Alors que tous les regards convergent depuis plusieurs semaines vers la bande de Gaza, beaucoup s'interrogent sur la situation explosive en Cisjordanie, où près de 200 Palestiniens ont été tués depuis le 7 octobre, notamment par des colons israéliens. Le territoire est une véritable poudrière qui inquiète dans la région. Pour en parler nous recevons sur ce plateau Cécile Galluccio, ancienne correspondante de France 24 à Jérusalem.
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00:00 - Bonjour à tous et bienvenue dans "Express Orient".
00:02 Nous allons consacrer notre émission
00:04 aux Proches-Orient et à la guerre menée par Israël
00:07 dans la bande de Gaza contre le Hamas.
00:10 Cette guerre en riposte des massacres du Hamas
00:12 du 7 octobre a des conséquences directes en Cisjordanie.
00:15 Nous décrypterons la situation avec notre envoyée spéciale,
00:19 Cécile Galluccio, de retour du terrain.
00:21 Nous irons également en Israël, dans la ville d'Ashkelon,
00:24 régulièrement visée par des roquettes du Hamas.
00:28 Vous verrez que le traumatisme est vif,
00:30 surtout pour les rescapés de la Shoah qui y vivent.
00:33 Enfin, nous terminerons en Jordanie,
00:35 où les Palestiniens de Gaza sont très inquiets
00:37 pour leurs proches et pour leur avenir.
00:40 Alors que tous les regards convergent
00:44 depuis plusieurs semaines vers la bande de Gaza,
00:47 beaucoup s'interrogent sur la situation explosive en Cisjordanie,
00:51 où depuis l'attaque du 7 octobre du Hamas,
00:53 près de 200 Palestiniens ont été tués,
00:55 notamment par des colons israéliens.
00:57 Le territoire est une véritable poudrière qui inquiète.
01:01 Pour en parler, nous recevons sur ce plateau
01:04 Cécile Galluccio, ancienne correspondante de France 24 à Jérusalem.
01:08 Bonjour, Cécile. -Bonjour.
01:09 -Vous revenez du terrain, en Cisjordanie et en Israël.
01:13 Beaucoup parlent de l'ouverture d'un nouveau front en Cisjordanie.
01:17 Est-ce que c'est ce que vous avez constaté ?
01:20 -On ne peut pas appeler ça un nouveau front,
01:22 mais la situation ne cesse de s'embraser et de se dégrader.
01:26 C'est un niveau inédit depuis la fin de la seconde intifada, en 2005.
01:30 Avant le 7 octobre, déjà,
01:32 la Cisjordanie était au coeur de la tension.
01:34 2023 était déjà l'année la plus meurtrière
01:37 côté palestinien depuis 20 ans.
01:40 Pourquoi une telle violence ?
01:41 Parce que ce sont les colons extrémistes,
01:44 une petite partie des colons, mais ils sont très présents,
01:48 qui se sont sentis poussés des ailes
01:51 par le gouvernement le plus à droite de l'histoire du pays,
01:54 en 2022.
01:55 Un gouvernement qui comprend des figures d'extrême droite,
01:58 dont Bethalel Smotrich, un suprémaciste juif,
02:01 raciste affiché, assumé, homophobe,
02:03 partisan de l'annexion des territoires palestiniens.
02:06 Il a même dit que les Palestiniens n'existaient pas,
02:09 que le peuple palestinien n'existait pas.
02:12 Bethalel Smotrich s'est vu confier par Benyamin Netanyahou
02:15 la responsabilité politique des colonies en Cisjordanie.
02:19 En clair, c'est lui qui peut étendre une colonie,
02:23 légaliser un avant-poste, qui est un petit peu l'avant-colonie,
02:26 ou bien décider de détruire une maison palestinienne.
02:30 Ça, c'était la situation avant les attaques du Hamas.
02:33 Après, le 7 octobre, la soif de vengeance de ces colons
02:37 a été encore plus libérée, la violence a été exacerbée.
02:40 Aujourd'hui, ils s'attribuent encore plus qu'avant des territoires,
02:43 ils détruisent davantage les cultures,
02:45 ils expulsent des familles, ils brûlent des maisons.
02:48 On en est déjà à plus de 2 000 Palestiniens
02:50 qui ont été obligés de fuir depuis le 7 octobre.
02:53 Moi, je me suis rendue à Kousra, près de Naplouz,
02:56 où il y a 4 Palestiniens qui ont été tués.
02:58 En ce moment, c'est la cueillette des olives,
03:00 c'est très important pour eux.
03:01 C'est un moment aussi extrêmement tendu chaque année,
03:04 puisque souvent, les colons essayent de les empêcher
03:07 d'aller sur leur terre.
03:07 En ce moment, c'est encore pire, évidemment, avec le 7 octobre.
03:11 Ils nous ont dit qu'ils ont peur pour leur vie.
03:13 Écoutez.
03:14 Tu vois la ferme là-bas ? C'est ma parcelle, c'est ma terre.
03:18 Si tu descends vers là-bas, tu peux mourir à n'importe quel moment.
03:21 Ma femme, mon neveu et moi, ils nous ont frappés avec leur fusil
03:24 et nous ont donné des coups de pied.
03:26 Et ils m'ont dit, "Si tu reviens ici, tu vas mourir."
03:29 -Cécile, d'ailleurs, depuis, je le disais tout à l'heure,
03:31 l'attaque du Hamas du 7 octobre,
03:33 près de 200 Palestiniens ont été tués en Cisjordanie.
03:36 -Oui, certains, je vous le disais par balles, par des colons,
03:38 mais il faut dire que la majorité, l'immense majorité des victimes
03:41 a été tuée par les forces israéliennes.
03:43 Selon l'ONU, l'armée ferme les yeux
03:45 et près de la moitié des cas, elle soutient et protège les colons.
03:49 C'est quand même l'ONU qui le dit.
03:51 De son côté de ça, elle se justifie.
03:53 Les attaques terroristes de Palestiniens seraient plus nombreuses.
03:56 Et donc, l'armée mène des opérations sur des groupes armés,
04:00 notamment à Toul Karem dans le nord,
04:01 notamment aussi à Djenin et aussi à Hebron.
04:04 Depuis le 7 octobre, il faut le dire,
04:06 aussi 1 000 Palestiniens accusés de lien avec le Hamas
04:08 ont été arrêtés en Cisjordanie.
04:10 Ce qu'il faut dire, c'est que des radicalisés,
04:12 il y en a des deux côtés.
04:14 Il y a évidemment des colons, on l'a dit,
04:16 mais il y a aussi des Palestiniens.
04:17 Les attaques contre des véhicules de colons sont régulières,
04:20 contre des soldats aussi, ça arrive régulièrement.
04:22 Du coup, après le 7 octobre,
04:24 l'armée israélienne a pris une série de mesures drastiques.
04:27 Alors, il y a la fermeture de routes
04:28 reliant les villes et villages palestiniens
04:31 aux routes principales de Cisjordanie,
04:32 qui complique le tracé de ces personnes.
04:35 Il y a la mobilisation des soldats de réserve autour des colonies.
04:38 Il y a aussi cette distribution de milliers d'armes
04:41 directement aux colons.
04:43 Et puis, l'armée a aussi empêché les travailleurs palestiniens
04:46 de se rendre sur le lieu de travail en Israël et dans les colonies.
04:50 Cela, évidemment, a contribué à exacerber les tensions.
04:52 Je vous rappelle que cela est possible,
04:54 car Israël contrôle 80 % du territoire de Cisjordanie,
04:58 ce qui est depuis un moment, la Cisjordanie,
05:00 un gruyère sans continuité territoriale.
05:03 La situation est telle que Joe Biden lui-même,
05:06 dans une tribune, a mis en garde Israël
05:08 contre les agissements des colons extrémistes.
05:10 Je cite, "les États-Unis sont prêts à prendre leurs propres mesures,
05:14 notamment en interdisant les visas aux extrémistes
05:17 qui attaquent les civils en Cisjordanie."
05:19 Alors, Cécile, beaucoup se posent une question aussi.
05:21 Que fait l'autorité palestinienne ?
05:23 Eh bien, pas grand-chose. Déjà, on l'a vu,
05:25 elle n'a autorité que sur 20 % du territoire.
05:28 Cela ne comprend pas Jérusalem-Est,
05:29 qui est pourtant un point stratégique, hautement symbolique.
05:33 Il faut dire qu'il n'y a pas eu d'élection en Cisjordanie depuis 2006.
05:37 L'autorité palestinienne est devenue une coquille vide
05:39 qui n'a plus aucun pouvoir effectif.
05:42 Mahmoud Abbas, 87 ans, le président de l'autorité palestinienne,
05:45 a perdu le soutien de sa population,
05:47 notamment à cause d'une importante corruption
05:50 au sein des institutions.
05:51 Après les échecs répétés des négociations
05:53 entre Israël et l'autorité palestinienne,
05:56 certains considèrent même Mahmoud Abbas
05:57 comme quelqu'un qui collabore,
05:59 qui est complice de l'occupation israélienne.
06:02 L'autorité palestinienne est tellement amorphe
06:04 qu'aux yeux d'une partie de la population,
06:06 les seuls qui apparaissent comme ceux qui défendent la cause palestinienne,
06:09 c'est le Hamas.
06:11 Mais à quel prix le Hamas a misé sur la violence à outrance,
06:14 indifférent au sort des civils,
06:16 israéliens, c'est vrai, mais aussi palestiniens,
06:19 que ce soit en Cisjordanie ou dans la bande de Gaza, on le voit.
06:23 Merci beaucoup, Cécile Galuccio.
06:24 Je rappelle que vous êtes de retour d'Israël et de Cisjordanie.
06:26 Merci pour votre décryptage.
06:28 Justement, on va regarder un reportage
06:30 que vous avez tourné avec Tahufir Mjahid à Ashkelon,
06:32 dans le sud d'Israël.
06:33 La ville est située à une quinzaine de kilomètres de la bande de Gaza.
06:37 Elle est l'une des villes les plus visées par les roquettes du Hamas.
06:40 Elle a également la particularité d'abriter de nombreux rescapés
06:44 de la Shoah, pour qui le traumatisme du 7 octobre
06:47 est décuple les reportages.
06:49 Plus d'un mois après les attaques du Hamas,
06:52 ce centre culturel du Troisième Age n'a toujours pas rouvert.
06:55 L'établissement sert désormais de centre logistique,
06:58 notamment à l'association La Tête.
07:00 La Tête, ça veut dire "donner" en hébreu.
07:03 C'est très important pour nous de participer
07:05 à cette mobilisation.
07:07 C'est vital pour les personnes qu'on aide.
07:09 -Et ils n'aident pas n'importe qui, les rescapés de la Shoah.
07:13 Comment ? En leur livrant des colis alimentaires et d'hygiène.
07:16 -On va avoir des pâtes, du café.
07:18 -De quoi tenir pendant 15 jours.
07:20 -Du dentifrice, des brosses à dents, des lingettes,
07:24 du shampoing, du déodorant.
07:27 En fait, l'idée, c'est qu'ils puissent vivre
07:30 pendant ce moment de guerre dans une espèce d'autonomie de produits,
07:34 de façon à ce qu'ils aient pas à sortir de chez eux
07:37 et qu'on puisse leur enlever de la tête la préoccupation
07:40 de comment ils vont se laver demain.
07:42 -Car à HKL1, sortir, c'est prendre des risques,
07:45 encore plus quand on ne peut pas courir, en cas d'alerte.
07:48 -On a chargé, on va livrer.
07:49 -Galia est bénévole.
07:51 Aider ses survivants, c'est pour elle beaucoup plus qu'un devoir.
07:55 -Ce n'est pas subir, voilà. C'est ne pas subir.
07:57 C'est de l'action.
07:59 C'est ne pas accepter ce qu'on est en train de subir.
08:02 C'est ma façon de protester.
08:03 C'est vrai, c'est comme ça que je le prends.
08:06 Musique rock
08:07 -On arrive dans l'un des quartiers les plus pauvres de la ville.
08:10 C'est dans cet immeuble délabré, sans abri antimissile,
08:14 que vit Alice, 89 ans.
08:17 Comme elle, 27 % de la population d'HKL1
08:20 ne peut se réfugier nulle part en cas d'attaque.
08:23 -Chaque guerre, chaque guerre avec le Hamas
08:27 me rappelle ce qu'il s'est passé il y a longtemps.
08:30 Nos ennemis nous laissent tranquilles un moment,
08:33 on pense qu'on est à l'abri, en sécurité,
08:36 et tout d'un coup, boum !
08:39 Comment être optimiste ?
08:41 -En quittant le quartier d'Alice,
08:43 on se rend compte à quel point la vie s'est arrêtée à HKL1.
08:47 Les magasins sont fermés, les rues sont quasi désertes.
08:50 Ici, nous retrouvons Zoya, 90 ans.
08:54 Elle n'a plus mis un pied dehors depuis le 7 octobre.
08:57 -Je vis près de la mer.
09:01 Ils sont arrivés par la mer.
09:03 J'essaie d'être forte, mais je n'y arrive pas.
09:06 J'ai peur de sortir dehors,
09:08 parce que je ne pourrai pas atteindre l'abri à temps.
09:11 J'ai une infirmière à domicile, et c'est elle qui sort mes poubelles.
09:15 -Tadala !
09:17 -Eux qui étaient enfants pendant la Seconde Guerre mondiale
09:21 le savent mieux que quiconque.
09:22 Il faudra du temps pour qu'HKL1 se relève
09:25 et vive à nouveau, normalement.
09:27 -Et puis, avant de se quitter,
09:29 on part en Jordanie, où vit une très importante communauté.
09:33 Ceux originaires de Gaza sont très inquiets.
09:35 Pour leurs proches, le bilan de la guerre à Gaza,
09:38 avancé par le Hamas, est très élevé.
09:40 13 000 morts, dont 5 500 enfants.
09:42 Les Gazaouis qui vivent en Jordanie
09:44 ont du mal à se projeter dans l'avenir.
09:47 Reportage de notre correspondant à Amman.
09:51 -Allez, Samy.
09:52 -Ce qui est assez sûr ici est très dangereux.
09:55 On ne raisonne pas.
09:56 Les enfants ne sont pas civils.
09:58 -Quelques secondes d'échange vidéo inaudible,
10:01 c'est tout ce que Mahmoud obtient après plus de 20 tentatives
10:04 d'appel à son cousin Samy, blessé et actuellement
10:07 dans l'hôpital de Nasser à Gaza, après avoir été évacué
10:11 de l'hôpital de Shifa, pris par l'armée israélienne.
10:14 C'est finalement un message texte et vocal
10:16 qui fait l'objet d'un message de l'armée israélienne.
10:20 Le journal obtient de nouvelles informations.
10:22 -Ça coupe, Samy, ça coupe.
10:24 Vous avez vu ? Ça a encore raccroché.
10:30 -Il n'y a pas de nourriture pour les enfants.
10:33 C'est très, très, très difficile.
10:36 -Tous les jours, je pense à ma famille.
10:40 Je n'arrive pas à dormir en pensant à ça.
10:42 Quand on appelle, ça ne fonctionne pas.
10:44 Les seules infos qu'on a, on les voit à la télévision.
10:48 En 15 temps, on n'apprend qu'un cousin,
10:50 qu'une tante, qu'un oncle est mort.
10:52 Tous les jours, c'est la même chose.
10:54 -Depuis le 7 octobre, Mahmoud a déjà perdu 13 membres de son entourage.
10:58 En plus de cette situation, l'homme doit faire face
11:00 à de nombreuses problématiques en Jordanie.
11:03 Pas le droit de voter, de travailler dans l'administration
11:06 ni de posséder un commerce.
11:08 Pour conduire sa propre voiture, il a ce permis bleu
11:11 différent de celui des Jordaniens, mentionnant son origine gazaouie
11:14 et lui interdisant de conduire tout autre véhicule.
11:18 -La Jordanie nous donnait la nationalité,
11:20 on serait dans de meilleures conditions,
11:22 mais ce qu'il faudrait, c'est qu'un jour,
11:24 on puisse rentrer chez nous en Palestine,
11:27 parce que quoi qu'il arrive,
11:29 on restera toujours des réfugiés ici, en Jordanie.
11:32 -Si les Gazaouis sont de véritables citoyens de seconde zone,
11:35 le royaume hachémite a octroyé la citoyenneté
11:38 aux Palestiniens d'autres villes que Gaza.
11:40 Hassan est l'un d'entre eux.
11:42 Ce professeur de lycée au camp de Bagra se bat depuis des années
11:46 pour faire reconnaître la citoyenneté aux Palestiniens
11:49 originaires de Gaza et nés en Jordanie, comme Mahmoud.
11:52 -On crée une différence entre nous,
11:54 mais nous sommes tous des Palestiniens
11:56 dans la même situation.
11:57 Nous avons été déplacés, nous sommes ici.
12:00 Ce qu'on demande aux autorités jordaniennes,
12:02 c'est que les Gazaouis et les Palestiniens d'autres villes,
12:05 tous nés en Jordanie, puissent jouir des mêmes droits
12:08 et obtenir la nationalité jordanienne.
12:11 -Comme Mahmoud, au total, 350 000 Palestiniens
12:13 sont nés à Bagra, en Jordanie.
12:15 Parmi eux, au moins 10 000 personnes
12:17 seraient originaires de l'enclave de Gaza.
12:20 -Voilà, c'est la fin d'Express Orient.
12:22 Restez avec nous.
12:23 L'info continue sur France 24.
12:25 ...
12:29 Je suis même un...