Karfa Diallo, fondateur de l'association Mémoires et Partages

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Transcription
00:00 Depuis un quart de siècle, elle se bat pour que Bordeaux affronte son passé de porne et grillé.
00:04 L'association bordelaise Mémoires et Partages fête ce jeudi 2 novembre son 25e anniversaire.
00:09 Retour sur 25 ans de combat et de progrès avec son fondateur qui est votre invité ce matin, Marie Warsh.
00:15 Bonjour Carphal-Diallo.
00:16 Bonjour Marie Warsh.
00:17 25 ans, un quart de siècle, c'est l'occasion aussi de jeter un coup d'œil dans le rétro.
00:21 Quel bilan vous tirez de ces 25 ans d'action ?
00:24 C'est un quart de siècle d'engagement, un quart de siècle d'ouverture aux autres,
00:28 un quart de siècle d'indignation.
00:30 C'est vrai, nous sommes dans une ville, dans une région très marquée par l'histoire de la colonisation,
00:35 de l'esclavage, de la traite des Noirs,
00:37 l'histoire de ce que la France a qualifié de crime contre l'humanité.
00:40 Donc il n'allait pas de soi au début, il y a 25 ans, jeune étudiant, très ignorant
00:44 de la profondeur historique de cet événement.
00:48 Il n'était pas évident de s'engager dans ce combat.
00:51 Au bout de 25 ans, on se rend compte que cette indignation qu'on a su élever,
00:55 qui a été partagée par de nombreuses et de nombreux Bordelais,
00:58 cette indignation a payé.
00:59 C'est-à-dire qu'on a dépassé le simple pathos,
01:02 ou bien le fait d'exiger d'un signe repentance,
01:06 pour être dans la créativité, pour mettre en place des outils d'éducation,
01:09 des outils de partage, qui font aujourd'hui une sorte de nouvelle humanité,
01:13 un changement social, un changement culturel à Bordeaux.
01:16 Et pour nous c'est ça qui est fondamental,
01:17 c'est de dépasser le pathos pour être vraiment dans une relation,
01:20 mais une relation plus exigeante,
01:21 et qui tienne compte véritablement de ce qui s'est passé dans cette ville,
01:24 qui a été un crime contre l'humanité.
01:26 Si on parle des résultats visibles,
01:28 au-delà du fait que les gens connaissent cette histoire,
01:31 qu'est-ce qui s'est passé en 25 ans ?
01:32 Qu'est-ce qui a changé de façon visible à Bordeaux, Carfadiallo ?
01:35 Ce qui a changé fondamentalement, je crois,
01:38 c'est que les Bordelaises et les Bordelais,
01:40 les élites aussi en Bordelaise,
01:42 ont compris que pour que cette ville puisse aller de l'avant,
01:45 c'est-à-dire pour qu'elle puisse rentrer dans le XXIe siècle,
01:48 il était absolument essentiel qu'elle reconnaisse que,
01:51 pendant trois siècles, elle a mis en esclavage
01:55 les Noirs, les Africains et leurs descendants,
01:57 qu'elle a vécu, qu'elle doit sa prospérité à cette histoire.
02:00 Donc il fallait déjà l'affirmer.
02:02 Et ça, ça a été notamment des évolutions politiques importantes.
02:05 Avec la loi Taubira en 2000,
02:07 qui a déclaré la traite et l'esclavage crime contre l'humanité,
02:09 on a eu aussi, c'est vrai, il faut le dire,
02:11 des hommes politiques qui ont été ouverts
02:13 à ce que la société civile pouvait apporter,
02:15 et c'est ce qui a fait qu'on a eu des commissions municipales importantes
02:18 qui ont abordé ce sujet.
02:19 Il y a eu un travail sur l'espace public qui a été essentiel,
02:22 puisqu'on a aujourd'hui des monuments commémoratifs
02:25 qui existent sur la rive droite, sur la rive gauche de Bordeaux.
02:28 On a également une action de réparation,
02:31 notamment de la signalétique urbaine.
02:33 Vous savez qu'on avait à Bordeaux des rues
02:35 qui honoraient des gens qui avaient participé
02:37 à cette histoire terrible de l'esclavage et de la traite des Noirs.
02:39 Ces rues ont été accompagnées de panneaux explicatifs,
02:42 parce que nous, nous avons préféré la pédagogie à l'effacement.
02:45 Donc oui, il y a des évolutions profondes
02:47 qui ont tenu aussi, je crois qu'il faut le dire,
02:50 aux bénévoles, aux militants du milieu associatif
02:53 qui ont créé des outils, qui ont travaillé avec l'éducation nationale,
02:56 c'est-à-dire qui ont dépassé la simple action militante
02:59 pour être dans la production de savoirs et de connaissances.
03:01 On ne déboulonne pas, on ne change pas le nom des rues,
03:04 on explique, c'est ça votre principe ?
03:06 Oui, c'est ça notre principe,
03:08 parce qu'il nous semble essentiel
03:10 que véritablement on puisse réparer.
03:12 Réparer l'oubli de ce crime contre l'humanité,
03:15 sortir du silence historique
03:17 dans lequel on a tenu cette histoire pendant très longtemps,
03:20 et puis donner de la visibilité.
03:22 Et pour donner de la visibilité, pour mettre du sens dans ce qui s'est passé,
03:25 il est important qu'on puisse expliquer,
03:27 qu'on puisse être dans la pédagogie.
03:29 Et c'est pour ça que, contrairement à d'autres villes du monde entier
03:32 qui ont préféré déboulonner des statues,
03:35 débaptiser les rues, nous on a préféré à Bordeaux
03:38 mettre des panneaux explicatifs sur les 20 rues de Négrier qui existaient.
03:42 Et puis, on a passé, il y en a 6, à qui on a accompagné
03:45 de panneaux explicatifs, donc dans les rues de la ville,
03:48 et ça, ça nous semblait véritablement essentiel.
03:50 On a demandé à nos auditeurs s'ils estimaient que la ville de Bordeaux
03:53 assumait suffisamment son passé négrier.
03:55 On va écouter la réaction de Bruno.
03:57 Je pense que Bordeaux a fait ce qu'il faut avec le musée d'Aquitaine,
04:00 avec tout ça. Moi je suis né à La Rochelle,
04:02 donc c'était aussi une ville de la traite négrière.
04:05 Je pense qu'on a fait ce qu'il faut.
04:07 Après, on peut toujours faire plus,
04:09 mais celui qui veut savoir, qui ne veut pas se voiler la face,
04:11 il a toutes les informations dont il a besoin pour comprendre
04:13 ce qui s'est passé à cette époque.
04:14 Est-ce qu'on fait assez aujourd'hui, Carfadie Allaud ?
04:17 Oui, je pense que la ville de Bordeaux a évolué.
04:19 Il y a eu des évolutions importantes dans la ville.
04:22 Il y a effectivement les salles du musée d'Aquitaine,
04:23 mais qui ont été aussi l'objet d'un combat.
04:25 Notre association a été très motrice
04:27 dans la mise en place de certaines salles
04:30 au musée d'Aquitaine qui abordent la question
04:32 de l'esclavage et de la traite des Noirs.
04:34 Mais c'est vrai qu'on peut aller plus loin.
04:35 Il faut savoir que là, nous parlons d'un crime contre l'humanité.
04:38 C'est-à-dire d'un traumatisme qui peut impacter des générations entières,
04:42 qui peut traverser des siècles.
04:43 Et même, quelquefois, par une alchimie assez terrifiante
04:46 qui peut rentrer dans les gènes d'individus et de personnes.
04:50 Donc, nous parlons de ce qui est au cœur de notre mondialisation.
04:53 Et pour cela, il nous semble que la ville de Bordeaux,
04:55 c'est la ville qui a le plus profité de l'esclavage colonial français.
04:59 C'était le deuxième port négri et français,
05:01 mais c'était surtout le premier port colonial français.
05:03 Plus de 400 000 Africains ont été déportés
05:05 par les Bordelais en trois siècles et demi.
05:07 La ville de Bordeaux est sur le chemin d'une véritable reconnaissance.
05:11 Mais c'est vrai qu'elle n'est pas, par exemple, à la hauteur de Nantes.
05:14 Nantes qui était, elle, le premier port négrié.
05:17 Et il faut aller plus loin, il nous semble essentiel de le faire.
05:20 Et nous sommes d'ailleurs heureux de savoir que la ville de Bordeaux,
05:23 les collectivités locales,
05:24 semblent aujourd'hui aller dans le sens d'un projet structurant.
05:27 C'est-à-dire dépasser l'aspect commémoratif, mémoriel,
05:30 pour rentrer dans un travail social,
05:32 sur le phénomène de l'exploitation de l'homme par l'homme.
05:35 Parce que c'est de ça qu'il s'agit.
05:36 Qu'est-ce qui fait qu'hier, on est allé chercher des Africains
05:39 pour les exploiter pendant autant de siècles ?
05:41 Qu'est-ce qui fait qu'aujourd'hui encore,
05:42 des formes d'esclavage contemporain existent ?
05:44 Donc Bordeaux, tourné sur l'Atlantique, peut mettre en place un équipement
05:47 qui permette de mieux comprendre les esclavages d'hier,
05:49 pour mieux combattre les esclavages d'aujourd'hui.
05:52 - C'est cette maison esclavage et résistance qui verra bientôt le jour ?
05:55 - On l'espère, on l'espère fortement.
05:57 On a cette année eu une accélération historique essentielle,
06:01 avec la mission de préfiguration pour cette maison esclavage et résistance
06:05 commandée par la maire de Bordeaux.
06:07 Par la maire de Bordeaux, on a eu un travail de préparation
06:11 pendant plusieurs mois, où on a associé les Bordelais.
06:14 Il ne s'agissait pas pour nous d'être les seuls à réfléchir
06:16 sur ce que devrait être cette maison esclavage et résistance.
06:19 Donc on a eu des auditions de personnalités locales, nationales et internationales.
06:23 Et puis on a fait une consultation citoyenne.
06:25 On est allé à la rencontre des Bordelais.
06:26 On en a rencontré plus de 700,
06:28 qui nous ont dit ce qu'ils pensaient de ce projet,
06:31 où ils devraient se situer, à qui ils devraient s'adresser.
06:35 Et ce projet a fait l'objet d'un rapport,
06:37 qui a été remis aux maires de Bordeaux,
06:40 au président de la région Nouvelle-Aquitaine.
06:42 Ces deux collectivités, on aurait déjà fait savoir
06:44 qu'elles étaient prêtes à participer à l'investissement pour ce lieu.
06:48 Il y a d'autres étapes qui vont venir,
06:49 notamment en direction du port de Bordeaux,
06:51 mais aussi les autres collectivités locales.
06:53 Oui, je pense que c'est un projet qui vient à son heure à Bordeaux.
06:56 Aujourd'hui, on a une sociologie de la ville,
06:59 qui est une sociologie très ouverte sur ses questions,
07:01 assez décomplexée,
07:02 mais qui pense aussi que si Bordeaux doit se réhumaniser,
07:05 il faut qu'elle le fasse en mettant à égalité
07:07 toutes les mémoires qu'ils ont composées et qu'ils ont faites.
07:10 Une dernière question, car Fagliallo,
07:11 elle concerne plus précisément l'anniversaire de votre association.
07:14 C'est ce soir au Cinéma Utopia à Bordeaux,
07:16 en présence de Daniel Obono.
07:17 C'est une personnalité clivante en ce moment,
07:20 puisqu'elle a récemment qualifié le Hamas de groupe de résistance.
07:23 Elle est visée par une plainte.
07:24 Vous avez maintenu l'invitation de Daniel Obono ?
07:26 Oui, on l'a maintenue,
07:27 parce qu'il nous semble que ce serait extrêmement réducteur
07:30 de réduire la contribution d'une personnalité politique,
07:34 d'une élue de la République,
07:36 en l'occurrence à une déclaration qu'elle a faite.
07:38 Pour ce qui est du conflit du Proche-Orient,
07:40 ce ne sera pas l'objet, bien évidemment, de notre anniversaire,
07:43 mais nous avons effectivement, très rapidement,
07:45 condamné les massacres terroristes du Hamas,
07:48 qu'on ne peut pas qualifier d'axe de résistance,
07:51 des gens qui s'attaquent à des femmes, à des enfants,
07:53 qui vont à une rêve partie pour assassiner.
07:55 Ce n'est absolument pas un acte de résistance,
07:57 c'est un acte terroriste qu'il faut condamner,
08:00 et que nous condamnons.
08:01 Mais évidemment, pour Daniel Obono,
08:03 c'est une femme politique qui a subi des attaques extrêmement dures.
08:06 Il faut quand même rappeler qu'elle a été dépeinte en esclave
08:09 par Valeur Actuelle il y a cela quelques années.
08:11 Nous l'avions défendue,
08:12 puisque nous étions partie civile à son procès.
08:15 Donc oui, Daniel Obono a toute sa place là,
08:18 en sachant qu'il y a des différences.
08:20 Nous sommes un mouvement associatif,
08:21 indépendant de tout parti politique,
08:23 mais résolu à ne pas rentrer dans le confusionnisme ambiant actuel.

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