La politique et moi - Joël Giraud

  • l’année dernière
Joël Giraud, député Renaissance des Hautes-Alpes.

Ancien rapporteur général du budget, Joël Giraud a rejoint Emmanuel Macron en 2017, mais il n'est pas vraiment issu de la start up nation. Élu de montagne, il manie l'humour et l'autodérision comme peu d'hommes politiques osent le faire.

Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !
Transcript
00:00 Il a rejoint Emmanuel Macron en 2017,
00:02 mais mon invité n'est pas franchement
00:04 issu de la Startup Nation.
00:06 Élu de montagne, il manie l'humour et l'autodérision
00:09 comme peu d'hommes politiques osent le faire.
00:12 Musique intrigante
00:14 ...
00:27 Bonjour, Joël Giraud. -Bonjour.
00:29 -Vous siégez à l'Assemblée depuis 2002,
00:32 d'abord comme apparenté au groupe socialiste,
00:34 puis au sein du groupe des radicaux de gauche,
00:37 au sein du groupe Renaissance,
00:39 et vous vous définissez vous-même comme un T-Rex du Palais-Bourbon,
00:43 qui a développé une technique bien à lui
00:45 pour évacuer la pression dans les moments un peu tendus.
00:48 On va revoir un extrait d'un reportage
00:51 de ma collègue Hélène Bonduelle,
00:53 qui vous a suivi fin 2019 dans le marathon budgétaire
00:56 alors que vous étiez rapporteur général du budget.
00:59 ...
01:01 -Quand on jongle avec des dizaines de milliards d'euros,
01:04 il faut se ménager des pauses.
01:06 Le remède au stress pour Joël Giraud, c'est le hard rock.
01:10 ...
01:12 -Ah ben là, on me dirait que ce soir, j'ai un billet
01:15 pour aller voir, je crois, à CDC.
01:19 Ils sont toujours bons.
01:22 ...
01:28 -Est-ce que vous avez fait ça juste pour les caméras de LCP
01:31 ou est-ce que vous rédigez vos amendements
01:33 en écoutant du Rammstein ? -J'écoute du Rammstein.
01:36 J'écoute partout, tout le temps, du Rammstein,
01:39 parce que j'adore ça, et d'ailleurs, on m'a encore offert,
01:42 à mon dernier anniversaire, ça date de peu de temps,
01:45 du 14 octobre, pour être précis,
01:47 un concert de Rammstein à Lyon, au printemps prochain.
01:51 Donc vous voyez, je suis fidèle à la musique métal
01:54 et au métal allemand en particulier,
01:57 je le trouve particulièrement bon. -Qu'est-ce que vous y trouvez,
02:00 dans cette musique métal, dans Rammstein ?
02:02 -Bah, écoutez, moi, ça me... -Vous voyez un concert.
02:05 -Voilà, je suis à un concert de Rammstein, à Lyon,
02:08 je reconnais le style de Lyon.
02:10 Ca m'apporte, comment vous dire,
02:13 c'est l'inverse de ce que je suis dans la vie courante,
02:16 je suis un mec non-violent typique,
02:18 et en même temps, je trouve que c'est une mélodie
02:22 avec une musique qui est assez forte et engageante,
02:25 et d'ailleurs... -C'est une sorte d'exutoire.
02:28 -Plus qu'un exutoire,
02:29 ça m'apporte un bien-être.
02:31 C'est... Voilà.
02:33 Mais d'ailleurs, quand on n'est pas trop coincé
02:36 sur des musiques de ce type-là,
02:38 sachez que Rammstein,
02:39 non pas dans la version du clip que vous avez vue,
02:42 parce que je pense que la dame assez dénudée
02:45 avec un serpent, ça passerait pas,
02:47 mais sans ça, c'est de la musique
02:49 qui passe dans tous les temples protestants allemands
02:51 et qui est reprise par les chorales protestantes.
02:54 Finalement, vous voyez que c'est fidèle...
02:56 -C'est fidèle à vos racines. -C'est fidèle à mes racines,
03:00 mais c'est aussi fidèle au fait qu'il faut pas avoir
03:03 d'a priori sur les choses, les gens et la musique.
03:05 -Ce qui vous différencie de la plupart des députés,
03:08 c'est votre goût prononcé pour l'humour.
03:11 On va revoir une courte vidéo que vous aviez postée sur Twitter.
03:14 Vous étiez à l'époque rapporteur général du budget.
03:17 Musique de "Men in Black".
03:19 -La musique qu'on entend, c'est la musique du film "Men in Black".
03:23 -C'est la musique du film "Men in Black".
03:25 On voit avec votre équipe débarquer à Bercy, au ministère des Finances.
03:29 Ca fait descentes de police. -Ca faisait descentes de police,
03:32 mais c'en était une, car les prérogatives
03:35 du rapporteur général du budget font qu'on peut avoir
03:38 un contrôle sur pièce et sur place.
03:40 -Vous cherchiez des informations fiscales ?
03:42 -J'avais besoin d'informations,
03:44 la direction de la législation fiscale ne me les donnait pas.
03:48 J'avais prévenu que si je ne les avais pas rapidement,
03:51 j'aurais prévenu les cabinets la veille au soir.
03:54 Au petit matin, ça a été une certaine surprise à Bercy
03:57 quand je lui ai fait savoir que si on ne me recevait pas,
04:00 c'était du pénal. -C'était une démarche sérieuse.
04:02 Vous l'avez mise en scène de façon humoristique.
04:05 C'est pas un peu risqué, l'humour ? Cette vidéo sur les réseaux sociaux
04:09 n'a pas plu à tout le monde. -Elle a déplu à certaines personnes
04:13 dans l'administration de Bercy et de l'Assemblée nationale.
04:16 Au bout d'un moment, on l'a un peu enlevée
04:19 et ça faisait polémique, mais bon, moi, je trouvais
04:22 que c'était une bonne chose, car c'est une bonne chose
04:25 qu'un rapporteur général puisse prouver qu'il est allé
04:28 faire son job, c'est-à-dire contrôler le gouvernement,
04:32 les comptes publics. C'est notre job,
04:34 quand on est rapporteur général du budget.
04:37 -Pour en revenir à l'humour, on peut l'utiliser
04:39 de plein de façons différentes en politique.
04:42 Vous l'utilisez dans quel but ? Vos blagues vous servent à quoi ?
04:45 -D'abord, je suis fait comme ça. -C'est naturel.
04:48 -C'est naturel. Et puis, de temps en temps,
04:50 quand on est un peu roublard, j'avoue,
04:53 je suis un peu de temps en temps,
04:55 la petite blague à deux balles fait passer quelques fois
04:59 des choses qui, sans ça, ne passeraient pas.
05:01 -Pour faire passer un amendement. -Ca fait passer un amendement.
05:05 Ca fait... Voilà, je...
05:06 -Vous pouvez voir aussi... -Je l'ai déjà souvent utilisé.
05:10 Avec des ministres avec qui ça marchait bien,
05:12 quand Gérald Darmanin était au budget,
05:14 on faisait un duo qui était assez bon, je dois dire,
05:18 sur ce plan-là, et l'humour faisait que, finalement,
05:21 l'ambiance dans l'Assemblée n'était pas tout à fait
05:24 celle que vous connaissez pour les débats budgétaires.
05:27 -Est-ce que l'humour peut être un moyen de jauger vos adversaires ?
05:30 -C'est une manière de déstabiliser certains,
05:33 puisque quand des gens n'ont pas d'humour,
05:36 c'est trop sympa de les déstabiliser en ayant de l'humour.
05:39 Voilà. Donc, c'est une manière aussi
05:42 de déstabiliser l'adversaire d'une manière quand même sympathique.
05:46 -Il y a la musique métal, le goût pour les blagues,
05:49 votre tenue. Quand on vient vous voir,
05:51 il y a une chance de vous trouver en short, en thong et en chemisette.
05:55 -Alors oui. -Vous confirmez ?
05:57 -Je vous confirme que j'ai une chemisette
05:59 et pas une chemise à manches longues.
06:01 -Ca pourrait donner l'image de quelqu'un de pas très sérieux,
06:04 à qui on ne peut pas faire confiance,
06:07 sauf que c'est pas forcément l'avis d'un certain Edouard Philippe.
06:10 On va revoir ce qu'il disait de vous.
06:13 -Vous avez été capable de démontrer
06:15 pendant ces deux années et demi
06:17 que la très grande connaissance de la matière financière
06:20 et budgétaire pouvait passer par un caractère truculent,
06:24 joyeux,
06:26 parfois farceur,
06:28 mais toujours rigoureux.
06:30 De cela, monsieur le rapporteur général,
06:32 je veux vous remercier au nom de l'ensemble du gouvernement.
06:36 -C'était au moment où vous passiez la main
06:38 de ce poste de rapporteur général du budget.
06:40 On vous sent presque ému ? -Oui, je le suis.
06:43 Non, je le suis parce que...
06:45 D'abord, Edouard Philippe n'est pas quelqu'un
06:47 qui fait des compliments facilement à tout le monde.
06:50 -La question a été posée à Gérald Darmanin,
06:53 et c'est lui qui a décidé de répondre.
06:55 -C'est ça. Et parce que j'ai apprécié, justement,
06:58 le personnage, son côté extrêmement sérieux,
07:01 qui cache quand même, je dois dire, presque de la tendresse.
07:04 Et là, c'est vrai que...
07:06 C'était moi qui étais déstabilisé,
07:08 parce que je ne m'attendais pas à un éloge de cette nature...
07:12 -Qui montre qu'on peut faire de la politique sérieusement.
07:15 -Sans se prendre au sérieux. C'est la bonne solution.
07:18 Sans ça, vous vous rendez compte.
07:20 Depuis le temps que j'en fais, je me serais quelque peu ennuyé.
07:23 -Vous avez un parcours politique assez riche,
07:26 mais j'aimerais qu'on revienne sur vos débuts.
07:28 Vous étiez parti pour faire carrière dans la haute fonction publique.
07:32 En 1989, vous êtes présenté pour devenir maire d'Argentière-la-Bessée.
07:36 C'est un gros bourg des Hautes-Alpes,
07:39 dont vous êtes originaire.
07:40 C'est au nom de votre père que vous l'avez fait. Pourquoi ?
07:43 -Complètement. Mon père était maire de cette commune,
07:46 et cette commune a subi un désastre absolu,
07:49 qui est la fermeture d'une usine Péchinay.
07:51 Mon père en est mort.
07:53 Il a eu un premier AVC en 85, un second en 86,
07:56 parce qu'il voyait tout ce pour quoi il avait vécu
08:00 disparaître, quoi.
08:01 Donc oui, je me suis présenté au nom de mon père,
08:05 parce que je pensais qu'il fallait
08:08 prendre le relais derrière lui
08:10 pour reconstruire un avenir à la commune
08:13 qu'il n'avait pas eu le temps de mettre en oeuvre
08:15 et ce qui l'avait largement fait disparaître.
08:18 Vous voyez ces images ?
08:19 -La destruction de l'usine Péchinay.
08:22 -J'ai chialé.
08:23 J'ai chialé quand j'ai vu l'usine...
08:25 Pas quand j'ai vu l'usine tomber,
08:27 c'est les ouvriers qui ont chialé,
08:29 c'était leur lieu de travail, c'était la cheminée.
08:32 Mais tous les gens qui ont vécu dans des endroits industriels,
08:35 dans les bassins miniers,
08:37 ou aussi terriorgiques du Nord et de l'Est,
08:39 ont le même sentiment.
08:40 C'est un sentiment de tragédie,
08:42 vous avez l'impression que tout s'arrête.
08:45 -Il y a chez vous une vraie fierté
08:47 à venir d'un territoire rural,
08:49 c'est d'ailleurs votre principal moteur en politique,
08:52 défendre la ruralité face aux normes imposées par la capitale,
08:55 et c'est quelque chose qui remonte à loin,
08:58 je crois que vous l'avez même manifesté
09:00 le premier jour de votre arrivée à l'ENA.
09:02 -Oui, je l'ai manifesté,
09:04 parce que nous avons été reçus de manière séparée à l'époque.
09:07 Il y avait les élèves du concours interne,
09:09 les élèves du concours externe,
09:11 les élèves issus de l'Ecole nationale supérieure
09:14 des postes et des communications,
09:16 et on ne recevait pas les gens en même temps.
09:19 J'étais du concours interne et de la filière post-télécom.
09:22 J'étais plus rural que les autres,
09:24 et le directeur des études nous a dit
09:26 qu'il conviendrait de trop exhiber notre ruralité.
09:29 J'ai trouvé ça absolument lunaire.
09:31 Je me suis gratté les fesses et j'ai pris la porte.
09:34 Parce que je ne peux pas supporter
09:36 cette espèce de regard parisien absolument insupportable,
09:39 qui, en plus, n'existe dans aucun autre pays d'Europe.
09:42 Il n'y a que la France,
09:44 où on a une telle coupure entre la capitale
09:47 et le reste du monde, c'est-à-dire la province.
09:50 -En 2020, vous êtes passé du côté parisien.
09:53 On vous a nommé au gouvernement,
09:55 au poste de secrétaire d'Etat à la ruralité.
09:57 Est-ce qu'avec ce poste, finalement,
10:00 vous n'êtes pas retrouvé aux manettes
10:02 pour résoudre tous les problèmes
10:03 pour lesquels vous vous étiez engagé ?
10:06 C'était le poste dont vous rêviez. -C'était le poste dont je rêvais.
10:09 -Et le bilan ? -D'autant que la ruralité
10:12 incluait la montagne.
10:13 Pour moi, c'était assez important.
10:15 Le bilan, écoutez, il y avait 181 mesures de l'agenda rural
10:18 qui avaient été décidées du temps d'Edouard Philippe.
10:21 Jean Castex et le président de la République,
10:24 Emmanuel Macron, m'ont demandé de les mettre en oeuvre.
10:27 Je les ai toutes mises en oeuvre,
10:29 et j'en ai même rajouté deux,
10:31 car on ne parlait ni d'égalité des droits LGBT
10:33 en milieu rural.
10:34 J'en ai rajouté deux, il y en a 183,
10:38 et puis je crois que j'ai fait le job.
10:40 D'ailleurs, les territoires le reconnaissent plus tôt.
10:43 -Vous avez parlé de ce que vous avez ajouté
10:45 sur les droits des LGBT en milieu rural.
10:48 C'est un dispositif pour aider, en gros,
10:50 les jeunes gays qui se retrouvent mis à la porte de chez eux,
10:54 par leurs parents, quand ils n'acceptent pas
10:56 leur homosexualité. -C'est ça.
10:59 -J'ai une question assez personnelle.
11:01 Est-ce que c'est quelque chose que vous avez, vous,
11:04 vécu dans votre histoire familiale ?
11:06 -Non, je n'ai pas été rejeté par personne.
11:08 -Vous avez eu une phrase... -Oui, ça ne plaisait pas
11:11 à mon père. -Vous avez confié
11:13 dans Libération, "Il n'a jamais accepté
11:15 "de voir un mec dans mon pieu". -Je connais peu de pères
11:18 qui acceptent ce genre de choses, pour être franc.
11:21 Mais c'est vrai que ça, ça en est arrêté là.
11:24 Dans la société, après, j'ai fait une carrière politique,
11:27 secrète polyginelle,
11:29 c'est même pas la peine, j'allais dire,
11:32 de l'exprimer ou d'en rajouter.
11:34 Je ne suis un militant de rien,
11:36 et tout cela ne doit pas être un sujet à mettre sur la table
11:39 pour quoi que ce soit, si ce n'est pour éviter
11:42 les discriminations, ce que j'ai fait en tant que ministre.
11:45 -Aujourd'hui, vous l'assumez, vous voyez à la marche
11:48 des fiertés rurales dans la Vienne, ici,
11:50 chevauchant une licorne arc-en-ciel.
11:53 -Les autres députés avaient mis
11:55 les charpes bleu-blanc-rouge, j'étais un peu moisseau.
11:59 -Vous n'aviez pas le même look. -Non, mais la licorne a survécu,
12:03 c'est ce qui est important.
12:05 -Bon, on va conclure par notre quiz, à présent.
12:10 Vous allez pouvoir compléter les phrases
12:12 que je vais vous proposer. Vous êtes prêts ?
12:15 -Prés. -Allez, on y va.
12:16 "Le jour où je ne blaguerai plus..."
12:19 -Je serai mort.
12:20 -Ah oui, clairement, c'est tellement dans votre ADN...
12:24 -Ah oui, je n'y arriverai pas.
12:27 Je dois blaguer tout le temps, je n'y arrive pas autrement.
12:30 -Moi, président de l'Assemblée nationale...
12:33 -Eh bien, moi, président de l'Assemblée nationale,
12:36 je rassemblerai vraiment les forces vives
12:40 de l'ensemble des mouvements politiques
12:43 pour essayer de trouver à l'Allemande
12:45 un certain nombre de consensus.
12:47 Je crois que ça peut être fait.
12:49 -Enfin, un peu de Rammstein dans l'hémicycle.
12:52 -Hm...
12:53 Ca serait un grand bonheur,
12:57 et ça, je crois, décrisperait pas mal l'ambiance.
13:00 -Merci, Joël Pirault, d'être venu dans "La Politique et moi".
13:03 -Merci.
13:05 ...

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