Laurence des Cars, directrice du musée du Louvre, était mercredi 8 novembre la Grande témoin de franceinfo.
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00:00 C'est un panier de fraises d'une valeur inestimable au point d'avoir été classé trésor national.
00:05 Je vous parle d'un tableau du peintre français Jean-Simeon Chardin.
00:09 Pour que ce chef-d'œuvre ne quitte pas la France, le Louvre lance donc un appel aux dons.
00:14 Bonjour Laurence Descartes.
00:15 - Bonjour.
00:16 - Vous êtes présidente et directrice du musée du Louvre et grand témoin de France Info ce matin.
00:20 Il faut nous parler de ce tableau, de cette nature morte.
00:23 Il faut nous le décrire d'abord. Qu'est-ce qu'il a d'exceptionnel ?
00:25 - Alors c'était effectivement un petit tableau, mais c'est un merveilleux tableau.
00:28 Un chef-d'œuvre absolu de la peinture française.
00:30 Nous sommes dans les années 1760.
00:32 Il a été exposé pour la première fois au Louvre même.
00:34 C'était l'exposition des artistes contemporains de l'époque, ce qu'on appelait le Salon en 1761.
00:40 C'est un petit panier de fraises effectivement.
00:42 Sans doute des fraises des bois.
00:42 Enfin il y a des barres sur la nature des fraises.
00:45 Et très peu de choses.
00:47 Un verre d'eau, quelques œillets.
00:49 Enfin c'est vraiment au fond la beauté des petits riens.
00:52 Des petits riens quotidiens.
00:54 Et c'est l'infinie grâce du talent de Chardin que de tout à coup vous faire rêver devant ce panier de fraises.
01:01 C'est un tableau sensuel, délicat, extrêmement élégant.
01:04 Géométrique dans sa composition.
01:06 Et au fond presque prémoderne aussi.
01:08 C'est peut-être ça aussi qui retient notre regard d'aujourd'hui.
01:11 C'est un tableau qui a été beaucoup regardé au 19ème siècle par la génération de Manet, des impressionnistes.
01:16 - Ça permet de comprendre l'histoire de la peinture.
01:18 - Absolument.
01:18 C'est comme un fil continu entre le 18ème et le 19ème.
01:21 C'est vraiment quelque chose qui est au cœur d'une sensibilité peut-être française de la peinture.
01:26 Manet lui a rendu hommage comme Renoir, comme Fantin Latour.
01:30 On retrouve comme par hasard dans les années 1860, beaucoup de petits paniers de fraises.
01:34 Parce que ces artistes ont regardé le tableau Chardin.
01:38 C'était une référence.
01:40 - Qui en est le propriétaire aujourd'hui ?
01:42 - Aujourd'hui, le tableau est resté dans une famille de collectionneurs qu'il avait au 19ème siècle.
01:49 Dans ces grands collectionneurs qui s'appellent la famille Marcy, Eudoxe Marcy.
01:54 Qui font partie de ces gens qui ont redécouvert, qui ont aimé la peinture du 18ème au 19ème siècle.
01:59 Alors que ce n'était pas encore tout à fait de nouveau à la mode.
02:02 Et au fond, ce sont les descendants de la famille Marcy qui ont le tableau aujourd'hui.
02:06 - Et qui le mettent en vente alors ?
02:08 - Le tableau est passé en vente il y a un an et demi à Drouot.
02:11 Chez la maison Arcuriale qu'il a donc vendu.
02:16 Et donc, nous avons souhaité le classer trésor national.
02:21 C'est-à-dire que nous avons bloqué le processus de sortie du territoire français.
02:26 - Bloqué pour 30 mois encore ?
02:27 - Absolument, pour 30 mois depuis le classement.
02:29 - D'accord, donc il y a une course contre la montre.
02:31 - Voilà, il y a une petite course contre la montre.
02:33 Et nous avons décidé de faire de ce tableau l'opération Tous Mécènes.
02:38 Cette année, c'est une opération annuelle au Louvre.
02:41 Donc un appel au mécénat, la générosité des français.
02:44 Et nous avons reçu le soutien exceptionnel du groupe LVMH pour cette acquisition.
02:50 Donc c'est pratiquement maintenant plus de 2/3 de la somme qui sont d'ores et déjà réunies.
02:53 - Il faut quoi, 24 millions c'est ça ?
02:55 - 24 300 000 euros et des poussières.
02:57 Donc c'est un chiffre conséquent mais c'est le chiffre au marteau.
03:00 Et c'est ce qui permettra de garder ce tableau en France dans les collections du Louvre.
03:05 Sinon il partira vers un important musée américain
03:07 qui s'était porté acquéreur au moment de la vente.
03:09 - Alors, je ne suis pas Bernard Arnault et beaucoup de français se disent ce matin
03:13 "Moi c'est une affaire de riches, tout ça, je ne peux pas, je ne vais pas donner."
03:15 - Alors écoutez, tout d'abord, on donne ce que l'on veut, ce que l'on peut,
03:20 si on est sensible à cette question, si on est sensible au patrimoine.
03:23 - Même quelques euros ?
03:24 - Même quelques euros. Il n'y a pas de petit don.
03:26 Parce que je crois que ce qui est important c'est de se rassembler autour de choses qui nous rassemblent.
03:31 Et l'art nous rassemble, le patrimoine nous rassemble.
03:33 C'est un merveilleux tableau d'un très grand artiste français.
03:36 Ce sont les collections nationales, c'est-à-dire que ce ne sont pas des collections parisiennes.
03:40 Ce sont des collections qui sont destinées à rayonner aussi sur l'ensemble du territoire.
03:44 Si nous sommes, si nous arrivons à...
03:46 - Ça ira au Louvre-Lens par exemple ?
03:47 - Absolument, ça ira par exemple au Louvre-Lens,
03:49 mais sans doute au-delà du Louvre-Lens, dans d'autres musées en région.
03:53 Donc c'est très important, une fois de plus, le Louvre n'est pas un musée parisien,
03:57 c'est un musée national qui doit partager ses collections.
04:00 - Donc si on veut donner, même quelques euros, qu'est-ce qu'on fait ?
04:03 - Et on va sur le site tousmécènes.fr, tout est expliqué.
04:07 Ça donne d'ailleurs droit à un encouragement de la déduction fiscale, à plus de 60%.
04:13 Donc voilà, c'est une opération, là encore, de partage,
04:16 de sensibilisation aussi à ce que c'est qu'une politique d'acquisition
04:19 à l'enrichissement des collections nationales.
04:21 - Laurence Descartes, il faut que vous nous parliez d'un autre tableau
04:23 qui a fait beaucoup parler de lui il y a quelques jours cette fois,
04:25 le Louvre La Hacchie.
04:27 Il entre dans vos collections, c'est une histoire extraordinaire,
04:30 celle d'un tableau de Cimabue.
04:32 - Oui, Cimabue.
04:33 - Cimabue, on va le dire à la Florentine.
04:35 - Avec un petit accent italien.
04:37 - Le peintre florentin du XIIIe siècle qui aurait pu terminer dans une poubelle.
04:41 - Oui, c'est une histoire extraordinaire.
04:42 Il y a un peu plus de 4 ans, à l'occasion d'un déménagement
04:46 dans une maison du côté de Sanlis.
04:48 - Dans l'Oise.
04:50 - Ce qui était considéré par la famille qui était propriétaire de cette œuvre
04:55 comme une icône sans grand intérêt et qui aurait pu effectivement
04:59 finir peut-être à la poubelle, a été heureusement expertisé
05:03 et identifié comme l'un des très rarissimes tableaux de la main de Cimabue.
05:09 On en connaît une dizaine dans le monde aujourd'hui.
05:11 - Une dizaine, dont celui-ci ?
05:12 - Dont celui-ci, absolument.
05:14 Le Louvre a la chance de posséder un tableau de très grande dimension,
05:18 une maestà, une vierge en majesté.
05:21 Et donc ça a été un événement immédiat, vente aux enchères à nouveau,
05:24 un peu le même schéma que le Chardin.
05:27 Et le ministre de la Culture de l'époque avait décidé de classer
05:31 l'œuvre au site Résor national.
05:33 Alors il nous a fallu quatre ans pour rassembler effectivement la somme,
05:37 qui est à peu près équivalente à celui du Chardin.
05:39 Nous sommes exactement dans le même type de prix.
05:41 - A peu près 24 millions d'euros.
05:42 - Absolument, c'est exactement ça.
05:44 Et là, cette fois-ci, le Louvre est autonome dans cette acquisition.
05:48 Et c'est pour ça qu'on avait besoin de soutien et qu'on a besoin de soutien pour le Chardin.
05:50 - Parce qu'il y a un budget, il faut quand même le rappeler,
05:53 il y a un budget chaque année pour acheter des tableaux.
05:55 - Oui, 20% des produits de la billetterie sont affectés statutairement aux acquisitions.
05:59 C'est à peu près 12 millions par an.
06:00 Donc vous voyez que là, ce sont des sommes importantes.
06:02 Et là, j'ai mobilisé une partie de l'argent de la licence de marque du Louvre à Abu Dhabi.
06:08 15 millions de cette licence de marque ont été mobilisés pour cette acquisition.
06:11 Et puis, notre budget propre d'acquisition,
06:14 les amis du Louvre qui ont été aussi au rendez-vous,
06:16 et un couple de mécènes américains aussi.
06:19 Je veux les saluer, Harry et Linda Favre, qui ont été très généreux,
06:22 qui ont donné un million de dollars aussi pour cette acquisition.
06:24 - Et on peut le voir ce tableau aujourd'hui ?
06:25 - Il va rentrer immédiatement en restauration, vous le verrez, avec le grand Chimabue.
06:30 Il est petit, c'est un petit panneau, mais il sera présenté avec la grande maestà
06:34 dans une exposition "événement début 2025".
06:38 Et vous allez voir, vous allez tout comprendre de la révolution,
06:40 des débuts, de la près-renaissance de la peinture italienne.
06:43 - Un tableau qui est vraiment vieux de plusieurs siècles.
06:45 - Oui, 280 ans.
06:46 - Par curiosité, les propriétaires de ce tableau, les propriétaires présidents,
06:49 qu'est-ce qu'ils sont devenus ?
06:50 - Ah ben, ils sont les propriétaires, voilà, le tableau change de main.
06:55 - Ils ont un peu plus de risque qu'avant.
06:56 - Oui, ça me paraît assez certain.
06:59 Et surtout, je pense qu'ils sont très fiers que ce tableau rentre au Louvre.
07:04 - D'un mot, peut-être, Laurence Descartes, parce qu'on vit une période très tendue,
07:07 on en parle beaucoup dans les journaux,
07:08 est-ce que le climat actuel se ressent sur la fréquentation de votre musée, le Louvre ?
07:12 - Non, ça n'est pas franchement sensible.
07:15 Je crois que la fréquentation est très bonne.
07:19 Et vous le savez, j'ai instauré une jauge limite de visiteurs
07:23 à 30 000 visiteurs par jour au Louvre, il y a un an et demi,
07:27 parce que je souhaite redonner un plaisir de la visite.
07:30 - Qu'on y respire un peu.
07:30 - Qu'on y respire, qu'on fasse aussi attention à ce patrimoine architectural.
07:34 Le Louvre, c'est un magnifique bâtiment qu'il nous faut préserver aussi
07:37 pour les générations futures, et des collections merveilleuses
07:40 qu'il faut apprécier dans de bonnes conditions.
07:42 - Merci beaucoup, Laurence Descartes, présidente directrice du musée du Louvre,
07:46 grand témoin de France Info, je rappelle, tousmescene.fr,
07:48 si on a envie de donner un petit peu pour ce très beau tableau de Chardin.
07:52 (rires)