Pour l'émission de France 3, Mosaïque , Sarah Maldoror rencontre le dimanche 29 mars 1987 Assia Djebar à l'occasion d | dG1fZ3YzWThLQjhDVkk
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00:00 Que je sois née d'hier ou d'avant le début, j'ai souvent l'impression de tout recommencer.
00:07 Que j'ai pris ma revanche ou bien trouvé refuge dans mes chansons, toujours j'ai voulu exister.
00:12 Que vous sachiez de moi ce que j'en veux bien dire, que vous soyez fidèles ou bien simples passants.
00:17 Et que nous en soyons juste au premier sourire, sachez ce qui pour moi est le plus important, oui le plus important.
00:25 Écrire pour ne pas mourir, écrire au sagesse ou délire, écrire pour tenter de dire, dire tout ce qui m'a blessée, dire tout ce qui m'a sauvée.
00:37 Écrire et me débarrasser, écrire pour ne pas sombrer, écrire au lieu d'une tour noyée, écrire et ne jamais pleurer.
00:48 Rien que des larmes de stylos qui viennent se changer en mots pour me tenir le cœur au chaud.
00:55 Faut quand même travailler et se demander ce qu'il y a dans la tête quand on est voilé et quand on est dehors.
01:01 Je crois que dans le monde arabe, le monde musulman, la femme est toujours en déplacement.
01:08 Elle n'est jamais ancrée malgré les apparences. Je sais qu'on dit que les femmes c'est les racines, la tradition.
01:14 Mais en réalité le statut de la femme quand elle est dans la maison, Massignon disait que c'était toujours l'hôtesse.
01:22 Dans la mesure où elle est toujours en instance de répudiation, elle est toujours en instance de départ.
01:28 Alors évidemment mes thèmes ne sont pas à la fois si désespérés et ne sont pas sociologiques.
01:34 Ce sont souvent des histoires et dans le dernier, Ombre Sultane, quelquefois c'est des histoires de femmes ordinaires vivant une vie ordinaire.
01:43 Il faut simplement essayer de faire sentir peut-être une sensation, une compassion, peut-être une douleur ou une joie.
01:52 Donc il faut essayer de faire sentir à l'extrice que ces femmes d'ailleurs ou ces femmes d'ici sont comme elle, même si l'extrice est européenne et occidentale.
02:04 (Musique)
02:20 Attends, je vais lire une livre, la dernière phrase de votre livre.
02:24 "Oh ma sœur, j'ai peur, moitié écrite, réveillée. J'ai peur que toutes deux, que toutes trois, que toutes, excepté les accoucheuses, les mères gardiennes, les aïeuls nécrophores,
02:36 nous nous retrouvions entravés là, dans cet occident de l'Orient, ce lieu de la terre où si lentement l'aurore a brillé, pour nous que déjà, de toutes parts, le crépuscule vient nous cerner.
02:47 Quel est le rôle de la lumière et de l'ombre dans votre livre ?
02:51 Eh bien, puisqu'on a fouilli avec cette phrase à la fois optimiste et pessimiste, c'est effectivement un rapport entre l'ombre de la nuit et de l'enfermement,
03:04 en opposition avec la lumière, tout simplement du dehors. L'essentiel est peut-être le personnage de la femme qui n'a pas l'habitude de sortir,
03:16 et qui se met à sortir d'abord sous un voile. Il y en a une autre qui vit comme une occidentale, qui a l'habitude d'être toujours dehors.
03:27 Et donc, derrière ces deux femmes, il y a la double condition, des femmes traditionnelles qui ne peuvent pas sortir,
03:35 et des femmes qui ont l'habitude d'aller devenir comme une Européenne, mais qui gardent le souvenir de leur enfance.
03:43 Le titre de l'ouvrage qui était "Ombre sultane" tourne autour du harem d'aujourd'hui.
03:51 C'est un livre qui est au même temps baigné de lumière et de senteur. Quand une des femmes sort dans la ville, elle hume, elle capte les odeurs,
04:01 elle capte les lumières. Disons que c'est le premier pas de la liberté. Et donc, tous les petits détails d'un jour de soleil en Méditerranée apparaissent plus vite.
04:13 On y est moins habitués, donc on les ressent pour la première fois.
04:17 Je viens au cinéma par l'oreille, quand même. Je viens au cinéma parce que je n'écris pas en arabe et parce que je ne compose pas des chansons en arabe ou des choses comme ça.
04:31 Donc c'est quand même la première motivation. C'est vrai qu'il faudrait dire que, étant donné que c'est des pays de tradition orale,
04:37 il y a surtout dans la poésie berbérophone ou arabophone, il y a des trésors qui en même temps se sont évaporés.
04:46 Tout n'a pas été gardé. Et ce qu'il en reste, c'est la culture populaire féminine, que je ne connais pas vraiment, mais dans laquelle j'ai vécu au moins jusqu'à dix ans.
04:57 C'est-à-dire ce qui vient comme un rite, comme une mise en scène, et qui passe par la voix et qui passe par la danse, et qui ponctue les enterrements, les fêtes, les circoncisions, les septièmes jours de naissance, etc.
05:10 C'est ça, ma culture. Mon rôle, c'est quoi ? C'est de faire passer ce qui m'a émue dans une langue qui, en fait, est structurée et composée à un tissu qui n'a rien à voir avec cette sensibilité qui m'a émue.
05:26 Dans "Ombre sultane", il y a un peu le même phénomène que dans "La Nouba". Il y a beaucoup de personnages féminins.
05:33 Il y a un homme, et l'homme, on l'appelle l'homme, ou on l'appelle lui. Et on parle de lui toujours à la troisième personne, mais en anonyme.
05:42 Évidemment, les premiers lecteurs hommes ont dit "Ah, mais on se sent occultés". J'ai dit non. Maintenant, le lieu de cette histoire se trouve, et vraiment le passion, les femmes entre elles.
05:54 Et chacune d'elles, quand elle parle de son mari ou des hommes, elle dit "l'homme".
06:00 Et il est même très mal vu qu'elle le nomme.
06:03 En plus, il y a les règles de pideur. Mais en fait, le triste, c'est que ça donne l'anonymat. Il n'y a plus de visage.
06:10 Voilà.
06:12 Voilà. Quand je me dis à quoi ça sert d'écrire, je relis "La Dame au petit chien".
06:35 Merci.