• l’année dernière
Autres contes :
Une lune à la fenêtre :
https://youtu.be/HZ0nS9mu4rw
Le Maître du thé :
https://youtu.be/WerCDP9pSsw
Le miroir magique :
https://youtu.be/fPfRWoJaPPM
Les trois moines :
https://youtu.be/koKkJR95s80
Transcription
00:00 Les trois moines
00:07 Nouvellement admis dans un monastère,
00:15 trois moines s'évertuaient à afficher leurs différences à tous propos.
00:20 Très imbues d'eux-mêmes, ces jeunes élèves tenaient quotidiennement des réunions d'une rare prétention,
00:27 afin, disait-il, de reconsidérer les propos du maître.
00:32 Ils allaient même jusqu'à s'imposer quotidiennement de redoutables épreuves physiques
00:37 uniquement pour juger au final de leur aptitude à supporter la souffrance.
00:43 Fidèles à leur volonté de défi,
00:46 ils avaient décidé un soir de pratiquer un jeûne de quatre jours,
00:50 suivi d'une séance nocturne de méditation silencieuse.
00:55 Au début, tout sembla se dérouler comme prévu,
00:58 puisque quatre jours de rang, aucun d'eux ne se présenta au repas servi par l'école,
01:04 fidèles en cela au vœu d'abstinence qu'ils s'étaient imposés.
01:08 Enfin, se présenta la séance de méditation sans parole,
01:13 qui devait se tenir au soir du quatrième jour.
01:16 Celle-ci était prévue dans la salle principale du pavillon de l'Est,
01:21 surnommée la salle des nuages.
01:25 Et c'est ainsi qu'à l'heure dite, les trois élèves pénétrèrent à pafettré
01:30 dans la grande salle des nuages une lampe allumée à la main.
01:34 Puis, sans qu'aucun mot ne soit échangé entre eux,
01:39 ils desserrèrent soigneusement leur veste ample dont ils étaient revêtus
01:44 et posèrent chacun un épais coussin rond de couleur noire sur le plancher en paille de riz.
01:52 Toujours silencieusement, ils s'inclinèrent avec beaucoup de solennité
01:57 devant leur coussin respectif avant de s'y asseoir d'un mouvement souple et rapide.
02:03 Ensuite, chacun d'eux plaça son pied droit sur la cuisse gauche
02:07 et son pied gauche sur la cuisse droite,
02:10 puis, posant les deux mains l'une sur l'autre à hauteur du nombril,
02:14 le menton rentré, les trois élèves se figèrent en position assise,
02:19 les yeux mi-clos, le regard vide.
02:23 Mais un petit événement imprévisible n'allait pas tarder à bouleverser toute cette belle ordonnance.
02:34 Ayant consumé toute son huile, l'unique lampe qui éclairait encore la pièce vint à s'éteindre,
02:40 plongeant les élèves dans l'obscurité la plus totale.
02:44 Le plus jeune des trois, légèrement effrayé, ne put alors se retenir de murmurer
02:50 « La flamme vient de cet arbre ».
02:55 Ce à quoi le deuxième étudiant répliqua « Pourquoi parlez-vous ?
03:00 C'est une méditation sans parole et nous devrions tous rester silencieux ».
03:06 Le troisième, visiblement agacé par toute cette agitation, ne put s'empêcher d'ajouter
03:12 « Vous êtes tous les deux si stupides. Il n'y a bien que moi qui réussis à rester sans parler ».
03:18 Une heure, puis deux, passèrent ainsi,
03:22 rythmées seulement par les respirations de plus en plus profondes des trois élèves,
03:27 qui au fur et à mesure que la nuit avançait, tentaient de lutter contre un ennemi redoutable,
03:33 le sommeil.
03:37 Courageusement, ils tentèrent bien de résister à ce sommeil qui les pressait de s'abandonner à lui,
03:43 mais l'un d'eux finit par appuyer discrètement sa tête sur le sol afin de s'assoupir un instant.
03:51 Puis, peu de temps après, l'un des deux autres, sollicité par une obligation pressante
03:56 qu'aucun Bouddha au monde n'aurait pu satisfaire à sa place,
04:00 tenta, dans la clarté lunaire, de rejoindre les toilettes à l'extérieur du bâtiment.
04:06 Totalement incapable de se repérer dans la pénombre,
04:10 il posa alors le pied sur la tête de l'endormi, qui poussa un terrible cri de douleur.
04:16 « Quel est le fils de chien qui ose marcher sur une tête qui médite ? »
04:22 « Je ne vous avais point vu, mon frère, » s'excusa d'abord l'étourdi.
04:27 « La lampe n'étant plus allumée et l'obscurité régnant dans la pièce,
04:31 pensez-vous que cela soit une excuse suffisante pour malmener ainsi un serviteur du Bouddha ?
04:36 Ma tête n'a-t-elle pas plus de valeur à vos yeux qu'une simple motte de terre que l'on écraserait avec le pied ? »
04:43 « Mais puisque je vous dis que je ne distinguais rien dans la pénombre, » réaffirma l'étourdi,
04:47 « que l'agacement commençait sérieusement à envahir.
04:50 Combien de fois me faudra-t-il vous le répéter ?
04:54 Croyez-vous que je sois sourd parce que vous êtes aveugle ?
04:57 Ne pourriez-vous pas avoir un peu plus de respect envers celui que le Bouddha aime et protège si particulièrement ? »
05:04 « Si particulièrement ? » s'écria l'autre vexé.
05:07 « D'où vient que votre reueil vous fasse croire à ce point, chéri de la divinité ?
05:11 Et pourquoi voulez-vous me rabaisser à ses yeux alors que je jeûne et étudie autant que vous ? »
05:17 « Vous dites que vous jeûnez autant que moi ?
05:20 Pourtant ce soir, j'ai tout fait pour lutter contre le sommeil.
05:24 C'est seulement vaincu par la fatigue et la faim que j'ai, malgré moi, fini par poser ma tête quelques instants sur le sol.
05:33 Vous vous êtes endormi tout simplement parce que vous êtes moins résistant que moi,
05:37 qui suis resté quatre jours sans absorber autre chose que deux gorgées d'eau. »
05:42 « Quelle hypocrite vous faites !
05:44 À plusieurs reprises, je vous ai vu pendant la journée avaler furtivement des cerises que vous aviez cachées dans votre manche.
05:50 Par bonté d'âme, je n'ai rien dit, préférant offrir vos fautes en pénitence au Bouddha.
05:56 Peut-être, peut-être m'avez-vous vu manger deux ou trois cerises par distraction,
06:01 tant mon esprit était absorbé par la contrition.
06:05 Mais que dites-vous de la faute que vous avez commise quand vous dormiez en feignant de prier ?
06:11 Car je vous ai entendu ronfler.
06:14 Oui, ronfler à petits bruits, tandis que je priais pour votre salut.
06:20 Mon salut ? » rétorqua l'autre, au comble de la colère.
06:24 « Mon salut ne dépend pas d'un misérable damné comme vous, d'un mauvais serviteur du divin Maître,
06:29 qui ose de son pied effronter, écraser une tête trop pure pour lui. »
06:34 « Que n'ai-je définitivement écrasé, cette tête ! » hurla l'autre.
06:38 « Au moins je n'aurais pas dû entendre de semblables ignominies
06:41 souiller cette atmosphère de prière et de recueillement. »
06:46 Ainsi, la dispute ne faisait-elle qu'enfler, lorsque le Maître du monastère,
06:51 arraché brutalement de son sommeil, apparu à la porte du pavillon de l'Est,
06:56 une lanterne à la main.
06:59 « Que se passe-t-il ici ? Et pourquoi criez-vous comme des enragés ? »
07:04 A force de questionner les trois élèves sur l'origine de toute cette agitation,
07:08 ils finissent par s'entendre répondre.
07:11 « Devenir Bouddha, devenir l'Esprit suprême. »
07:16 « Mais comment la méditation assise permettrait-elle de devenir un Bouddha ? »
07:21 leur rétorquait le Maître d'une voix gassée.
07:24 « Quand l'Esprit n'est pas suffisamment maîtrisé, aucune tranquillité ne peut y régner,
07:28 et les ignorants comme vous, qui s'entraînent à l'immobilité, n'en tirent aucun profit. »
07:33 « Vous croyez que le mouvement et la tranquillité sont deux pôles distincts de la pensée ? »
07:38 « Alors que si vous connaissiez la véritable immobilité, vous la trouveriez, même dans l'activité. »
07:45 « Mais pourtant, Maître, il faut bien que nous désirions. »
07:50 Sans lui laisser le temps de terminer sa phrase,
07:53 le Maître attrapa sans ménagement l'un des élèves rebelles par sa manche
07:57 et l'entraîna vers la réserve d'eau potable du monastère,
08:00 dans laquelle il lui enfonça la tête.
08:04 Au bout d'une longue série de secondes, le Maître le laissa enfin sortir la tête à l'air libre
08:10 et lui demanda alors ce qu'il avait désiré le plus pendant son immersion dans le bassin.
08:17 Le disciple dut admettre que c'était l'air qu'il avait désiré par-dessus tout
08:23 et que la bouddhéité lui était apparue étrangement hors de propos.
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