Marc Levy présente "La Symphonie des monstres", son nouveau roman, sur France Bleu Saint-Étienne Loire (1)

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00:00 Bonjour Marc Lévy. Bonjour. Alors avec la symphonie des monstres vous nous transportez
00:05 dans la tragique actualité, celle de la guerre en Ukraine mais surtout sur les
00:09 rafles d'enfants ukrainiens par les russes. Le jeune Valentin Neuvent est
00:14 enlevé dans son école, sa mère, sa soeur vont faire de tout leur possible pour le
00:18 retrouver. Ces rafles sont l'un des côtés les plus abjects de ce qui se passe en
00:22 Ukraine. Pourquoi vous avez voulu parler de cet aspect là dans votre nouveau roman ?
00:27 Je crois parce que j'avais envie d'écrire une histoire de courage, d'amour et de
00:34 résistance. Et les trois personnages sont nés très vite, après le travail de
00:39 documentation. Et je suis assez impassionné de raconter l'histoire de ces trois
00:43 destins. Donc cette femme qui est une infirmière qui a déjà une vie bien
00:49 remplie, sa fille Lilia qui est une adolescente qui est au coeur de son
00:52 adolescence et de sa crise d'adolescence et ce petit garçon de 9 ans Valentin.
00:56 Et ces trois destins qui sont séparés par l'abomination d'une guerre, mais
01:02 de raconter leur épopée de cette absolue détermination que chacun va
01:07 avoir et qui va mettre tout en oeuvre pour essayer de retrouver les siens, enfin
01:10 de retrouver l'autre. Et celui qui m'a guidé le plus au début bien sûr c'est
01:14 Valentin qui va lutter contre toutes ses peurs en allant chercher un
01:18 courage fou dans son imagination, dans ses mondes imaginaires pour
01:22 s'évader de ce pensionnat où il est retenu et retrouver sa soeur et sa mère.
01:26 Mais j'ai aussi le courage de cette femme et le courage de cette adolescente qui
01:30 va finalement vivre son adolescence en 24 heures et passer à l'âge adulte
01:35 parce que tout à coup il y a quelque chose de beaucoup plus grand qu'elle et
01:38 qui va compter plus que tout au monde. Pourquoi le sujet en particulier ? Parce
01:43 que l'enfance est sacrée et parce que je voulais raconter au travers de
01:48 cette histoire qu'au delà de tout ce qu'on a pu entendre, dire par certains
01:53 la Russie mène une guerre à l'Ukraine parce qu'elle a la volonté de faire
01:59 disparaître l'Ukraine, non seulement l'Ukraine au présent mais même l'histoire
02:03 de l'Ukraine. Elle bombarde les cimetières dans lesquels sont enterrés
02:07 les anciens, enfin les artistes ukrainiens pour pouvoir dire qu'ils n'ont
02:10 jamais existé et elle enlève les enfants ukrainiens dans des
02:14 quantités absolument épouvantables. Aujourd'hui il y a 40 000 enfants
02:19 kidnappés et recensés, 80 000 estimés. L'auteur de ce programme, Maria Lova
02:26 Belova, revendique vouloir en kidnapper 700 000 et l'idée c'est que si vous
02:31 faites disparaître tout à coup une génération, il n'y a pas de génération
02:34 d'après et puis surtout la volonté de la Russie c'est de russifier ces enfants.
02:38 Justement vous parlez de travail de documentation au préalable évidemment.
02:42 Vous vous êtes rendu en Ukraine. Qu'est ce que vous avez appris sur place
02:47 notamment sur ces rafles ? Quand je me suis rendu en Ukraine il y a
02:51 quelques semaines, j'ai fait une conférence avec le responsable des droits
02:54 de l'homme qui est le numéro 4 du gouvernement ukrainien et qui donc nous
02:59 donnait l'actualité des chiffres. J'ai appris que tout le
03:03 travail de documentation, de recherche que j'avais fait correspondait à la
03:07 réalité du terrain et alors après vous apprenez à chaque fois des
03:11 histoires spécifiques de rafles. Tout ce que je raconte
03:18 malheureusement dans le roman, même si la vie des personnages est
03:22 celle d'un roman, les faits qu'ils traversent eux sont tout à fait pris dans
03:29 la réalité. Par exemple vous avez actuellement l'histoire de ce garçon
03:34 qui a été kidnappé à Mariupol l'année dernière. Il avait à l'époque 17 ans, il
03:40 en a 18 maintenant et il se retrouve en relais de force dans l'armée russe pour
03:44 aller lutter contre les siens et comme il refuse, il risque la cour martiale.
03:50 C'est pas où ça va s'arrêter, le cynisme.
03:56 Ce que j'avais envie aussi de raconter dans le roman, c'est l'autre
04:01 côté du miroir, c'est comment entre ceux qui résistent et ceux qui
04:04 collaborent. C'est la différence entre ceux qui ont peur, c'est-à-dire tout le
04:10 monde, et ceux qui surmontent la peur et qui deviennent des résistants.
04:14 Quand on lit ce livre, il y a ce mot "rafle" qui fait penser à une autre époque
04:18 qu'on croyait pas si lointaine que ça.
04:21 Justement quand on lit le livre, on a un peu l'impression que c'est un roman
04:25 presse sur la déportation de la seconde guerre mondiale, notamment quand Lilia,
04:28 la soeur de Valentin, se retrouve dans un train. J'en dirais pas plus mais
04:32 il y a quand même ces images-là qui font écho à cette époque de la seconde
04:37 guerre mondiale. Votre famille a été victime aussi de cette déportation.
04:40 C'est aussi pour ça que ce sujet vous a peut-être touché et ce sujet vous en
04:44 avez fait un roman ? - Oui mais alors comment vous dire ? Moi quand j'étais
04:49 enfant, quand j'avais l'âge d'un Valentin, je comprenais pas pourquoi
04:52 j'avais pas de grands-parents. On avait du mal à me l'expliquer. Et quand j'ai
04:57 compris pourquoi, et ce qui leur était arrivé, la question qui a hanté mon
05:00 adolescence, c'est "mais comment est-ce qu'on a laissé faire ?"
05:04 Comment est-ce qu'on a laissé des millions de gens être massacrés
05:12 comme on ne voudrait pas massacrer des animaux ? Et la réponse qu'on me donnait
05:15 quand j'étais enfant, celle des adultes, celle des enseignants, c'était "on ne
05:19 savait pas". C'était la grande excuse, on ne savait pas.
05:24 Alors comment vous dire ? Quand j'ai su, moi, ce que les Russes
05:31 faisaient aux enfants ukrainiens, j'ai eu une urgence, celle d'écrire, parce que
05:36 j'ai la chance d'avoir un grand nombre de lecteurs et je sais aujourd'hui, je le
05:40 vois déjà, j'ai reçu des centaines de témoignages et de mails depuis que ce
05:44 roman est sorti et c'est incroyable. Dans quasiment 90% des témoignages, les gens
05:50 me disent "mais vous savez, je vous jure, je ne savais pas". Et maintenant ils savent.
05:53 Et quand on sait, on ne peut plus être indifférent.
05:55 Justement, vous trouvez que la population française est suffisamment courante de
05:59 tout ça ? Parce qu'on a tellement de moyens d'information, il y a tout et de
06:02 rien d'ailleurs, on se dit "on devrait le savoir". On devrait savoir avec tout ce
06:07 qu'on a à disposition maintenant, comme moyens.
06:09 Oui, mais bien sûr, mais vous savez ce que c'est, l'actualité elle est très
06:12 dense, une actualité chasse l'autre, une guerre en chasse une autre, l'information
06:17 elle se succède. Et puis, comment vous dire, l'information elle nous informe à
06:22 un instant T. Parfois elle nous choque, parfois elle éveille en nous une colère,
06:27 un effroi. Mais le roman, le cinéma,
06:32 on sait ce pouvoir de nous faire rencontrer des vrais gens et des gens
06:39 qui nous ressemblent. Des gens où quand on se dit tout à coup "oui mais la guerre
06:42 c'est pas ici, c'est loin, ils parlent pas la même langue, c'est pas le même pays".
06:45 Mais une mère c'est une mère, un enfant de 9 ans c'est un enfant de 9 ans, une
06:48 adolescente c'est une adolescente, une école c'est une école. Et tout à coup
06:52 la vie de ces gens elles rentrent dans notre vie. Et c'est ça la force du roman,
06:56 c'est de créer l'empathie. Et du coup, eh bien, ces causes, elles ne nous paraissent
07:03 ni perdues ni lointaines, elles rentrent dans nos vies et elles nous tiennent au
07:07 cœur et au corps. Ça veut pas dire que du jour au lendemain, le lecteur qui dit ça
07:12 va avoir un pouvoir sur l'Ukraine. Mais vous savez, moi j'ai rencontré des
07:15 ukrainiens et quand on vit ce qu'ils vivent, comme ce que vivent tous les
07:19 peuples opprimés, et qu'on sait que quelqu'un pense à vous, on est déjà plus
07:23 seul. Et ça c'est énorme, c'est colossal. Dans la capacité de résistance, le fait
07:28 de savoir qu'on est plus seul et que d'autres êtres humains pensent à vous,
07:32 c'est quelque chose d'énorme. - On parle de savoir, on parle de
07:36 s'informer justement, vous avez l'intention, le désir de diffuser
07:40 gratuitement votre livre en Russie. J'imagine que c'est pas une chose aisée ?
07:44 - C'est un petit peu plus, comment dire, c'est à la fois plus simple et plus
07:48 compliqué que ça. J'ai la chance d'avoir un grand lectorat en Russie.
07:50 C'est un lectorat assez fidèle. Et je crois que, comment dire, d'abord en
07:57 Russie, il y a beaucoup de gens qui sont pas d'accord avec ce qui se passe, mais
08:00 qui ont trop peur pour le dire. Parce que, pour vous donner un petit exemple, mais
08:06 très concret et très parlant, il y a quelques mois, il y a une petite fille de 10 ans
08:10 dans une école qui a levé le doigt pour dire qu'elle n'était pas d'accord avec
08:13 la guerre. Elle a été dénoncée aux autorités, la
08:17 police est venue arrêter la petite fille, puis la police a arrêté son père et le
08:20 père a été condamné à deux ans de prison et on lui a enlevé son droit
08:22 parental et la petite fille a été mise dans une famille d'accueil.
08:25 Donc c'est vous dire si la population russe vit aujourd'hui sous l'emprise
08:30 d'un régime de la terreur. Et la terreur, elle vous conduit au silence.
08:33 Et il y arrive un moment où la terreur, elle peut même vous faire accepter
08:40 l'inacceptable. Et là, comment vous dire, savoir, ressentir, c'est ce que je vous
08:47 disais tout à l'heure, vraiment ça peut vous faire basculer.
08:50 Je veux croire que si entre 1930 et 1939, des romanciers avaient publié des
08:56 romans sur la souffrance des victimes du nazisme,
09:00 et bien peut-être qu'un plus grand nombre d'allemands auraient résisté aux
09:04 sirènes du nazisme. Il y en a eu des allemands qui sont exilés, qui ont
09:09 rejeté le nazisme et qui ont lutté contre le nazisme. Mais il y en aurait peut-être eu plus si la
09:13 culture avait permis ça. Vous savez, ça n'est pas pour rien que l'une des premières
09:17 choses que font les dictateurs, et on se souvient de ces images du nazisme où on
09:21 brûlait les livres, il y avait des bûchers de livres entiers. Pourquoi ? Parce que le
09:27 livre réhumanise là où la dictature fait tout pour déshumaniser l'ennemi de
09:31 façon à ce que justement on accepte sa disparition. Et le livre, le roman,
09:36 il réhumanise, c'est évident, parce qu'on est avec des personnages. Si vous
09:39 avez lu "Les Misérables", vous n'oublierez jamais Jean Valjean, vous n'oublierez jamais
09:44 Cossette. Vous voyez, c'est ça les personnages de romans. Donc c'était
09:50 important pour moi, et comme évidemment... alors mon éditeur russe est en
09:53 exil, il a réussi miraculeusement à faire ça, enfin à publier "Noah" en Russie, ce qui
09:58 était déjà un tour de force incroyable. Celui-là, évidemment, ne passe pas le
10:02 cap de la censure. Et donc on a décidé de le mettre en libre accès sur internet
10:06 pour que mes lecteurs russes, qui sont pour beaucoup jeunes, puissent le lire et
10:10 pour qu'eux aussi sachent. - Vous parliez de personnages, vous parliez aussi de
10:15 terreurs qui peuvent bloquer justement la parole. Il y a Valentin, ce
10:22 jeune héros là qui a 9 ans, qui est très intelligent, il est fascinant.
10:25 Je vais pas dire qu'il est muet, mais il ne parle pas. - Il ne parle pas. - Pourquoi
10:30 vous avez voulu ça pour lui ? - Parce qu'il est à l'image de son
10:37 pays, c'est-à-dire qu'il voit tout, il entend tout, il résiste.
10:40 Il va chercher toutes ses forces pour résister, mais on ne l'entend pas.
10:46 Alors il écrit sur le papier ce qu'il n'arrive pas à exprimer avec
10:51 ses mots, et c'est exactement ce qui se passe aujourd'hui avec la population
10:54 ukrainienne, qui sont nos voisins. On ne les entend pas, on ne les entend pas assez.
10:58 Et c'est important, c'était vraiment important pour moi
11:04 qu'on les voit et qu'on les aime. Et donc Valentin, c'est ça. Et puis il y a une
11:09 forme dans son silence, il y a un respect de son innocence, de son imaginaire et de
11:16 son courage. Il ne la ramène pas. Il est d'un courage incroyable, il a une
11:21 imagination dingue, mais il ne la ramène pas et il ne cherche qu'une seule
11:26 chose et à s'ébader. - En tout cas dans la Symphonie des monstres, même si le
11:29 sujet est lourd et c'est hélas une réalité actuelle en Ukraine, il y a
11:35 ces sentiments, cette humanité aussi qui nous laisse un peu d'espoir pour
11:40 l'avenir et ce roman-là n'est pas sans espoir. Merci beaucoup Marc Lévy, la
11:45 Symphonie des monstres aux éditions Robert Laffont et ce soir en dédicace à
11:50 la librairie de Paris à 18h. Merci beaucoup Marc Lévy. - Merci à vous.

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