Les grands entretiens de Daphné Roulier "La défense dans la peau" - Emmanuel Daoud

  • l’année dernière
Daphné Roulier reçoit l'avocat Emmanuel Daoud. Avocat spécialisé dans le droit international, Emmanuel Daoud a saisi le 17 mars 2023 la Cour Pénal International au nom d'un collectif français pour crimes contre l'humanité et crimes de génocides, dénonçant l'orchestration par le kremlin d'une déportation massive et forcée d'enfants ukrainiens. Comment s'articulent les enquêtes et les instances judiciaires nationales et internationales qui s'attachent à collecter des preuves sur de potentiels crimes de guerre commis sur le territoire ukrainien ? L'avocat précise ici la complexité du front judiciaire inédit engagé pour sanctionner les exactions russes et se désole des capacités d'action limitées de la justice pénale internationale, toujours éminemment politique.La justice, son sens, son essence et sa pratique sont sans cesse discutés et débattus. Loin de l'image figée d'une statue, notre époque montre que l'interprétation de la justice est mouvante et qu'elle doit parfois être elle-même protégée.Daphné Roulier reçoit des ténors et des « ténoras » : des avocats de grands faits divers ou de grandes causes qui ont consacré leur carrière et leur vie à défendre, qui ont « La défense dans la peau » : Marie Dosé, Serge Klarsfeld, Henri Leclerc, Julia Minkowski, Thierry Moser, Hervé Temime..Quelle conception ont-ils de leur rôle ? Quel rapport ont-ils avec leurs clients et leur conscience ? Quelles affaires ont marqué leur vie ?Quelle est la place des femmes pénalistes aujourd'hui ? Que pensent-ils des polémiques autour de la prescription et de la présomption d'innocence ? Dans « Les Grands Entretiens » ces champions de l'art oratoire nous livrent leur idée du droit et de la justice et de la société qu'ils impliquent.Abonnez-vous à la chaîne YouTube LCP : https://bit.ly/2XGSAH5Suivez-nous sur les réseaux !Twitter : https://twitter.com/lcpFacebook : https://fr-fr.facebook.com/LCPInstagram : https://www.instagram.com/lcp_an/Retrouvez nous sur notre site : https://www.lcp.fr/#LCP #LesGrandsEntretiens

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00:00 Générique
00:02 ...
00:18 -Emmanuel Daoud, vous êtes avocat pénaliste,
00:20 spécialisé dans le droit international.
00:23 La justice des tribunaux et des cours internationaux
00:26 s'exerce davantage aujourd'hui,
00:28 ou vous diriez que l'impunité a encore de très beaux jours ?
00:31 -Ecoutez, je pense qu'elle s'exerce davantage aujourd'hui
00:34 pour une raison simple, c'est que les juristes,
00:37 qu'ils soient avocats, avocates ou magistrats,
00:40 sont d'abord formés initialement à la justice internationale
00:44 de façon plus récurrente et plus approfondie.
00:47 Ensuite, le monde, on dit qu'on est dans un monde global.
00:50 Si on est dans un monde global, on est dans une justice globale.
00:54 Et comme on est de plus en plus familiarisés
00:56 avec les outils internationaux,
00:58 on peut, de façon plus habituelle, par exemple,
01:02 saisir la Cour pénale internationale,
01:04 qui semble un grand machin, mais en réalité,
01:07 dès lors qu'on veut bien lire le statut de droit,
01:10 on s'aperçoit assez rapidement qu'on peut s'adresser
01:13 à cette juridiction sans trop de difficultés,
01:15 en respectant les règles de procédure.
01:17 Donc, les juristes aujourd'hui, les avocats aujourd'hui,
01:21 les magistrats aujourd'hui, les victimes aussi,
01:23 ont tendance à aller devant les juridictions internationales.
01:27 Alors, la lutte contre l'impunité, elle doit être menée,
01:30 et si les crimes les plus graves disparaissaient
01:33 par enchaînement, on le saurait,
01:35 et l'actualité récente montre que ce n'est pas le cas.
01:38 -Pour être didactique, quelle est la différence
01:40 entre la CPI, la Cour pénale internationale,
01:43 et le TPI, le Tribunal pénal international ?
01:46 -La Cour pénale internationale, elle a son siège à la haie,
01:49 et c'est la juridiction qui est la seule juridiction
01:52 qui peut juger des chefs d'Etat en exercice.
01:56 Le Tribunal pénal international
01:58 est un tribunal pénal international,
02:00 par exemple, pour le Rwanda,
02:02 pour l'ex-Yougoslavie,
02:04 qui sont des créations... -Ad hoc.
02:06 -Ad hoc. Donc, la Cour pénale internationale,
02:09 elle a un siège permanent,
02:11 elle peut être saisie en permanence,
02:13 et elle a des magistrats, des procureurs, des greffiers,
02:16 des enquêteurs et des enquêtrices qui peuvent être mobilisés
02:20 pour enquêter sur les cinq continents.
02:22 -C'est une avancée majeure, la création de la CPI,
02:25 il y a 20 ans ?
02:26 -C'est une avancée majeure, fondamentale,
02:30 qui a levé beaucoup d'espoir
02:33 et qui a déçu énormément aussi.
02:35 -En 20 ans, elle a condamné que des seconds couteaux.
02:38 Le bilan est maigre. En même temps,
02:40 la justice internationale est politique.
02:43 Les Etats l'utilisent quand ça les sert,
02:45 mais les cartes, dès qu'elles touchent.
02:48 -Nous sommes d'accord,
02:50 et prenons l'exemple du Conseil de sécurité.
02:54 Ni la Russie, ni les Etats-Unis...
02:57 -Ni la Chine, ni l'Inde, ni l'Israël.
03:00 -Ni la Chine, ni l'Inde, ni l'Israël
03:02 n'ont reconnu la compétence de la CPI.
03:05 Ca veut bien dire qu'il y a une difficulté.
03:07 Les Etats-Unis l'ont refusée. Pourquoi ?
03:10 Parce qu'ils mènent parfois des guerres
03:13 dont la légitimité... -Est contestable.
03:15 -Est contestable, ou en tout cas, lorsqu'on bombarde
03:18 de façon systématique des populations civiles,
03:21 c'est un crime de guerre ou un crime contre l'humanité.
03:24 Et les Etats-Unis n'ont pas la volonté
03:27 d'être soumis à ce type de juridictions.
03:30 -Comment est-ce qu'on contourne cette volonté manifeste
03:33 de ne pas coopérer avec la justice internationale ?
03:36 -Par exemple, c'est ce qu'a fait l'Ukraine.
03:38 Elle a reconnu la compétence pour la situation qu'elle vivait,
03:42 alors qu'elle n'avait pas ratifié le statut de Rome,
03:45 donc la Cour pénale internationale a pu exercer sa compétence.
03:50 D'autres Etats, je crois 12 Etats,
03:52 ont aussi déféré devant la Cour pénale internationale
03:55 la situation et la guerre commise en Ukraine par la Russie.
04:00 Donc il y a des moyens.
04:02 Le véritable progrès, ou plus exactement,
04:05 la consécration de la Cour pénale internationale
04:08 interviendra le jour où tous les pays...
04:11 -Reconnaîtront sa compétence. -Où tous les pays
04:15 et tous les chefs d'Etat pourront être poursuivis.
04:17 -Alors, la Cour pénale internationale
04:20 a lancé un mandat d'arrêt le 17 mars dernier
04:23 contre le président russe Vladimir Poutine.
04:25 C'est la première fois qu'un chef d'Etat en exercice,
04:29 membre du Conseil de sécurité des Nations unies,
04:31 est visé par une telle procédure ? -C'est la première fois.
04:35 Lorsque nous avions saisi en décembre
04:37 la Cour pénale internationale s'agissant de la déportation
04:40 des enfants ukrainiens, si on l'a fait,
04:43 c'est qu'on y croyait, mais je dois être honnête vis-à-vis de vous,
04:46 nous ne pensions pas que la Cour pénale internationale
04:49 allait réagir aussi vite. -Effectivement,
04:52 elle a réagi en trois mois à peine, c'est un temps record.
04:55 C'est une surprise pour vous. Faut-il y voir
04:58 un signal contre l'impunité ou une volonté
05:00 de la Cour pénale internationale d'asseoir son autorité
05:03 alors qu'elle est en perte de vitesse et de légitimité ?
05:07 -Je crois que c'est les deux, mais aussi ce que nous avions dit
05:10 avec d'autres ONG, d'autres avocats,
05:12 et que nous avons relayé devant la Commission des droits de l'homme
05:16 du Parlement européen, où nous avons pu nous exprimer,
05:19 c'était de dire que si vous voulez lutter contre l'impunité,
05:22 et pour empêcher qu'on perde la trace de ces enfants ukrainiens,
05:26 par milliers dont on ne savait pas où ils étaient disséminés,
05:29 -On parle de 400 000 enfants ukrainiens
05:32 arrachés à leur famille ukrainienne,
05:34 déportés pour être adoptés de force en Russie.
05:37 -Exactement. Avec des modifications
05:40 du droit russe, qui permettaient d'attribuer
05:42 en un temps record à ces enfants ukrainiens...
05:45 -En 48 heures. -En 48 heures,
05:47 changer leur prénom, leur nom,
05:49 changer leur lieu de naissance,
05:51 changer leur date de naissance.
05:53 Comme façon d'effacer les traces, on ne peut pas faire mieux.
05:56 Ce que l'on disait à la Cour pénale internationale,
05:59 et surtout au procureur, il faut que vous agissiez maintenant
06:03 pour envoyer un signal fort à Vladimir Poutine
06:07 et à ses sbires pour qu'ils cessent
06:10 de pratiquer cette politique.
06:12 Et c'est ce qui s'est passé.
06:13 S'attaquer à une population ciblée,
06:16 les enfants, faire en sorte qu'ils perdent
06:19 toute trace ou tout lien biologique, affectif,
06:23 historique, culturel avec leur nation,
06:26 avec leur pays d'Ukraine, vouloir rayer ce lien
06:29 de la surface de la Terre,
06:31 ça s'appelle un crime de génocide.
06:34 Pour le moment, pour que les choses soient claires,
06:37 le mandat d'arrêt qui a été délivré
06:39 contre Vladimir Poutine et Mme Maria Lebova
06:42 est un mandat d'arrêt pour crime de guerre
06:45 s'agissant de la déportation de ses enfants ukrainiens.
06:48 Mais la Cour pénale internationale est saisie de fait
06:51 et les qualifications peuvent changer.
06:53 Le résultat, il a été atteint.
06:55 Aujourd'hui, M. Poutine est susceptible
06:59 d'être arrêté dans n'importe quel pays
07:02 qui a ratifié le statut de Rome.
07:04 Il est dans la situation d'un fugitif.
07:07 C'est un délinquant, et pas autre chose.
07:10 Il peut être à la tête d'une des nations
07:13 les plus puissantes du monde.
07:14 Elle est dirigée, gouvernée par un délinquant,
07:18 un présumé criminel qui est en fuite,
07:20 dans son pays, mais qui est en fuite.
07:23 Comme signal envoyé aux despotes, autocrates,
07:27 tyrans, aux criminels les plus sanguinaires,
07:30 on parle des crimes les plus graves,
07:33 mais on parle des crimes les plus pénibles.
07:35 Est-ce que ça va faire disparaître les crimes...
07:38 -Les autocrates ? -La réponse, non.
07:40 Est-ce qu'ils vont y réfléchir à deux fois ?
07:43 Je pense que oui.
07:44 Surtout, c'est la mobilisation des opinions publiques
07:47 et internationales, évidemment, des médias,
07:50 des avocats et des avocates saisis,
07:52 qui feront demain et après-demain,
07:54 si malheureusement il y a des faits de cette nature à nouveau,
07:58 qu'on pourra plus rapidement intervenir
08:00 et demander à la Cour pénale internationale
08:03 de se saisir des situations pour qu'elle puisse agir efficacement.
08:06 -Qu'il s'agisse d'une politique institutionnelle
08:09 assumée par le Kremlin,
08:11 est-ce que ça renforce ce chef d'inculpation de génocide ?
08:14 -Oui. Quand on voit que M. Poutine reçoit Maria Lebova,
08:19 que celle-ci lui dit qu'on a un problème
08:22 avec les enfants ukrainiens,
08:24 il faut modifier notre droit s'agissant du régime d'adoption,
08:28 et que M. Poutine dit qu'on va s'en occuper,
08:30 que 48 heures après, le problème est réglé,
08:33 ça veut bien dire que c'est lui qui prend les décisions.
08:36 Quand M. Lebova, ce qu'elle ne dit plus,
08:38 dit "j'ai un chef, c'est Poutine",
08:40 et elle l'a pas dit une fois, elle l'a dit 50 fois,
08:43 c'est bien que les décisions s'agissant
08:46 de la déportation des enfants ukrainiens
08:48 étaient prises au Kremlin.
08:50 Quand on voit que tous les moyens militaires de transport
08:54 étaient organisés et centralisés
08:58 pour assurer ce transfert des zones de conflit en Russie,
09:02 c'est bien qu'il y ait une volonté politique,
09:05 et une volonté politique du Kremlin.
09:07 Et enfin, quand on voit que l'accueil de ces enfants
09:11 est réalisé par qui ?
09:12 Par les gouverneurs des régions russes.
09:14 Ca correspond à nos préfets.
09:16 Et qu'un grand renfort de médiatisation,
09:19 où tous les médias officiels filmaient la scène
09:21 de façon très complaisante,
09:23 où on voyait ces enfants à qui ils ont filé des peluches,
09:26 et avec des familles méritantes russes,
09:29 on disait "Vous avez ces enfants".
09:31 -A qui ont donné de l'argent. -Oui, de l'euro.
09:33 -Qui était indemnisé. -Qui était indemnisé.
09:36 C'est donc une politique pensée, réfléchie, financée,
09:41 institutionnalisée sur le plan logistique et financier.
09:44 -C'est extraordinaire que ce sont les Russes
09:47 qui ont donné tous les éléments à charge.
09:49 -C'est incroyable.
09:51 C'est bien qu'on était dans le sentiment d'impunité
09:54 le plus total,
09:55 et qu'on était aussi dans la volonté
09:57 d'envoyer un signal fort, un signal très fort
10:00 à l'opinion publique russe, en disant
10:02 "On va dénazifier l'Ukraine,
10:06 "et pour commencer à dénazifier l'Ukraine,
10:09 "il faut qu'on commence par, en quelque sorte,
10:12 "extirper des cerveaux des plus jeunes
10:15 "tout le ferment antirusse de ceci."
10:17 Et donc, on s'est attaqué aux plus vulnérables.
10:20 Mais c'est pas la première fois.
10:22 -Justement, cette soi-disante politique
10:24 de dénazification avait déjà été mise en oeuvre
10:28 après l'élection de la Crémet en 2014,
10:31 sans que cela n'émeuve personne,
10:33 sans parler de la Tchétchénie ni de la Syrie.
10:35 En quoi la donne a changé
10:37 et pourquoi les Occidentaux se réveillent si tard ?
10:40 -Ecoutez, ça s'appelle de l'art réel politique.
10:44 Quand Poutine rase Grozny,
10:47 quand Poutine, en Syrie,
10:50 rase Alep avec des centaines,
10:54 des dizaines, des centaines de milliers de morts,
10:56 tout le monde, je vais le dire de façon trifiale,
10:59 mais je vais le dire quand même,
11:01 tout le monde s'en fout,
11:03 parce que d'un côté, c'est des Tchétchiens,
11:05 de l'autre, c'est des Arabes.
11:07 Là, la donne a changé, parce que la guerre est à nos portes.
11:11 Nous avons des Ukrainiens et des Ukrainiennes
11:13 de confession chrétienne orthodoxe,
11:17 et là, on commence à se dire que c'est pas possible.
11:20 Et donc, de façon...
11:23 ...unanime, on va se mobiliser pour dire à Vladimir Poutine
11:28 qu'il ne peut pas mener cette guerre aux portes de l'Europe.
11:31 Si ça permet de lutter contre l'impunité,
11:34 il ne faut pas faire preuve d'angélisme.
11:36 Le cynisme est la règle d'or
11:38 en matière de relations internationales.
11:40 M. Bachar el-Assad, qui était proscrit du Banc des Nations,
11:44 aujourd'hui, la Ligue arabe le reçoit
11:46 et il revient au centre du jeu
11:49 alors qu'il a martyrisé sa population civile.
11:52 -La justice est comme la Sainte Vierge.
11:54 Si on ne la voit pas de temps en temps,
11:56 le doute s'installe.
11:58 Beaucoup de chefs d'Etat ont échappé à leur juge,
12:01 comme Bachar el-Assad, qui n'a jamais été inquiété,
12:04 la Syrie n'ayant pas ratifié le statut de Rome.
12:06 D'autres pays se sont bien gardés de le signer.
12:09 Est-ce que, précisément,
12:11 on ne touche pas là, à la limite de l'exercice ?
12:14 -On touche là, peut-être, à la limite de l'exercice,
12:17 parce que les chefs d'Etat
12:19 ne sont pas chefs d'Etat forcément à vie.
12:21 M. Bachar el-Assad,
12:24 il sera, s'il n'est pas tué,
12:26 je ne souhaite pas sa mort,
12:27 s'il n'est pas tué avant,
12:29 il sera un jour traduit devant une juridiction,
12:33 ça peut être une juridiction française,
12:35 une juridiction anglaise, néerlandaise,
12:37 ça sera peut-être la Cour pénale internationale,
12:40 qui est saisie également de la situation en Syrie.
12:43 Nous avons un exemple.
12:46 Slobodan Milošević, il a été remis par qui ?
12:49 Il a été remis par le gouvernement serbe.
12:52 La communauté internationale a dit à la Serbie
12:55 "Si vous voulez réintégrer le concert des nations,
12:58 "si vous voulez qu'on vous aide pour la reconstruction du pays,
13:02 "il va falloir que vous donniez des gages,
13:04 "la lutte contre la corruption, la démocratisation de votre pays,
13:08 "et il va falloir qu'on s'occupe de ceux qui ont mené cette guerre."
13:12 Ce sont les Serbes qui ont remis Slobodan Milošević,
13:15 qui avait dit un ou deux ans auparavant
13:17 que Slobodan Milošević allait se retrouver
13:20 dans une cellule à l'oeil.
13:21 -Ca pourrait se passer pour Vladimir Poutine ?
13:24 Concrètement, comment juger Vladimir Poutine
13:27 alors que les instances censées le juger
13:29 dépendent de pays qui ne reconnaissent pas
13:32 cette justice internationale ?
13:33 -En tout cas, la Cour pénale internationale est saisie.
13:37 Ce sont des crimes imprescriptibles
13:39 et les mandats d'arrêt ne sont pas frappés de péremption.
13:42 Nous sommes en 2023.
13:44 Je ne sais pas ce qui se passera en 2024,
13:47 en 2025, en 2030,
13:48 mais Vladimir Poutine, aujourd'hui,
13:51 n'est pas libre de ses mouvements.
13:55 Et je pense que s'il met un pied dehors
13:59 et si la situation évolue en Russie,
14:01 il y aura le changement de la donne
14:04 et Vladimir Poutine sera jugé.
14:06 Peut-être d'ailleurs qu'on peut imaginer,
14:09 je ne suis pas un spécialiste de la Russie,
14:11 mais on peut même imaginer que pour ne pas avoir à le déférer
14:15 devant une juridiction pénale internationale...
14:17 -Il soit jugé sur le territoire russe.
14:20 Justement, est-ce qu'on pourrait imaginer
14:22 la création d'un tribunal ad hoc, d'un tribunal spécial,
14:25 habilité, viable, pour juger Vladimir Poutine ?
14:28 Ou est-ce que seule la CPI, aujourd'hui,
14:30 a la compétence de juger Vladimir Poutine ?
14:33 -Aujourd'hui, seule la CPI a la compétence pour le juger,
14:36 mais les Nations unies
14:39 peuvent décider de créer un tribunal ad hoc.
14:41 Beaucoup de juristes demandent de la création de ce tribunal ad hoc
14:45 pour accélérer le cours de la procédure.
14:47 -Beaucoup de pays n'en veulent pas,
14:49 car ils ont peur que cet instrument juridique
14:52 se retourne contre eux, la France compris.
14:54 -La France comprise.
14:56 Je ne milite pas pour la création de ce tribunal ad hoc.
14:59 Il y a une juridiction, la Cour pénale internationale.
15:02 Si on commence à la déshabiller, à la délégitimer
15:05 à chaque fois qu'il y a un dossier, une affaire,
15:08 on ne va pas y arriver.
15:09 -Il y a déjà des tribunaux nationaux
15:11 qui jugent à Koblenz, en Allemagne.
15:14 On a jugé un militaire syrien.
15:17 Le tribunal a argué de sa compétence universelle.
15:21 Donc, des tribunaux nationaux peuvent se substituer
15:24 aux tribunaux péno-internationaux.
15:27 -C'est prévu dans le statut de Rome,
15:29 c'est-à-dire qu'il y a une action complémentaire.
15:32 En France, il y a encore 15 dossiers
15:34 concernant des présumés génocidaires rwandais
15:37 et qui vont être jugés.
15:39 Donc, la compétence universelle permet
15:42 aux juridictions nationales de ces pays
15:46 de juger sur leur territoire,
15:48 pour des crimes commis à l'étranger,
15:50 des résidents de ces pays
15:54 qui se trouvent sur le territoire français,
15:56 et qui ont été interpellés sur le territoire français.
15:59 Et dans la mesure où le TPR,
16:01 le tribunal international pour le Rwanda,
16:04 a fermé ses portes,
16:07 soit on les renvoie au Rwanda pour qu'ils soient jugés là-bas,
16:10 soit on les juge ici.
16:12 Je rappelle également que ceux et celles
16:15 qui sont jugés dans ces pays
16:17 sur le fondement de la compétence universelle
16:19 ne sont pas les chefs d'Etat.
16:22 Mais la Coupe pénale internationale a vocation à juger
16:25 celles et ceux qui ont assumé les plus hautes fonctions.
16:29 -Le crime d'agression a été retenu pour la première fois
16:32 au procès de Nuremberg, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
16:36 Quels sont les défauts aujourd'hui
16:37 pour qu'un tel procès se tienne ?
16:39 -La volonté politique.
16:41 Je n'ai pas d'autre réponse.
16:44 -Aimé Césaire disait qu'une civilisation
16:47 qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde.
16:51 Ne pas juger cette agression contre l'Ukraine
16:54 reviendrait-elle à renoncer aux acquis de Nuremberg ?
16:57 -Vraisemblablement.
16:59 Et puis, de toute façon,
17:01 si l'on veut reconstruire la paix civile,
17:05 si l'on veut reconstruire la concorde,
17:07 si l'on veut reconstruire le savoir-être,
17:09 le savoir-vivre entre les hommes et les femmes que nous sommes,
17:13 s'il y a une confiance qui se restaure entre les Etats,
17:16 quels que soient les dirigeants qui les ont dirigés,
17:19 il faut nécessairement lutter contre l'impunité.
17:22 L'impunité, l'injustice,
17:24 c'est une plaie béante et de la gangrène.
17:26 Tant qu'on ne l'a pas soignée, tant qu'on ne l'a pas traitée,
17:30 c'est impossible d'avancer.
17:32 Donc c'est une nécessité.
17:33 Si l'on veut que les standards démocratiques
17:36 soient diffusés de façon plus unanime...
17:39 -Universelle. -Universelle et plus effective,
17:41 il faut que les criminels soient jugés.
17:45 Et tout ce qui passe par des accords d'arrière-cuisine,
17:48 des embrassades au nom de la réelle politique,
17:51 en fait, ça laisse une meurtrissure indélébile
17:55 dans ces populations.
17:57 Qui a vu les photos
17:59 de celui qu'on a appelé César,
18:02 ce photographe officier qui avait pour mission
18:05 de photographier dans les prisons syriennes
18:07 les tortures et les exécutions
18:10 pour documenter tous ceux qui avaient été exécutés,
18:13 je vous assure, si vous le voyez une fois,
18:16 vous n'en dormez plus pendant des semaines.
18:18 Ce sont des choses qui vous poursuivent,
18:21 je ne veux pas être grandiloquent,
18:23 mais c'est difficile.
18:24 Quand on voit les charniers rwandais,
18:26 c'est la même chose.
18:28 Pour ceux et celles qui ont été à Butcha,
18:31 on l'oubliera jamais.
18:33 C'est pas possible.
18:35 Donc, pour que l'on puisse vivre ensemble,
18:39 avancer ensemble, se faire confiance entre les Etats,
18:42 il faut que justice passe.
18:43 -Nuremberg, c'est le maître étalon d'une justice qui passe,
18:47 qui est effective, qui est viable, qui fonctionne.
18:50 -C'est le maître étalon d'une justice qui a fonctionné,
18:54 mais ça reste la justice aussi des vainqueurs.
18:57 -Les Etats-Unis ont rasé Nagasaki et Hiroshima.
19:01 Ce sont des crimes de guerre
19:04 et des crimes contre l'humanité
19:06 qui ont été commis en lâchant ces deux bombes.
19:09 Dresde a été rasé par les Alliés.
19:12 500 000 morts, que des civils.
19:15 C'est aussi, à minimum, un crime de guerre.
19:18 Ce sont les Anglais, les Français, les Russes,
19:20 les Américains qui ont bombardé Dresde.
19:23 On a pu juger les Nazis
19:25 et on a pu juger les principaux responsables,
19:28 mais on n'a pas fait le ménage chez nous, à l'époque.
19:31 Alors, est-ce que c'était le prix à payer
19:33 pour que cette guerre cesse ?
19:35 Les historiens disent oui, les populations de l'époque,
19:39 parce que c'est très facile, en 2023, de donner des leçons,
19:42 alors qu'on n'a pas vécu cette tragédie
19:44 de la Seconde Guerre mondiale,
19:46 mais quand on regarde les choses juste sur le plan des principes,
19:50 c'est un maître étalon relatif.
19:52 -Emmanuel Daoud, ce qu'il faut dire,
19:54 c'est que vous travaillez pro bono,
19:56 vous travaillez gratuitement pour ces ONG, ces associations.
20:00 Est-ce que, dans ces dossiers ultra sensibles,
20:03 comme celui contre Vladimir Poutine,
20:05 subissez-vous des pressions politiques ou diplomatiques ?
20:09 -En l'Etat, je n'ai subi...
20:12 Nous n'avons subi, parce que je travaille pas seul,
20:15 avec des confrères et des consoeurs,
20:17 nous n'avons subi aucune pression.
20:19 Aucune.
20:20 Donc je vous réponds directement.
20:24 La seule chose que l'on doit faire
20:28 lorsqu'on traite ce type de dossier
20:31 comme avocat ou avocate,
20:32 c'est d'essayer de prendre la parole
20:35 de façon pondérée et mesurée,
20:37 de ne pas raconter n'importe quoi,
20:39 de ne pas être dans l'imprécation
20:41 et enfin, de ne pas nourrir ou laisser nourrir
20:45 de faux espoirs.
20:46 Lorsque je dis que j'ai la conviction
20:49 que Vladimir Poutine sera jugé un jour,
20:53 je le pense vraiment.
20:54 Lorsque j'ai dit qu'il serait poursuivi,
20:56 c'est pas un motif de gloire personnelle,
20:59 mais on m'a rayonné,
21:00 il y a eu des mandats d'arrêt.
21:02 Pour avancer dans le combat contre l'impunité,
21:05 pour la justice universelle et internationale,
21:08 il faut avoir la foi du charbonnier.
21:10 -Qu'est-ce qui vous fait penser qu'un jour,
21:13 Vladimir Poutine sera jugé ?
21:15 C'est votre optimisme légendaire ?
21:19 -C'est mon optimisme, d'une part,
21:21 je sais pas s'il est légendaire,
21:22 mais c'est mon optimisme, et d'autre part,
21:25 parce que c'est le sens de l'histoire.
21:27 On ne peut pas se satisfaire
21:29 que les principaux responsables ne soient pas jugés.
21:32 Et si l'on veut, nous,
21:34 mais aussi les générations qui viennent,
21:36 croire au fonctionnement de la justice,
21:40 oeuvrent chacun et chacune dans ces métiers,
21:43 dans ces professions,
21:44 pour éviter que de telles choses se reproduisent,
21:47 et pour que les gens sachent qu'on se dise
21:50 qu'il y a un crime, il y aura une poursuite,
21:52 évidemment, avec le respect de la présomption d'innocence,
21:56 et s'il y a une déclaration de culpabilité,
21:58 il y aura une sanction.
22:00 Que ça soit Poutine ou que ça soit le brigadier-chef
22:05 Vladimir Prigonov,
22:08 qui était à Butcha.
22:10 -Emmanuel Daoud, pour vous, ces poursuites
22:13 contre Vladimir Poutine, c'est l'engagement d'une vie ?
22:16 -Non, je vais pas dire ça,
22:17 parce que j'ai été saisi l'année dernière.
22:23 -Vous avez été aussi saisi de l'affaire du siècle,
22:26 de l'inaction climatique contre l'Etat français.
22:29 -Ce qui est de l'engagement d'une vie,
22:31 en tout cas pour un avocat ou une avocate,
22:33 c'est d'utiliser le droit comme un outil de progrès social.
22:37 Ca, c'est un engagement.
22:38 De faire en sorte que l'on puisse,
22:41 ça peut paraître un peu angélique ou un peu niais,
22:44 améliorer la vie au quotidien des citoyennes et des citoyens.
22:49 -Quand on poursuit un Poutine pour génocide et crime
22:52 contre l'humanité, devient-on par la force des choses
22:55 l'avocat de l'humanité ?
22:57 -Non. -Non.
22:58 -Non, il faut rester à sa place.
23:00 Je suis avocat au barreau de Paris.
23:02 Je traite les dossiers avec sérieux et avec humilité.
23:08 Il faut pas se prendre pour ce qu'on n'est pas.
23:10 Je suis un avocat lambda qui travaille sur des dossiers
23:14 qui me sont confiés.
23:15 J'y attache une importance particulière.
23:17 Nous sommes les avocats dans notre cabinet
23:20 de la Fédération internationale des droits de l'homme
23:23 depuis des années, depuis le début des années 2000.
23:27 Nous défendons d'autres ONG,
23:30 comme RSF, MSF, la Fondation Abbé Pierre.
23:33 -Tout ça, gratuitement ?
23:35 -Je vais pas revenir là-dessus.
23:38 C'est parce qu'on veut le faire
23:41 et parce que les contentieux ou les actions
23:45 que nous menons aux côtés de ces ONG
23:47 et de ces associations fédérations
23:50 ont des enjeux sociétaux
23:53 et qu'il faut utiliser le droit,
23:57 comme d'autres utilisent la plume,
23:59 pour faire avancer les choses.
24:01 -Avez-vous échangé avec l'ancien garde des Sceaux,
24:04 Robert Beninter, à propos des poursuites
24:07 contre Vladimir Poutine ?
24:08 Il a 15 ans. Il s'est lancé dans ce combat,
24:12 traduire le dictateur russe devant un tribunal
24:15 pour crime contre l'humanité. -Je n'ai pas échangé avec lui,
24:18 j'ai échangé avec l'un des auteurs de l'ouvrage.
24:21 -Justement, Robert Beninter, avec Bruno Cotte et Alain Pelay,
24:25 ont dressé un réquisitoire implacable,
24:27 sombrement intitulé "Vladimir Poutine, l'accusation".
24:30 A la fin de l'ouvrage, les auteurs reproduisent in extenso
24:34 des discours de Vladimir Poutine.
24:36 J'imagine que ces discours pourraient, à eux seuls,
24:39 constituer des éléments à charge, non ?
24:41 -Bien sûr. Ce sont des éléments à charge.
24:45 Les vidéos enregistrées par la télévision d'Etat russe
24:50 et mises en ligne sur le site officiel du Kremlin,
24:53 où l'on voit M. Poutine prendre des décisions
24:56 comme commandant-chef des forces armées,
24:58 sont des éléments à charge.
25:00 Je vais même aller plus loin, c'est une preuve.
25:03 -Emmanuel Daoud, vous êtes un enfant d'immigrés,
25:06 diriez-vous qu'à ce titre,
25:08 vous êtes plus sensible à la vulnérabilité
25:10 et à la fraternité ?
25:11 -Je ne m'attendais pas à cette question,
25:14 ça m'émet beaucoup, votre question.
25:16 Ce que je sais, c'est que je ne supporte pas
25:20 l'injustice, je ne supporte pas, pour parler de notre pays,
25:25 le traitement qui est réservé aux migrants,
25:27 aux réfugiés, aux exilés. J'ai honte,
25:30 j'ai honte du démantèlement de la jungle de Calais,
25:34 j'ai honte que 700 gamins se soient retrouvés
25:38 dans une école pendant deux ou trois semaines
25:42 privés de tout parce qu'ils n'avaient pas de refuge,
25:45 j'ai honte que la question de l'immigration
25:50 soit à ce point instrumentalisée par les populistes de tout poil,
25:53 oui, j'ai honte, et je pense que nous devrions,
25:57 et pas simplement les avocats,
25:59 tout le monde se regarder dans une glace en disant
26:02 que quand on parle de solidarité, de fraternité,
26:05 c'est le cas en France. Et d'ailleurs,
26:07 puisque vous parliez de Robert Badinter,
26:09 on dit souvent
26:11 "la France, le pays des droits de l'homme",
26:15 et Robert Badinter répond,
26:17 "non, la France n'est pas le pays des droits de l'homme,
26:20 "c'est le pays de la déclaration des droits de l'homme".
26:23 C'est pas la même chose. La déclaration, c'est pas 2022.
26:27 Est-ce qu'aujourd'hui, les droits humains sont respectés
26:30 dans un pays s'agissant de certaines populations ?
26:33 La réponse est non. Et ça, oui, ça doit révolter tout le monde,
26:36 quel que soit notre âge et notre profession.
26:39 -Merci, Emmanuel Daoud. -Merci à vous.
26:42 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
26:45 Générique
26:47 ...
27:00 Sous-titres réalisés para la communauté d'Amara.org

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