"Il n'y a que les sentiments qui m'intéressent" : le dessinateur Floc'h signe les dernières aventures de Blake et Mortimer

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L'illustrateur, dessinateur de bandes dessinées et romancier Floc'h, invité du Monde d'Elodie, le 6 novembre 2023.

Il présente "L’art de la guerre", le dernier opus des aventures de Blake et Mortimer, publié chez Dargaud.
Transcript
00:00 - Bonjour Floch. - Bonjour.
00:01 - Vous êtes une référence de la bande dessinée et de l'illustration,
00:04 vous êtes considéré comme l'un des maîtres de la ligne claire contemporaine,
00:07 vous avez régulièrement travaillé pour le cinéma avec des affiches de films réalisés par et pour les plus grands.
00:13 Je pense à Woody Allen, à Elia Suleiman, à Nanny Moretti ou encore à Alain René,
00:17 évidemment avec qui vous aviez tissé une belle complicité et amitié.
00:20 Vous avez aussi en parallèle collaboré avec la presse nationale et internationale,
00:24 impossible de ne pas évoquer votre participation à la collection de carnets de voyage,
00:27 Edinbourg en 2015 pour Louis Vuitton.
00:30 Et comme vous aviez encore du temps disponible, on ne sait pas où mais vous en aviez,
00:33 vous avez publié de nombreux livres à portée personnelle,
00:37 avec quand même une belle déclaration d'amour systématique pour la culture britannique.
00:42 En résumé, vous êtes un amoureux des expériences graphiques et littéraires,
00:46 avec comme arme de création massive votre crayon.
00:50 Vous venez de publier "L'art de la guerre" avec la complicité de l'écrivain scénariste et éditeur Bocquet,
00:54 l'éditeur et l'édacteur en chef de Metal Hurlant Fromental.
00:57 Il s'agit d'une aventure de Black et Mortimer à New York, d'après les personnages de Jacobs.
01:01 C'est une énorme surprise, on ne va pas se mentir,
01:04 car personne n'y croyait et limite même pas vous-même.
01:07 Pendant des années, vous avez totalement refusé de vous mettre dans les pas de Jacobs,
01:13 en considérant que vous étiez d'abord vous-même avant d'être Jacobs.
01:16 Qu'est-ce qui vous a fait craquer ?
01:18 En effet, pendant des années et des années, j'estimais que j'étais sur Terre pour être floc,
01:25 découvrir qui était ce gars-là, et surtout pas Jacobs, surtout pas un autre.
01:30 Mais le temps passant, je pense que c'est certainement par esprit de contradiction aussi.
01:37 Moi je suis un homme de salon, vous voyez, j'ai pas besoin de...
01:41 J'ai émergé d'ailleurs avec Jacobs pour la partie intimiste, on pourrait dire, vous voyez.
01:46 Le tweed anglais, la dualité écossais-anglais, les pipes, les habits, tout ça.
01:55 Moins pour l'aventure, c'est assez secondaire.
01:58 Non, ce qui m'embêtait, si vous voulez, c'était que Jacobs prenait un peu des risques quand il écrivait,
02:03 et que là, on avait affaire à une sorte de science-fiction,
02:07 pour un temps qu'on connaît déjà, vous voyez, sans risque en fait.
02:11 Et ça, ça me gênait un petit peu, et tout le grand tralala jacobsien, la science-fiction,
02:15 et tout ça, ça ne m'intéressait pas.
02:16 Mais, tout d'un coup, j'ai pensé à une manière de le faire,
02:20 où je pourrais rester dans les clous,
02:24 mais en étant... en trouvant un moyen terme entre Jacobs et moi.
02:29 Et c'est en faisant, en choisissant des choses qui paraissent un peu scientifiques,
02:35 mais qui n'ont pas de grande illoquence scientifique,
02:39 à savoir l'amnésie, la psychanalyse, vous voyez.
02:43 Et j'ai entrevu la possibilité de faire quelque chose.
02:47 - Qu'est-ce qu'on peut raconter sans se polier ?
02:49 On va dire que Black et Mortimer se retrouvent à New York,
02:52 pour une conférence organisée par l'ONU pour la paix, on est d'accord ?
02:56 Et que, évidemment, il va y avoir des rebondissements, des pieds...
03:00 - Si vous me permettez, avant ça, moi je dirais que...
03:03 Il faut dire d'abord que c'est à New York,
03:06 que, par exemple, je ne l'aurais pas fait,
03:08 je n'aurais pas fait une histoire qui se passe à Londres,
03:11 on ne pouvait plus de l'Angleterre, d'une certaine façon.
03:14 Et je me suis aperçu qu'en faisant ce livre,
03:16 c'est des choses un peu cryptées, mais qui remontent à la surface,
03:20 et j'ai compris qu'en fait, le sous-titre, ça serait,
03:23 pourrait être "Pour en finir avec la Grande-Bretagne".
03:26 Et j'ai choisi d'aller à New York, parce que ça apportait quelque chose,
03:29 ça allait déranger dans leur "anglicitude", si on peut dire ça.
03:34 Et je faisais, en plus de New York, encore une fois un huis clos,
03:39 et ça, ça m'intéresse, parce qu'un "huis clos", c'est du théâtre,
03:41 et c'est pas... Donc c'est une illusion de blockbuster, en fait, mon affaire.
03:46 - Sachant que vous rejetez totalement les blockbusters...
03:48 - Oui, absolument, moi j'ai besoin d'intimisme.
03:50 - Vous aimez le théâtre ?
03:51 - Et c'est pour ça que j'avais besoin de "From Mental Ubiqué",
03:53 parce qu'il y a des mots et des choses que je ne sais pas...
03:58 Moi, il n'y a que les sentiments qui m'intéressent.
04:00 - Au niveau des couleurs, je voudrais qu'on en parle,
04:02 il y a vraiment une prise de position,
04:04 et une direction artistique qui est très très forte.
04:07 C'était important pour vous d'apporter ces couleurs-là,
04:10 avec un titre qui porte quand même l'art de la guerre.
04:13 - Oui, que je voulais, mais vraiment très sincèrement,
04:16 parce que je crois que le premier tirage c'est 200 000,
04:20 malheureusement les couleurs, pour moi, sont presque pâles.
04:24 Elles étaient plus fortes que ça, le rose était...
04:28 Et j'aime bien ça.
04:29 Je rêve pas d'être Jacques Demy non plus, attention !
04:31 Mais je voulais en effet une lisibilité pop.
04:36 Parce que ce que j'aime, moi je considère presque que
04:38 Jacobs s'est un peu piégé lui-même.
04:40 C'est-à-dire que ce que je préfère, en tout cas graphiquement,
04:44 c'est le début, c'est l'espadon, vous voyez ?
04:49 C'est la simplicité d'une case dans laquelle il y a un avion qui est rouge,
04:52 un ciel bleu, des nuages blancs, et ce trait noir qui explose
04:57 sur ces couleurs primaires finalement, vous voyez ?
04:59 Ça c'est pop, vous l'agrandissez, ça fait une chose pop.
05:02 - Chaque case finalement, on a l'impression que c'est une affiche de cinéma aussi.
05:07 C'est aussi ça qui fait votre patte.
05:09 Rien que la couverture, elle est extraordinaire.
05:11 Il y a vraiment un jeu de subtilité.
05:14 Ce que je veux dire c'est que tout doit être très précis dans votre travail,
05:17 et tout l'a toujours été.
05:19 Ne doit apparaître que ce qui est essentiel, en écriture et en dessin.
05:22 - Absolument.
05:23 Et je me sers de tout, je sais pas si vous avez remarqué,
05:25 mais les pages de garde, qui en général ne servent à rien,
05:28 moi je les ai envahies pour faire un plan de New York,
05:32 et pour que les gens s'amusent après la lecture, plutôt qu'avant,
05:37 à savoir par où on est passé.
05:40 Et si vous regardez ce dessin-là, Manhattan,
05:43 je n'ai mis que deux ponts, celui de Brooklyn,
05:45 et puis celui qui est là-haut, près des Nations Unies.
05:48 Et quelqu'un m'a fait la remarque,
05:50 "Mais pourquoi tu ne mets que deux ponts ?"
05:52 Parce que je ne mets que ce qui est nécessaire.
05:54 Le reste ne m'intéresse pas.
05:56 - Ce qui ressort sans conteste, c'est l'élégance, Floch.
05:59 Vous êtes lié à l'élégance, ce qui est une réalité.
06:02 Est-ce que c'est l'une de vos lignes de conduite ?
06:05 - Ma ligne de conduite, en tout cas, c'est d'être propre sur moi.
06:08 C'est tout ce que je peux dire,
06:10 parce que dès qu'on commence à toucher à tous ces mots-là,
06:12 ça devient un petit peu gênant.
06:15 Mais vous avez raison sur un point de vue,
06:17 j'ai toujours choisi dans tous mes dessins,
06:20 pas l'élégance, je dirais,
06:22 mais le beau par rapport à l'utile.
06:26 Je préfère abandonner de l'utile pour le beau.
06:31 Parce que la vie est ce qu'elle est.
06:34 Un peu de poésie, ça, je n'ai pas de mal.
06:36 - Merci beaucoup d'être passé dans le monde des Lodi.
06:39 Pour terminer, est-ce que vous êtes fier des créations
06:41 que vous avez déjà réalisées, Floch ?
06:43 - En général, dans la vie,
06:46 c'est plutôt agréable.
06:48 Tout est derrière, si vous voulez, pratiquement,
06:51 même si j'ai encore des choses à faire.
06:53 Tout est derrière, mais les Anglais disent "it's a relief".
06:57 C'est un soulagement, quoi.
06:59 Voilà, ça s'est bien passé.

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