous,
00:00:59 les déflagrations provoquées à l'époque
00:01:01 par un livre venu ébranler les fondements même
00:01:04 du mythe révolutionnaire communiste. Bon doc.
00:01:08 Musique de suspense
00:01:10 ...
00:01:21 -C'est une bombe, une vraie bombe éditoriale,
00:01:24 comme il n'en est pas beaucoup existée, à mon avis, au XXe siècle.
00:01:27 Elle est presque unique, parce qu'elle va totalement bouleverser
00:01:31 le rapport des gens au communisme et à la réalité soviétique.
00:01:35 ...
00:01:45 -C'est un livre absolument extraordinaire,
00:01:48 la découverte d'une autre histoire.
00:01:50 A l'école, à l'université,
00:01:52 on nous apprenait une version de l'histoire.
00:01:54 Soudain, on découvrait qu'il y en avait une autre,
00:01:57 dont on ne nous parlait pas,
00:01:59 à laquelle nous devions accéder par nous-mêmes.
00:02:01 C'était la véritable histoire de notre pays.
00:02:04 ...
00:02:09 -Pour que les gens comprennent, c'est des centaines de milliers
00:02:13 de personnes qui se mettent à lire ce livre au même moment.
00:02:16 Et...
00:02:17 ...
00:02:20 ...des polémiques d'une violence complètement folle
00:02:23 qui se déclenchent sur un objet littéraire.
00:02:26 ...
00:02:36 -C'est un récit de sa lutte.
00:02:39 Et de sa lutte avec le pouvoir,
00:02:42 avec les confrères,
00:02:43 avec les autorités,
00:02:46 avec lui-même pour trouver le courage.
00:02:49 Et c'est magnifique.
00:02:51 ...
00:03:10 -Quelques mois avant sa mort,
00:03:11 Alexandre Solzhenitsyn nous avait raconté
00:03:14 comment était né dans le plus grand secret
00:03:16 l'archipel du Goulag.
00:03:18 -Pour les gens, boum !
00:03:19 ...
00:03:23 -Un immense récit pour décrire
00:03:25 ce que fut le système concentrationnaire
00:03:28 en Union soviétique de 1918 à 1956.
00:03:32 ...
00:03:34 Un livre unique,
00:03:35 nourri de l'expérience de Solzhenitsyn dans les camps
00:03:39 et du témoignage de 227 zèques,
00:03:42 les détenus du Goulag.
00:03:43 ...
00:03:49 Nous avions rencontré celles et ceux
00:03:51 que Solzhenitsyn avait appelés les "invisibles".
00:03:54 En prenant de grands risques,
00:03:56 ces femmes et ces hommes, aujourd'hui disparus,
00:03:59 avaient aidé l'écrivain à mener à bien son travail sur l'archipel.
00:04:03 Dans des conditions dignes d'un roman de John le Carré,
00:04:07 l'archipel du Goulag, transformé en microfilm,
00:04:11 traverse le rideau de fer
00:04:13 pour arriver en France en 1968.
00:04:16 ...
00:04:18 Les éditeurs Claude Durand et Nikita Struve
00:04:21 n'ont plus qu'à attendre le signal de Solzhenitsyn pour le publier.
00:04:25 L'histoire de ce livre, hors du commun,
00:04:28 ne faisait que commencer.
00:04:30 ...
00:04:35 À cette époque, Yves Haman, jeune agrégé de Russe,
00:04:39 vient d'être nommé professeur à l'université.
00:04:42 -Nikita Struve, un beau jour,
00:04:45 me fixe un rendez-vous mystérieux
00:04:48 dans un café, dans le centre de Paris,
00:04:51 pas à l'université, pas à proximité d'une capresse.
00:04:55 Et là, il me dit, voilà,
00:04:57 j'ai reçu un texte, c'est une bombe.
00:05:01 Ce livre, personne ne doit en connaître l'existence.
00:05:04 Il cherchait un traducteur qui puisse travailler dans le plus grand secret.
00:05:09 Et j'ai eu la légèreté d'accepter.
00:05:12 En même temps, je me disais,
00:05:14 Solzhenitsyn, il n'est pas pressé de le laisser publier, ce livre,
00:05:19 donc on a du temps. Voilà.
00:05:21 ...
00:05:23 -Derrière l'apparente insouciance de cette fin d'été,
00:05:27 nous sommes en pleine guerre froide.
00:05:29 Léonide Brezhnev est à la tête de l'URSS
00:05:32 et, si rien ne le laisse présager,
00:05:35 l'histoire de l'archipel du Goulag va basculer.
00:05:40 Elena Tchoukovskaya, Liusha, comme la surnommait Solzhenitsyn,
00:05:44 était une invisible, l'une des plus proches de l'écrivain.
00:05:48 Elle nous avait donné rendez-vous chez elle
00:05:51 et n'avait rien oublié de cette journée particulière.
00:05:55 -Je me souviens très bien, c'était fin août.
00:06:01 Sous une pluie terrible arrive de Leningrad mon ami Etkin.
00:06:07 Il me raconte qu'il est allé à un enterrement
00:06:09 auquel il avait été convié sans même savoir qu'il était mort.
00:06:13 ...
00:06:17 Et là, il apprend que c'était Elisabetha Denisovna.
00:06:21 ...
00:06:24 On a essayé de savoir ce qui s'était passé.
00:06:27 Même s'il était impossible de demander quoi que ce soit par téléphone,
00:06:30 on ne comprenait vraiment pas ce qui s'était passé.
00:06:34 -Elisabetha était au coeur du dispositif clandestin
00:06:37 mis au point par Solzhenitsyn.
00:06:40 Elle avait tapé à la machine l'archipel du Goulag
00:06:43 et en avait gardé un exemplaire.
00:06:45 Arrêtée par le KGB, Elisabetha subit des interrogatoires jour et nuit
00:06:51 et finit par avouer en détenir une copie.
00:06:54 ...
00:06:58 Libérée, elle rentre chez elle et se suicide.
00:07:03 -On l'a appris...
00:07:06 En fait, c'est une longue histoire.
00:07:08 C'est tout à fait par hasard.
00:07:10 La chose a été sue à Leningrad.
00:07:13 Et là-bas, grâce à une personne de confiance,
00:07:16 nous avons été avertis que le livre avait été saisi.
00:07:19 ...
00:07:24 -Le manuscrit est désormais aux mains du KGB.
00:07:27 ...
00:07:30 -Il a tout de suite décidé qu'il ne fallait plus rien différer.
00:07:34 Il fallait le publier.
00:07:35 ...
00:07:38 Ca s'est passé le 1er septembre et le 5.
00:07:42 Alexandre a fait savoir en France qu'il fallait publier l'archipel.
00:07:46 ...
00:07:50 Musique de suspens
00:07:52 ...
00:07:57 -En décembre 1973, ils l'ont publié en russe.
00:07:59 Ca a été un bon moment.
00:08:01 ...
00:08:05 -Le livre est édité à Paris
00:08:06 par la librairie historique de l'immigration russe Imka Press.
00:08:10 Aussitôt, les articles se multiplient
00:08:13 à la une des journaux du monde entier.
00:08:15 ...
00:08:19 A suivre les réactions dans la presse,
00:08:21 on pourrait penser que "L'archipel du Goulag"
00:08:24 est le 1er livre qui révèle l'existence des camps en Union soviétique.
00:08:28 -Ce n'est pas tout à fait vrai.
00:08:30 On pouvait savoir beaucoup de choses sur les camps en Union soviétique.
00:08:34 Je suis tombée un jour sur un livre en français
00:08:37 concernant les îles Solovki.
00:08:38 Il s'agissait des 1ers camps en Union soviétique,
00:08:41 dans les années 1920.
00:08:43 A l'époque, de nombreux groupes de gauche dans toute l'Europe
00:08:47 connaissaient l'existence de ces camps
00:08:49 parce que certains de leurs camarades y étaient détenus.
00:08:52 On pouvait lire des publications sur ces camps à Berlin et à Paris.
00:08:56 Ils étaient tout à fait connus.
00:08:58 ...
00:09:07 Entre 1918 et 1930,
00:09:11 j'ai comptabilisé au moins une trentaine de livres
00:09:13 parus dans le monde entier concernant les méthodes d'emprisonnement,
00:09:18 la répression, les camps qui venaient de s'ouvrir à Solovki, etc.
00:09:21 Et donc, il était évident qu'on savait des choses.
00:09:25 Sauf que, et c'est vrai, c'est ça qui a joué beaucoup,
00:09:28 est arrivée la Seconde Guerre mondiale.
00:09:30 Donc, à côté du nazisme, on a plutôt oublié le côté goulag.
00:09:33 -Beaucoup de gens ne voulaient rien savoir.
00:09:36 Le sujet les mettait mal à l'aise pour de nombreuses raisons,
00:09:39 bonnes ou mauvaises,
00:09:40 parce que l'Union soviétique avait été notre alliée
00:09:43 pendant la Seconde Guerre mondiale
00:09:45 et qu'il était gênant de dire que nous avions détruit un monstre
00:09:48 avec l'aide d'un autre.
00:09:50 -Et puis, effectivement, jusqu'à l'archipel du Goulag,
00:09:53 tout d'un coup, ça fait un boom,
00:09:55 parce que tout d'un coup, on découvre des choses
00:09:57 qui avaient été oubliées.
00:09:59 Pas vraiment oubliées, parce que ça existait,
00:10:02 et on le savait, mais on n'en parlait pas plus exactement.
00:10:05 Musique sombre
00:10:08 -En décembre 1973, Solzhenitsyn n'est pas à Moscou
00:10:11 auprès de sa femme Natalia.
00:10:13 Il est allé à la maison de son père,
00:10:15 et il a été accueilli par un homme.
00:10:17 Il n'est pas à Moscou auprès de sa femme Natalia.
00:10:20 Il se trouve à la dacha de son ami l'écrivain,
00:10:24 Kornei Tchoukovski.
00:10:25 ...
00:10:30 -C'est là-bas qu'il se trouvait ce jour-là,
00:10:33 et c'est là qu'il a entendu, à la BBC,
00:10:37 que le premier tome de l'archipel en russe
00:10:40 avait été publié en France.
00:10:41 Il espérait que le livre sorte pour le Noël orthodoxe,
00:10:45 le 7 janvier, comme convenu,
00:10:47 mais il est sorti un peu plus tôt.
00:10:49 Alors il est parti aussitôt pour venir ici,
00:10:52 dans cet appartement, chez moi,
00:10:54 et toute la soirée a été une fête.
00:10:56 ...
00:11:01 -Quelques jours plus tard,
00:11:03 les premiers exemplaires de l'archipel du Goulag
00:11:06 parviennent clandestinement à Moscou.
00:11:08 ...
00:11:11 -Nous en avons reçus deux en même temps,
00:11:13 par un canal ou par deux canaux différents,
00:11:16 et par qui, concrètement, je ne peux pas vous le dire,
00:11:19 parce qu'à l'époque, on gardait une certaine discrétion.
00:11:22 Celui qui n'avait pas à être au courant,
00:11:24 on ne lui disait rien de superflu.
00:11:26 ...
00:11:28 -De son côté, l'organe central du parti communiste soviétique,
00:11:32 la Pravda, ne tarde pas à réagir
00:11:35 et dénonce les "calomnies" de ce Djenitsine,
00:11:39 qui servent les forces de la réaction impérialiste.
00:11:42 La confrontation s'annonce violente.
00:11:45 ...
00:11:47 -Savoir si j'allais en sortir vainqueur,
00:11:50 je n'en avais aucune certitude.
00:11:52 Mais le fait que j'avais lancé un livre
00:11:54 qui allait leur porter un coup
00:11:56 et qui, avec toute sa force, allait lutter contre eux,
00:11:59 ça, je le comprenais.
00:12:01 -Rapidement, le KGB informe le Politburo,
00:12:03 l'organe suprême du pouvoir, du danger du livre.
00:12:07 Le compte-rendu d'une réunion au Kremlin
00:12:10 témoigne de la réaction de Léonide Brejnev.
00:12:13 -Il s'agit d'un grossier pamphlet antisoviétique.
00:12:16 Solzhenitsine s'en est pris à ce que nous avons de plus sacré,
00:12:21 à Lénine, à notre régime soviétique.
00:12:24 Il faut aujourd'hui décider de ce qu'il convient de faire.
00:12:28 ...
00:12:30 -Alexandre Solzhenitsine est en Allemagne de l'Ouest.
00:12:33 Il avait été appréhendé hier à son domicile de Moscou.
00:12:36 Il a été expulsé aujourd'hui par les autorités de son pays.
00:12:40 Le Kremlin a eu recours à une mesure sans précédent
00:12:43 et, au début du XXe siècle, Solzhenitsine a subi le même sort
00:12:46 que Léon Trotsky en 1929.
00:12:48 -L'arrestation, puis l'expulsion de l'écrivain,
00:12:52 renforcent considérablement en Occident
00:12:55 l'intérêt pour Solzhenitsine et l'archipel du Goulag.
00:12:59 -Vous savez, les gens sont prêts à entendre
00:13:01 certains types d'informations à certains moments,
00:13:04 et ils ne sont pas prêts à les entendre à d'autres moments.
00:13:08 Ainsi, les gens n'étaient pas prêts à entendre la vérité
00:13:12 des années 40, juste après la guerre,
00:13:14 parce que la guerre a été gagnée par une alliance avec Staline.
00:13:17 25 ou 30 ans plus tard, c'était très différent.
00:13:21 C'était un moment où il était clair
00:13:23 que l'Union soviétique et l'Europe de l'Est
00:13:25 étaient un système d'oppression.
00:13:27 -Bien entendu, il y a aussi l'aspect artificiel du choc.
00:13:34 "Ah, on savait pas que le socialisme libérateur
00:13:40 "de l'humanité avait créé un bagne."
00:13:43 Mais ça ne tient pas debout, évidemment.
00:13:46 Si on ne veut pas savoir, on ne sait pas.
00:13:49 Aujourd'hui aussi, si on ne veut pas savoir
00:13:53 qu'il y a des gens affamés dans le Darfour,
00:13:56 on ne le sait pas.
00:13:57 On fait son petit gueuleton tranquille.
00:14:01 Si on le sait,
00:14:03 on tombe dans une certaine intranquillité.
00:14:07 Et ce génocide nous mène, de façon profonde,
00:14:12 je pense à une intranquillité
00:14:17 qui n'est pas du tout idéologique,
00:14:21 qui est une intranquillité philosophique.
00:14:26 -L'archipel du Goulag commence à ébranler les certitudes.
00:14:30 Pourtant, on sait peu de choses sur ce livre
00:14:33 qui n'a pas encore été traduit.
00:14:35 On parle de témoignages que des victimes du Goulag
00:14:38 ont confiés à Solzhenitsyn.
00:14:39 Musique douce
00:14:42 -J'ai compris alors que le destin m'envoyait
00:14:46 ce dont j'avais besoin.
00:14:48 L'archipel est venu à moi à travers ces gens.
00:14:52 J'ai par la suite identifié les plus importants d'entre eux,
00:14:55 ceux que je considère comme les véritables co-auteurs
00:14:58 de l'archipel.
00:15:00 Bien sûr, ils ne comprenaient pas ce que je faisais,
00:15:03 pourquoi j'avais besoin d'eux.
00:15:04 Personne n'était au courant de mon projet, personne.
00:15:08 Eux, c'est avec leurs émotions, leurs sentiments,
00:15:11 qu'ils me donnaient ces informations.
00:15:14 Je les recueillais avec plaisir, tout en me demandant
00:15:17 comment les intégrer à la structure du livre.
00:15:19 Musique douce
00:15:22 -Fastenko était le plus alerte de la cellule.
00:15:24 Bien que vu son âge, il fut le seul à ne pouvoir escompter
00:15:28 survivre à la détention et recouvrer un jour la liberté.
00:15:31 Il me disait en me prenant par les épaules,
00:15:33 "C'est une chose que de tenir pour la vérité.
00:15:36 "Toi, pour elle, tu te fais détenir."
00:15:38 Ou bien il m'apprenait sa chanson, une chanson de Bagnard.
00:15:42 "S'il doit nous échouar un jour de mourir,
00:15:44 "au fond d'une mine ou d'une prison,
00:15:47 "cela se réfléchira sans faillir sur les générations qui resteront.
00:15:51 "Je le crois."
00:15:53 Et puis, ses pages aidaient cette croyance à s'accomplir.
00:15:56 -D'abord, c'était une collection de témoignages,
00:15:59 il y a à peu près plus de 235, je crois, témoignages
00:16:02 qui ont été rassemblés par Sojenitsyn.
00:16:05 C'est une vision absolument globale du système concentrationnaire,
00:16:09 de l'arrestation, des tortures, de la vie dans les camps,
00:16:12 des gens qui sortent des camps et comment ils sont considérés.
00:16:16 C'est un tableau global de la chose,
00:16:19 et ça, personne ne l'avait vraiment fait.
00:16:21 Quand on lit le livre, les trois tomes,
00:16:24 on est...
00:16:25 Excusez-moi, on passe sous un rôle de compresseur.
00:16:29 On n'est pas sous un rôle de compresseur.
00:16:31 On ne peut pas sortir indemne de cette lecture.
00:16:34 Enfin, moi, je ne suis pas sorti indemne, personnellement.
00:16:37 -Il n'écrit pas seulement sur les camps.
00:16:40 Il a écrit sur les camps, sur la guerre, sur la révolution.
00:16:43 Il écrit sur la façon dont l'homme se comporte
00:16:46 dans des situations extrêmes.
00:16:48 Ces situations extrêmes sont de diverses natures.
00:16:51 Cela peut être la guerre, une maladie mortelle ou la révolution.
00:16:54 C'est précisément de ça dont il a parlé dans tous ses livres.
00:16:58 De la manière dont les gens réagissent,
00:17:00 dont ils se comportent dans ces situations extrêmes.
00:17:03 -Solzhenitsyn ne fait pas que décrire le goulag.
00:17:11 Il ne fait pas que décrire la vie dans un camp.
00:17:14 Solzhenitsyn, il...
00:17:17 s'intéresse à toute la machinerie qui va conduire
00:17:22 les...
00:17:24 des hommes libres à l'état de zèques,
00:17:28 c'est-à-dire de prisonniers de camps de concentration.
00:17:33 Musique douce
00:17:35 -Tout nouvel entrant, après avoir joué du piano
00:17:38 à la section spéciale du camp,
00:17:39 c'est-à-dire après y avoir donné ses empreintes digitales,
00:17:43 se passait autour du cou un fil supportant une planchette.
00:17:46 Sur la planchette, on composait son numéro
00:17:50 et le photographe de la section spéciale
00:17:52 le photographiait ainsi harnaché.
00:17:54 Ses photos, toutes ses photos
00:17:57 sont encore bien conservées quelque part.
00:18:00 Nous les verrons bien un jour.
00:18:02 ...
00:18:05 -L'historien Alexandre Daniel, dissident à l'époque soviétique,
00:18:09 est l'un des responsables de l'association mémoriale
00:18:12 qui travaille sur la mémoire du goulag.
00:18:14 ...
00:18:17 Son père, l'écrivain Yuli Daniel,
00:18:20 a été l'un des accusés du premier grand procès de la dissidence en 1965.
00:18:24 Sa mère, Larissa Bogoraz,
00:18:28 a été condamnée à quatre ans de relégation en Sibérie
00:18:31 pour avoir manifesté en 1968
00:18:34 contre l'intervention soviétique en Tchécoslovaquie.
00:18:37 ...
00:18:39 -Solzhenitsyn a réussi à faire quelque chose d'extraordinaire.
00:18:43 Il a réussi la fusion de deux courants de la mémoire,
00:18:46 l'analyse de la terreur par l'intelligentsia
00:18:49 et la mémoire populaire de la terreur,
00:18:52 c'est-à-dire la mémoire d'en bas,
00:18:56 les témoignages directs d'une quantité de gens sur la terreur,
00:18:59 ce qu'on appelle aujourd'hui
00:19:03 "oral history", l'histoire orale.
00:19:07 ...
00:19:14 -Cette structure générale,
00:19:16 les raisons pour lesquelles les camps ont été créés,
00:19:19 comment ils ont été créés,
00:19:21 comment se comportaient les gardiens et les prisonniers,
00:19:24 la fameuse division entre les prisonniers politiques
00:19:27 et les prisonniers criminels et leurs relations,
00:19:30 le sort des femmes et des enfants,
00:19:32 vous savez qu'il y en avait aussi dans les camps.
00:19:35 Tout cela, il l'a bien compris,
00:19:37 sans avoir accès aux archives ni aux informations officielles.
00:19:40 C'est un document tout à fait remarquable.
00:19:43 ...
00:19:46 -L'Union soviétique...
00:19:47 -Du côté du Parti communiste français,
00:19:50 la réaction face à la publication de l'archipel du Goulag
00:19:53 est parfaitement conforme à la ligne du Kremlin.
00:19:56 ...
00:19:58 -Hier soir, à Saint-Ouen,
00:19:59 Georges Marchais a évoqué l'affaire Solzhenitsyn.
00:20:02 -Dans ce livre,
00:20:04 l'auteur russe évoque des faits
00:20:06 que le Parti communiste de l'Union soviétique
00:20:09 a lui-même dénoncé publiquement
00:20:12 il y a près de 20 ans
00:20:14 et auxquels il a mis un terme.
00:20:17 Mais le livre de Solzhenitsyn
00:20:20 constitue en même temps
00:20:22 une agression si violente,
00:20:25 si haineuse contre le socialisme.
00:20:28 -En 1974, le Parti communiste
00:20:31 commence à être un peu sur le déclin.
00:20:34 Il a quand même été un parti
00:20:36 qui avait plus de 25 % des voix à la libération.
00:20:38 Il ne les a plus, mais enfin, il est encore puissant.
00:20:41 Et il réagit...
00:20:43 -Il y a eu une façon, je dirais, frontale,
00:20:46 qui a consisté à dire
00:20:48 que c'est une nouvelle campagne antisoviétique,
00:20:50 que ce n'est pas intéressant,
00:20:53 que c'est même lamentable qu'aujourd'hui encore,
00:20:56 on puisse revenir à de tels propos.
00:20:59 Et puis, il est capable de dire qu'on connaît tout cela.
00:21:02 "Vous n'apportez rien de nouveau, monsieur Solzhenitsyn."
00:21:05 Notre parti a condamné,
00:21:08 il y a déjà une vingtaine d'années, le goulag.
00:21:11 ...
00:21:13 -En fait, le Parti communiste français, à cette époque,
00:21:15 n'a jamais rien condamné.
00:21:18 Il faudra attendre 1977 pour qu'il reconnaisse
00:21:21 l'existence du fameux rapport Khrouchev,
00:21:24 présenté en 1956
00:21:26 au XXe congrès du Parti communiste de l'Union soviétique.
00:21:30 Ce rapport dénonçait le culte de la personnalité de Staline,
00:21:34 mais sans évoquer les crimes de masse,
00:21:36 estimés à 15 ou 20 millions de morts.
00:21:40 -Le rapport Khrouchev ne concernait que le Parti communiste
00:21:43 et les dirigeants du parti injustement condamnés.
00:21:46 Il ne décrivait pas l'ensemble du phénomène du stalinisme
00:21:49 ou du système soviétique,
00:21:51 qui s'est bien sûr poursuivi sous Khrouchev.
00:21:54 Il y avait encore des camps de prisonniers
00:21:56 sous le régime de Khrouchev.
00:21:57 Et lorsque le grand système du goulag a fini par disparaître,
00:22:01 on a continué à arrêter les gens pour des raisons politiques.
00:22:04 -Cela ne se reproduira plus.
00:22:08 Gloire au parti !
00:22:10 Cela ne se reproduira plus.
00:22:11 Ah, les malins !
00:22:13 Ah, les maîtres plâtriers !
00:22:16 Puisque cela ne se reproduira plus,
00:22:18 il va de soi qu'aujourd'hui, cela n'existe déjà plus.
00:22:22 Exclu pour l'avenir et bien entendu, inconnu dans le présent.
00:22:27 -Solzhenitsyn fait remarquer que le goulag commence
00:22:31 non pas avec Staline, mais avec Lénine.
00:22:34 Lui considère que cette réalité concentrationnaire
00:22:39 est consubstantielle du communisme.
00:22:42 -Affirmation insupportable pour les communistes,
00:22:45 comme le souligne Boris Zhukov,
00:22:47 un représentant du Kremlin interrogé par la télévision française.
00:22:51 -Pour moi, c'est mon ennemi personnel.
00:22:54 Pour les Soviétiques aussi.
00:22:57 Maintenant, ils veulent revenir là-dessus,
00:22:59 mais pas pour condamner une fois de plus cette chose-là,
00:23:03 mais pour dire que c'est le système qui est responsable,
00:23:07 que c'est Lénine qui a installé le camp de concentration.
00:23:09 C'est insensé, parce que tout le monde sait
00:23:12 que Lénine, c'était un grand homme, vraiment un grand homme,
00:23:16 un noble d'esprit,
00:23:18 et que c'était un grand homme politique.
00:23:21 -Reconnaître que c'est sous Lénine que le goulag a commencé,
00:23:27 c'est une ligne rouge que le Parti communiste français
00:23:30 ne veut pas franchir.
00:23:35 Musique de tension
00:23:37 -Le 1er juin 1974,
00:23:42 la publication en français de l'archipel du goulag
00:23:44 se produit dans un contexte politique inédit à gauche.
00:23:48 -Il y avait une gauche qui voulait absolument se rassembler
00:23:52 pour prendre le pouvoir.
00:23:54 Après des années de gaullisme, après des années de Pompidou,
00:23:57 donc ils voulaient prendre le pouvoir.
00:23:59 Il y avait un programme commun qui était mis en place
00:24:01 avec les socialistes et les communistes.
00:24:03 Donc évidemment, on était dans un contexte excessivement particulier.
00:24:06 Au moment où l'archipel est publié en début 1974,
00:24:12 on est en pleine élection électorale, n'est-ce pas ?
00:24:16 Et nous avons un candidat principal à gauche,
00:24:19 François Mitterrand.
00:24:20 -Naturellement, Mitterrand ne cherche pas
00:24:26 à provoquer le Parti communiste.
00:24:30 Après tout, l'Union soviétique, c'est loin,
00:24:33 et son désir de réussir la présidentielle,
00:24:38 il est au contraire très présent.
00:24:39 Mitterrand est prudent.
00:24:42 Donc on est dans une bataille politique
00:24:43 dans laquelle, honnêtement, franchement, l'Union soviétique,
00:24:46 le camp, le goulag, ça n'existe pas,
00:24:48 parce qu'on est sur une autre planète.
00:24:50 -De son côté, Yves Amand,
00:24:55 le premier traducteur de l'archipel du goulag,
00:24:57 est nommé attaché culturel à l'ambassade de France à Moscou.
00:25:01 ...
00:25:04 -Avant de partir, Nikita Struv me demande,
00:25:07 "Écoutez, maintenant que vous serez sur place à Moscou,
00:25:10 "est-ce que vous accepterez de servir de relais
00:25:14 "entre Solzhenitsyn et son épouse, et puis leurs amis ?"
00:25:18 Il s'agissait essentiellement de transmettre du courrier,
00:25:21 des lettres, enfin, pour maintenir le contact.
00:25:23 Tout ça se faisant, bien entendu, à l'insu de mon ambassade,
00:25:27 ça va sans dire.
00:25:28 ...
00:25:29 -Dans un Moscou digne d'un film d'espionnage,
00:25:32 Yves Amand devient un invisible au service de Solzhenitsyn.
00:25:36 Avec lui et beaucoup d'autres,
00:25:37 l'archipel ne tarde pas à entrer clandestinement en URSS,
00:25:41 malgré la surveillance du KGB.
00:25:43 ...
00:25:45 La romancière, Ljudmila Ulitskaya,
00:25:47 appartient à une famille marquée par la répression et les camps.
00:25:51 Elle vit aujourd'hui en exil à Berlin.
00:25:53 ...
00:25:55 -Nous avons commencé à recevoir des livres
00:25:58 grâce à des étrangers de passage
00:26:00 qui les faisaient passer par leur ambassade,
00:26:02 par la valise diplomatique.
00:26:04 Nous avions ainsi accès à ce genre de littérature.
00:26:07 ...
00:26:11 -C'était risqué vis-à-vis de mon ambassade
00:26:14 parce que la devise était "ne nous brouillez pas
00:26:17 "avec la République des Soviétes".
00:26:18 En revanche, les Américains faisaient cela ouvertement.
00:26:22 Donc on savait qu'à l'ambassade des Etats-Unis,
00:26:25 il y avait des caisses de livres en russe,
00:26:30 les livres interdits,
00:26:32 et ça, le personnel de l'ambassade des Etats-Unis
00:26:38 le faisait ouvertement, et eux,
00:26:40 ils avaient tout à fait l'accord de leurs autorités,
00:26:43 c'est évident.
00:26:44 -Une guerre d'influence que confirme
00:26:46 l'ancien directeur de la CIA, Robert Gates.
00:26:49 -Vous savez, c'est ce que nous avons fait
00:26:51 en Union soviétique
00:26:54 durant la guerre froide.
00:26:55 Avec très peu de technologies,
00:26:59 nous avons fait passer des millions de livres,
00:27:02 comme l'archipel du Goulag.
00:27:04 ...
00:27:08 -Alexandre Podrabinek a été une grande figure de la dissidence.
00:27:12 Deux fois jugé pour "diffamation du régime soviétique",
00:27:17 il a passé cinq ans et demi en prison,
00:27:19 dans un camp et en relégation en Sibérie.
00:27:23 Il vit toujours à Moscou.
00:27:25 -J'ai lu l'archipel du Goulag
00:27:26 quelques mois après sa publication.
00:27:28 Il a tout de suite commencé à arriver en Union soviétique,
00:27:33 en 1974.
00:27:34 D'ailleurs, avec un ami, nous en avons fait plusieurs copies.
00:27:37 On nous avait passé un exemplaire publié à Paris,
00:27:41 ce qu'on appelait le "Tamizdat".
00:27:43 On l'a photographié et on en a tiré sept exemplaires.
00:27:46 L'endroit où nous avons fait ça,
00:27:48 ça n'était plus un appartement, c'était une maison de fous.
00:27:51 Il y avait des photos partout, des piles de photos sur la table.
00:27:54 Et dans tout l'appartement,
00:27:56 ça sentait le révélateur et le fixateur.
00:27:59 C'est qu'à l'époque, on faisait tout nous-mêmes.
00:28:03 ...
00:28:05 Musique sombre
00:28:08 ...
00:28:17 -Je n'étais pas seule à le lire, nous étions plusieurs.
00:28:21 C'était des feuilles tapées à la machine à écrire
00:28:24 qui n'étaient pas attachées les unes aux autres.
00:28:27 On lisait une feuille et on la passait à quelqu'un d'autre.
00:28:30 Ce n'est pas seulement l'archipel que nous avons lu de cette façon,
00:28:34 mais aussi beaucoup d'autres livres de cet auteur et d'autres auteurs.
00:28:38 Les cuisines, chez nous, elles n'étaient pas grandes,
00:28:41 mais c'est dans ces cuisines, pleines de monde,
00:28:44 qu'on se retrouvait et qu'on lisait.
00:28:46 C'était une particularité très intéressante de la vie soviétique.
00:28:50 En fait, nous vivions en petites communautés bien soudées,
00:28:53 c'est ce qu'on appelait les cuisines de Moscou.
00:28:56 ...
00:29:05 -Olga Sedakova est poétesse et essayiste.
00:29:08 Son oeuvre, d'abord diffusée dans le circuit du Samizdat
00:29:11 à l'époque soviétique, a ensuite été publiée à l'étranger.
00:29:15 Elle habite toujours à Moscou.
00:29:17 -C'était une édition sur du papier très fin, en un seul tome.
00:29:21 Les étudiants se le passaient entre eux
00:29:23 en exigeant qu'on le rende un jour ou deux après.
00:29:26 On donnait ce livre pour très peu de temps.
00:29:29 C'est comme ça que j'ai découvert ce livre.
00:29:31 On lui avait donné un surnom.
00:29:33 On l'appelait "Le gâteau" parce qu'il était de petit format
00:29:36 et on avait trouvé une boîte de gâteau
00:29:39 dans laquelle on le cachait ou dissimulait
00:29:41 pour le passer à un ami.
00:29:43 Au téléphone, on disait "Viens prendre le gâteau".
00:29:46 -C'était nos méthodes de conspiration.
00:29:48 -C'était notre conspiration.
00:29:50 Musique douce
00:29:52 ...
00:29:56 -Je pense qu'il n'y a pas un pays au monde,
00:29:59 à aucune époque,
00:30:00 où la parole imprimée avait une telle valeur.
00:30:03 Parce que pour avoir lu un tel livre,
00:30:06 on pouvait perdre son travail, ce qui m'est arrivé d'ailleurs.
00:30:09 Ou même être envoyé dans un camp comme cela est arrivé à d'autres.
00:30:13 C'était vraiment une occupation très dangereuse.
00:30:17 ...
00:30:19 Musique douce
00:30:21 -Ivanovo, ce n'est pas une prison de transit très renommée.
00:30:25 Mais interrogez donc ceux qui ont été enfermés
00:30:28 durant l'hiver 37-38,
00:30:29 la cellule 21 devait abriter 20 détenus,
00:30:32 or ils étaient 323.
00:30:35 ...
00:30:37 On ne distribuait pas la nourriture à chacun des détenus,
00:30:40 mais par groupe de 10.
00:30:42 Si l'un des 10 mourait,
00:30:44 on le fourrait sous le chalit et on l'y gardait,
00:30:47 jusqu'à ce que le cadavre empêche ça.
00:30:50 Ainsi, pouvait-on continuer à toucher sa ration
00:30:53 pendant quelques temps ?
00:30:54 ...
00:30:55 -En général, on allait en prison
00:31:00 pas pour avoir fait circuler ce genre de livres,
00:31:03 mais pour les avoir fabriqués.
00:31:04 Le fait qu'on ait lu un livre comme ça,
00:31:07 ça pouvait encore passer.
00:31:08 Mais si quelqu'un se mettait à le reproduire,
00:31:11 notamment avec des moyens techniques,
00:31:13 là, on faisait tout pour lui mettre la main dessus.
00:31:16 Et là, les gens allaient en prison.
00:31:18 ...
00:31:24 -Régulièrement, la presse clandestine dissidente
00:31:27 rend compte d'arrestations et de condamnations
00:31:30 pour avoir reproduit ou diffusé l'archipel du Goulag.
00:31:33 ...
00:31:41 -Mon grand-père a été envoyé dans un camp à Vorkuta.
00:31:45 ...
00:31:48 Sa femme, la belle-mère de ma mère,
00:31:50 a aussi été dans les camps.
00:31:52 Et dans la famille de ma mère,
00:31:54 beaucoup de personnes ont été victimes de la répression,
00:31:58 certaines ont été exécutées.
00:32:00 ...
00:32:03 La soeur de mon grand-père, elle,
00:32:05 elle a passé 20 ans dans les camps de la Colima.
00:32:08 ...
00:32:10 -D'une manière générale,
00:32:12 je connaissais bien tous les aspects du sujet,
00:32:14 mais Solzhenitsyn a réussi à créer un panorama
00:32:18 qui réellement couvre toute cette période de la terreur,
00:32:22 de 1917 à 1953.
00:32:25 ...
00:32:27 -L'ampleur, l'immensité de ces crimes, bien sûr,
00:32:31 était quelque chose d'inimaginable.
00:32:33 Ce qui fait que, d'une certaine façon,
00:32:36 ma vision du monde s'est transformée,
00:32:38 ainsi que ma compréhension de ce qui se passait dans le monde
00:32:42 et dans notre pays.
00:32:45 ...
00:32:53 "La Marseillaise", de J.S. Bach
00:32:56 ...
00:32:57 -L'édition française de l'archipel du Goulag
00:33:00 arrive en librairie.
00:33:01 -Immense succès.
00:33:04 Premier tirage,
00:33:07 550 000 exemplaires en France.
00:33:10 Un des plus gros que j'ai jamais connus.
00:33:12 Le...
00:33:15 Peu après, voilà, au début de l'été,
00:33:18 on en était à 850 000 ou 900 000 exemplaires.
00:33:22 La totalité des trois volumes en France
00:33:26 a fait plus d'un million 200 000 exemplaires.
00:33:28 Ce sont les Français et les Allemands
00:33:30 qui ont été les premiers à le publier.
00:33:32 Et les Américains sont venus après,
00:33:35 mais le livre a eu un énorme succès aux Etats-Unis,
00:33:37 il a fait 3 millions d'exemplaires.
00:33:39 Au total, avec 30 à 40 traductions dans le monde,
00:33:42 le livre a atteint les 10 millions d'exemplaires.
00:33:45 La façon dont le public a été demandeur
00:33:47 dès le début, dès le premier jour,
00:33:49 montre que ça venait à son heure.
00:33:51 ...
00:33:53 -Bien sûr, nous ne perdions pas espoir.
00:33:56 Ce que nous avions vécu serait un jour raconté.
00:34:00 Tôt ou tard, en effet,
00:34:03 la vérité finit par être dite sur tous les événements de l'histoire.
00:34:06 Mais il nous semblait que cela ne viendrait pas avant longtemps,
00:34:10 que la plupart d'entre nous seraient morts avant
00:34:13 et qu'il faudrait que la situation ait profondément changé.
00:34:16 Moi-même, qui me considérais comme le chroniqueur de l'archipel
00:34:21 et qui écrivais, écrivais sans relâche,
00:34:25 je comptais peu voir la chose de mon vivant.
00:34:27 -Pour une partie de la génération de mai 68,
00:34:32 la lecture de l'archipel du Goulag
00:34:34 débouche sur une véritable prise de conscience.
00:34:37 -Cette génération 68, le communisme,
00:34:40 de manière soviétique, c'était le vieux monde.
00:34:44 D'ailleurs, dans les slogans de 68,
00:34:46 un des slogans, c'était "cours, cours, camarade,
00:34:48 le vieux monde est derrière toi".
00:34:50 Donc, pour eux, c'était le vieux monde.
00:34:51 Cette génération post-68,
00:34:54 elle était complètement admirative.
00:34:55 C'était quand même incroyable de le penser, d'ailleurs,
00:34:57 parce que c'était de l'Allempie, quelque part,
00:34:59 du Mao, du Maoisme.
00:35:01 Pour eux, c'était pas un problème d'attaquer l'Union soviétique
00:35:04 et de dénoncer le Goulag soviétique.
00:35:06 -L'arche, la main !
00:35:08 -Là, il y a deux gauches qui vont s'opposer.
00:35:09 C'est-à-dire qu'il y en a une qui va accepter ce génocide,
00:35:13 mais plus que l'accepter, d'ailleurs, qui va devenir
00:35:16 la partie qui le défendra le plus et le plus brillamment, je pense.
00:35:21 Et une autre partie qui va le rejeter
00:35:25 et qui va pas vouloir l'entendre, parce qu'en fait,
00:35:27 elle pressent que l'écouter, l'entendre, le lire,
00:35:31 c'est mourir.
00:35:33 -Les deux jeunes intellectuels les plus actifs
00:35:37 dans la défense de Solzhenitsyn,
00:35:41 c'est André Glucksmann et Bernard-Henri Lévy.
00:35:44 André Glucksmann a une très belle formule à ce sujet.
00:35:47 Il dit que les camps, c'est un bon point de vue sur le marxisme.
00:35:51 C'est-à-dire que ça nous permet de lire
00:35:54 la substantifique moelle du marxisme.
00:35:58 -Puisque vous étiez correspondant de l'humanité,
00:36:00 vous avez renseigné les lecteurs français
00:36:02 de ce qui se passait en Union soviétique ?
00:36:04 Des camps de concentration, vous en avez parlé ?
00:36:06 Vous avez un seul de vos articles qui en parle ?
00:36:08 Ah, on ne connaît pas les chiffres !
00:36:09 Mais bien sûr, on ne connaît pas les chiffres,
00:36:11 on ne connaît pas non plus les chiffres dans les cours prématoires.
00:36:14 -Vous n'avez rien lu de ce que j'ai écrit.
00:36:16 -Ah, si. -De quoi ?
00:36:17 -Il y avait une belle apologie d'Issenko, par exemple,
00:36:20 qui, lui, ses concurrents, il les mettait dans ces camps précis.
00:36:24 -Moi, mon père, quand il lit "L'archipel des Woulagues",
00:36:27 c'est une révolution intérieure.
00:36:29 C'est...
00:36:30 C'est un moment fondamental, c'est une fracture dans l'histoire,
00:36:34 à la fois d'une vie personnelle et dans l'histoire collective.
00:36:39 -C'est peut-être ça, la philosophie...
00:36:40 -L'émission "La part de vérité"
00:36:42 nous donne une idée de ce qu'était le débat à l'époque.
00:36:45 Ce jour-là, autour de la table, entre autres,
00:36:47 Michel Foucault, Maurice Clavel, Guy Lardreau, André Glucksmann,
00:36:51 et on parle de Solzhenitsyn et de l'archipel du Goulag.
00:36:55 -Évidemment, dans les universités françaises
00:36:58 et dans les milieux biens,
00:37:00 on discute du socialisme,
00:37:03 on discute des moindres virgules de Marx.
00:37:05 Tout le monde sait, après tu sais, après Léline,
00:37:07 qu'une virgule à droite ou à gauche,
00:37:09 ça détermine le sens de l'histoire.
00:37:12 Cela dit, il est évident que les mêmes gens ne veulent pas,
00:37:16 et systématiquement ne veulent pas, lire Solzhenitsyn.
00:37:19 -Vous savez la meilleure... -C'est quoi, ça ? C'est l'humanisme ?
00:37:22 -Oh, le troisième tome du Goulag, que c'est long, que c'est long.
00:37:27 Évidemment, 50 millions de morts, ça fait une liste longue.
00:37:30 -Eh oui. -Eh oui.
00:37:31 -Et dans les librairies de gauche, ça ne se vend pas.
00:37:34 -C'est vraiment le basculement d'une génération en plus
00:37:37 qui a plus cru qu'aucune autre dans le mythe révolutionnaire
00:37:42 et qui, tout d'un coup, se retrouve face à l'archipel
00:37:46 et qui donc vit l'archipel
00:37:47 comme en plus une déflagration intérieure fondamentale.
00:37:50 -Je sais pas, moi, là, je crois que c'est quand même vraiment assez simple.
00:37:53 C'est que Solzhenitsyn, c'est une philosophie,
00:37:56 parce que je considère que c'est un philosophe,
00:37:58 c'est une philosophie qui fait pas plaisir, quoi.
00:38:00 La grandeur de l'archipel du Goulag,
00:38:01 c'est qu'on y trouvera pas une onze d'illusions nulle part.
00:38:04 Solzhenitsyn, c'est quelqu'un qui ne ment jamais.
00:38:07 -Bon, alors comment ?
00:38:08 -Depuis leur exil, Alexandre et Natalia Solzhenitsyn
00:38:13 utilisent les droits d'auteurs
00:38:14 générés par l'immense succès de l'archipel
00:38:17 pour alimenter leur fond d'aide aux prisonniers politiques.
00:38:24 -Tous les droits d'auteurs sur ce livre,
00:38:27 à l'époque où j'étais encore à l'étranger,
00:38:29 je les ai donnés à notre fond.
00:38:31 Nous avons beaucoup aidé ici, en Russie, en Union soviétique.
00:38:34 D'abord les prisonniers qui se trouvaient alors en détention.
00:38:38 Et puis plus tard,
00:38:39 nous avons apporté notre aide aux anciens prisonniers,
00:38:41 à ceux qui étaient déjà âgés, aux invalides du Goulag.
00:38:45 -Ce fond d'aide donnait aux gens
00:38:53 la possibilité de se sentir libres,
00:38:55 car ils savaient que leurs proches et leur famille
00:38:57 ne seraient pas dans la misère si on les arrêtait,
00:39:00 que quelqu'un s'occuperait d'eux,
00:39:02 leur viendrait en aide et les laisserait pas tomber.
00:39:05 Savoir qu'ils en seraient ainsi était très important à cette époque.
00:39:10 -Solzhenitsyn, qui s'est installé dans le Vermont, aux Etats-Unis,
00:39:17 reste persuadé qu'il reviendra un jour dans son pays.
00:39:20 Musique douce
00:39:23 ...
00:39:26 Au milieu des années 80,
00:39:28 Mikhail Gorbachev tente avec la perestroïka
00:39:31 une profonde réforme du système soviétique.
00:39:35 Il autorise alors une certaine liberté d'expression
00:39:38 dont va bénéficier Solzhenitsyn.
00:39:40 ...
00:39:43 -Il estimait qu'il ne pouvait pas revenir
00:39:46 tant qu'on n'aurait pas publié l'archipel du Goulag.
00:39:49 Et cela pour une raison très simple.
00:39:51 D'abord, on l'a exilé à cause de l'archipel du Goulag.
00:39:55 C'est cette publication qui en a été la cause.
00:39:58 Deuxièmement, des gens ont été envoyés en prison
00:40:00 à cause de l'archipel pour avoir lu l'archipel en secret.
00:40:04 Des gens ont été dans des camps et lui, il va rentrer.
00:40:07 On l'a expulsé à cause de l'archipel et lui va rentrer comme si de rien n'était.
00:40:11 Non. D'abord, libérez ces gens et publiez le livre.
00:40:14 ...
00:40:17 -En 1989, profitant de l'affaiblissement de la censure à Moscou,
00:40:22 la revue "Novimir" publie des extraits de l'archipel.
00:40:25 -Le rédacteur en chef de "Novimir", à l'époque,
00:40:30 Zaligin, était un homme tout à fait remarquable.
00:40:33 Il était prêt à faire ce pas courageux et il l'a fait.
00:40:37 Parce que publier l'archipel écrit par un traître à la patrie,
00:40:41 c'était encore plus terrible que de publier en 1962
00:40:44 le récit d'un petit instituteur de la ville de Ryazan.
00:40:47 Un instituteur de Ryazan, qui a écrit un livre.
00:40:51 ...
00:40:53 -Plusieurs maisons d'édition vont ensuite assurer
00:40:56 la diffusion de l'archipel du Gulag dans un plus large public.
00:41:00 ...
00:41:04 L'Union soviétique est alors à bout de souffle.
00:41:07 Elle va disparaître deux ans plus tard.
00:41:10 ...
00:41:14 -Quand l'archipel du Gulag a été imprimé chez nous
00:41:19 avec de gros tirages dans les années 90,
00:41:22 il est apparu que ces informations n'avaient pas sur mes compatriotes
00:41:26 l'effet colossal que les avaient eu sur moi à l'époque, en 1974.
00:41:30 L'archipel du Gulag a sûrement modifié la conscience de notre société,
00:41:34 mais pas autant que je l'attendais.
00:41:37 Peut-être que mes attentes étaient exagérées.
00:41:39 J'avais l'impression qu'après avoir lu ce livre,
00:41:42 j'allais aussitôt rejeter le communisme,
00:41:45 le système totalitaire et son idéologie.
00:41:47 Mais ça ne s'est pas passé de manière aussi radicale
00:41:50 que je l'avais pensé.
00:41:54 -Nous avions l'impression, et beaucoup de gens le disaient à l'époque,
00:41:57 qu'on souhaitait tout simplement oublier tout cela.
00:42:00 Ca ne concernait pas seulement Solzhenitsyn,
00:42:03 mais aussi Shalamov et toute cette thématique.
00:42:05 On était convaincus, je ne sais pas pourquoi,
00:42:08 que tout cela était terminé à jamais
00:42:10 et que nous ne serions pas confrontés
00:42:12 à une machine de répression absolue telle qu'elle est décrite.
00:42:16 Dans ces conditions, à quoi bon tout cela ?
00:42:18 Nous allons vivre bien dans ce monde nouveau.
00:42:21 C'était l'état d'esprit général.
00:42:23 Musique douce
00:42:25 ...
00:42:27 -Mais tout le monde ne voulait pas oublier ce passé.
00:42:30 Créé à la faveur de la Perestroïka
00:42:32 avec l'aide du prix Nobel de la paix Andrei Sakharov,
00:42:35 l'association mémoriale se donne pour mission
00:42:38 de préserver la mémoire des victimes des répressions politiques en URSS.
00:42:42 ...
00:42:44 Elle fouille les archives, met au jour des charniers
00:42:47 et, au fil des années,
00:42:49 dresse une liste nominative inachevée
00:42:52 de 3 millions de victimes.
00:42:54 Une manière de poursuivre le travail entamé
00:42:57 dans l'archipel du Goulag.
00:42:58 ...
00:43:01 Comme il l'avait prédit, Solzhenitsyn est de retour en Russie.
00:43:05 En juillet 1994, il atterrit à Magadan,
00:43:09 la capitale de la Kolyma, en Sibérie.
00:43:12 -Je m'incline devant la terre de la Kolyma,
00:43:17 où reposent des centaines de milliers,
00:43:19 sinon des millions de nos compatriotes suppliciés.
00:43:23 ...
00:43:27 ...
00:43:35 -Dans les années 90 souffle un vent de liberté.
00:43:40 Il n'y a pas que le retour de Solzhenitsyn.
00:43:43 Mémorial travaille librement.
00:43:45 C'est après l'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en 2000
00:43:49 que tout change.
00:43:50 La réécriture de l'histoire devient un enjeu politique.
00:43:54 -Il a commencé à limiter l'accès aux archives
00:43:57 à ce qui pouvait être publié en Russie.
00:43:59 C'est quelque chose qui l'intéresse depuis longtemps.
00:44:02 Le refus de reconnaître plus longtemps
00:44:05 n'a pas été accepté au cours des 30 dernières années.
00:44:08 Je pense que Poutine l'utilise.
00:44:09 Il envoie un signe aux Russes en leur disant
00:44:12 "Cela pourrait revenir".
00:44:14 -Il n'y a pas que la difficulté d'accès aux archives.
00:44:17 Mémorial fait l'objet de perquisitions.
00:44:19 La justice enquête sur ses activités.
00:44:21 L'un de ses collaborateurs, Yury Dmitriev,
00:44:24 est envoyé dans un camp sous des prétextes fallacieux.
00:44:27 ...
00:44:31 Tout cela sur fond de répression généralisée.
00:44:34 ...
00:44:37 Plusieurs opposants,
00:44:39 comme Anna Politkovskaya et Boris Nemtsov,
00:44:42 ont été assassinés.
00:44:43 D'autres ont été contraints à l'immigration
00:44:47 ou sont derrière les barreaux,
00:44:48 comme Alexei Navalny, condamné à 19 ans de camp.
00:44:52 ...
00:44:55 -Cinq coups ! Cinq coups !
00:44:57 -En février 2022,
00:44:59 quatre jours après l'invasion russe en Ukraine,
00:45:02 la Cour suprême à Moscou
00:45:04 prononce la dissolution de Mémorial,
00:45:06 coloriate du prix Nobel de la paix.
00:45:08 Motif ?
00:45:10 Mémorial a "créé une image mensongère de l'URSS
00:45:15 en la présentant comme un Etat terroriste".
00:45:18 ...
00:45:20 -L'association Mémorial a été fermée.
00:45:23 Le centre Sakharov a été fermé.
00:45:25 Leurs énormes archives ont été cachées.
00:45:28 On les a sauvées comme on a pu.
00:45:30 Dmitriev, qui avait mis au jour
00:45:32 des charniers de l'époque stalinienne,
00:45:34 est en prison.
00:45:36 Le vrai travail sur ce passé
00:45:37 est devenu un crime puni par la loi.
00:45:40 ...
00:45:42 -L'ennemi numéro un de Poutine, c'est Mémorial.
00:45:45 L'ennemi numéro un de Poutine,
00:45:47 c'est ceux qui documentent les crimes du stalinisme.
00:45:50 L'ennemi numéro un de Poutine,
00:45:52 c'est ceux qui poursuivent l'oeuvre de l'archipel du Goulag.
00:45:55 Mémorial, c'est l'organisation qui doit être détruite
00:45:58 pour que le projet totalitaire de Poutine puisse avoir lieu.
00:46:02 Mémorial, c'est l'esprit de Solzhenitsyn,
00:46:04 de l'archipel du Goulag.
00:46:05 Aujourd'hui, quand il y a un procès contre Mémorial,
00:46:08 quand il y a la dissolution de Mémorial,
00:46:11 en réalité, ce qui se passe, c'est quoi ?
00:46:13 C'est qu'on brûle l'archipel.
00:46:15 Musique sombre
00:46:17 ...
00:46:30 -Parfois, on essaie de nier l'ampleur de la terreur,
00:46:35 de la minimiser.
00:46:36 Mais en gros, le fait même qu'il y ait eu la terreur,
00:46:40 ça, personne ne le nie.
00:46:42 ...
00:46:47 -Aujourd'hui, voilà à peu près le genre de réactions assez répandues
00:46:52 que j'ai observées lors de discussions sur la terreur.
00:46:56 Eh bien, oui, il y a eu la terreur. Et alors ?
00:47:02 Il y a juste eu de 500 000 à 700 000 personnes
00:47:08 exécutées pendant la Grande Terreur.
00:47:11 Bon, et alors ?
00:47:12 Il y a eu la liquidation de la classe paysanne.
00:47:15 Bon, et alors ?
00:47:17 En revanche, à l'époque, l'Etat était puissant.
00:47:20 Aujourd'hui, des gens qui disent ça,
00:47:22 il y en a autant que vous voulez.
00:47:24 Et dans ce sens, l'archipel est impuissant contre ça,
00:47:27 contre ce rejet des traditions humanistes de la culture russe.
00:47:31 -Humanistiques traditions russes.
00:47:34 ...
00:47:48 -L'archipel du Goulag lui pose un problème particulier,
00:47:51 car il montre le rôle horrible, négatif et destructeur
00:47:55 joué dans l'histoire russe par le KGB.
00:47:58 Et Poutine lui-même, en tant que produit du KGB et son empire,
00:48:03 incarne une sorte de renouveau du rôle du KGB en Russie.
00:48:07 Je peux donc imaginer qu'il souhaite que ce livre ne soit pas lu.
00:48:11 -Pauvres !
00:48:12 ...
00:48:16 -Le temps des répressions est revenu.
00:48:22 Mon ami Vladimir Karamursak est actuellement en prison
00:48:26 et a été condamné à une peine de 25 ans,
00:48:28 a dit et écrit qu'il trouve un grand soutien
00:48:32 dans les livres de Solzhenitsyn, de Bukovsky,
00:48:36 Chiaransky et même dans le mien.
00:48:38 ...
00:48:44 -Lors de son procès,
00:48:46 Vladimir Karamursak lit ostensiblement
00:48:48 le livre de Solzhenitsyn, "Le chêne et le veau".
00:48:52 ...
00:48:53 Dans une interview, il a confié...
00:48:56 ...
00:48:59 ...
00:49:03 ...
00:49:07 ...
00:49:10 -Ce livre est aujourd'hui aussi contre le régime,
00:49:14 parce qu'il parle de l'homme et d'un État terroriste,
00:49:18 du destin de l'homme dans un État terroriste.
00:49:23 Il y a quelque temps, j'avais relu ce livre
00:49:27 et je viens de le reprendre.
00:49:29 J'ai pensé, "Mon Dieu, c'est tout simplement
00:49:31 "ce qui se passe maintenant."
00:49:33 Ca commence avec l'arrestation et puis la suite.
00:49:36 Chaque fois que je l'ouvre,
00:49:40 je vois que la force de ce livre est intacte.
00:49:45 ...
00:49:52 -Chaque année, des touristes se rendent aux îles Solovki,
00:49:56 là où a été créé en 1923 le premier camp du Goulag.
00:50:00 ...
00:50:05 La mémoire des prisonniers y est toujours présente,
00:50:08 de ceux qui sont morts d'épuisement,
00:50:11 de ceux qui ont été fusillés
00:50:13 et jetés dans une fosse commune.
00:50:15 ...
00:50:20 Mais quel sens donner aujourd'hui à cette mémoire,
00:50:24 celle de l'archipel du Goulag, de plus en plus occultée ?
00:50:28 ...
00:50:30 -Croire que cet archipel est uniquement réservé
00:50:34 à l'Union soviétique, telle qu'elle a été pendant 70 ans,
00:50:38 c'est évidemment réduire l'archipel du Goulag
00:50:42 à un pur et simple témoignage.
00:50:44 Il est témoignage, mais il est beaucoup plus que cela.
00:50:47 Et donc, il est valable pour la Russie d'aujourd'hui.
00:50:52 Tatis mutandis, ce n'est pas la Russie stalinienne,
00:50:58 mais il y a des traits qui sont communs.
00:51:02 Il est valable pour nous, en partie,
00:51:05 pour d'autres parties du monde.
00:51:08 C'est-à-dire, c'est un grand livre
00:51:10 qui, non seulement, apporte sa grande...
00:51:16 son tsunami de vérité au moment où il est écrit,
00:51:21 mais qui est encore valable pour aujourd'hui et le restera.
00:51:25 -Je dirais à quelqu'un qui me pose la question,
00:51:28 pourquoi il faut lire Solzhenitsyn.
00:51:31 Je dis, parce que ce que Solzhenitsyn dénonce existe encore.
00:51:35 Tant que cette violence existe et que ce déni existe,
00:51:40 Solzhenitsyn restera d'actualité.
00:51:43 Et donc, si je conseille de le lire,
00:51:46 ce n'est pas simplement parce qu'il faut comprendre
00:51:49 l'importance du livre à une époque donnée,
00:51:52 mais parce que cette époque n'est pas encore révolue
00:51:55 et qu'elle ne le sera jamais.
00:51:57 C'est ça qu'on apprend.
00:51:58 Et ça, c'est...
00:52:00 incroyablement frustrant,
00:52:03 parce que ça veut dire que le livre, il est puissant,
00:52:07 mais en fait, il faut le réécrire à chaque fois.
00:52:11 Et c'est ça, son histoire.
00:52:13 Musique sombre
00:52:15 -Cette histoire ne disparaîtra pas avec celles et ceux qui l'ont vécue.
00:52:19 Une nouvelle génération s'est emparée de cette mémoire.
00:52:23 -Na ulitze, minus 55.
00:52:26 Et etto, Kolema.
00:52:28 -Yuri Dud est un jeune réalisateur russe.
00:52:33 En 2019, il est revenu sur les lieux du Gulag
00:52:36 pour en tirer "Kolema, lieu de naissance de notre peur".
00:52:40 Ce film documentaire de plus de deux heures,
00:52:43 mis en ligne sur sa chaîne YouTube,
00:52:45 a dépassé les 28 millions de vues.
00:52:48 En 2022,
00:52:53 accusé par le Kremlin d'être un agent de l'étranger,
00:52:56 Yuri Dud a été contraint de quitter la Russie.
00:52:59 ...
00:53:05 Musique sombre
00:53:07 -Tant qu'il n'existera pas dans ce pays d'opinion publique indépendante,
00:53:12 il n'existe aucune garantie
00:53:14 que tout cet anéantissement sans cause de millions d'hommes
00:53:18 ne se répétera pas à nouveau,
00:53:20 qu'il ne recommencera pas n'importe quelle nuit, chaque nuit.
00:53:24 Cette nuit, tenez,
00:53:26 celle qui va suivre la journée d'aujourd'hui.
00:53:29 ...
00:53:41 -Voilà 50 ans étaient donc publiés en France.
00:53:44 L'archipel du Gulag, où Alexandre Sotjenissin
00:53:47 révélait l'horreur et l'ampleur
00:53:49 du système concentrationnaire soviétique.
00:53:51 Au beau milieu des années 70, ce livre,
00:53:54 vendu à plus de 10 millions d'exemplaires de par le monde,
00:53:57 "Une bombe", c'est ce que vient de nous rappeler
00:54:00 un documentaire exclusif coécrit par Jean Crépu
00:54:03 et Nicolas Miletic, de quoi nous interroger,
00:54:06 maintenant, plus au-delà, sur ce plateau de débats d'octobre,
00:54:10 sur ces remous, ces déflagrations provoquées à l'époque
00:54:13 par ce livre historique venu ébranler
00:54:15 les fondements même du mythe révolutionnaire communiste.
00:54:18 Jean Crépu est avec nous. Bienvenue.
00:54:21 -Bonjour. -Vous êtes documentariste.
00:54:23 Je ramène ceux qui nous regardent à votre filmographie,
00:54:26 à votre émission, à votre émission.
00:54:28 Vous avez réalisé 20 ans de documentaires.
00:54:31 Ce documentaire est exclusif pour notre chaîne,
00:54:34 mais il y a 15 ans, vous en aviez réalisé un autre,
00:54:37 qui s'intitulait "L'histoire secrète de l'archipel du Goulag",
00:54:40 qui a déjà fait l'objet d'une émission "Débat doc",
00:54:43 où il était question de savoir comment il avait été possible
00:54:47 de sortir ce livre, de le publier en russe, tout d'abord,
00:54:50 et puis, ensuite, chez nous, en France, en 1974,
00:54:53 il y a maintenant 50 ans. Stéphane Courtois est avec nous.
00:54:56 Un spécialiste du communisme.
00:54:58 Vous avez été, entre autres, le coordinateur et le préfacier
00:55:02 du livre noir du communisme,
00:55:04 publié en 1997, c'était chez Robert Laffont.
00:55:07 Vos derniers livres s'intitulent
00:55:09 "Histoire du Parti communiste français",
00:55:11 publié au Presse universitaire de France,
00:55:13 et le livre noir de Vladimir Poutine,
00:55:16 coécrit cette fois avec l'historienne Galia Ackerman,
00:55:19 est disponible, là encore, chez Robert Laffont.
00:55:21 Serge Juli est également avec nous.
00:55:23 Vous êtes journaliste.
00:55:25 Nous allons rappeler que vous avez été
00:55:27 l'un des cofondateurs du quotidien Libération.
00:55:30 C'était en 1973, et que vous avez dirigé
00:55:33 ce quotidien entre 1974 et 2006,
00:55:36 avant de devenir éditorialiste sur différents médias.
00:55:41 Serge Juli, juste avant qu'on commence à entamer notre discussion,
00:55:45 1974, vous êtes à la tête de Libération.
00:55:48 Il y a, j'imagine, des conférences de rédaction.
00:55:51 Y-a-t-il eu une conférence de rédaction
00:55:54 justement à propos de la sortie et la publication en français
00:55:57 de l'archipel du Goulag ?
00:55:59 -Je peux faire comme Châteaubriand,
00:56:01 je peux inventer des souvenirs, mais ça me paraît difficile.
00:56:05 -Autrement dit, non.
00:56:06 -Non, je lui ajoute quand même quelque chose.
00:56:09 Solzhenitsyn, il y a un avant Solzhenitsyn,
00:56:13 si j'ose dire, qui nous a éveillés,
00:56:16 qui est "Une journée d'Ivan Denisovitch",
00:56:18 parce que le Goulag existe à partir de 1962.
00:56:22 On parle de 1973, parce que c'est l'événement,
00:56:25 mais quand il publie cette nouvelle,
00:56:28 dans "Le Novi Mir", avec l'autorisation de Khrouchchev,
00:56:32 qui intervient personnellement pour que ça paraisse dans la main,
00:56:36 c'est la révélation du Goulag.
00:56:38 -En revanche, en 1974, et après 1974,
00:56:41 au coeur des années 70, vous n'avez pas de souvenirs
00:56:44 de discussion un peu rude
00:56:46 au sein de la rédaction de Libération ?
00:56:48 -C'est un souvenir personnel qui était...
00:56:51 J'ai fait partie de l'Union des étudiants communistes,
00:56:54 donc nous étions en bagarre avec la direction du Parti communiste,
00:56:57 et évidemment, tous ces gestes,
00:57:01 tous ces livres-là étaient évidemment un brandi,
00:57:05 voilà, sans arrêt, puisque le Parti communiste
00:57:08 avait cette particularité que vous connaissez bien tous les deux,
00:57:11 c'est-à-dire le rapport du 20e congrès de Khrouchchev
00:57:15 n'existait pas. -On va y revenir.
00:57:17 -Il n'existe qu'à partir de 1983.
00:57:19 -On va y revenir.
00:57:20 Vous avez en commun tous les deux d'avoir été maoïste
00:57:23 à un moment, à la fin des années 60.
00:57:27 Quand on voit le bilan de Mao
00:57:30 concernant les droits de l'homme,
00:57:32 ça en dit beaucoup, peut-être,
00:57:34 sur ce qu'était la perception de la gauche française
00:57:37 à l'époque de ces régimes communistes.
00:57:39 Jean Crépus, 15 ans après avoir réussi
00:57:41 un premier documentaire consacré à l'archipel du Goulag,
00:57:45 vous décidez de nous livrer celui-là.
00:57:47 -Oui, parce que sur ce premier film,
00:57:49 où on avait pu recueillir ce qu'a été la dernière interview
00:57:52 de Senédine Sine, où il voulait revenir sur l'archipel du Goulag,
00:57:56 on a raconté cette histoire jusqu'au moment
00:57:59 où le livre est publié.
00:58:00 Toute cette histoire clandestine, ce passage rocambolesque
00:58:03 digne de John le Carré, d'un microfilm...
00:58:06 Et puis le film s'arrêtait au moment où le livre est publié.
00:58:09 On s'était dit, avec Nicolas Miletic,
00:58:11 que ça ferait l'objet d'un deuxième film,
00:58:14 c'est-à-dire ce qui allait se passer,
00:58:16 et Dieu sait qu'il s'est passé des choses,
00:58:19 au moment où le livre est enfin publié. Enfin, "enfin".
00:58:22 C'est vrai que Solzhenitsyn met longtemps,
00:58:24 il y a un certain nombre d'années,
00:58:26 où il écrit difficilement dans cette clandestinité,
00:58:29 et puis quand il donne l'ordre de publier le livre
00:58:32 parce que le livre a été saisi par le KGB,
00:58:35 là, c'est le séisme, et qui va durer longtemps.
00:58:39 Et donc, c'était cette histoire-là
00:58:41 qui était en fait la suite de notre premier film.
00:58:44 Alors, on a mis 15 ans à pouvoir retourner notre manivelle,
00:58:49 mais voilà, on tenait beaucoup à compléter, d'une certaine façon,
00:58:53 ce qu'on avait... -Avec un témoignage important,
00:58:56 celui de Natalia, qui était la femme.
00:58:58 -Tout à fait. -Solzhenitsyn, dans ce film.
00:59:00 -Qu'on avait rencontrée il y a 15 ans,
00:59:02 et qui a bien voulu revenir, grâce à une équipe russe
00:59:06 qui a pu tourner, puisque nous,
00:59:08 c'était évidemment pas possible d'aller tourner là-bas,
00:59:12 mais qui a pu, elle aussi, témoigner.
00:59:14 -Le Parti communiste français, je vous ai promis d'y revenir.
00:59:17 On y revient avec un premier extrait de ce documentaire.
00:59:21 Ca commence par une intervention de Georges Marchais.
00:59:24 Nous sommes à Saint-Ouen, devant les militants communistes,
00:59:27 après la sortie de l'archipel du Goulag.
00:59:30 -Dans ce livre, l'auteur russe évoque des faits
00:59:33 que le Parti communiste de l'Union soviétique
00:59:36 a lui-même dénoncé publiquement,
00:59:40 il y a près de 20 ans,
00:59:42 et auxquels il a mis un terme.
00:59:44 -En fait, le Parti communiste français, à cette époque,
00:59:48 n'a jamais rien condamné.
00:59:50 Il faudra attendre 1977 pour qu'il reconnaisse
00:59:54 l'existence du fameux rapport Khrouchev,
00:59:57 présenté en 1956 au XXe congrès
01:00:00 du Parti communiste de l'Union soviétique.
01:00:03 Ce rapport dénonçait le culte de la personnalité de Staline,
01:00:07 mais sans évoquer les crimes de masse,
01:00:09 estimés à 15 ou 20 millions de morts.
01:00:11 -Stéphane Courtois, on a envie de dire "Circuler",
01:00:14 c'est la première réaction officielle
01:00:16 du Parti communiste français. -J'ai eu souvent ce type de réaction,
01:00:20 y compris de la part de mes collègues historiens communistes.
01:00:23 Tant que les archives ne se sont pas ouvertes,
01:00:26 on était confrontés à ce problème.
01:00:28 Comment documenter, sérieusement, sans discussion possible,
01:00:33 ce que nous affirmions ?
01:00:35 On disposait de beaucoup de témoignages.
01:00:38 Dans le sol Yénitzine, bien entendu,
01:00:40 tout l'archipel repose sur les témoignages.
01:00:42 Et nous, en tant qu'historien des années 70-80,
01:00:46 c'était les témoignages des ex-communistes de Tillon,
01:00:49 de gens comme ça.
01:00:50 A chaque fois, nos chers collègues nous disaient
01:00:53 "Ah oui, on connaît ça depuis longtemps.
01:00:55 "Ah, mais non, mais comment ? Vous avez des documents ?
01:00:58 "Vous n'avez pas de documents ?
01:01:00 "Mais comment osez-vous affirmer ceci ou cela ?"
01:01:03 Tant qu'il n'y a pas eu les archives, on était coincés.
01:01:06 Alors, la chose extraordinaire de ce Yénitzine,
01:01:09 c'est qu'avec ses centaines de témoignages,
01:01:12 il a réussi à réconstituer,
01:01:14 mais, effectivement, c'est toujours pareil,
01:01:17 il faut croire, il faut croire
01:01:19 celui qui transmet les témoignages.
01:01:21 A partir du moment où les archives s'ouvrent,
01:01:24 il n'y a plus de discussion possible.
01:01:26 On a les ordres de Staline, de Lénine, tout est là.
01:01:30 Ce qui est extraordinaire,
01:01:31 c'est que les soviétiques archivaient tout.
01:01:34 -C'est les gens d'ordre.
01:01:36 -C'est des gens d'ordre.
01:01:38 Mon collègue Nicolas Vert,
01:01:39 qui avait fait la première partie du livre noir du communisme
01:01:43 sur l'URSS, a qualifié ça de la civilisation du rapport.
01:01:47 Tout remontait au sommet et tout était conservé,
01:01:50 ce qui est extraordinaire.
01:01:51 Pour les historiens, c'est formidable,
01:01:54 et en particulier pour l'association mémoriale.
01:01:56 -21 ans après, le PCF n'avait toujours pas reconnu
01:01:59 le rapport Kouchèv. -Ah non.
01:02:01 -Maurice Torres, qui était le numéro un du PCF,
01:02:05 à l'époque, en 1956, à l'époque du 20e Congrès
01:02:09 du Parti communiste soviétique,
01:02:11 disait qu'il y avait un rapport
01:02:13 qu'on attribue à Nikita Kouchèv.
01:02:16 -Dans le documentaire,
01:02:18 vous allez voir derrière l'épaule de marché
01:02:20 un petit personnage, qui est Jacques Duclos.
01:02:23 On est en 1974, il va mourir en 1975.
01:02:26 C'est le dirigeant le plus stalinien
01:02:28 du Parti communiste français.
01:02:30 Il est au bureau politique depuis 1931.
01:02:32 On est en 1974.
01:02:34 C'est lui qui tient tout.
01:02:36 C'est lui qui a fait désigner marché
01:02:38 pour succéder à Valdez-Crochet, qui était malade.
01:02:42 Donc voilà, il y a une continuité formidable
01:02:45 du contrôle des Soviétiques sur ce parti.
01:02:47 -Jacques Duclos, c'est le candidat du PCF en 69,
01:02:51 regardez son score.
01:02:53 Il avait réalisé un score de 21,27 %.
01:02:56 -27 %. -Ce que nous dit
01:02:57 ce documentaire, c'est qu'on est en plein
01:03:01 programme commun, constitution du programme commun.
01:03:04 -C'est juste après le programme commun.
01:03:07 -Juste après, entre communistes et socialistes,
01:03:10 le Parti communiste français
01:03:12 est le parti dominant de la gauche française
01:03:15 en ce début des années 30. -Absolument.
01:03:17 -Qu'a provoqué l'archipel du goulag
01:03:19 au sein de cette gauche de l'époque ?
01:03:21 -Je le fais court, ça a fait élire François Mitterrand.
01:03:25 Je crois que parmi les facteurs
01:03:27 qui ont fait élire François Mitterrand,
01:03:29 il y a Solzhenitsyn. Pourquoi ?
01:03:32 Parce que le PC sort de 68 déjà contesté,
01:03:37 parce que 68 était une contestation
01:03:39 du Parti communiste,
01:03:41 avec son score présidentiel de 69,
01:03:44 il se refait la cerise
01:03:46 et il est la partie dominante de la gauche.
01:03:50 François Mitterrand se présente en...
01:03:54 74 ? -74.
01:03:57 -74 à la présidentielle.
01:03:59 Donc, derrière, il y a toute la machinerie,
01:04:01 le programme commun, etc.,
01:04:04 refonte du Parti socialiste,
01:04:06 et en gros, François Mitterrand...
01:04:08 Toute l'Europe de la social-démocratie
01:04:12 regarde François Mitterrand comme un zombie,
01:04:16 un zombie,
01:04:17 et lui, il leur explique très simplement
01:04:20 qu'il va mettre le PC en dessous de 10 %.
01:04:23 Et c'est ce qu'il va réaliser.
01:04:27 Et il va réaliser, aidé par tout un tas de facteurs.
01:04:30 Parmi ces facteurs,
01:04:32 il y a 68, mais il y a surtout Solzhenitsyn.
01:04:35 -C'est cette volonté de cannibaliser
01:04:37 le Parti communiste français
01:04:40 qui fera que du côté du nouveau Parti socialiste,
01:04:43 avec à sa tête François Mitterrand,
01:04:45 ça sera un peu le silence radio aussi,
01:04:47 ou il y aura quand même un débat
01:04:49 au sein du PS à l'époque ?
01:04:51 -Il y en aura très peu.
01:04:53 Il y a évidemment l'idée que c'est...
01:04:56 Voilà, maintenant, les camps, ça existe.
01:05:00 Il faut bien avoir en tête que dans le Parti communiste,
01:05:04 comme à gauche, comme à la gauche non-communiste,
01:05:07 on est face aux dirigeants communistes
01:05:11 disant, au moment du procès Kravchenko,
01:05:13 "Ca n'existe pas."
01:05:14 Les camps soviétiques,
01:05:16 les camps n'existent pas en Union soviétique.
01:05:19 Et s'y répéter de manière...
01:05:22 Il y a des procès avec David Rousset,
01:05:25 avec... Voilà, et tout ça est répété de manière...
01:05:28 Bon, c'est un peu terrorisant.
01:05:30 J'ai toujours été frappé que dans ces deux procès
01:05:33 qu'on connaît bien, qu'on a épluchés,
01:05:36 ces deux procès,
01:05:38 il n'y a personne de la gauche non-communiste
01:05:40 qui vient témoigner.
01:05:42 Les gens qui viennent témoigner sont des étrangers,
01:05:45 sont des Allemands, des... -Buberneman.
01:05:47 -La Margaret Buberneman,
01:05:50 qui a l'avantage d'avoir connu à la fois
01:05:53 le goulag soviétique et Ravensbrück,
01:05:56 donc qui était une expérience très fine, quoi.
01:06:00 -On va voir un nouvel extrait du documentaire Jean Crépu,
01:06:03 parce que la sortie de l'archipel du goulag
01:06:07 crée des remous au sein des intellectuels français,
01:06:10 à défaut d'en créer peut-être
01:06:12 dans la gauche française de l'époque.
01:06:15 -Les deux jeunes intellectuels les plus actifs
01:06:19 dans la défense de Solzhenitsyn,
01:06:22 c'est André Glucksmann et Bernard-Henri Lévy.
01:06:26 André Glucksmann a une très belle formule à ce sujet,
01:06:29 il dit "Les camps, c'est un bon point de vue sur le marxisme."
01:06:32 C'est-à-dire, ça nous permet de lire
01:06:35 la substantifique moelle du marxisme.
01:06:39 -C'était Pierre Rigoulo qui s'exprimait dans cet extrait,
01:06:44 parce que c'est ça, le fond de l'affaire, en réalité,
01:06:47 et ça rejoint la phrase citée par cet historien
01:06:50 concernant André Glucksmann.
01:06:52 On passe de l'idée selon laquelle la Révolution russe
01:06:55 serait sortie de ses rails à une vision
01:06:57 où elle serait elle-même porteuse du goulag.
01:07:00 Autrement dit, que cette réalité concentrationnaire
01:07:03 définie et décrite dans ce livre
01:07:05 est consubstantielle du communisme.
01:07:08 C'est là, quand même,
01:07:10 qui crée un fabuleux débat au sein de la gauche.
01:07:12 -Il y a une fracture un peu plus tôt dans le documentaire.
01:07:16 On voit une prise de parole de Boris Youkov,
01:07:18 qui était député de la Douma de l'époque,
01:07:21 qui dit bien,
01:07:23 "Ce personnage de Soledicine est détestable.
01:07:26 "Il est détestable surtout parce qu'il met en cause Lénine.
01:07:31 "Il met en cause le coeur même, le fondateur."
01:07:36 Et ça, et Youkov le dit, et il le dit d'une façon...
01:07:40 Il n'arrive même pas à dire "camp de concentration".
01:07:43 Il fait porter à Lénine la responsabilité des camps,
01:07:46 ce qui est insupportable.
01:07:48 -Les premiers camps, c'est 1923,
01:07:50 sur les îles de Solovski, pas très loin de la Finlande.
01:07:54 -Et donc, cette remise en cause, là,
01:07:56 elle n'est pas supportable.
01:07:58 -C'est ça, le fond de l'affaire, non ?
01:08:01 -C'est pas le coup de toi, pour commencer.
01:08:03 -Le fond de l'affaire, le fond du débat
01:08:05 qui a eu lieu à l'époque, il est là, non ?
01:08:08 -On voit en 1956 le fameux rapport secret de Khrouchev
01:08:11 que vous avez évoqué, parce que dans ce rapport secret,
01:08:14 Khrouchev tape sur Staline,
01:08:16 et encore pour quelques crimes concernant
01:08:18 des dirigeants communistes,
01:08:20 il ne parle pas des crimes de masse,
01:08:22 mais s'il tape sur Staline, c'est pour mieux
01:08:24 relégitimer le régime à travers Lénine,
01:08:26 en disant que le grand homme, c'est Lénine.
01:08:29 -Il se met fie de lui, de Staline.
01:08:31 -C'est dans le rapport.
01:08:32 -Bien sûr. -Il y a les citations de Lénine.
01:08:35 -On voit très bien l'opération,
01:08:37 et cette opération n'est pas du tout une opération improvisée.
01:08:42 Il y a eu des réunions du bureau politique,
01:08:44 dans l'archive, où ils ont monté toute cette affaire.
01:08:47 Le plus étonnant, c'est que Khrouchev avait demandé
01:08:52 que les services établissent un état des victimes.
01:08:56 Et alors, les services, ils font leur rapport en disant
01:09:01 "sous le Tsar, il y a eu 6 350 condamnés à mort.
01:09:05 "Sous le régime soviétique, il y en a eu un million."
01:09:10 Et aux bureaux politiques, les plus jeunes,
01:09:13 qui n'ont pas été proches de Staline,
01:09:15 parce que Khrouchev était très proche de Staline,
01:09:18 ils connaissaient l'individu, mais les plus jeunes...
01:09:21 -Il avait même participé à certains biais.
01:09:23 -Plus que participer.
01:09:25 Il était couvert de sang des pieds à la tête.
01:09:27 Mais les plus jeunes, on a les sténogrammes,
01:09:31 ils disent "mais c'est le diable, c'est abominable".
01:09:34 Eux-mêmes, on est au coeur du dispositif.
01:09:37 Ils sont stupéfaits.
01:09:39 Donc, vous imaginez le choc que ça a pu être
01:09:41 pour toute la population et pour tous les communistes.
01:09:44 C'est le pavé dans la vitrine.
01:09:46 -Sur cette question fondamentale, André Glucksmann,
01:09:49 on parle aussi de Bernard-Henri Lévy,
01:09:51 qui fait partie de... -Les deux.
01:09:53 -Du côté des journalistes, il y a Jean Daniel,
01:09:56 le nouvel observateur, qui lui prend très vite parti
01:09:59 en faveur de ceux qui défendent l'archipel du Goulag
01:10:02 et des thèses qu'il véritait.
01:10:04 -Les gens d'esprit, hein. -Oui.
01:10:06 -Domenech. -Qu'est-ce qu'on peut dire
01:10:08 de ce débat des "nouveaux intellectuels" ?
01:10:11 -Les nouveaux philosophes. -Les nouveaux philosophes.
01:10:14 -Allons, passons vite.
01:10:15 C'est pas de la dimension philosophique,
01:10:18 mais c'est la question principale,
01:10:20 à la fois Solzhenitsyn, les nouveaux philosophes
01:10:24 et les archives, c'est quoi ?
01:10:27 C'est le totalitarisme.
01:10:28 D'un seul coup, on découvre que c'est un régime totalitaire.
01:10:32 Ca change tout. Ca change tout.
01:10:35 C'est plus telle tendance du Parti communiste,
01:10:38 c'est Trotsky contre les machins,
01:10:41 les Mensheviks, qu'on était.
01:10:43 Non, c'est le totalitarisme.
01:10:45 C'est-à-dire que c'est un système qui a été décrit abondamment
01:10:49 par Naren, par tout un tas de philosophes,
01:10:52 et en particulier par un petit noyau de la gauche française,
01:10:56 qui est socialisme et barbarie.
01:10:59 Qui a fait... -Le Fort.
01:11:01 -Le Fort, quoi. Daniel Le Fort.
01:11:04 Et évidemment,
01:11:06 toute la bande de socialisme et barbarie.
01:11:09 Donc, ça fait tilt.
01:11:11 Ca fait tilt, évidemment,
01:11:13 pour Glucksmann et Bernard-Henri Lévy
01:11:17 et tous les autres nouveaux philosophes,
01:11:20 mais ça fait tilt, y compris pour tous les néo-communistes
01:11:24 ou les gens qui sont intéressés à toutes ces questions-là.
01:11:28 -C'est chez beaucoup de communistes
01:11:31 qu'il y avait leur carte au PCF dans les années 50.
01:11:34 -Oui. -Voilà.
01:11:35 -C'est intéressant, parce que Glucksmann,
01:11:37 dans un extrait qu'on a retrouvé d'une émission de télé
01:11:40 assez extraordinaire, où ils sont tous autour de la table
01:11:44 chez Clavel, Glucksmann persiste à dire
01:11:49 que l'archipel du Goulag ne se lit pas
01:11:52 dans les libraires de gauche.
01:11:54 Pourquoi ? Il appelle tout le monde autour de la table.
01:11:57 Et c'est... Voilà.
01:11:59 -Il ne s'achète pas dans les libraires de gauche.
01:12:02 -Il dit qu'il aimerait savoir pourquoi.
01:12:04 -C'est un peu ménant, quand même.
01:12:06 -Oui, il y a un blocage...
01:12:08 -Ca se lisait, quand même. -Oui, ça se lisait.
01:12:11 -Il y a un blocage qui, effectivement,
01:12:13 vient sur totalitarisme,
01:12:15 parce que dès qu'on parle de totalitarisme,
01:12:17 automatiquement, on part dans la comparaison avec le nazisme.
01:12:21 Et évidemment, pour des éminents antifascistes
01:12:24 que se proclament tous les gens communistes
01:12:27 d'extrême-gauche, etc.,
01:12:28 c'est quelque chose d'impensable, d'inimaginable.
01:12:32 -Vous vous y êtes aventuré, quelque part.
01:12:34 -Moi, je m'y suis aventuré.
01:12:36 Mais on a eu les mêmes problèmes
01:12:38 quand on a publié le livre noir du communisme, en 97.
01:12:41 Sur quoi a-t-on été attaqué ?
01:12:43 Moi, en particulier, sur totalitarisme,
01:12:47 donc la comparaison,
01:12:49 et deuxièmement, sur l'implication de Lénine
01:12:52 dans l'origine de toute cette affaire
01:12:54 et de tous ces crimes.
01:12:56 Le problème, c'est qu'entre-temps,
01:12:58 et par rapport à Solzhenitsyn, les archives souverains,
01:13:01 vous avez les documents de Lénine
01:13:03 qui n'avaient jamais été publiés dans les oeuvres de Lénine,
01:13:07 parce que quand même, en français,
01:13:09 vous en avez 44 volumes, donc il y a de quoi lire,
01:13:12 mais comme par hasard, ça s'appelle pas "oeuvre complète",
01:13:15 parce que justement, les documents les plus compromettants,
01:13:19 c'est-à-dire ceux où Lénine dit "trouver des gens plus durs",
01:13:22 "pendez plus", "fusillez", etc.,
01:13:24 on les avait mis sous le tapis, ils sont sortis après 91.
01:13:27 C'est pour ça que Nicolas Vert a pu les publier
01:13:30 dans le livre noir. Le plus étonnant,
01:13:32 je vais vous raconter une petite séance,
01:13:35 quand on préparait ce livre, on s'est réunis,
01:13:37 on était cinq principaux auteurs, et un jour,
01:13:40 Vert a dit "je vais vous lire mon premier chapitre",
01:13:43 qui concernait le début de cette affaire, 1917, etc.
01:13:46 Et... Mais on était...
01:13:49 Quand il l'a lu,
01:13:50 où Lénine était mise en cause nommément et complètement,
01:13:53 on a dit "c'est pas possible, c'est impensable,
01:13:56 "on ne peut pas publier ça."
01:13:58 Nous-mêmes, on était totalement choqués.
01:14:00 Là, il s'est mis en colère en disant "c'est les archives,
01:14:03 "y en a marre !" Donc, on a capitulé,
01:14:06 et on l'a publié.
01:14:07 Mais c'est pour vous dire, en 90...
01:14:09 On préparait ça en 96, début 97,
01:14:12 c'est pour vous dire à quel point on était encore
01:14:15 dans un climat intellectuel... -Imprégné.
01:14:18 -Imprégné, et où Lénine restait une figure intouchable.
01:14:23 Y compris à droite.
01:14:26 -Je vais citer un certain nombre de personnalités
01:14:29 qui ont défendu l'archipel du Goulag,
01:14:32 des personnalités qui avaient rendu leur carte,
01:14:34 notamment du PCF, en 56,
01:14:36 après l'affaire de Budapest,
01:14:38 Edgar Morin, Jean D'Avigno, Claude Roy,
01:14:41 François Furet, voilà,
01:14:42 tous ceux-là ont publié des choses,
01:14:44 notamment dans "Le Nouvel Observateur",
01:14:47 peut-être aussi dans "Libération". -Oui, beaucoup.
01:14:51 -Dernier extrait du film,
01:14:53 ça nous rapproche de notre époque, aujourd'hui.
01:14:55 Cette fois, c'est Raphaël Kluzman.
01:14:59 Fils, bien sûr, d'André Kluzman, qui s'exprime ?
01:15:02 -L'ennemi numéro un de Poutine, c'est Memorial.
01:15:05 L'ennemi numéro un de Poutine,
01:15:07 c'est ceux qui documentent les crimes du stalinisme.
01:15:10 L'ennemi numéro un de Poutine,
01:15:12 c'est ceux qui poursuivent l'oeuvre de l'archipel du Goulag.
01:15:16 Memorial, c'est l'organisation qui doit être détruite
01:15:19 pour que le grand projet totalitaire de Poutine
01:15:22 puisse avoir lieu.
01:15:23 Memorial, c'est l'esprit de Solzhenitsyn,
01:15:25 de l'archipel du Goulag.
01:15:27 On le sait, contre Memorial,
01:15:29 quand il y a la dissolution de Memorial,
01:15:31 en réalité, ce qui se passe, c'est quoi ?
01:15:33 C'est qu'on brûle l'archipel.
01:15:35 -Je peux ajouter un mot ? -On brûle l'archipel.
01:15:38 -C'est une phrase de Solzhenitsyn,
01:15:40 dont il dit "l'archipel du Goulag, c'est un monument aux morts".
01:15:44 Je crois que ça résume très bien.
01:15:46 Ca reprend ce que dit Raphaël.
01:15:49 -Ce qu'il faut préciser, peut-être,
01:15:51 après avoir entendu cette phrase de Raphaël Kluzman,
01:15:56 c'est que Memorial était une association
01:15:58 de défense des droites.
01:16:00 L'homme russe, qui a été créée à la fin des années 80,
01:16:04 on était sous l'ère Gorbatchev,
01:16:06 et elle a été dissoute officiellement en Russie,
01:16:09 c'était le 28 décembre 2021,
01:16:12 par Vladimir Poutine.
01:16:14 Voilà pourquoi Raphaël Kluzman s'est exclu de cette sorte.
01:16:18 Qu'avez-vous à dire sur cette rencontre
01:16:20 avec le fils d'André Kluzman ?
01:16:22 -C'était assez saisissant,
01:16:24 parce que Raphaël Kluzman évoque sa jeunesse.
01:16:29 Il a lu l'archipel quand il était adolescent,
01:16:32 mais il raconte qu'il a été bercé, quand même,
01:16:35 d'une certaine façon.
01:16:36 On lui a pas lu le chaperon rouge,
01:16:39 mais il... Vraiment,
01:16:41 et donc, il a bien insisté
01:16:46 sur le fait que c'était un héritage pour lui.
01:16:48 Vraiment, je crois que c'était très important,
01:16:51 et il l'a vécu comme tel,
01:16:54 et voilà, c'était assez fort, ces mots-là,
01:16:57 parce que, déjà, on retrouvait quelque part son père,
01:17:00 mais vraiment, il a gardé cet héritage-là,
01:17:05 ce combat-là.
01:17:06 -Il y a un côté révélation.
01:17:09 C'est une révélation,
01:17:11 au sens à la fois religieux du terme
01:17:14 et scientifique du terme,
01:17:17 et à la fois historique,
01:17:19 et toute la vision qu'on pouvait avoir du communisme,
01:17:22 malgré tout, on trouvait des raisons,
01:17:24 voilà, mais c'est une révélation,
01:17:26 et d'un seul coup, tout s'éclaire.
01:17:28 -Je sais que ça a été difficile
01:17:30 pour cette génération qui a cru plus que tout autre.
01:17:33 -Si je peux lire trois lignes de Soljenitsyn
01:17:36 pour expliquer tout ça,
01:17:39 le jour où il a été expulsé d'Urs,
01:17:41 c'était en 74, Soljenitsyn a publié un texte.
01:17:45 Voilà ce qu'il dit.
01:17:46 "Quand la violence fait irruption dans la vie paisible des hommes,
01:17:50 "son visage flamboie d'arrogance.
01:17:52 "Elle porte effrontément inscrit sur son drapeau,
01:17:55 "elle crie 'Je suis la violence.
01:17:57 "Place, écartez-vous ou je vous écrase'.
01:18:00 "Mais la violence vieillit vite,
01:18:02 "et elle perd son assurance.
01:18:03 "Pour se maintenir, pour faire bonne figure,
01:18:06 "elle recherche obligatoirement l'alliance du mensonge.
01:18:09 "Car la violence ne peut s'abriter derrière rien d'autre
01:18:12 "que le mensonge, et le mensonge ne peut se maintenir
01:18:16 "que par la violence."
01:18:17 Je crois que c'est le coeur de son travail.
01:18:20 -Si vous citez Soljenitsyn,
01:18:21 si vous citez ses phrases,
01:18:23 c'est au moment où il est expulsé de son pays.
01:18:26 -Le jour même où il est expulsé.
01:18:28 -Nous sommes en 73. -En 74.
01:18:30 -En 74, autant pour moi.
01:18:32 C'est parce que je considère que ses propos
01:18:34 peuvent encore avoir une résonance aujourd'hui.
01:18:37 -C'est aussi un peu pour ça que je les cite.
01:18:40 -Mais bien sûr, le secret...
01:18:42 Plus il y aura de secrets, plus la terreur pourra s'instaurer.
01:18:46 Bon, moins il y aura de secrets,
01:18:48 mais le fait de liquider Mémorial,
01:18:50 ou de tout faire pour liquider Mémorial,
01:18:53 parce que "Légende" continue de se battre,
01:18:55 mais le fait de tout faire pour liquider Mémorial,
01:18:58 c'est évidemment pour essayer de maintenir un secret
01:19:01 sur la terreur qui est en train de monter en Russie
01:19:04 avec M. Poutine, à cause de cette guerre en Ukraine
01:19:07 qu'il a déclenchée et dont il ne sait pas comment se sortir.
01:19:11 -Ce lien avec cette actualisation,
01:19:14 vous l'avez très bien symbolisé
01:19:16 à la toute fin du documentaire, avec ce kaleidoscope,
01:19:19 où on voit les victimes, les zèques,
01:19:22 ceux qui ont été déportés dans les goulags,
01:19:24 et puis ce kaleidoscope se transforme
01:19:27 avec les personnes qui sont aujourd'hui,
01:19:29 aujourd'hui même... -Toutes les photos
01:19:31 qu'on voit sur ce mur d'images sont des photos
01:19:34 qu'on peut voir sur le site de Mémorial
01:19:36 de gens qui sont actuellement détenus.
01:19:39 Le mur des photos noir et blanc d'identité judiciaire,
01:19:42 on l'avait eu au musée du KGB à Vilnius,
01:19:45 et vraiment, je me suis dit, c'est frappant, un peu,
01:19:49 et juste un mot, quand même, à la fin,
01:19:52 j'ai découvert ce jeune youtubeur russe,
01:19:55 Yuri Dud, qui a fait ce film incroyable,
01:19:59 qui est encore visible sur sa chaîne YouTube,
01:20:02 "Kolyma, lieu de naissance de notre peur",
01:20:05 un film de deux heures, et ça, c'est la jeune génération,
01:20:09 où il est revenu sur les lieux,
01:20:12 28 millions de vues à ce jour sur ce film.
01:20:16 Il a été obligé de quitter la Russie
01:20:18 parce qu'il est considéré comme un agent de l'étranger.
01:20:21 On l'a eu au téléphone,
01:20:23 et on lui a demandé l'autorisation
01:20:25 de prendre un extrait de son film,
01:20:27 et ça, je trouve, c'est vraiment important,
01:20:29 parce que ça, c'est la jeune génération.
01:20:33 Donc, tout ça ne disparaît pas
01:20:36 avec la mémoire des gens qui l'ont connu,
01:20:38 et donc, je pense que c'était important
01:20:40 à la fin de ce film,
01:20:42 parce que, du coup, ça donne un écho avec aujourd'hui.
01:20:46 -On commémore les 50 ans
01:20:48 de la publication de ce livre,
01:20:50 d'abord en russe,
01:20:52 c'était à la toute fin de 73,
01:20:55 et puis ensuite, en français, au printemps 74.
01:20:58 50 ans après, si vous avez un édito à commettre,
01:21:01 on ne sera sans doute pas les seuls
01:21:03 à commémorer cet événement,
01:21:05 qui était la sortie de l'archipel du Goulag.
01:21:08 -Ce serait un édito pour dire quoi ?
01:21:10 -C'est le livre qui a changé le communisme.
01:21:14 -Il a une résonance aussi, à vos yeux,
01:21:17 avec les situations en Russie.
01:21:19 -Il a une résonance aujourd'hui...
01:21:21 -Peut-être moins, mais le travail a été fait,
01:21:24 si j'ose dire,
01:21:25 par ce que fait Stéphane,
01:21:28 Nicolas Wörth, etc.
01:21:30 Enfin, je veux dire, ce travail a été fait,
01:21:33 en partie, évidemment, grâce à Solzhenitsyn,
01:21:37 mais il a entre-ouvert une porte.
01:21:39 Ces portes, ce sont les portes des archives,
01:21:42 parce que sans les archives, finalement...
01:21:45 La preuve, quelle est la preuve de ce que vous avancez ?
01:21:48 Les preuves existent.
01:21:49 Les preuves existent.
01:21:51 Les preuves du totalitarisme existent.
01:21:53 -On va rappeler à quel moment
01:21:55 ont été ouvertes ces archives
01:21:57 et à quel moment vous avez vous-même consulté un autre coup.
01:22:00 -C'était...
01:22:01 Il y a...
01:22:02 Il y a aucun historien
01:22:04 qui a imaginé,
01:22:06 en juin 1991,
01:22:09 qu'en janvier 92,
01:22:11 les archives s'ouvriraient.
01:22:13 Ca paraissait insensé,
01:22:15 mais totalement insensé.
01:22:16 Et soudain, l'Urs implose,
01:22:19 c'est-à-dire le régime implose,
01:22:21 et l'Urs explose, c'est-à-dire qu'il y a 15 républiques,
01:22:24 et d'un seul coup, on arrive à Moscou,
01:22:27 et heureusement,
01:22:29 les archives, ce qui est extraordinaire,
01:22:32 c'est qu'en Urs, il n'y avait pas de loi sur les archives.
01:22:35 Il y avait le contrôle absolu du comité central.
01:22:38 Et d'un seul coup, il n'y avait plus de comité central.
01:22:41 On a mangé notre pain blanc pendant 2 ou 3 ans
01:22:43 en disant aux archivistes russes
01:22:45 "Vous êtes démocrate, faites comme nous, ouvrez."
01:22:48 Après, bon, ça s'est refermé, petit à petit,
01:22:51 mais bon, on a quand même pu profiter,
01:22:54 pendant plusieurs années, d'une grande ouverture,
01:22:57 et puis le relais a été pris complètement
01:22:59 par les gens de Mémorial.
01:23:01 -Et puis, publié à votre tour, le livre noir du communisme.
01:23:04 -Oui, bien sûr. -Qui, lui aussi,
01:23:06 a provoqué beaucoup de remous à sa sortie.
01:23:09 -Vous vous souvenez ? Ouh là là.
01:23:11 Bon, donc...
01:23:12 C'est tout à fait étonnant
01:23:16 de voir que l'histoire se répète,
01:23:18 elle bégaye d'une certaine manière.
01:23:20 Les polémiques qu'il y a eu pour la sortie de l'archipel du Goulag
01:23:23 se sont reproduites au moment de la sortie du livre noir
01:23:27 du communisme, et pour un peu,
01:23:28 elles se reproduiraient aujourd'hui à propos de M. Poutine.
01:23:32 Alors, Dieu merci, les choses ont avancé,
01:23:34 mais le travail n'est jamais terminé.
01:23:37 On est continuellement obligés...
01:23:39 Quand vous écoutez les propagandistes russes
01:23:42 aujourd'hui... -Oui, il faut écouter
01:23:44 la télévision. -Eux, ils n'ont jamais vu
01:23:47 les archives. -C'est pas ça,
01:23:49 c'est qu'ils veulent surtout pas les voir.
01:23:51 C'est autre chose. Ca s'appelle le déni.
01:23:53 -Bon, ça sera le mot de la fin.
01:23:55 Un grand merci vraiment à tous les trois
01:23:57 d'avoir participé à ce débat,
01:23:59 après ce documentaire, qui était indécisément
01:24:02 un documentaire exclusif pour notre chaîne LCP,
01:24:05 l'archipel du Goulag, le courage de la vérité.
01:24:08 Merci pour ce film, Jean Crépu. -C'est moi.
01:24:10 -On était très fiers de pouvoir le présenter
01:24:13 dans cette émission.
01:24:14 Vos réactions, ça sera sur #LesBadocs.
01:24:17 J'imagine qu'elles seront assez nombreuses
01:24:19 après la suite de cette émission.
01:24:21 Merci aussi à Selma Salih, qui m'a aidé, comme à l'accoutumée,
01:24:25 à présenter cette émission.
01:24:27 Rendez-vous pour un prochain "Les Badocs",
01:24:29 avec son documentaire et son débat.
01:24:31 A bientôt.
01:24:32 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
01:24:34 Générique
01:24:36 ...

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