C'est l'un des chapitres les plus méconnus de l'après-guerre. Les savants d'Hitler ont été convoités par tous les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale. Comme les États-Unis, ou l'URSS, la France a elle aussi participé à ce pillage des ressources humaines et matérielles de l'Allemagne défaite. Son projet a été élaboré dès 1944, et approuvé secrètement par le Général de Gaulle en personne.
Tirées de l'oubli, les voix de trois acteurs majeurs de ce transfert de matière grise racontent comment toute cette opération s'est déroulée, pour le plus grand bénéfice de la France. L'apport de 4 à 5000 ingénieurs et de techniciens allemands a permis à la France de retrouver son rang de grande puissance mondiale beaucoup plus rapidement que prévu. Le passé nazi de certains d'entre eux n'a jamais été un obstacle à leur emploi dans des programmes civils et militaires, tout en les laissant dans l'ombre.
Ce documentaire revisite le récit du redressement « national » français tel qu'il a été conçu et diffusé depuis les années 1950. Pour la première fois, ce documentaire inédit donne à entendre le témoignage des protagonistes de cette page enfouie de notre passé.
Documentaire réalisé par : Bénédicte Delfaut / Année : 2023 / Durée : 60'
Coproduction : Babel Doc / Mischia Productions / LCP-Assemblée nationale, avec le soutien de l'ECPAD
Tirées de l'oubli, les voix de trois acteurs majeurs de ce transfert de matière grise racontent comment toute cette opération s'est déroulée, pour le plus grand bénéfice de la France. L'apport de 4 à 5000 ingénieurs et de techniciens allemands a permis à la France de retrouver son rang de grande puissance mondiale beaucoup plus rapidement que prévu. Le passé nazi de certains d'entre eux n'a jamais été un obstacle à leur emploi dans des programmes civils et militaires, tout en les laissant dans l'ombre.
Ce documentaire revisite le récit du redressement « national » français tel qu'il a été conçu et diffusé depuis les années 1950. Pour la première fois, ce documentaire inédit donne à entendre le témoignage des protagonistes de cette page enfouie de notre passé.
Documentaire réalisé par : Bénédicte Delfaut / Année : 2023 / Durée : 60'
Coproduction : Babel Doc / Mischia Productions / LCP-Assemblée nationale, avec le soutien de l'ECPAD
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00:00 "Vernon", Normandie. Sur cette photo d'école prise dans les années 50, une tenue dénote
00:19 par rapport à celle des autres. Un petit garçon blond porte une culotte courte, en
00:25 noir, la tenue traditionnelle bavaroise. Une colonie allemande a vécu ici, au milieu des
00:31 bois, juste après la seconde guerre mondiale. Que venait-il faire en France alors que le
00:37 pays se remet difficilement des quatre années d'occupation nazie ? Quel mystère entourait
00:42 ses familles ? Elles ne sont pas les seules dans l'Hexagone. Dans le plus grand secret,
00:49 des milliers d'Allemands ont été transférés sur le sol français.
00:52 Je pensais que cette organisation de prendre les gens pour les déplacer dans un autre
01:02 pays pour travailler, c'est en quelque sorte une prise de guerre.
01:05 À Vaucresson, on a logé les scientifiques, les enjeux techniciens qui devaient être
01:15 interrogés.
01:17 Avant d'arriver en France, ces hommes ont fait l'objet d'une traque impitoyable.
01:22 Leurs poursuivants sont des scientifiques versés dans l'armée. Parmi eux, Yves Rocard,
01:30 un célèbre physicien français.
01:32 Mon grand-père était un peu un des derniers touche-à-tout de la physique. On ne pouvait
01:39 pas le rouler dans la farine.
01:40 L'Allemagne a été passée au peigne fin pour retrouver des scientifiques qui ont servi
01:47 le Troisième Reich.
01:49 À quel degré ces brillants cerveaux étaient-ils impliqués dans le régime nazi ?
01:53 Ils ont pris tout le monde, même ceux qui étaient dans l'SS.
01:57 C'est une ombre de l'histoire terrible. Je pense qu'il y a une responsabilité morale
02:02 sûre.
02:03 Ces scientifiques vont eux-mêmes retracer leur parcours. De l'Allemagne hitlérienne
02:09 à la France de l'après-guerre.
02:11 Leurs voix se mêlent à celles des scientifiques français qui les ont recherchés pour une
02:16 plongée intimiste et inédite dans l'une des plus vastes opérations de pillage de
02:21 la science nazi du XXe siècle.
02:23 Plusieurs milliers de scientifiques allemands ont commencé leur carrière ici, à Pienemünde,
02:49 tout au nord de l'Allemagne.
02:51 Dans un gigantesque centre de recherche qui ne figure sur aucune carte.
02:55 Depuis 1942, l'Allemagne nazie conduit là son programme d'armes nouvelles.
03:01 Personne ne connaissait, à part les militaires et les gens au pouvoir, autrement c'était
03:12 archi secret.
03:13 Les parents d'Herbert Bülle avaient été recrutés par l'armée allemande, comme des
03:22 milliers d'autres ingénieurs.
03:23 Ma mère était dessinatrice, très bonne dessinatrice.
03:35 Mon père était ingénieur, spécialisé dans le guidage des fusées.
03:43 Herbert Bülle vit aujourd'hui en Allemagne.
03:48 Il a grandi en France.
03:49 C'est lui le petit garçon de la photo d'école prise en Normandie dans les années 50.
03:55 Son histoire familiale se mêle avec celle des débuts de la recherche aérospatiale.
04:02 Mon père et ma mère ont travaillé dans l'équipe de Von Braun.
04:07 Donc il faut dire que c'était un grand centre de recherche dans le domaine de la fusée,
04:15 des V1 et des V2.
04:18 Werner Von Braun dirige une équipe de chercheurs qui espère être les premiers à réussir
04:25 à envoyer un objet dans l'espace.
04:27 Leurs travaux ont attiré l'attention des hauts gradés de la SS.
04:32 Il y avait par exemple Himmler, un dirigeant au niveau militaire, qui avait visité Pénémunde
04:42 et qui avait vu l'intérêt des V1 et des V2, mais pour attaquer d'autres pays.
04:49 Nous eûmes l'impression, en arrivant, de nous trouver dans un monde peint par Jules
05:01 Verne.
05:02 L'ensemble était extrêmement impressionnant, la hauteur des fusées exigeant des ateliers
05:07 de montage adaptés en conséquence.
05:09 Pierre de Conde est un jeune employé français envoyé en Allemagne.
05:15 Il appartient à un bataillon de travailleurs forcés.
05:18 Nous appriment par nos camarades à quoi était destinée la production du Heimat Artillerie
05:25 Park 22.
05:26 Il s'agissait de mettre au point une fusée, la V2, qui, d'après les rumeurs qui circulaient,
05:32 devait effectuer une destruction totale dans un rayon de 20 km lors de son impact.
05:37 Il y a bien longtemps, ça fait 61 ans, que j'ai commencé l'histoire des fusées.
05:53 En 41, il y avait un essai, nous sommes allés à la plage pour voir de loin le départ de
06:04 la fusée.
06:05 C'était formidable, elle montait.
06:08 Et tout à coup, on a entendu un son, là, la fusée est revenue et est tombée dans l'eau.
06:22 Alors il y avait une série d'essais qui ne marchaient pas.
06:27 Et enfin, le 2 octobre 1942, c'est la première fois qu'il y avait un essai qui était réussi.
06:49 Après, il y avait un dîner au mess-hôtel des officiers, tout le monde était heureux.
06:57 Les Alliés apprennent l'existence de ces nouvelles menaces.
07:03 On parle pour la V1 de bombes-robots.
07:06 Ces armes meurtrières sont pointées sur Londres.
07:09 Francis Rocart, astrophysicien, a conservé sur des bandes enregistrées les souvenirs
07:20 de son grand-père Yves Rocart.
07:22 Il était le père de Michel Rocart, l'ancien premier ministre, et surtout un grand physicien
07:28 français.
07:29 En juin 1944, il est conseiller scientifique du général de Gaulle, qu'il a rejoint
07:35 à Londres.
07:36 À cette époque, j'avais la tête farcie des installations fort bizarres des Allemands
07:45 sur les côtes de Normandie.
07:46 La crainte diffuse d'une arme inconnue hantait nos esprits.
07:50 En septembre 1944, les premières fusées V2 s'abattent sur Londres.
08:05 J'ouvre la porte du couloir, plus de couloir.
08:16 Je m'approche d'une fenêtre sur la cour, plus de cour.
08:19 Elle était remplie de décombres du toit.
08:21 Le ciel nocturne, hérissé de faisceaux de projecteurs, rougeoyait avec des incendies
08:26 de tous côtés.
08:27 En franchissant la fenêtre pour descendre sur mon toit, j'eus pendant quelques instants
08:32 la vision dantesque de Londres en flammes sous l'effet d'armes secrètes d'Hitler.
08:39 Mon grand-père, évidemment, était au courant de l'existence des V1 et des V2.
08:48 Mon grand-père, par ses compétences techniques, a eu vent de plusieurs avancées technologiques
08:54 allemandes.
08:55 A Londres, on a besoin d'hommes capables de décrypter ces nouvelles armes.
09:03 C'est la première fois qu'un engin volant explose à 300 km de son point de décollage.
09:09 A Toulon, en France, vit l'un des derniers témoins de ces avancées spectaculaires.
09:19 Ursula Mendel a 101 ans.
09:24 Elle est née en Allemagne et son destin est étroitement lié au Troisième Reich.
09:28 Son père était l'un des généraux d'Hitler.
09:35 Je voulais absolument travailler parce qu'on était déjà en guerre et je ne voulais pas
09:41 faire un métier sans aider à notre victoire.
09:48 Ursula est alors une toute jeune femme qui a fait partie des jeunesses hitlériennes.
09:53 Elle a 20 ans quand la guerre éclate.
09:57 Je me suis complètement fait prendre par cet éternel réclame que tout le monde, les
10:05 journaux et tout, ont fait autour d'Hitler.
10:08 "Hitler, magnifique, il fait ceci, il fait cela, oh, quel magnifique homme !"
10:12 Et moi, je le crus.
10:13 Moi, j'étais une fanatique pour Hitler.
10:16 Si j'avais su tout ce qui se passait en notre nom et qu'il y avait toutes ces atrocités
10:25 autour de nous, j'aurais été probablement franchement contre.
10:30 Mais en ne sachant rien de tout ça, c'est devenu une normalité.
10:35 Les industries civiles sont converties pour fabriquer des armes.
10:43 Toute la population allemande est réquisitionnée.
10:46 Ursula passe la guerre à travailler dans les usines.
10:51 Elle devient l'assistante d'un ingénieur en charge de la conception de l'aile d'une
10:56 torpille larguée d'un avion.
10:58 C'était une aile qu'on aurait pu mettre sur n'importe quoi, mais elle était prédestinée
11:06 à être mise sur une torpille.
11:08 À l'époque, ça n'existait pas.
11:10 C'était probablement un dernier espoir de gagner cette guerre.
11:15 C'était assez redoutable.
11:19 Le principe, c'est que le pilote avait une bombe avec des ailes et la bombe est larguée.
11:25 Le pilote avait deux manches à balais.
11:27 Il pilotait son avion et il pilotait la bombe.
11:29 Et donc, il faisait en sorte que la bombe pointe vers le bateau et le bateau explosait.
11:34 Les alliés demandent à Yves Rocart de trouver une parade.
11:38 J'ai fait des petits brouilleurs que j'ai fait installer sur tous nos croiseurs.
11:45 Un a servi au moment du débarquement dans le midi.
11:48 Les bombes ont été s'écraser à 500 mètres derrière.
11:52 Autrement dit, j'ai eu des petits succès techniques.
11:55 Les armées de l'air anglaise et américaine reprennent peu à peu le contrôle de l'espace
12:03 aérien.
12:04 Maintenant, la guerre se rapproche de plus en plus de notre sol bien aimé.
12:23 Donald Washington a souffert de la première attaque aérienne.
12:26 La rue le long de la Bribar, avec les belles maisons à colombage, est détruite.
12:32 Il y a beaucoup de morts.
12:34 C'est horrible.
12:35 Tous les villages entre Donald Washington et le lac de Constance ont subi des raids
12:40 aériens.
12:41 Nous allons nous y habituer, comme toutes les autres régions avant nous.
12:47 Nous nous trouvons dans une situation très difficile.
12:55 J'espère que nous pourrons nous en sortir une fois de plus.
12:59 Jusqu'ici, nous réussissons, au prix d'infini souci et peu de sommeil.
13:02 Je recevais quand même assez de lettres de sa part pour voir qu'il était très pessimiste.
13:11 Mon père ne croyait plus du tout, mais il a fait son devoir de soldat jusqu'à la fin,
13:19 parce que c'était ça.
13:20 Ce n'était pas parce qu'il était nazi, c'était parce qu'il était soldat.
13:25 Les armes miracle n'ont pas permis de changer le cours de la guerre.
13:30 Le territoire des vaincus est réduit à un champ de ruines.
13:33 Mais pour les Alliés, c'est aussi une mine d'or de technologies d'avant-garde qui suscite
13:39 déjà la convoitise des vainqueurs.
13:41 Par un beau matin de 1945, j'étais assis dans la cabine d'un camion de l'aviation américaine,
14:03 en train de rebondir sur les routes semées de trous de bombe dans le centre de l'Allemagne.
14:07 J'étais en mission, mais c'était une curieuse mission.
14:11 J'avais dans la poche des ordres secrets m'assignant à l'exécution du projet Lusti,
14:16 une opération extra-rapide menée par l'aviation américaine pour débusquer et mettre la main
14:21 sur tous les savants nazis d'Allemagne.
14:23 L'opération Lusti n'était qu'une partie du plan général nommé Opération Paperclip.
14:32 Paperclip est le nom du plan secret américain.
14:37 Les Anglais et les Soviétiques ont prévu d'en faire autant.
14:40 Mais les savants d'Hitler ont reçu l'ordre de dissimuler leurs travaux.
14:49 Les forêts, les tunnels, les grottes leur ont servi de cachette.
14:55 Pour échapper aux Alliés, des milliers d'entre eux se sont fondus dans le flot des réfugiés.
15:01 Parmi eux, Werner Von Braun, le concepteur des fusées nazis, il s'est volatilisé avec
15:09 tous ses spécialistes.
15:10 C'était la décision du service militaire à Berlin qu'il fallait évacuer Penemünde,
15:29 aussi bien les scientifiques que tout le savoir, les papiers, les documents, et de se retirer
15:35 dans la forteresse babaroise.
15:38 Parce que ça, c'était l'idée de Hitler qu'on allait retrouver un refuge dans les Alpes.
15:43 C'était complètement idiot, mais c'était leur idée.
15:49 Il n'y a plus de sanctuaire.
15:52 Le réduit bavarois dont Hitler avait fait sa retraite tombe à son tour.
15:57 En mai 1945, toute l'Allemagne, prise en tenaille entre les armées américaines, anglaises,
16:06 françaises et soviétiques de l'autre, est occupée.
16:09 Les concepteurs des fusées se rendent.
16:14 Leur chef, Werner Von Braun, est soulagé le jour de son arrestation.
16:19 Il est sorti vivant du chaos.
16:21 Mon père, d'abord, se trouvait en sécurité avec toute l'équipe, avec Von Braun.
16:36 Pour eux, c'était vraiment primordial et crucial de tomber sous la main des Américains.
16:43 Parce que là, on était sûr qu'ils étaient bien traités et que, de toute façon, ils
16:49 étaient reconnus pour leurs sciences et pour leurs savoirs.
16:52 Dans les capitales européennes, alors que les populations se réjouissent de la chute
17:00 du Troisième Reich, l'inquiétude monte parmi leurs gouvernants.
17:04 À Paris, le gouvernement provisoire a appris que les Américains avaient retrouvé les
17:09 spécialistes des fusées.
17:11 Le temps presse pour profiter de cette manne exceptionnelle.
17:14 Il faut reconstruire le pays, ruiné par cinq années d'occupation.
17:18 Moi-même, je revenais de la guerre.
17:22 J'étais habillé en marin, ingénieur en chef de la marine.
17:25 J'avais eu des négociations avec le chef du deuxième bureau de la marine.
17:29 Il m'a appuyé sur l'idée qu'il fallait faire un effort considérable pour mettre
17:34 la main sur les techniques allemandes, les techniciens allemands, après la guerre.
17:38 Parce qu'il y avait tellement de choses pour lesquelles nous recevions des coups sans
17:41 comprendre.
17:42 J'avais le sentiment que nous avions beaucoup à apprendre.
17:45 Il y a un obstacle majeur.
17:48 La France, à genoux après cinq années d'occupation, a collaboré avec l'ennemi.
17:54 Elle est donc tenue à l'écart du butin des vainqueurs.
17:57 Le général de Gaulle, qui dirige le gouvernement provisoire, va s'interposer, au nom de l'intérêt
18:04 supérieur de la France.
18:06 De Gaulle pense que le pays ne peut pas se passer de la port allemand.
18:10 Secrètement, il donne l'ordre à son armée de faire main basse sur les savants d'Hitler.
18:20 Il y aura lieu de transférer en France les scientifiques ou techniciens allemands de
18:28 grande valeur, pour les faire interroger à loisir sur leurs travaux et éventuellement
18:33 les engager à rester à notre disposition.
18:35 Alors la marine a monté une petite section qui s'appelait la section T-Marine, comportant
18:46 peut-être une centaine d'hommes sous les ordres d'un lieutenant de vaisseau avec un armement
18:50 léger pour accompagner les armées françaises au fur et à mesure qu'elles envahissaient
18:54 l'Allemagne.
18:55 Et c'était moi qui inspirait leur mission et leur travail.
18:59 Il a été envoyé en Allemagne alors que la France n'y avait pas droit.
19:05 C'était juste les gagnants, c'est-à-dire les Américains et les Anglais, mais discrètement
19:09 les Français le faisaient également.
19:10 Des unités de recherche vont donc se mêler aux troupes du général Delattre de Tassigne.
19:17 Terre, mer, air, chaque corps d'armée possède sa propre section scientifique.
19:23 Par pragmatisme, le haut commandement français s'apprête à désobéir aux consignes des
19:29 alliés et la chance va lui sourire.
19:31 De nombreux laboratoires importants ont été évacués dans l'état du Württemberg.
19:46 On attendait impatiemment que cette zone soit occupée, quand de nouvelles complications
19:51 ont surgi.
19:52 Ce territoire scientifiquement désirable allait être pris par les troupes françaises.
19:57 Le général de Gaulle a joué là encore un rôle déterminant.
20:03 A force d'insister auprès de Winston Churchill, il arrache en juillet 1945 la promesse que
20:10 la France aura elle aussi le droit d'occuper une partie de l'Allemagne.
20:14 Le pays a finalement été divisé en quatre zones, attribuées à chacune des armées
20:19 qui l'ont envahie.
20:20 Le petit territoire attribué à la France est prometteur.
20:23 Il comprend le lac de Constance, au bord duquel des centaines d'ingénieurs allemands ont
20:28 trouvé refuge.
20:29 Tous ont poursuivi leur travail jusqu'au bout.
20:36 Parmi eux, il y a Ursula Mendel, toujours occupée à des calculs pour améliorer l'aile
20:44 de la torpille planante.
20:45 C'était des officiers qui venaient en tant que force occupante, ça ne nous gênait
20:53 pas du tout.
20:54 Ils étaient très corrects, ils nous regardaient faire, ils étaient très intéressés par
21:00 notre aile.
21:01 C'était un peu notre patron en quelque sorte.
21:05 Ma position personnelle était de parler très poliment aux Allemands que je voyais là
21:14 et de dire ce que vous avez fait est très intéressant, continuez s'il vous plaît.
21:18 On vous met simplement deux marrons en fraction devant la porte pour que vous puissiez continuer
21:22 de travailler tranquille.
21:23 Yves Rocart note toutes ses recherches dans des carnets.
21:31 À de nombreuses reprises, il se déplace en Allemagne pour interroger les scientifiques.
21:37 Leur nom, leurs fonctions, leurs travaux, tout est recensé ici de manière méticuleuse.
21:44 Yves Rocart reconstitue intégralement les organismes des instituts technologiques allemands.
21:49 Le spectre est assez large, on peut citer ces affaires de torpille électromagnétique
21:58 sur lesquelles il s'est intéressé, on peut citer les bombes volantes, mais aussi tout
22:03 ce qui était cellules de sulfure de plomb, cellules infrarouges et donc il y avait une
22:09 avancée dans ce domaine en Allemagne et ça a été récupéré à ce moment-là.
22:13 L'Allemagne se révèle être un eldorado pour tous les scientifiques dépêchés sur
22:22 place.
22:23 On découvre ici le nouveau carburant, à Propergol liquide défusé nazi.
22:29 Là, ce sont les éléments d'une installation révolutionnaire pour l'époque qu'on achemine
22:38 en France.
22:39 C'est une soufflerie, un équipement destiné à tester l'aérodynamie des avions et des
22:49 fusées.
22:50 Elle est remontée pièce par pièce à Maudan en Savoie.
22:54 Le site est toujours utilisé, c'est encore la plus grande soufflerie du monde.
23:04 Pour exploiter ces avancées technologiques, il faut pouvoir mettre la main sur leurs brillants
23:13 inventeurs.
23:14 Parmi les hommes les plus convoités, il y a les patrons du complexe militaro-industriel.
23:23 Ferdinand Porsche est activement recherché.
23:29 Chef de l'entreprise de moteurs Porsche, il a mis son empire au service d'Hitler.
23:36 Il a fabriqué ses avions, ses chars et du matériel de guerre en quantité industrielle.
23:41 Mais il demeure introuvable, comme Willi Messerschmitt, le grand fournisseur d'avions de la Luftwaffe,
23:53 déployé de l'ère allemande, est l'inventeur du premier avion à réaction du monde.
23:57 J'ai monté une sorte de commando.
24:11 J'ai capturé Messerschmitt qui était sur le point d'être évacué par une unité
24:19 SS vers la Suisse.
24:21 Et j'ai pu le ramener vers les lignes alliées.
24:25 J'avais déjà récupéré toutes les archives de Messerschmitt au fond d'un lac où ils
24:33 avaient été immergés dans le Tirol.
24:36 Et le dernier camion français partait lorsqu'est arrivé tout un bataillon américain avec
24:44 des forces puissantes qui sont arrivées un peu après la bataille.
24:48 Et ils m'en ont voulu.
24:53 Les Américains ont repris Messerschmitt, mais les Français ont eu le temps de l'interroger
24:59 et de copier ses travaux.
25:00 Les Alliés se livrent une concurrence féroce.
25:04 Des scientifiques disparaissent mystérieusement.
25:08 J'avais mis la main sur d'excellents ingénieurs et agents techniques d'un laboratoire de
25:19 torpilles.
25:20 Ces Allemands furent regroupés dans une grosse ferme des environs de Kreisborn.
25:25 Nos premiers ennuis vinrent de nos concurrents américains qui avaient mis le cap sur le
25:30 même groupe que nous.
25:31 Le conseiller de l'armée américaine, le solenne profond de Karmann me dit « Vous
25:37 les Français, vous êtes bien naïfs de croire que ces Allemands sont tous des génies ».
25:40 Il ne m'encourageait pas du tout à traiter avec les techniciens allemands, mais il déclencha
25:46 l'action des services secrets américains dans le but de faire évader les Allemands.
25:50 Ceux-ci quittaient la zone française, enlevé un autre barbe dans une voiture américaine.
25:55 Il y a eu de nombreuses équipes qui ont fait ça, les américains l'ont fait énormément,
26:09 les anglais aussi.
26:10 C'était un peu chacun, c'était un peu des potes banals et compagnie.
26:14 On ne se faisait pas de cadeaux.
26:16 Pour les convaincre de rester au service de la France, les scientifiques allemands sont
26:22 choyés. Un petit groupe de spécialistes de fusée est installé dans cette auberge,
26:29 à Hemdingen.
26:30 Pendant qu'ils dessinent les plans des V2, les autorités françaises prennent en charge
26:35 tous les aspects matériels.
26:37 Nous étions une trentaine d'ingénieurs.
26:49 Nous avons négocié avec le ministère des armées.
27:00 L'affaire a bien évolué.
27:05 Nous avons obtenu des documents français qui protégeaient nos familles.
27:13 Nous avions un supplément de nourriture, ce qui, à l'époque, était important vu
27:21 la misère qui régnait en Allemagne.
27:27 Wilhelm Dollopf vérifiait les calculs des moteurs de fusée V2.
27:33 Il était soulagé d'avoir retrouvé du travail.
27:36 Ce qu'on sait très rarement, c'est qu'en Allemagne, les restrictions ont commencé
27:45 le premier jour de la guerre, en 1939.
27:48 Si bien qu'à la fin de la guerre, nous avions vraiment faim.
27:51 On était vraiment tous alimentés.
27:54 Des dizaines de laboratoires allemands travaillent ainsi pendant plus d'un an, pour le compte
28:03 de l'armée et de la recherche française.
28:05 Nous sommes en mars 1946, en plein travail sur notre empennage pour torpilles planantes,
28:19 quand surgit l'ingénieur du génie maritime.
28:21 Il déclare que notre travail doit cesser en Allemagne.
28:25 La consternation est grande.
28:26 Les recherches à but militaire sont interdites sur le sol allemand, pour éviter que l'Allemagne
28:37 ne se réarme et ne redevienne une puissance hostile.
28:40 Au bout de quelques mois, il y eut les instructions de déménager en France les institutions
28:56 que nous avions fondées.
28:57 Si on veut continuer à exploiter ce potentiel, ces ingénieurs, ces gens qu'ils connaissent,
29:05 il faut les faire venir en France.
29:07 Donc il n'y a pas trop d'alternatives.
29:11 Évidemment, pour nous, c'était très étonnant.
29:15 Parce qu'on pensait qu'après la guerre, des déplacements forcés comme ça, ce n'était
29:23 plus possible.
29:24 Et c'est là où on fait des propositions alléchantes, un peu carottes et le bâton.
29:29 Je me souviens que mon grand-père me disait qu'il arrivait avec des propositions de faire
29:34 venir la famille, de salaire, etc.
29:36 Mais aussi, s'ils refusaient, en gros, ils les emmenaient de force.
29:41 Pour les savants d'Hitler, c'est l'exode.
29:48 Les États-Unis ont déjà transféré sur leur territoire 118 spécialistes des fusées,
29:56 avec leur ingénieur en chef, Werner Von Braun, qui deviendra l'architecte du programme
30:01 spatial américain.
30:02 Les Soviétiques vont organiser le déménagement forcé de milliers de chercheurs en URSS.
30:11 Des voix s'élèvent pour protester contre l'arrivée d'anciens nazis.
30:16 Mais qui étaient-ils vraiment, ces collaborateurs ailés du Troisième Reich ?
30:23 J'ai encore les laissé passer pour entrer en France, pour aller à Paris.
30:46 Et à Paris, on était reçus à la gare de l'Est, du deuxième bureau.
30:51 Ils étaient là avec des voitures, je crois, et on nous a amenés à Vaucresson, dans le
30:58 château de Vaucresson.
31:00 C'est là qu'un, je crois, monsieur Lévy, dont je n'ai plus jamais entendu parler
31:23 par la suite, nous a interrogés.
31:25 Il nous a posé des questions sur nos activités pendant la guerre, sur ce que nous savions.
31:32 Mon père a été questionné.
31:37 On lui a remis un questionnaire à remplir, et là, il a écrit dedans qu'il avait été
31:46 SA.
31:48 Donc la France et aussi les Américains, ils savaient qu'il était SA.
31:55 Ils sont quand même intéressés.
31:57 La SA est la première milice privée, qui dans les années 30 a œuvré pour ouvrir
32:06 la voie du pouvoir aux fascistes en Allemagne.
32:10 Si on voulait faire quelque chose, il fallait être dans la SA.
32:18 Ça prouvait qu'on était engagé pour le régime.
32:27 À mon avis, il faut différencier entre un engagement fort et un engagement un peu banal.
32:34 Il est rentré dans la SA, pas la SS, la SA, et il en est ressorti quelques années plus
32:47 tard.
32:48 Pour moi, je pense que mon père n'était pas tellement engagé là-dedans.
32:56 Il devait sur Hitler jurer fidélité et tout ça au Führer.
33:10 Et après, c'était pratiquement pas possible de s'en aller sans difficulté.
33:16 Karl Bencke travaillait lui aussi sur les V2.
33:29 Il a subi le même interrogatoire de la part des services secrets français.
33:33 Mon père, à Peenemünde, il était scientifique.
33:40 Mais je ne pense pas qu'il ait vraiment adhéré aux idées d'Hitler.
33:45 On ne peut pas dire qu'on en ait discuté vraiment ensemble, mais c'est le sentiment
33:52 que j'ai.
33:53 Et c'était quelqu'un de bon, je pense qu'il faisait son travail.
33:58 Karl Bencke a adhéré à la SA à partir de 1934 et plus tard au parti nazi.
34:10 Christelle, sa fille, n'était pas au courant.
34:13 La tentation de tirer un trait sur la guerre, de cacher son engagement politique, a été
34:23 très répandue dans l'Allemagne de l'après-guerre.
34:25 C'est ce que découvre Ursula Mendel le jour où, à son tour, on vient l'interroger.
34:30 La sécurité navale est venue chez moi juste avant mon départ.
34:35 C'était un officier de la sécurité qui était comme tâche de voir si les Allemands
34:43 étaient dangereux ou pas.
34:45 Alors il m'a demandé "vous n'étiez pas nazi ?"
34:50 J'ai dit "Monsieur, c'est assez difficile quelqu'un de trouver un Allemagne qui n'était
34:57 pas nazi.
34:58 En quelque sorte, oui, j'étais nazi."
35:00 Et puis finalement, il était un peu pris à court, il s'est levé, il s'est un peu
35:07 incliné devant moi et m'a dit "Mademoiselle, vous êtes le premier nazi que je rencontre
35:12 en Allemagne.
35:13 De mon côté, vous n'avez rien à craindre."
35:18 Ça m'a mise en une couleur noire contre les Allemands.
35:24 Je me dis "mais comment ils se comportent qu'un officier me dise ça, qu'il me dise
35:30 "Mademoiselle, vous êtes le premier nazi que je rencontre en Allemagne."
35:35 C'est inadmissible pour moi.
35:38 Parce que ça pouvait montrer qu'on s'est mis derrière un parablu, qu'on n'était
35:44 pour rien.
35:45 Alors qu'on était ce qu'on était, on ne pouvait très bien avouer ce qu'on était.
35:50 Aucun profil n'arrête les recruteurs, même les plus compromis.
35:58 Otto Ambross, chimiste, ami personnel d'Himmler, a donné son feu vert à l'usage du Zyklon
36:06 B à Auschwitz.
36:08 C'est le gaz utilisé pour l'extermination des Juifs d'Europe.
36:14 Otto Ambross est sur la liste des criminels de guerre.
36:17 Pourtant, à la libération, il est embauché par une entreprise française de colorants
36:24 chimiques.
36:25 La France finit par le livrer aux Américains.
36:30 Ce tribunal, dressé pour juger les crimes commis à Auschwitz, le condamne à huit
36:35 ans de prison en 1947.
36:37 Combien d'autres ont échappé à tout jugement ?
36:42 Pendant la Seconde Guerre mondiale, au centre de l'Allemagne, près de Nordhausen, une
36:58 gigantesque usine souterraine a été creusée sur ordre des nazis en 1943.
37:03 Il fallait poursuivre la fabrication des V2 dans un lieu sûr, à l'abri des bombardements
37:09 alliés.
37:10 Quand les troupes américaines découvrent le site, en avril 1945, elles découvrent
37:17 l'enfer.
37:18 La construction du camp de Dora a été une hécatombe.
37:21 Les soldats américains évacuent les corps suppliciés des déportés forcés à travailler
37:28 jusqu'au dernier jour dans les entrailles militaires du régime.
37:31 Nous sommes restés 72 heures debout, sans nourriture et sans sommeil.
37:48 Des grappes humaines de cornus s'agglutinaient les unes aux autres afin de rechercher un
37:53 semblant de chaleur.
37:54 Comment résister à une température de moins 25 degrés ? Vision dantesque, ahurissante,
38:03 ils mourraient bien davantage d'hommes qu'ils ne sortaient de fusée.
38:06 Ces dessins ont été réalisés sur place par un prisonnier français.
38:15 Il témoigne de la brutalité des capots.
38:18 Les ingénieurs étaient présents, comme le prouvent ces clichés pris par un photographe
38:28 officiel du régime.
38:29 Comment se sont-ils comportés envers cette main d'œuvre réduite en esclavage ?
38:34 Au début du mois de mars 1944, on nous a annoncé la visite d'un groupe d'ingénieurs.
38:47 L'un d'eux m'a aperçu et a foncé vers moi, m'a giflé, invectivé, m'a accusé
38:54 de sabotage parce que j'avais posé le pied sur un petit moteur de guidage de l'aileron
38:58 de la fusée.
38:59 Après son départ, mon chef d'équipe m'a dit qu'il s'agissait de Werner von Braun.
39:05 Il paraît qu'il y avait du sabotage aussi dans ces galeries souterraines, que les Allemands
39:10 bien sûr essayaient de détecter à temps, mais certainement que ça eut lieu.
39:16 Et celui qui était pris évidemment, très très malheureux, c'était la peine de mort.
39:21 Tout ça c'est sûr que c'est une ombre de l'histoire terrible.
39:26 Des dizaines d'autres sites souterrains ont été construits pour la fabrication des
39:32 armes du régime nazi, laissant dans leurs sillages des milliers de morts.
39:36 Il est fragile.
39:42 Contrat de prestation de service entre le ministère de l'Armement et mademoiselle
39:55 Mendel Ursula.
39:57 Ursula Mendel décroche à son tour en 1947 un contrat d'assistante technique dans un
40:04 laboratoire de la marine française.
40:06 C'était tellement incroyable que ça s'est passé comme ça, que personne n'a vu ce
40:15 filtre qu'ils auraient pu mettre en dire "la file générale qui s'est passée en Normandie
40:22 contre nous, qu'est-ce que vous voulez qu'on en fasse ?" Non, non, ça passait.
40:26 Leur degré d'adhésion au régime nazi a été très variable.
40:32 Seule certitude, la France a accueilli plusieurs milliers d'anciens collaborateurs du Troisième
40:38 Reich.
40:39 On estime leur nombre à 5 000 environ.
40:41 Vernon s'offre à la flânerie.
40:57 Des roches, quelques grottes ? Allons voir.
41:00 Un carrefour, une plaque, LRBA.
41:04 Il faut montrer pas de blanche pour entrer au laboratoire de recherche balistique et aérodynamique
41:10 de Vernon.
41:13 C'était caché sur le plateau, complètement à l'extérieur de Vernon et pratiquement
41:20 les hôtes français de Vernon n'avaient ni accès ni grosses connaissances de ces
41:25 lieux.
41:26 En mai 1946, un premier groupe s'installe.
41:33 70 ingénieurs qui ont mis au point les V2 sont chargés de doter la France d'une fusée.
41:39 Peu à peu, on construit pour eux une soufflerie, des stands d'essai pour les moteurs.
41:47 Une cité de l'espace voit le jour.
41:51 Au mois de septembre 1947, je suis arrivé à Vernon.
42:03 Moi j'étais dans la section van, soupape.
42:09 J'avais une chambre au barraquement E à l'entrée qui est détruite maintenant.
42:15 On était bien traités, on était contents de travailler en France.
42:20 Sur ces images rares, tournées par l'un de ces scientifiques, on aperçoit les maisons
42:30 mises à leur disposition.
42:32 Les femmes et les enfants rejoignent les pères de famille dans les mois qui suivent.
42:37 Le déménagement est pris en charge, les salaires sont bons.
42:42 La France leur a déroulé le tapis rouge.
42:45 Pour vivre, pour jouer, on était très bien au l'herbère.
42:58 D'ailleurs on disait toujours « lieu de repos bien aménagé ».
43:02 C'est vrai que pour les enfants c'était le paradis de jouer.
43:08 Moi je faisais des gros bouquins de muguets, je cherchais des murs avec ma mère, des fraises
43:14 des bois, parce qu'ils mettaient ça dans du vin blanc et c'était de la bolle, c'était
43:20 une boisson qu'on buvait en Allemagne, c'est un genre de sangria.
43:23 Les premières années, la colonie allemande reproduit son mode de vie à l'identique.
43:30 Les fêtes traditionnelles comme le carnaval des enfants ponctuent l'année.
43:35 A première vue, l'arrivée des spécialistes en Normandie ne pose aucune difficulté.
43:40 Je crois que la peur d'aller à l'étranger a été tout de suite oubliée, voyant comment
43:53 on les traitait en France.
43:57 Ils étaient traités aussi bien au point de vue paiement, comme un Français.
44:06 Ils étaient très bien payés.
44:07 Un second groupe rejoint le premier pour construire des moteurs de chars.
44:15 La colonie allemande compte désormais 130 scientifiques.
44:19 De nouvelles maisons sont mises en chantier, alors que la ville de Vernon, bombardée par
44:24 l'aviation allemande en 1940, n'est toujours pas reconstruite.
44:28 La ville, elle a été quand même beaucoup détruite, dévastée.
44:33 Les vernonnais, de voir ces camions qui montaient avec des agglos, du ciment, du sable, tout
44:40 ce qu'il fallait pour construire, ils ne le prenaient pas très bien, ce qui est tout
44:45 à fait logique.
44:46 Et franchement, après toute cette violence qui a été connue de par la faute des Allemands,
44:53 moi je comprends.
44:55 Cette installation aux portes d'une cité meurtrie déclenche l'hostilité des habitants.
45:04 Les enfants allemands scolarisés avec les Français le ressentent.
45:13 On était reconnus de loin avec cette culotte en cuir.
45:19 Il y avait une haine.
45:22 Les Français traitaient les Allemands de boche.
45:25 Les écoliers, les camarades scolaires reprenaient ça.
45:30 On s'est quand même interrogés sur toute l'histoire finalement des Allemands à Vernon.
45:38 De toute façon, on était très jeunes, mais on se disait, pourquoi on est mal vu, pourquoi
45:43 on a des problèmes, pourquoi il y a des tensions ?
45:45 Notre frère aîné, lui, il avait, je dirais, à peu près 18 ans.
45:51 Et lui, il est allé travailler comme apprenti chez un électricien en ville.
45:59 Et donc, il allait faire des installations chez des particuliers.
46:03 Karl Bencke a placé son fils en apprentissage chez un électricien français.
46:11 Et là, lui, il a subi quelques agressions.
46:16 C'était plus difficile.
46:17 Battu sauvagement, le jeune homme en gardera des séquelles.
46:21 Sa famille n'a jamais porté plainte.
46:24 Ça a été assumé.
46:27 On a fait du mieux qu'on a pu, mais voilà.
46:31 Oui, oui.
46:34 Mais il faut avouer que c'est une période qui n'était pas facile.
46:39 L'arrivée des Allemands suscite partout la peur et l'incompréhension.
46:49 A Deciz, dans la Nièvre, 170 ingénieurs débarquent en juillet 1946.
46:57 Avec leurs 272 wagons remplis d'outillages, ils ne pouvaient pas passer inaperçus.
47:04 Aujourd'hui, nos rues sont à nouveau pleines de silhouettes que nous reconnaissons pour
47:16 les avoir trop connues.
47:17 L'uniforme n'y est plus, mais nous reconnaissons l'allure et le regard.
47:23 Les habitants de Deciz se rappellent surtout les derniers teutons, ivres de fureur et armés
47:31 jusqu'aux dents, partis en expédition contre les maquis du Morvan.
47:35 Personne n'oublie.
47:37 Les craintes de la population n'ont pas pesé lourd face à la raison d'Etat.
47:45 L'ingénieur en chef du groupe, Herman Eustrich, a mis au point l'un des tout premiers moteurs
47:51 à réaction.
47:52 Ses bombardiers ME-262 représentaient une avancée technologique majeure.
47:57 Pour venir travailler en France, le ministère de l'Armement lui a fait un pont d'or.
48:02 Eustrich a dicté ses conditions pour mettre au point le premier moteur à réaction français.
48:07 5% du prix lui revient sur chaque exemplaire fabriqué.
48:12 Le gouvernement français a entouré d'une discrétion maximale l'installation de dizaines
48:19 de laboratoires civils et militaires.
48:21 Les moteurs à réaction à Decize, les sous-marins à Cherbourg, les avions de chasse à Melun.
48:28 Dans tous ces centres, des Allemands travaillent pour la France.
48:32 Car la priorité est donnée au retour du pays parmi les puissances mondiales.
48:35 À mon arrivée ici en février, les arbres et les buissons de Mimosa ployaient sous
48:56 leur charge luxuriante.
48:58 À Fréjus, je fais la connaissance de mes nouveaux camarades.
49:01 Ce sont des ingénieurs, amenés ici d'office mais ils disent qu'ils s'y plaisent bien.
49:06 Le personnel allemand se compose d'une trentaine d'ingénieurs et d'une dizaine de techniciens.
49:11 Je suis appelée chez le professeur Bittel, physicien.
49:14 Il m'apprendra en acoustique sous-marine tout ce qui me sera utile plus tard.
49:19 Pendant 4 ans, nous travaillerons ensemble.
49:22 Au début nous étions des ingénieurs et techniciens allemands avec je crois on avait
49:28 deux techniciens français, tout ce qui était scientifique ou savoir c'était dirigé par
49:36 les allemands.
49:37 Ursula Mendel fait partie des effectifs embauchés par la marine.
49:42 Elle travaille dans l'un des trois centres expérimentaux de la côte d'Azur, ouverts
49:46 grâce au recrutement d'Ivrocar.
49:48 J'avais embauché tous ces ingénieurs et techniciens qui étaient très bons et qui
49:57 on a transféré en France au laboratoire du BRUSC.
50:00 Ils avaient la solution pour ces torpilles qui se retournent sous les bateaux et explosent.
50:05 Entre français et allemand ça marchait très très bien.
50:09 Et plus le travail que je faisais était finalement important, plus j'étais contente que je
50:17 pouvais montrer que c'était possible.
50:19 Parce qu'il est presque incroyable que j'étais une des rares personnes qui était au courant
50:27 qu'il va y avoir des sauts marin nucléaires.
50:30 Mais c'était classifié.
50:33 La marine française avait sacrée confiance en moi.
50:37 Ursula Mendel passe son diplôme d'ingénieur et sert fidèlement les intérêts de la France.
50:47 Les autorités militaires lui imposent un silence complet sur la nature de son travail.
50:52 Dans son contrat, il est écrit qu'en cas d'espionnage, c'est la peine de mort.
50:57 J'ai trouvé ça un peu dur, que ce soit déjà dans un contrat.
51:03 Mais je me suis dit, bon, s'ils veulent qu'on le sache, c'est leur truc.
51:08 D'ailleurs, ça ne risque pas beaucoup qu'il fallait moins le dire parce que je suis née
51:14 dans une famille militaire où on savait de quoi on peut parler, de quoi on ne peut pas
51:20 parler.
51:21 Je le savais déjà tout petit.
51:23 Ursula Mendel a été une pionnière.
51:29 Elle a créé le premier service de mesure des bruits sous-marins.
51:33 Une discipline nouvelle qui a permis d'augmenter la sécurité à bord des submersibles.
51:38 Les sous-mariniers, c'était les premiers qui ont compris que j'avais raison et qui
51:45 m'ont adoptée à partir de ce moment-là.
51:47 Maintenant, il y a des oreilles d'or.
51:50 C'est vraiment devenu quelque chose qui a été compris.
51:56 La greffe a pris.
51:59 Les premiers instituts de recherche franco-allemands voient le jour.
52:03 Leurs travaux vont permettre à la France de rattraper son retard.
52:06 Finalement, vaille que vaille, avec le temps, les Français et les Allemands vont se réconcilier.
52:14 C'est effectivement ce qui s'est passé.
52:15 À la fin des années 50, le fruit de ces collaborations se concrétise.
52:24 Le 22e salon de l'aéronautique qui vous est présenté révèle au monde étonné
52:38 le prodigieux essor de notre aéronautique nationale.
52:40 Depuis la guerre, nos constructeurs, nos centres d'essai, nos services techniques ont fait
52:46 d'une industrie mise en sommeil pendant les hostilités une des plus florissantes et sûrement
52:51 la plus vivante qui soit.
52:52 Le salon du Bourget 1957 est une vitrine mondiale pour les réalisations technologiques françaises.
53:00 Le pays vient de se doter de ses premiers avions à réaction.
53:04 "Mistir 4A, Marcel Dassault, France.
53:12 Intercepteurs et avions d'appui transsonique qui équipent les forces aériennes de l'OTAN."
53:17 Personne ne précise que le concepteur du premier moteur à réaction est allemand.
53:23 Hermann Oestrich l'a mis au point à deux cises.
53:34 Les prouesses technologiques éblouissent les visiteurs mais leur ADN reste inconnu.
53:39 Le Djinn est un hélicoptère léger qui bat des records d'altitude.
53:44 Le nom des deux ingénieurs allemands qui l'ont conçu n'est jamais prononcé.
53:50 Le clou du salon de l'espace, c'est cet appareil futuriste.
53:56 "Attaque volante C400 P2, France.
54:00 Appareil expérimental pour l'étude du décollage et de l'atterrissage à la verticale construit
54:06 par la SNECMA.
54:07 On songe à équiper le réacteur d'une aile annulaire dont la partie intérieure sera
54:11 pourvue d'un statoréacteur."
54:14 Le comte Helmut von Zborowski en est l'inventeur.
54:19 Il faisait partie des unités d'élite de la SS.
54:23 Mais c'est aussi un génie, enlevé à la fin de la guerre aux Américains.
54:28 Arrivé en France, il a mis au point le premier avion à décollage vertical au monde.
54:32 S'il ne s'était pas craché lors d'un essai, ce curieux engin aurait propulsé
54:39 la France dans un univers de science-fiction.
54:41 "Pourquoi il y a eu une omerta sur la présence de scientifiques allemands sur le territoire
54:52 français ? Je dirais que ça a été la même chose aux Etats-Unis avec Van Brandt.
54:57 Il est arrivé aux Etats-Unis, c'était sous le plus grand secret pendant 4-5 ans,
55:02 personne n'était au courant de rien, surtout pas la presse.
55:04 Et après l'affaire a un peu explosé avec le fait que Van Brandt a été du parti nazi."
55:10 Les recherches conduites en Normandie par les anciens collaborateurs de Werner Von Braun
55:16 sont restées entourées jusqu'au bout d'un épais mystère.
55:18 Eux-mêmes conservent une discrétion totale sur les raisons de leur présence.
55:23 "On savait qu'ils travaillaient sur des moteurs de fusée, sur des fusées, mais à
55:32 l'excellence, les pères ne parlaient de rien.
55:35 Souvent, les épouses ne savaient pas ce que faisait leur mari, tellement c'était
55:42 secret.
55:43 Et ils ont été formés comme ça.
55:45 Et tous les papiers qui circulaient par exemple dans l'usine etc. ont été tamponnés,
55:52 secrets, numérotés etc."
55:54 "Il y avait aussi un petit côté cocorico qui était de ne pas trop révéler que c'était
56:02 grâce aux Allemands et aux cerveaux allemands qu'on avait fabriqué les premières fusées
56:06 Véronique, fusées sondes qui volaient à Maguire et autres.
56:12 Donc la fierté nationale était plutôt de montrer que c'était grâce aux ingénieurs
56:17 français."
56:18 "Ceci, c'est Véronique, la fusée."
56:24 Les ingénieurs allemands de Vernon se voient confier le secteur propulsion des fusées.
56:30 "Le général de Gaulle a demandé à ce qu'on développe par exemple une fusée anti-avion,
56:47 la Parka qui a été développée au LRBA, pour descendre les bombardiers russes qui
56:55 sont chargés de bombes atomiques.
56:57 Ça, bien sûr, en tant qu'enfant, on sait que c'est quelque chose de tout à fait
57:03 nouveau et quelque chose qui va faire changer le monde."
57:07 Mais ces premiers missiles Sol-R ou Mer-R, impulsés par des équipes allemandes, rencontrent
57:13 des problèmes de guidage.
57:14 Le développement de plusieurs fusées est abandonné.
57:18 Les ingénieurs allemands de Normandie se concentrent dans les années 60 sur la conception
57:24 de moteurs de lancement, toujours plus puissants.
57:27 "Ces réalisations très spectaculaires vont de Véronique, dont il a déjà été tiré
57:31 plus de 70 exemplaires, au premier étage émeraude du lance-satellite Diamant et à
57:39 Cora, deuxième étage du lanceur européen Eldos Eclès."
57:44 Les recrues allemandes mettent au point un moteur fusée qui équipera les premiers étages
57:49 de tous les lances-satellites jusqu'en 2003, jusqu'au dernier vol de la fusée Ariane 4.
57:54 "Et ça a été comme ça que la France a pu fabriquer des fusées et devenir un peu
58:07 leader européen d'Ariane."
58:10 Mission accomplie.
58:13 On estime que le travail des scientifiques allemands a fait gagner à la France 15 précieuses
58:18 années de recherche et d'études.
58:20 Ils sont pour la plupart repartis.
58:23 L'Allemagne, à partir des années 60, a été en mesure de leur proposer des postes
58:27 équivalents.
58:28 Seules quelques familles sont restées en France, sans attirer l'attention.
58:33 "Moi, ça ne m'a jamais troublé qu'on soit resté un peu dans l'ombre.
58:41 Beaucoup dans l'ombre.
58:46 Et mon père non plus.
58:51 D'aucune façon, ça ne l'a troublé."
58:56 Entouré par le secret défense, l'existence de ces colonies allemandes sur le sol français
59:03 n'a jamais été portée à la connaissance du grand public.
59:05 "La France est un pays, une nation, un monde." - Charles Chaplin.
59:12 "La France est un pays, une nation, un monde." - Charles Chaplin.
59:19 "La France est un pays, une nation, un monde." - Charles Chaplin.
59:26 "La France est un pays, une nation, un monde." - Charles Chaplin.
59:33 "La France est un pays, une nation, un monde." - Charles Chaplin.
59:40 ...