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Le témoignage de Emmanuel Domenach, rescapé du Bataclan.

Le 13 novembre 2015, la France est frappée par des attentats. Au cœur de la capitale et à Saint-Denis, 132 personnes sont tuées et 400 sont blessées lors d’attaques survenues aux abords du stade de France, en terrasses de bars et restaurants parisiens et dans la salle de concert du Bataclan.

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00:00 survécu aux attentats du 13 novembre puisque j'étais au Bataclan.
00:03 Mon histoire en fait c'est une histoire assez classique finalement d'amis qui vont à un concert
00:08 et on est un peu devant et en fait à ce moment là arrivent des bruits que moi pour le moment je ne sais pas identifier.
00:17 Je me retourne vers l'arrière, j'entends des cris, j'entends des bruits.
00:20 Je me dis bon en fait je passe d'une échelle de gravité, c'est à dire au début je me dis c'est des gens qui font une blague,
00:25 un mec qui vient de foutre la merde, j'en sais rien, puis c'est un braquage.
00:28 Puis quand même je me retourne vers l'arrière, puis je me retourne vers l'avant et là je vois qu'il n'y a plus personne sur scène.
00:33 Je me dis bon ça rigole pas et je vois que tout le monde est allongé par terre.
00:37 Donc là je réalise que moi aussi il faut que je me couche en fait.
00:40 Je me couche d'abord d'un côté de la salle où il n'y a pas grand monde, il n'y a pas de sang.
00:45 Donc j'ai toujours l'espérance que à ce moment là ça va, que c'est pas grave, qu'on va s'en sortir.
00:51 Moi je comprends que le concert est raté mais c'est pas un problème.
00:53 En fait à un moment je cherche mes potes, parce que j'avais deux potes avec moi, et du coup je cherche mes amis.
00:58 Et je fais le tour pour le coup, je rampe et là j'arrive de l'autre côté pour le coup, face à la fosse, côté droit.
01:04 Là il y a une mare de sang, il y a des gens blessés, c'est beaucoup plus lourd.
01:08 Là je comprends que là ça va vraiment pas le faire.
01:11 En parallèle j'entends des cris, j'entends parler de François Hollande, j'entends parler de Syrie, j'entends plein de choses.
01:17 Je comprends qu'on est sur une attaque terroriste.
01:21 En tout cas je comprends qu'on est là pour faire un maximum de morts.
01:24 Et que ma vie est en danger. C'est à ce moment là que je prends conscience, avant si vous voulez je me couche et ça va bien se passer.
01:28 Et je me dis qu'en faisant le mort, j'étais pas loin d'une mare de sang, donc en faisant le mort peut-être que ça passera.
01:34 Et ce qui se passe c'est qu'au bout de, je sais pas, je sais pas, je peux pas vous dire le temps, 5 minutes, 10 minutes, ça m'a paru très long.
01:41 Il y a des gens qui se lèvent pour courir.
01:42 Et je vois donc du coup qu'il y a quelque chose sur la gauche, donc de l'autre côté où j'étais de la scène, parce que j'étais face à la scène.
01:48 Des gens qui courent. Malheureusement quand tu te lèves et qu'ils courent,
01:52 direct on entend les rafales, les clac-clac-clac, ces bruits de pétards, et on voit des gens tomber.
01:58 Donc on comprend aussi que malheureusement on est dans une mauvaise situation, qu'il n'y a pas trop d'issue.
02:03 Finalement, à un moment nos voisins disent "ils sont en train de monter, il faut se tirer".
02:08 Ce qui est théoraique puisque le Bataclan en fait est en U,
02:11 et vous avez un balcon au-dessus, où si vous voulez, si on tire d'au-dessus, si vous êtes dans la fosse, c'est fini.
02:18 Que vous fassiez le mort ou pas, il n'y a plus de solution. Donc ma solution de faire le mort ne tenait plus.
02:22 Et donc à ce moment-là, on se lève, on grappe, je ne sais pas combien on était, on se lève.
02:26 Il y en a qui n'arrivent pas à se lever, je m'en souviens très bien.
02:28 Et puis là je cours, je ne sais même pas ce que je fais, je cours, je marche sur des gens.
02:34 On pousse une première porte, puis une deuxième porte, et là on est dans la rue.
02:37 Et en fait pour moi ça avait été tellement long que quand je suis sorti, je m'attendais à sortir un peu dans un film américain,
02:41 prise d'otage, vous voyez, je vous laisse imaginer la suite.
02:45 Et il n'y a personne.
02:46 Je vois juste les gens à côté de moi courir, 5-6 personnes, peut-être plus, avec qui on est sortis de cette salle.
02:52 Il n'y a personne. Et du coup je me dis "je vais courir vers là où il y a des lumières", donc qui est Boulevard Voltaire.
02:58 Et je cours vers là, sauf que je me ramasse au bout de 3 minutes, au bout de 30 secondes même.
03:03 Je tombe par terre, je perds mes lunettes. Moi sans mes lunettes, je ne vois absolument rien.
03:07 Et en cherchant mes lunettes, je vois que je suis tombé sur quelqu'un, donc je m'excuse.
03:11 Malheureusement la personne était décédée.
03:13 Et donc je comprends que dans la rue, je ne suis pas en sécurité.
03:16 Et en fait, c'est comme si je me refigeais à nouveau.
03:19 C'est comme si la position que j'avais dans la salle, qui était de rester et de ne pas bouger, je me figeais.
03:22 Et là j'entends quelqu'un qui me crie, qui me dit "qu'est-ce que tu fais ? Tu vas te faire tirer dessus, viens, viens".
03:27 Je suis cette voie qui était juste en face de la sortie de secours que j'avais prise,
03:30 qui après j'apprendrai des passages Saint-Pierre-à-Melon.
03:34 Et je me retrouve avec un grand en noir, tout habillé en noir, qui me dit "viens vite, viens vite, on se cache tous là".
03:39 Et en fait, je l'apprendrai après aussi, c'était le chef de la sécurité du Badaclan, Didi,
03:43 qui m'a quelque part sauvé la vie en me ramenant ici.
03:47 Et donc on est allé se cacher dans les étages, on avait plein de blessés,
03:49 et puis on est monté dans les étages d'une résidence.
03:52 Les gens ne nous ouvraient pas la porte, ils avaient peur, ce qui n'est pas compréhensible aussi.
03:57 On nous a quand même prêté un ventilateur dans les couloirs.
03:59 Donc voilà, on est resté dans un couloir, on s'est caché là.
04:01 Ça a duré très longtemps parce que les policiers et pompiers ne pouvaient pas intervenir pour venir nous chercher.
04:07 On a entendu l'assaut.
04:09 En fait, on suivait tout en direct parce qu'on n'avait qu'à nos alertes, nos téléphones, etc.
04:13 Puis on avait pu tenir au courant notre famille.
04:14 Moi, j'ai appris du coup à ce moment-là que j'avais un ami qui était blessé par balle,
04:17 et l'autre qui s'en était tiré sans rien.
04:20 Et puis on a attendu, puis finalement il y a eu l'assaut, puis finalement on est venu nous chercher.
04:25 Et après, on a été entendus une première fois à proximité.
04:30 Puis moi, j'étais entendu au 36, qu'est les heures fèvres, à la BRB.
04:35 Et je suis rentré à 6h du matin avec mes affaires tachées de sang.
04:40 Je suis sorti, on m'a dit au revoir.
04:41 J'avais juste 10 euros dans la rue.
04:43 Je faisais peur à tout le monde parce que j'étais dans un état pas possible.
04:48 Et puis finalement, je suis arrivé sans mes lunettes aussi.
04:52 Il n'était vraiment pas les choses.
04:53 Et du coup, finalement, j'ai trouvé un taxi.
04:55 Je suis rentré chez moi à 6h du matin.
04:56 Et quand on rentre chez soi, il se passe quoi ?
04:58 Quand on rentre chez soi, au début, on se dit que la vie continue, qu'on a eu beaucoup de chance.
05:01 Finalement, ça va aller.
05:02 Quand on n'a pas de balle, on n'a rien.
05:04 On a notamment un pote qui est quand même à l'hôpital, qui a pris une balle lui.
05:08 Et puis on voit toutes ces images, toute cette télé.
05:09 Donc au début, on essaie de faire...
05:11 La première chose que j'ai dit à ma copine, qui est devenue mon épouse depuis,
05:15 c'est l'anniversaire de ton père d'aujourd'hui, le lendemain, le 14 novembre.
05:19 Donc on y va.
05:20 Elle me regarde et me dit non, mais non, tu vas rester.
05:22 Non, non, on y va. La vie continue.
05:24 Et sur le moment, je croyais vraiment que la vie allait continuer.
05:25 Donc je lui ai juste dit, bah Jean, oui, voilà, j'ai vécu ça.
05:28 Ne vous inquiétez pas, tout va bien, etc.
05:30 Et donc, on va.
05:32 Et la seule condition que j'avais mise à l'heure de cet anniversaire, c'était de prendre la voiture.
05:34 On prend la voiture et à côté de chez moi, on s'est arrêté par un barrage de police
05:37 parce que le samedi 14 novembre 2015 à Paris, il y avait une ambiance assez glauque.
05:42 Et là, je fais une crise de panique.
05:44 Mais une vraie, parce que je n'avais jamais fait de ma vie.
05:47 Donc je réalise que ça ne va pas le faire, en fait.
05:49 Ça ne va vraiment pas le faire.
05:51 Donc il va falloir que je me fasse aider. Voilà.
05:52 Voilà dans l'immédiat comment on se sent.
05:54 Et on se sent en même temps complètement.
05:58 En fait, on sent une sorte de malaise parce que, comme je vous l'ai dit, on a survécu.
06:03 On ne devrait pas se plaindre.
06:05 Moi, sur Facebook, je me souviens très bien.
06:06 On voyait les annonces, tout le monde cherchait des gens.
06:09 Je ne savais même pas si je devais répondre.
06:10 Ce qui avait des têtes, je les ai vues pendant le concert.
06:12 J'avais pris des photos, donc je les voyais, mais ça ne servait à rien.
06:14 Les gens, ils voulaient savoir ce qui s'était devenu après.
06:16 Et en même temps, on a envie d'aider et en même temps, on souffre.
06:18 Et en même temps, on n'a pas le droit de se plaindre.
06:20 Et donc, en fait, il y a un vrai problème d'accepter le terme de victime à ce moment-là.
06:23 Surtout quand...
06:24 Et en fait, je le découvrirai après en parlant à d'autres.
06:26 Même quand on est blessé, déjà, on a le...
06:28 Mais quand on est blessé psychiquement, si on peut utiliser cette expression-là,
06:31 on a aussi beaucoup de mal à l'accepter.
06:34 On ne devrait pas se plaindre.
06:35 - Et aujourd'hui, est-ce que ça a toujours un impact ?
06:37 - Aujourd'hui, ça en a un, huit ans après.
06:40 Après, j'ai beaucoup progressé dans ma vie.
06:44 J'ai eu un traitement psychiatrique et psychologique.
06:48 J'ai tout de suite, grâce à ce traitement, recommencé à travailler.
06:51 Quasiment au bout d'une semaine, je me suis forcé à reprendre les transports.
06:55 Je ne dis pas que ça a été facile au début, mais même maintenant.
07:00 Et après, quelque part, il y a quelque chose de...
07:02 En tout cas, ça, c'est vraiment mon point de vue parce que j'insiste là-dessus.
07:04 Chaque victime a son vécu.
07:05 Il y a des gens qui vont encore très mal, d'autres qui vont mieux que moi.
07:08 Je ne veux pas dire que je suis la victime idéale ou pas la victime idéale, je ne sais pas.
07:11 Mais c'est mon vécu à moi, en tout cas.
07:14 On vit avec.
07:14 C'est-à-dire, comment...
07:15 Qu'est-ce que j'appelle vivre avec ?
07:16 C'est que 99, 90% du temps, on est normal.
07:20 Et puis, il va y avoir des réminiscences.
07:22 Alors, autour du 13 novembre, quand il y a eu des attaques comme récemment,
07:25 où qu'on sent cette tension palpable dans la société comme on a récemment,
07:28 on le sent et on imagine des choses, on se projette.
07:34 Voilà, je prends le métro à un moment où mon cerveau peut braquer et se dire,
07:39 hélas, s'il y avait un terroriste.
07:40 C'est-à-dire, en fait, on vit avec cette...
07:42 En fait, on apprend à vivre avec quelque chose qui est la fin de l'insouciance.
07:45 C'est-à-dire qu'à ce concert-là, j'étais bien.
07:47 Et d'un coup, ma vie a basculé.
07:49 Et maintenant, je me dis que ça peut se reproduire à n'importe quel moment.
07:51 C'est-à-dire que je peux être dans le métro, dans le cinéma, n'importe où.
07:55 Je me force à ne rien m'empêcher de faire, ce qui n'est pas facile tous les jours.
07:59 À part les feux d'artifice où j'ai toujours un peu de mal.
08:02 Et voilà, sinon, je vais bien.
08:04 Enfin, ma vie va bien.
08:05 Maintenant, j'ai des enfants, je suis marié.
08:08 Ma vie professionnelle se passe bien.
08:10 J'arrive à avoir des loisirs normaux.
08:11 J'adore faire des concerts.
08:12 Je fais même plus de concerts, je pense, qu'avant le 13 novembre.
08:15 Je ne les vis pas de la même façon non plus, mais je fais plus.
08:17 Mais d'autre côté, il y a ces petits côtés, cette petite voix en moi.
08:21 Par exemple, ça va être aussi des crises d'angoisse très régulières à 5h du matin.
08:26 Peut-être plus de nervosité à certains moments.
08:29 En fait, quelque part, ça a changé une partie de moi-même.
08:31 Mais j'arrive à vivre avec.
08:33 Mais de temps en temps, elle revient de façon plus ou moins dure.
08:38 À mon travail, l'autre fois, j'ai un collègue qui a parlé d'alerte à la bombe dans une école.
08:43 Tout de suite, j'ai les larmes qui sont montées.
08:45 Donc voilà, on a cette fragilité qu'on essaie plus ou moins de cacher.
08:49 Parce qu'aussi, la société, elle, a évolué.
08:53 Ce n'est pas un reproche.
08:54 Mais du coup, on a moins de temps pour nous.
08:56 Donc, on a moins envie de raconter ça.
08:59 C'est vrai que là, il y a quelque chose qui me fait écho.
09:01 C'est que j'ai l'impression qu'avant le 13 novembre, en tout cas en France,
09:03 on ne s'inquiétait pas du tout de tout ça, des attentats.
09:07 Et j'ai l'impression qu'aujourd'hui, c'est quand même beaucoup plus présent.
09:09 Est-ce que ça a vraiment marqué quelque chose ?
09:10 Moi, j'ai l'impression que surtout, ça a marqué un truc.
09:12 C'est que ça peut arriver à n'importe qui, à n'importe quand.
09:14 Avant, moi, je pensais beaucoup à Charlie
09:18 ou même à des personnes qui se faisaient enlever dans des États étrangers,
09:23 des otages des fois qui se faisaient tuer.
09:24 À chaque fois, on se dit "oui, mais il y a une raison spécifique".
09:28 Je ne dis pas qu'elles étaient légitimes, pas du tout.
09:29 Mais ça a touché une catégorie particulière des journalistes,
09:32 qui est horrible, des gens qui se promenaient dans un...
09:35 Et j'ai l'impression que depuis très longtemps,
09:37 on a pris conscience que ça pouvait être n'importe qui.
09:40 Au Stade de France, c'était un chauffeur de bus qui venait amener des supporters.
09:44 Je prends cet exemple-là parce que les gens en terrasse,
09:46 ils fêtent un anniversaire.
09:47 Et c'était vraiment...
09:48 On a passé ce stade-là de "oui, tout le monde peut être concerné", au hasard.
09:53 Comment vous l'avez vécu par exemple,
09:54 que l'un des assaillants ne soit pas arrêté dans l'immédiat ?
09:57 Il a fallu prévenir du temps ?
09:58 On ne vit pas bien.
10:00 Et après, une fois qu'avec le temps, ça passe un peu.
10:05 Puis comme je vous l'ai dit, j'ai repris.
10:07 Et puis après, la chasse d'Abdeslam, pour le coup, quelque part...
10:13 Là, j'avais rejoint une association de victimes.
10:16 On était ensemble, on a vécu ça ensemble.
10:18 Et donc, j'avais appris à connaître, pour le coup, d'autres personnes.
10:21 C'est vrai que le 13 novembre a vraiment fait qu'il y a eu une communauté,
10:26 plusieurs même, de gens blessés, de rescapés comme moi
10:30 et de gens qui ont perdu, des parents qui ont perdu leurs enfants,
10:32 des frères, des sœurs.
10:35 Et ces journées-là, on a appris à vivre avec eux.
10:36 Et donc, l'arrestation d'Abdeslam, qui arrive bien après,
10:39 on la vit, et surtout l'arrestation, on la vit comme presque une bonne nouvelle.
10:44 Non pas parce qu'ils ne vont plus frapper,
10:45 parce qu'à ce moment-là, on sait que ça va refrapper.
10:46 Et d'ailleurs, quelques semaines, quelques jours plus tard, ça frappe en Belgique.
10:50 Mais quand même, on le vit, on va avoir quelque chose,
10:55 on va avoir un témoignage, on va avoir des explications.
10:58 Parce qu'à ce moment-là, on a passé le cap, finalement,
10:59 la souffrance immédiate, ce qui était la première semaine dont je vous parlais,
11:02 on arrive dans un moment où on veut la vérité.
11:04 Et d'ailleurs, l'association qu'on a créée s'appelait
11:07 "13 novembre, fraternité et vérité".
11:10 Fraternité, c'est cette communauté que je décrivais,
11:12 et vérité, parce que non pas qu'on nous cache la vérité,
11:14 mais simplement, on voulait participer au procès.
11:16 On savait qu'il y avait un procès qui allait se faire et on voulait savoir pourquoi.
11:19 Savoir pourquoi des jeunes gens,
11:21 et nous, ce qui nous avait marqué, c'était le profil aussi des terroristes,
11:23 c'est-à-dire qu'il y avait des gens qui arrivaient de Syrie,
11:25 qui n'étaient pas du tout européens, etc.
11:27 Mais on avait aussi des gens qui avaient grandi en Belgique ou en France,
11:30 et qui avaient l'âge de notre âge, voire plus jeune,
11:33 et qui se mettent à nous tirer dessus comme si on était, je ne sais pas, rien,
11:37 et qui veulent juste notre mort.
11:38 Et donc, on voulait cette vérité.
11:39 Et donc, la restation d'Abdeslam notamment,
11:42 mais pas que, Aminon, etc.
11:44 Non pas Aminon, son nom échappe, mais Abdeslam en tout cas.
11:48 La restation d'Abdeslam, elle fait qu'on a cette idée
11:51 qu'on va avoir une part de vérité et qu'on va avoir un vrai procès.
11:55 Et ça, c'était intéressant.
11:58 – Et vous avez obtenu des réponses ?
11:59 – Non, le procès a été quelque chose de nécessaire.
12:06 Après, on peut avoir des avis,
12:07 les juristes donneront chacun leur avis là-dessus.
12:11 Ça a été un moment important.
12:12 Il a, Abdeslam, parlé.
12:15 Moi, je pense que c'est sincèrement parce que le faux public,
12:17 pendant quasiment six ans, il n'a absolument rien dit.
12:19 Il refusait de reconnaître, il tenait des paroles religieuses.
12:23 Il a parlé, il a dit des choses qui étaient intéressantes
12:26 pour connaître la vérité.
12:29 Maintenant, il a…
12:34 On n'a pas eu tout ce qu'on voulait,
12:35 mais parce que peut-être que c'était pas à lui…
12:38 On n'avait pas tout le monde autour de la table,
12:40 il manquait des gens parce que la part était morte.
12:42 Donc on n'aura pas cette vérité absolue.
12:43 Maintenant, on a compris certaines choses, je pense.
12:45 On a arrivé à mettre quelques pièces dans le puzzle,
12:46 on n'a pas le puzzle complet.
12:48 Après, il manque quelque chose, ce que je vous le disais juste avant,
12:50 c'est comprendre pourquoi.
12:53 On en arrive là, et ça, c'était pas le but du procès,
12:54 pas au procès de dire pourquoi des jeunes de 19-20 ans
12:57 se mettent à vouloir partir en Syrie et tirer sur des gens en France.
13:02 Et ça, j'ai l'impression qu'on n'a pas eu de réponse.
13:03 Et je pense que le fait de ne pas avoir eu de réponse
13:06 à cette époque sur 2015, ou même, je pense à Charlie juste avant,
13:10 on le paye encore aujourd'hui parce que finalement,
13:13 on n'a pas réglé le problème.
13:14 – Est-ce que vous pensez qu'il peut y avoir une sanction
13:15 à la hauteur des faits ?
13:16 – Oui, à partir du moment où pour moi, la justice passe,
13:19 et qu'elle se fait… Alors, les procès du 13 novembre,
13:24 quand même, il faut le reconnaître, il y a eu, certes, un déséquilibre,
13:26 on était plusieurs milliers de parties civiles,
13:27 et une dizaine d'accusés, donc 10 avocats versus une centaine d'avocats,
13:32 et mine de rien, les accusés ont pu se défendre,
13:34 ils avaient des avocats, ils ont pu parler librement,
13:37 ils ont pu apporter leurs preuves, ils ont pu apporter leurs éléments,
13:39 certains n'ont même pas été condamnés à la peine maximale,
13:43 chose qu'on ne verrait jamais dans l'État islamique
13:46 ou dans tout État qui se revendique du terrorisme djihadiste, etc.
13:52 On a fait œuvre de justice, on a montré que face à la barbarie,
13:56 on répondait, nous, avec notre justice, donc pour moi, c'est ça le plus important.
13:58 Alors, là encore, c'est ma vision des faits,
14:00 ce n'est pas la vision de toutes les victimes de terrorisme,
14:01 mais moi, ce qui m'a porté, c'est que nous, on ne tombe pas dans le piège,
14:04 le piège, ça aurait été celui qu'on appelle à la vengeance,
14:07 qu'on aille se dire, ils ont massacré 130 personnes ce jour-là,
14:13 et bon, on va en massacrer 130, voilà, comme ça,
14:16 et je trouve qu'en tout cas, dans la justice, on n'a pas fait ça,
14:18 donc la peine, moi, je n'ai pas soif de sang,
14:21 je ne voulais pas de... mais d'autres peut-être, mais moi, non,
14:23 je ne voulais pas de peine de mort, je voulais que la justice passe,
14:26 et pour moi, elle est bien passée, puisque les accusés n'ont pas fait appel.
14:29 Alors, effectivement, les avocats vous diront,
14:32 les avocats de la défense vous diront que ce n'était pas que pour ça,
14:34 c'est que parce qu'ils pensaient que ça ne servait à rien,
14:36 mais mine de rien, ils avaient encore la possibilité de faire appel,
14:38 ils avaient la possibilité même, enfin, ils avaient tous les voies de droit possibles,
14:40 donc on les a traités de façon cohérente,
14:44 on n'a pas fait de justice d'exception pour eux.
14:46 Je trouve que pour une démocratie, un état de droit, c'est une belle réponse,
14:49 c'est-à-dire qu'on n'a pas cédé au piège qui nous était tendu,
14:52 donc je trouve que, voilà, les peines sont satisfaisantes à ce niveau-là.
14:56 – Vous avez dit "j'ai perdu mon optimisme envers le politique",
14:59 est-ce qu'aujourd'hui, vous diriez que la France a pris la mesure de la chose
15:01 depuis cette nuit-là, et est-ce qu'elle a fait ce qu'il fallait
15:04 pour mieux protéger les Français d'éventuelles attaques terroristes ?
15:06 – Non, clairement, c'est le point noir, c'est un peu ce que je t'écrivais tout à l'heure,
15:10 c'est sur tous les plans, quelque part, enfin,
15:14 ce qui se passe en ce moment, pour moi, démontre par A+B
15:17 qu'on n'a pas pris la mesure, en tout cas au niveau intérieur.
15:20 Je pense qu'au niveau extérieur, voilà, il y a un combat qui a été mené
15:22 contre l'État islamique, avec plus ou moins de réussite,
15:25 mais en tout cas, l'État islamique aujourd'hui n'existe quasiment plus,
15:28 d'autres formes de terrorisme, notamment le djihadiste, arrivent,
15:31 l'islamiste arrive ailleurs, il y a un terrorisme aussi d'extrême droite qui arrive,
15:35 ce qui m'inquiète plus, c'est au niveau, à deux niveaux, au niveau de la sécurité,
15:41 donc il y a peut-être le média, je ne suis pas certain qu'aujourd'hui,
15:44 même si on a des services intérieurs qui font un travail exceptionnel,
15:46 on a aussi des services d'intervention qui, d'ailleurs, sur du 13 novembre,
15:50 ont été absolument incroyables, je pense à la BRI, etc.
15:53 Voilà, je ne suis pas certain que tout soit aujourd'hui fait
15:59 pour lutter contre la menace terroriste, à ce niveau-là,
16:02 mais plus par une question de moyens, plus par une question aussi d'affichage politique,
16:07 mais surtout, ce qui m'inquiète le plus, c'est au niveau de cette attirance
16:12 pour la violence et pour la religion extrême, dans ses formes les plus extrêmes,
16:17 je pense au djihadisme, à l'islamisme ici,
16:19 où je pense qu'on n'a pas fait la démarche de comprendre,
16:21 on n'a pas cherché pourquoi, et d'ailleurs, il y a cette phrase de Manuel Valls
16:26 qui, à l'époque, expliquait "c'est déjà excusé",
16:27 et je pense qu'on est, même s'il y a plein de chercheurs qui vont donner beaucoup de travail là-dessus,
16:31 dans l'État, on est un peu resté là-dessus,
16:33 et en fait, on reste sur des grands débats, et on mélange tout,
16:40 on mélange laïcité et terrorisme, on mélange les habits à l'école avec une radicalisation,
16:48 on mélange tout, et au final, on n'arrive plus à nuancer le débat,
16:50 ce qui ne nous permet pas après de viser, finalement,
16:53 et de comprendre le problème principal qui est aujourd'hui,
16:58 comment on en arrive là, comment on arrive à ce que des gens se retournent contre l'État,
17:01 y compris des gens qui sont nés en France, nés en Belgique,
17:04 et à la place, on préfère des débats, mais ça, ce n'est pas que le terrorisme,
17:07 et je tombe un peu dans le café du commerce,
17:09 mais on préfère des débats sur "il faut interdire les fichés S",
17:13 "il faut contrôler l'immigration", etc.,
17:19 mais au final, peut-être que ces mesures radicales plaisent,
17:23 elles plaisent à l'oreille, mais au final, elles n'apportent pas de réponse,
17:25 et on voit bien d'accord qu'elles n'apportent aucune réponse,
17:27 puisque au final, la menace continue à exister d'une forme ou d'une autre.
17:31 Peut-être pas de la même envergure que le 13 novembre,
17:33 mais pour l'instant, il n'y a pas d'autres attentats d'une telle envergure que le 13 novembre,
17:37 il y a eu le 14 juillet à Nice, mais depuis, on est sur des moins envergures,
17:41 mais je ne suis pas certain qu'on ait cherché à tirer toutes les leçons,
17:47 et on préfère se garder sur des débats et des grandes idées,
17:51 parce que, à mon avis, c'est moins médiatique de dire,
17:54 "oui, un gamin qui a fait toutes ses études en France ou toutes ses études en Belgique,
17:59 pourquoi ? C'est plus compliqué, c'est multifactoriel, etc."
18:03 Alors que si on dit, "c'est la faute à la religion ou c'est la faute à un tel,
18:09 ou c'est facile, c'est vendable et c'est bankable",
18:11 mais au final, je ne suis pas certain qu'on apporte une réponse.
18:14 Et au contraire, au lieu de viser, essayer de comprendre un système multifactoriel complexe,
18:21 on préfère se concentrer sur des grands débats,
18:24 et comme on préfère se concentrer sur des grands débats, sur des grandes idées,
18:27 pas toutes efficaces, on vise une communauté.
18:29 On va viser la communauté musulmane dans son ensemble, si tu parles du terrorisme islamique.
18:34 Et je pense sincèrement que c'est ce qui est recherché par les terroristes,
18:37 c'est-à-dire de faire comprendre aux musulmans qu'ils ne peuvent pas vivre dans un état démocratique,
18:40 comme en la France, et que le seul vrai défenseur de l'islam,
18:43 ce sont l'État islamique, Al-Qaïda, etc.
18:46 Et du coup, je pense qu'on se trompe de débat, et qu'on mélange tout.
18:50 Je ne prends pas position sur le voile ou quoi que ce soit,
18:53 mais quand j'entends, par exemple, je m'en souviens très bien,
18:56 une jeune femme voilée qui avait fait une intervention dans un média,
18:59 Combini ou je ne sais plus, et une journaliste du Figaro avait mis 11 septembre au-dessus.
19:04 Ça n'a rien à voir. On peut porter le voile et ne pas être terroriste,
19:08 et au contraire, on ne peut pas porter le voile et soutenir des idées terroristes.
19:11 Et du coup, comme on mélange tout, j'ai peur qu'au contraire, on aggrave les choses.
19:14 J'ai l'impression que c'est dans les drames que la société française a tendance à se réunir le plus,
19:19 et après on oublie. Comment vous l'expliquez ?
19:22 C'est très vrai, déjà. On ne sait pas qu'on oublie.
19:26 Les gens veulent tourner la page, veulent passer à autre chose,
19:28 veulent aller vers l'optimisme, veulent croire que ça va s'arrêter,
19:31 veulent penser que les choses vont aller mieux.
19:34 Et quelque part, en tant que victime, ou même les morts, etc., les cérémonies,
19:39 c'est un mauvais rappel, c'est un rappel de négativité.
19:45 Et puis c'est aussi, de plus en plus, avec la multiplication des attentats terroristes,
19:49 il y a une sorte de discrédit envers les bougies, les fleurs, etc.
19:54 C'est devenu se moquer.
19:55 Vous verrez souvent maintenant des gens qui disent "on ne combat pas le terrorisme",
19:57 et je crois d'ailleurs, même des politiques, je ne parle pas des extrêmes,
20:01 on dit "on ne combat pas le terrorisme avec des bougies et des fleurs".
20:03 Mais personne n'a dit qu'on combattrait le terrorisme avec des bougies et des fleurs.
20:05 Mais ce souvenir de nos victimes, de mémorie de nos victimes,
20:08 ça reste important.
20:09 Et j'ai l'impression que de plus en plus, c'est devenu quelque chose de négatif, presque,
20:13 de se souvenir, de se parler, alors qu'au contraire, je pense qu'on a un vrai message à faire passer,
20:17 et pas forcément un message négatif, mais qui est de dire "voilà ce qu'on a subi,
20:21 voilà ce que d'autres subissent aussi".
20:23 Parce que moi, je suis devant vous, mais le Bataclan, au final, c'est des milliers de victimes,
20:28 pas le Bataclan, le 13 novembre, en ensemble, c'est des milliers de victimes,
20:31 des proches, des gens qui ont perdu quelqu'un, des gens qui ne sortent pas de chez eux,
20:34 ou qui ne sortent pas de chez eux à certains moments,
20:37 il y a des gens qui sont suicidés quand même.
20:40 Et ce message-là, on n'est pas là pour embêter les gens,
20:43 on est là juste pour dire "on existe", et quelque part, on est un symbole de la société.
20:47 Je pense que oui, les gens ont envie de tourner la page, parce qu'on a un syndrome de souffrance,
20:51 et puis eux, ils ont avancé, donc pourquoi pas nous ?
20:54 Pourquoi, si eux avancent, pourquoi pas nous ?
20:56 Et donc, je pense que c'est ça, je pense qu'il y a un peu cette volonté de ranger ça dans l'armoire à placard,
21:01 puis de nous ressortir juste comme des anciens combattants,
21:05 au moment où ils douanent le 13 novembre, chaque 13 novembre,
21:09 on a fait ça, on a fait notre part, maintenant ça suffit,
21:11 arrêtez de nous casser les pieds avec vos souffrances.
21:13 – Est-ce que vous avez l'impression aussi qu'on instrumentalise un peu vos discours ?
21:16 – Ah ben, clairement, nos souffrances sont utilisées par le politique,
21:19 mais par tous les politiques, les extrêmes en principal, mais pas que.
21:22 En ce moment, c'est même la fête, et alors en plus, c'est pire que tout,
21:25 parce que dans le souvenir du 13 novembre, en fait, on n'a retenu que le Bataclan.
21:28 Donc on parle du Bataclan, qui a effacé tout, effacé les terrasses,
21:32 qui a effacé le Stade de France,
21:34 qui a aussi effacé d'autres attentats qui ont été commis,
21:37 des plus petits, je pense à Magnanville qui a eu le procès récemment,
21:40 mais même Nice se sent parfois oubliée vis-à-vis, on parle du Bataclan.
21:43 Donc déjà, en plus, il y a une utilisation qui est faite,
21:46 déjà qui est terrible, parce qu'en fait, on se sert d'une seule chose,
21:49 on méprise les victimes en faisant ça, on ne s'intéresse jamais aux victimes,
21:53 enfin je veux dire, les politiques, les victimes de terrorisme,
21:54 aujourd'hui, ils n'en parlent que pour s'en servir, comme vous le dites,
21:58 pour promouvoir une idée politique, ou pour appeler les pires sentiments
22:05 et justifier des mesures qui pourraient s'apparaître liberticides.
22:09 Quand quelqu'un va vous dire "non, c'est contraire à la Constitution
22:12 ou c'est contraire à la Déclaration des droits de l'Homme",
22:14 vous pouvez être sûr qu'un politique devrait vous dire
22:16 "allez dire ça aux victimes du Bataclan".
22:18 Et donc on se sert de vous, alors qu'on ne se préoccupe pas de vos souffrances,
22:20 on ne se préoccupe pas de savoir où vous en êtes,
22:22 on ne se préoccupe pas de savoir,
22:24 le politique ne se préoccupe pas de savoir ce qui est quelque part,
22:26 comment on se souvient,
22:29 il se réveille à ce moment-là et il vous sort du formol pour vous dire ça,
22:32 donc c'est terrible.
22:33 Ce que j'ai l'habitude de dire c'est qu'au 13 novembre,
22:35 on n'était pas à un meeting politique, ni pas.
22:37 Et du coup, oui, ils vont sûrement trouver des victimes du 13 novembre
22:41 qui vont être d'extrême droite, et ils vont dire "on est d'extrême droite"
22:43 et vous trouverez des victimes du 13 novembre qui tiennent un discours antillienne
22:45 assez fort, plus fort que le mien, et c'est très bien.
22:49 Et nous ce qu'on demande c'est juste d'être écouté,
22:51 comme ça, pour ce qu'on est, c'est-à-dire juste avoir survécu au 13 novembre.
22:55 Et c'est vrai que c'est assez terrible d'être aujourd'hui un objet de débat
22:58 qu'on s'arrache pour justifier le pire.
23:01 Comme si on était une communauté, un bloc,
23:04 et que ce bloc-là, il fallait pas qu'il avait une position et qu'il suive.
23:08 Et oui, on est complètement utilisé,
23:11 et quelque part, c'est un peu le but des terroristes.
23:13 C'est-à-dire que quand vous êtes un acte terroriste,
23:14 vous cherchez à défendre une idéologie,
23:16 et vous cherchez à choquer, et que ce choc-là, il justifie
23:20 de céder vos valeurs.
23:21 Et donc quand quelqu'un dit "allez dire ça aux victimes du 13 novembre,
23:24 allez dire ça aux victimes du Bataclan, aux morts du Bataclan",
23:28 qu'est-ce que voulait le terroriste ?
23:29 C'est exactement ça, c'est produire cette idée.
23:31 Et donc au final, vous réalisez que vous êtes en fait entre un espèce de
23:35 dodo-donon-donon-donon, entre certains extrêmes,
23:37 l'extrême droite, clairement, notamment,
23:40 et les terroristes, et que vous êtes un jouet.
23:43 Les uns vous ont tiré dessus, ils ont essayé de vous tuer,
23:44 les autres récupèrent votre souffrance pour justifier des idées
23:46 avec lesquelles vous n'avez rien à voir.
23:48 – Il me semble que vous avez dit une phrase "j'ai perdu mon innocence".
23:51 – Oui. – Pourquoi vous avez dit ça ?
23:53 – Parce que… à plusieurs régimes.
23:56 Déjà, parce que ce soir-là, j'ai passé vraiment une super soirée,
23:59 et je pense que je ne pourrais plus jamais passer une telle soirée.
24:03 Je ne pourrais plus jamais, en tout cas, même dans un lieu clos,
24:05 sauf vraiment avec mes proches, etc.,
24:07 ne plus jamais me dire "tiens, être en terrasse,
24:09 ne plus jamais être dans une salle de concert
24:11 sans regarder une sortie de secours".
24:13 Je vis avec cette idée qu'à tout moment, ma vie, ça peut s'arrêter.
24:15 C'est ça, "j'ai perdu mon innocence".
24:16 Je vis avec cette idée que je peux mourir à tout moment.
24:19 Et qu'est-ce que je fais si je suis avec des proches et que je veux les protéger ?
24:22 – Est-ce que vous avez vu les films, par exemple, comme "Novembre" ou voir pareil ?
24:25 Est-ce que vous les avez regardés ?
24:27 – Eh bien non, justement, je ne les ai pas vus, je n'y arrive pas.
24:30 J'arrive à voir certains reportages, certains documentaires, mais je les évite.
24:34 Il faudrait, il faudrait y avoir le reportage.
24:36 Enfin, il y a plusieurs choses que j'aimerais bien voir.
24:38 J'ai absolument un compte de ces films, au contraire,
24:39 moi, je ne prendrais pas position là-dessus.
24:42 Ça me fait peur.
24:44 C'est peut-être une des dernières, voyez, c'est là où vous touchez,
24:47 juste parce que c'est peut-être une des dernières portes que je n'arrive pas à ouvrir.
24:52 Et il faudrait, il faudrait, mais il faudrait,
24:53 mais j'ai peur que des sentiments que je vais revoir,
24:56 en fait, je sais que ça va me mettre mal.
24:59 Déjà, voir un film où ça tira la calche, un peu réaliste, etc.,
25:02 ça peut me faire émouvoir et j'ai du mal, du coup,
25:06 autant je n'ai pas de mal à lire des choses sur le terrorisme, etc.,
25:08 autant me raccrocher à des choses sur l'attentat du 13 novembre,
25:12 les attentats du 13 novembre, ça peut être assez lourd.
25:14 Par exemple, encore, il y a des policiers qui se sont fait attaquer, etc.
25:17 Je n'ai pas d'avis à donner sur le maintien de l'ordre public, etc.,
25:19 je ne suis pas spécialiste.
25:20 Mais quand j'entends "les flics", "les policiers",
25:23 moi, j'ai du mal parce que je suis le premier à reconnaître
25:26 qu'il y a des violences policières, je n'ai pas de débat là-dessus.
25:28 Mais on ne peut pas dire "les flics", en tout cas,
25:30 parce que c'est vrai qu'on leur doit beaucoup ce soir-là.
25:34 Moi, je me souviens de chouard, on était cachés dans cet immeuble
25:39 et à un moment, on voit un flic qui monte,
25:41 je ne sais pas quelle unité c'était,
25:42 mais hyper barraqué avec le casque, le tout.
25:47 Et il s'est juste regardé, il nous a regardés,
25:49 on a tous regardé avec des yeux comme ça,
25:50 "qu'est-ce qu'il fait là ?"
25:52 Et il nous dit qu'il avait juste besoin de voir des vivants.
25:55 Et ça nous a vachement, en tout cas, ça m'a beaucoup marqué cette phrase.
25:58 Et globalement, ce soir-là, tous les flics ont été bienveillants,
26:01 tous les policiers ont été...
26:02 Donc voilà, effectivement, moi-même,
26:06 je n'ai pas toujours eu une grande amitié pour la police,
26:09 mais je n'oublierai plus jamais que quand il faut, ils sont là.
26:14 - Quel espoir vous avez pour l'avenir ?
26:15 Le vôtre, celui des jeunes, celui de la France ?
26:19 - J'en ai plein.
26:20 Je crois toujours qu'on va s'en sortir.
26:23 C'est vrai qu'en ce moment, c'est dur.
26:26 On a l'impression qu'on s'enfonce dans une espèce de défiance,
26:31 pas qu'au lieu d'attentats, d'ailleurs.
26:33 Et des fois, c'est dur et puis c'est multifactoriel.
26:36 On parle du terrorisme, on peut parler d'autre chose,
26:38 mais j'ai eu toujours cette envie de croire qu'on peut faire nation.
26:43 À certains moments, on a parlé, vous avez dit, après les attentats,
26:47 la nation se réunit, ce genre de choses,
26:48 mais il y a aussi après des événements sportifs, sur le road-shoot.
26:53 On sent qu'on peut faire nation.
26:55 Et donc, j'ai toujours envie de croire en ça.
26:57 Je n'ai pas envie de me dire on va s'arrêter à ça.
27:01 Je pense qu'il y a certains faits, la justice, on a parlé du procès,
27:06 on parle d'autre chose qui montre quand même
27:07 qu'on a certaines valeurs qui ne bougent pas.
27:10 Donc, tant que ces valeurs ne bougent pas, j'y arriverai.
27:13 Et peut-être qu'à un moment ou à un autre point,
27:15 c'est pour ça que je continue à prendre la parole.
27:17 Je suis aussi intervenu dans des écoles pour rappeler ça,
27:20 mais aussi pour donner un message d'espoir en disant
27:21 "Nous, victimes, on va continuer à se battre,
27:24 on va continuer à porter ce message".
27:27 Et j'ai envie que ce contienne, j'ai des enfants,
27:30 j'ai envie qu'ils vivent dans une société plus sereine, plus...
27:33 Donc certes, je suis inquiet, mais je vais battre sous différentes formes.
27:37 C'est pour ça que j'ai fait de l'associatif avant,
27:38 c'est pour ça peut-être que j'en referai.
27:40 Et quand je vois des victimes aujourd'hui qui font plein de choses,
27:45 je me dis que finalement, on a aussi un message d'optimisme.
27:49 On se disait tout à l'heure, on n'a pas envie de penser à nous.
27:51 Peut-être que des fois, on devrait, parce qu'on a un message d'optimisme.
27:55 Certaines ne vont pas bien, et donc on n'est pas toutes dans cette résilience.
27:58 Je tiens bien à le dire, parce qu'aujourd'hui,
27:59 j'ai un vrai problème avec le mot "résilience".
28:01 On nous dit d'aller mieux, et les victimes qui ne vont pas bien,
28:04 je ne les oublie pas.
28:05 Mais il y en a d'autres qui vont bien,
28:07 et sans que ce soit une injonction à aller mieux,
28:09 elle montre aussi qu'on peut s'en sortir.
28:11 Et donc peut-être que notre pays y arrivera aussi.
28:13 Je suis même sûr.
28:15 – Merci beaucoup. – Merci à vous.

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