Peut-on mettre la création en compétition ? La question qui... de Maia Mazaurette

  • l’année dernière
Depuis 1903, les prix se sont multipliés et donnent le ton de la vie littéraire en France. Goncourt, Flore, Médicis, ils s'enchaînent cette semaine et nous a donné l'envie de nous poser une question qui classe : peut-on mettre les arts en compétition ? Un critique littéraire nous répond !

Retrouvez "La question qui" de Maïa Mazaurette sur France Inter et sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/burne-out
Transcript
00:00 Bonjour Arnaud Vévian, vous êtes critique littéraire et écrivain.
00:03 Vous avez publié plusieurs ouvrages dont Station Goncourt en avril dernier aux éditions La Fabrique.
00:08 On vous entend souvent sur cette antenne dans le masque et la plume.
00:11 Vous êtes dans le jury du prix décembre et du prix de flore.
00:13 Donc vous êtes un pro.
00:15 Mais vous déjà en tant que lecteur, vous les achetez les prix littéraires ?
00:18 Non, je ne les achetais pas lorsque je n'étais pas encore dans ce métier.
00:24 Je raconte dans ce livre, dans Station Goncourt, d'ailleurs que lorsque nous étions jeunes,
00:28 c'est-à-dire mes amis et moi qui avons fait carrière dans ce monde littéraire,
00:33 l'un est devenu un grand éditeur, l'autre un grand traducteur et moi un petit critique.
00:38 On se connaissait donc depuis l'époque.
00:41 Et en fait, je raconte que les prix littéraires, c'est tout ce qui nous désintéressait de la littérature.
00:46 Au contraire, on les évitait.
00:48 C'était très rare lorsque parfois un livre des éditions de minuit ou un livre P.O.L.
00:53 recevait un prix, on y jetait un œil parce que c'était deux éditeurs que l'on suivait tout particulièrement.
00:59 Mais cette période "Galli-Grasseuil" comme on l'a appelée,
01:04 en forgeant un mot-valise avec "Gallimard", "Le Seuil" et "Grasser" qui se partageaient les prix,
01:10 c'était franchement inintéressant.
01:12 Et d'ailleurs, aucun de ces livres n'est resté à la postérité pour la plupart.
01:16 Il a fallu que Marguerite Duras obtienne le Goncourt avec Laman, mais nous,
01:21 en plus, nous connaissions déjà Marguerite Duras en tant que littéraire.
01:28 Puisqu'on venait de classe littéraire, de prépa littéraire, on connaissait très bien l'œuvre de Marguerite Duras.
01:34 Quand j'étais à la fac, le plus grand nombre de maîtrises étaient faites sur Marguerite Duras à cette époque.
01:42 - Si les prix littéraires sont si peu intéressants, qu'est-ce que vous faites dans les jurés ?
01:46 - Parce que malgré tout, si vous voulez, alors moi je suis dans deux prix très particuliers, il faut le dire.
01:51 Le flore est un prix... - Tous les prix sont pourris sauf ceux auxquels je participe, c'est ça ?
01:54 - Non, non, c'est pas ça. Mais le flore a quand même une tonalité très rock'n'roll.
01:59 Et puis le décembre est un prix, comment dire, qui ne fait pas vendre, mais qui donne de l'argent, pas mal d'argent.
02:05 En ce moment, c'est 15 000 euros, c'était 30 000 euros avant les problèmes d'inflation,
02:10 mais maintenant on est tombé à 15 000 euros, ce qui est quand même pas mal pour un écrivain qui gagne très très mal de sa vie.
02:14 Et ça nous a permis de le donner à des écrivains très importants, comme Pierre Gugliotta,
02:20 qui avait très peu de chance d'avoir un prix populaire.
02:24 Le problème, si vous voulez, qui est un faux problème des prix littéraires comme le Goncourt, le Femina ou le Renaudot,
02:31 c'est qu'ils doivent toucher le plus grand nombre.
02:34 Mais surtout, ce qui est important, vous disiez, est-ce que ce problème de compétition, est-ce que c'est bien sain ?
02:41 Mais en fait, les prix ont été inventés précisément pour ça.
02:45 C'est-à-dire quoi ? Pour rivaliser avec le sport dans l'actualité.
02:50 Les prix servent à ça, à faire qu'on parle de la littérature à un moment donné, quelle que soit l'actualité.
02:57 En ce moment, elle est particulièrement dramatique et pourtant on parle de plein de choses.
03:01 En sport, c'est facile, une personne court plus vite qu'une autre.
03:04 Là, dans la littérature, c'est plus compliqué quand même.
03:06 Certes, mais encore une fois, le problème était purement médiatique au départ.
03:11 Regardez comment sont fabriqués les journaux, quel qu'il soit, que ce soit Le Monde, Libération ou Le Figaro.
03:19 Le chemin de fer, comme on dit dans le métier, est toujours le même.
03:24 Il y a l'événement, puis après la politique, puis après la société, puis après l'économie, puis après le sport et en dernier, quoi ? La culture.
03:32 Pour rivaliser avec l'importance que prenait le sport, on a créé les prix littéraires.
03:38 On a créé une compétition qui, évidemment, est fausse par rapport au sport.
03:43 Là, effectivement, il y a des chronomètres.
03:45 On peut dire précisément qui a gagné, quoique, vous voyez, ils en sont à haut stade de mettre de la vidéo pour savoir où est la faute, etc.
03:52 Et vous voyez comment ça a été dramatique pour...
03:55 Moi, je ne connais rien au rugby, mais là, je comprends bien l'intérêt.
03:58 Vous m'avez complètement convaincue, mais je ne comprends pas comment vous faites pour choisir.
04:02 Alors, ça dépend encore une fois des jurys.
04:06 Le problème du prix Goncourt, et vous voyez, ça fait deux prix Goncourt.
04:09 Celui de l'année dernière et celui-ci, où ils sont arrivés au 14ème tour sans arriver à se décider.
04:16 Ils sont 10, il y avait 5 pour un livre, 5 pour un autre.
04:20 Et il a fallu, cette année comme l'année dernière, que le président utilise sa double voix.
04:25 C'est-à-dire l'équivalent du 49-3 en politique.
04:28 Il n'y a pas de majorité, donc c'est le président qui décide.
04:31 Et donc, c'est lui qui dit, ben voilà, ça sera Andréa cette année, comme l'année dernière, ça a été Brigitte Giraud.
04:36 Sur quels critères objectifs, s'il y en a ?
04:39 Il faudrait demander au président lorsqu'il décide de faire ce choix.
04:43 Vous, par exemple, quand vous choisissez, qu'est-ce qui prime ?
04:46 Pour moi, si vous voulez, c'est la nouveauté.
04:49 Ce qui m'intéresse en littérature, c'est de voir des nouveaux chemins, des nouvelles personnes, des nouveaux esprits qui arrivent.
05:01 Quand j'ai distingué, nous avons distingué, par exemple au Prix de Flore, des écrivains comme Tristan Garcia ou Aurélien Bélanger,
05:09 qui sont, à ce moment-là, des nouvelles voix qui arrivent en littérature.
05:15 Lorsqu'au Prix d'Essence, nous avons distingué Chloé de l'Aume, par exemple.
05:20 Voilà, donc on voit quelqu'un apparaître avec un projet littéraire nouveau, neuf, avec une nouvelle densité, un nouvel esprit.
05:28 C'est ça qui nous intéresse.
05:30 En fait, vous avez commencé par démonter les prix littéraires et maintenant vous les défendez.
05:33 Mais bien sûr, mais je ne suis pas... Comment dire ? Je suis maso, certes,
05:38 mais pas au point de participer à quelque chose que je dénigrerais complètement.
05:44 Dans mon livre, j'essaie d'expliquer, effectivement, le pour et le contre des prix littéraires.
05:49 Je raconte comment je me suis disputé avec un de ses amis d'enfance, un de ses amis d'Hippocagne et de Cagne,
05:55 à propos des prix littéraires. Il était contre. Il est contre cette compétition.
05:59 Disons que c'est la foire aux bestiaux, quelque chose qui a souvent été utilisé pour les commisses agricoles,
06:05 ou bien l'hippodrome, les chevaux qui font la course.
06:10 Et en même temps, je me souviens de cette même amie qui dénigrait les prix littéraires,
06:16 qui un jour vient me voir en me disant "J'ai un copain, il s'appelle Mathias Hénard,
06:20 et il vient d'écrire un super livre, tu devrais le proposer au prix décembre".
06:25 Ce que j'ai fait, et Mathias Hénard a eu le prix décembre, et ensuite il a eu le prix Goncourt quelques années plus tard.
06:31 Et c'est un auteur extrêmement talentueux.
06:33 Extrêmement talentueux.
06:34 Vous m'avez complètement convaincu, merci beaucoup Arnaud Vivian.
06:37 Je vous en prie.
06:38 Au titre de votre dernier essai, Station Goncourt parut en avril dernier aux éditions La Fabrique.

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