Les grands entretiens de Daphné Roulier "La défense dans la peau" - Chirinne Ardakani

  • l’année dernière
Daphné Roulier reçoit l'avocate franco-iranienne Chirinne Ardakani.

Chirinne Ardakani est membre du collectif « Iran Justice » créé en septembre 2022 pour alerter sur les crimes commis par le régime des mollahs à la suite du meurtre de Masha Amini, jeune kurde iranienne de 22 ans morte pour avoir mal portée le foulard. Composé d'une quinzaine d'avocats et de traducteurs chargés d'inventorier les exactions du régime iranien, l'avocate se confie sur cet engagement et l'espoir qu'elle nourrit de voir un jour la justice rendue par le peuple d'Iran. Comment faire, depuis la France, pour stopper cette répression à huis-clos et cette vague d'exécutions ? Chirinne Ardakani mise sur l'arme du droit, de la médiatisation et la mobilisation de la société civile.
La justice, son sens, son essence et sa pratique sont sans cesse discutés et débattus. Loin de l'image figée d'une statue, notre époque montre que l'interprétation de la justice est mouvante et qu'elle doit parfois être elle-même protégée.

Daphné Roulier reçoit des ténors et des « ténoras » : des avocats de grands faits divers ou de grandes causes qui ont consacré leur carrière et leur vie à défendre, qui ont « La défense dans la peau » : Marie Dosé, Serge Klarsfeld, Henri Leclerc, Julia Minkowski, Thierry Moser, Hervé Temime..
Quelle conception ont-ils de leur rôle ? Quel rapport ont-ils avec leurs clients et leur conscience ? Quelles affaires ont marqué leur vie ?
Quelle est la place des femmes pénalistes aujourd'hui ? Que pensent-ils des polémiques autour de la prescription et de la présomption d'innocence ?
Dans « Les Grands Entretiens » ces champions de l'art oratoire nous livrent leur idée du droit et de la justice et de la société qu'ils impliquent.

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Transcript
00:00 "Uncatchable", Alexandr Zhelanov
00:02 ...
00:18 -Shirin Ardakeni, vous êtes franco-iranienne,
00:21 avocate, membre du collectif Iran Justice,
00:23 créé en septembre 2022 pour alerter sur les crimes
00:26 du régime des Mollahs à la suite du meurtre de Massa Amini,
00:30 cette jeune Kurde iranienne de 22 ans,
00:32 tuée pour avoir mal porté le foulard.
00:36 Quel est concrètement le rôle de ce collectif ?
00:38 -Ce collectif s'est créé au lendemain de la mort de Massa Amini,
00:42 qui a été assassinée par la police des meurs.
00:44 L'objectif de ce collectif, c'est ce que font tous les avocats,
00:48 c'est-à-dire qu'en définitive, c'est de défendre,
00:51 là, en l'occurrence, une cause, la cause des femmes iraniennes,
00:55 et surtout de collecter les preuves
00:57 qui vont mettre au jour la responsabilité
00:59 des auteurs d'arrestations arbitraires
01:02 de manifestants iraniens, de violents détentions,
01:05 et, d'une manière générale, de faire un travail
01:08 de recensement de ces horreurs, de ces crimes,
01:11 pour un jour pouvoir, si c'est possible,
01:13 traduire les auteurs devant les juridictions internationales.
01:17 -Chaque document est sourcé, recoupé, répertorié,
01:20 au fond, à 500 km de Teheran.
01:22 Vous vous autosaisissez,
01:23 au nom des avocats qui, en Iran, ne peuvent pas le faire.
01:26 -Tout à fait. On travaille par substitution
01:29 à nos confrères empêchés, puisque les avocats en Iran
01:32 ne peuvent pas défendre leurs clients,
01:35 ils sont assimilés à la cause de leurs clients.
01:37 Je prenais l'exemple de Nasrin Sotoudeh,
01:40 avocate qui s'est illustrée pour avoir défendu
01:43 un certain nombre de femmes qui étaient des malvoilées.
01:46 Nasrin Sotoudeh a fait l'objet d'arrestations,
01:49 elle a été condamnée pour des atteintes
01:51 à la sécurité nationale,
01:54 pour avoir, eh bien, encouragé ses femmes,
01:57 c'est ce qu'on lui reprochait en définitive,
02:00 pour avoir uniquement exercé son métier,
02:02 c'est-à-dire défendre les femmes iraniennes.
02:05 -Elle a été condamnée, une autre de vos confrères,
02:08 Marianne Harvin, a été, elle, retrouvée morte
02:11 deux mois après sa sortie de prison.
02:13 Défendre la liberté en Iran, aujourd'hui,
02:15 c'est risquer la mort.
02:17 -Tout à fait. C'est le propre des régimes autocratiques,
02:20 et d'ailleurs, on le voit, les confrères ukrainiens,
02:23 certains des confrères russes, d'ailleurs,
02:26 qui, en solidarité avec leurs confrères ukrainiens,
02:29 ont pu dénoncer un certain nombre d'exactions.
02:32 On le voit également au cas syrien.
02:34 A chaque fois, partout, les régimes autocratiques
02:36 s'attaquent aux objecteurs de conscience.
02:39 Les avocats en font partie, ils défendent
02:41 les libertés publiques, les libertés individuelles,
02:44 les journalistes, les intellectuels,
02:47 les universitaires, et je crois que c'est le propre
02:50 qui est ciblé de traquer ces objecteurs de conscience.
02:53 -Malheureusement, en Iran, on appelle les intermittents
02:56 de la prison. Vous connaissez cette blague qui circule en Iran.
02:59 Un détenu demande à voir son avocat dans la cellule d'à côté.
03:03 Quelqu'un répond "Je suis là". -Tout à fait.
03:05 Et je crois que, précisément, ce qu'attendent nos confrères,
03:09 c'est qu'on fasse ce travail pour eux.
03:11 Il y a, au sein de la profession d'avocat,
03:14 une grande solidarité, c'est une forme de camaraderie.
03:17 D'ailleurs, madame la bâtonnière Julie Couturier,
03:20 qui est très engagée sur la question,
03:23 précisément, des confrères empêchés,
03:26 des confrères arrêtés, le dit toujours,
03:28 il y a une blague qui circule.
03:30 Quand un avocat se trouve en détention
03:33 quelque part dans le monde, il appelle le bâtonnier de Paris.
03:36 C'est une forme d'expression qui vient dire
03:39 que les avocats sont tous solidaires.
03:41 Où qu'on se trouve, en fait, dans le monde,
03:45 on pourra toujours avoir nos pères qui se mobilisent pour nous.
03:48 -Diriez-vous qu'à l'heure où nous parlons,
03:51 la profession d'avocat en Iran est en voie de disparition ?
03:54 C'est celle qui est le plus réprimée.
03:56 -Je dirais pas qu'elle est en voie de disparition,
03:59 au contraire, je dirais qu'elle est extrêmement mobilisée.
04:02 Il faut comprendre qu'aujourd'hui, la société civile iranienne
04:06 est puissamment mobilisée.
04:08 Il n'y a pas de parti politique en Iran,
04:10 il n'y a pas de liberté publique,
04:12 il n'y a pas de liberté d'association, de réunion.
04:15 Néanmoins, il y a une société civile
04:17 qui est très forte, les avocats se mobilisent
04:19 dans leur réseau d'avocats, les soignants se mobilisent.
04:23 On a vu des médecins qui allaient prodiguer des soins
04:26 au domicile des manifestants blessés
04:28 parce que les hôpitaux ne sont pas des lieux sûrs.
04:31 On voit que la société civile se mobilise
04:33 par corps professionnel et les avocats
04:35 prennent leur part dans cette mobilisation.
04:38 Evidemment, ils ne le font pas au grand jour,
04:41 mais ils nous sollicitent, ils font des rapports
04:43 sur les droits humains, ils vont identifier
04:46 lesquels de leurs clients sont en danger,
04:48 et c'est dans le cadre de cette coopération
04:51 entre professionnels qu'avance la cause des Iraniens.
04:54 -Vous parliez de médecins.
04:56 Un jeune étudiant médecine, rapporté France Info,
04:59 a passé 21 jours en prison pour avoir soigné les pro-manifestants.
05:02 Il a eu son annulaire tranché par la police occulteure.
05:05 Des histoires comme celle-ci sont courantes ?
05:08 -Oui, tout à fait.
05:09 Il faut bien comprendre qu'aujourd'hui, en Iran,
05:12 le moindre signe de soutien aux manifestants
05:16 est considéré comme les autorités,
05:20 comme étant un acte subversif, un acte d'hostilité
05:24 à l'égard de la République islamique.
05:26 -La guerre contre Dieu ou la corruption sur terre
05:29 sont les crimes invoqués par le régime des mollahs
05:32 pour caractériser les faits reprochés aux manifestants.
05:35 Dieu a le dos large, quand même.
05:37 -Dieu a le dos large, particulièrement dans une théocratie.
05:40 La particularité du système de la République islamique,
05:43 c'est qu'on a une confusion absolue
05:46 entre le pouvoir religieux et le pouvoir civil.
05:48 La justice est une justice duale.
05:50 Nous avons les juridictions de droit commun
05:53 et les juridictions révolutionnaires,
05:55 les tribunaux révolutionnaires, à la main des religieux.
05:58 En réalité, quand le juge est un homme,
06:02 finalement, du clergé,
06:05 les chefs d'accusation sont des chefs d'accusation religieux,
06:08 hérités du droit islamique,
06:10 ou de l'interprétation du droit islamique.
06:13 Et ça nous donne un florilège de flots d'accusations,
06:16 qui sont "guerre contre Dieu", "inimitié à l'égard de Dieu",
06:20 "Morah et Baie", "corruption sur terre".
06:22 C'est contingent, puisque ce sont des fourre-tout
06:25 qui servent à disqualifier politiquement les opposants.
06:28 -Ce qu'il se passe dans ces tribunaux ?
06:31 C'est le règne de l'arbitraire ?
06:33 -C'est une justice qui est une justice aux ordres.
06:35 Les dés sont pipés,
06:37 les droits de la défense ne sont évidemment pas respectés.
06:40 -Ils sont même niés.
06:42 -Tout à fait. On a des comparants qui comparaissent sans avocat,
06:45 on a des comparants qui ne connaissent même pas
06:48 les charges dont ils sont prévenus,
06:50 qui sont condamnés au terme de procès,
06:52 qui sont des simulacres de procès.
06:55 -Des audiences en trois minutes.
06:57 -Des audiences en trois minutes pour des motifs graves,
07:00 qui sont passibles de la peine de mort.
07:02 -Et des avocats aux ordres.
07:04 -Tout à fait. C'est précisément là qu'on se rend compte
07:07 que les barreaux indépendants, ça n'existe finalement pas.
07:10 Dans certains pays, on a des avocats
07:12 qui sont à la solde, effectivement, de l'Etat,
07:15 avec des barreaux, des ordres professionnels
07:17 qui sont infiltrés par les agents du régime.
07:20 Quand vous avez un juge aux ordres, un avocat aux ordres,
07:23 ça nous donne une justice aux ordres,
07:25 qui, finalement, est une justice politique
07:28 qui est là pour neutraliser la dissidence
07:30 et exécuter quiconque se heurte au régime islamique.
07:33 -Le régime ne ciblerait pas les jeunes des beaux quartiers,
07:37 mais parait-il avant tout les ouvriers et les classes populaires
07:40 qui n'ont pas les moyens de se défendre
07:42 et qui n'ont pas de famille pour les aider ?
07:45 -C'est ce que nous avons pu constater,
07:47 notamment avec les exécutés et les condamnés à mort.
07:50 C'est-à-dire qu'à chaque fois que des jeunes gens
07:53 avaient été exécutés, c'était des jeunes gens
07:56 qui n'avaient pas de catégorie modeste,
07:58 qui n'avaient pas les appuis dans la société
08:00 pour pouvoir prendre le relais, être leur porte-voix,
08:03 c'était les déshérités.
08:05 On avait un certain nombre de fils d'ouvriers,
08:08 de très jeunes manifestants qui ont malheureusement été exécutés.
08:11 On se rend compte qu'il y a véritablement
08:14 une justice de classe dans la République islamique.
08:17 Je pense que c'est d'ailleurs ce qui est assez frappant,
08:20 c'est que Layatollah Khomeini,
08:22 quand il arrive au pouvoir en 79,
08:24 il explique que ça va être le défenseur des déshérités.
08:27 Et donc, on le voit, c'est une contradiction absolue.
08:31 -Près de 800 jeunes filles ont été intoxiquées au gaz
08:34 dans les écoles et collèges depuis le début du soulèvement
08:38 pour doucher leurs ardeurs manifestantes.
08:40 Vous en avez été saisie, ces dossiers-là ?
08:43 -Tout à fait. Il y a des groupes de travail
08:45 qui se sont montés avec des biologistes,
08:47 notamment un certain nombre d'universitaires
08:50 qui font un travail, là encore, de collecte de preuves.
08:53 Comme je disais, la société civile est mobilisée
08:56 en corps professionnel. Les avocats font leur travail,
08:59 les médecins, les universitaires, les biologistes...
09:02 -L'une des difficultés, quand on est à des milliers de kilomètres,
09:06 c'est de vérifier la véracité de ces preuves.
09:08 -Je ne suis pas journaliste sur la vérification des sources.
09:11 Il y a un certain nombre de contenus qui nous arrivent,
09:15 des vidéos, des photos, des liens.
09:17 C'est très difficile. -Comment vous les jugez fiables ?
09:20 -Ca, ce n'est pas notre travail.
09:22 Nous, on collecte, on inventorie, on archive, aussi, pour l'histoire.
09:25 Il y aura un moment, cette question
09:27 qui se posera d'épérissement des preuves.
09:30 On l'a vu avec un certain nombre de procès,
09:32 les procès de Nuremberg. La question devenait difficile.
09:36 Quand le temps s'écoule, les preuves dépérissent.
09:38 Le travail, c'est d'archiver, inventorier.
09:41 Un jour, des juridictions se prononceront
09:43 sur le fait de savoir si les preuves récoltées
09:46 sont fiables, avérées, corroborées.
09:48 Ce sera au banc de la défense de venir soutenir
09:51 que les preuves que nous fournissons ne sont pas fiables.
09:54 -Vous vous apprêtez à déposer plainte en France
09:57 contre Hossein Salami, le chef des Gardiens de la Révolution.
10:00 Où en est-elle ? A quoi va-t-elle servir ?
10:02 -Pour être très exacte, la plainte que nous sommes en train de préparer
10:07 vise des propos, un certain nombre de propos,
10:10 donc de décembre, grosso modo, à mars 2023.
10:14 Les hauts dignitaires, et notamment les PAS Daran,
10:16 n'ont pas été avares de déclarations tonitruantes
10:21 à l'égard des dissidents politiques en Iran,
10:23 mais aussi à l'étranger. Ils ont ciblé
10:25 un certain nombre de militants des droits humains.
10:28 C'est une pratique courante des PAS Daran
10:30 que d'aller faire des raptes même à l'étranger,
10:33 d'enlever un certain nombre de dissidents politiques,
10:36 de menacer la militante féministe Masih Alinejad.
10:39 Nonobstant le fait qu'elle se trouve aux Etats-Unis,
10:42 à des milliers de kilomètres, elle a fait l'objet
10:45 d'une tentative d'assassinat.
10:46 Notre plainte vise à saisir le procureur de la République
10:50 d'un certain nombre de déclarations,
10:52 qui étaient de véritables fatwas à l'égard des membres
10:55 de la diaspora, y compris ici, en France,
10:58 puisque le général Salami a mis en garde les dissidents
11:01 en expliquant que peu importe où ils se trouvaient
11:04 dans le monde, la main de Dieu allait s'abattre sur eux,
11:07 dans la même veine, finalement, que la fatwa
11:10 qui avait été édictée à l'encontre de Salman Rushdie.
11:13 On a bien vu que ces menaces étaient à prendre au sérieux.
11:16 -C'est une façon, finalement, de protéger la diaspora
11:20 iranienne. -Protéger la diaspora,
11:22 mais aussi, surtout, rappeler que nos valeurs,
11:24 en tout cas, en République, et de ce côté-là,
11:27 du monde libre, c'est qu'on ne peut pas tout dire,
11:30 on ne peut pas menacer impunément, on ne peut pas édicter des fatwas,
11:33 on ne peut pas menacer de mort les partisans de la liberté,
11:37 et donc c'est aussi défendre nos valeurs,
11:39 que de dire que les journalistes, par exemple,
11:42 qui ont été ciblés dans le cadre de cette fatwa
11:44 par le général Salami, on a vu que vos confrères
11:47 ont aussi été mis en garde, et bien c'est de défendre nos valeurs.
11:51 -L'ombre de Téhéran plane sur la diaspora.
11:54 Comme eux, vous vivez dans la peur.
11:57 C'est une partie du j'homme ?
11:59 -Non, moi, personnellement, je ne vis pas dans la peur.
12:02 Les militants des droits humains autour de moi
12:04 ne vivent pas dans la peur.
12:06 Bien au contraire, nous sommes en réalité galvanisés
12:09 par les événements, et je crois que nous sommes surtout animés
12:13 de l'espoir, parce que ce qui est certain,
12:15 c'est que le régime finira par tomber.
12:17 On a une jeune génération qui, de toute façon,
12:20 et c'est le cas, par exemple, des étudiants,
12:23 qui, là, sont massés devant l'université de Téhéran,
12:26 qui disent non à la République islamique.
12:28 Ils ont lancé une campagne du non.
12:30 D'ailleurs, un certain nombre d'artistes français,
12:33 dont Marjane Satrapi, se sont fait l'écho de cette campagne.
12:36 Eh bien, cette génération-là, de toute façon,
12:39 mettra un terme à la République islamique.
12:41 -La transition est toute trouvée.
12:44 Des artistes comme celle de Marjane Satrapi,
12:46 de Golshifeh Farahani ou encore de Zahra Amir-Ebrahimi,
12:49 pris d'interprétation féminine à Cannes en 2022,
12:52 ce sont des soutiens non négligeables
12:54 dans ce combat pour la liberté ?
12:56 -Oui, tout à fait. D'une part,
12:58 parce que ce sont des visages connus en Occident,
13:01 parce qu'elles incarnent aussi
13:03 par leur liberté de création artistique
13:05 et aussi parce que ce sont des femmes
13:07 qui ont fait l'objet dans leur chair,
13:10 dans leur histoire, des tabous
13:12 qui règnent dans la société iranienne
13:14 et surtout qui ont été opprimées en qualité d'actrices,
13:17 en qualité d'artistes,
13:19 puisque l'une et l'autre ont dû fuir l'Iran
13:22 parce que les mollahs iraniens ne concevaient pas
13:25 que des femmes pouvaient tourner dans des films occidentaux...
13:30 -Sans être voilées. -Sans être voilées,
13:32 avaient un rapport tout à fait libre
13:34 à la fois à la sexualité, aux autres,
13:36 et pouvaient, comme ça, libérer leur puissance créative.
13:40 Je crois que c'est très symbolique que ce soit des femmes puissantes
13:44 dans leur expression, même artistique,
13:46 qui se fassent le porte-voix des femmes iraniennes.
13:49 -Comment faire en sorte que la justice passe en Iran
13:52 depuis l'étranger ? Y aurait-il moyen de saisir ces pays ?
13:55 La Cour pédale internationale ?
13:57 -Il est tout à fait...
13:59 -Sachant qu'Iran ne reconnaît pas la compétence de ce tribunal.
14:02 -Ces voies-là sont possibles.
14:04 Néanmoins, nous ne sommes pas dupes des difficultés.
14:07 C'est un temps long.
14:09 On sait qu'il faut le volontarisme des Etats
14:11 qui sont partis à la CPI.
14:13 Ce sont des processus qui, de toute façon,
14:16 n'aboutiront pas avant bien des décennies.
14:18 Nous en sommes conscients.
14:20 Je crois qu'il faut se dire qu'indépendamment
14:23 de la question de la justice rendue,
14:25 il y a la question de la volonté de justice.
14:27 Par exemple, je prends cet exemple-là.
14:29 Les mères, aujourd'hui, aient pleuré.
14:32 Celles qui ont vu leurs enfants exécutés,
14:34 notamment la famille de Masah Amini,
14:37 mais pas que, un certain nombre de mères,
14:39 réclament justice.
14:41 Pour ces enfants très jeunes,
14:42 qui ont été arrachés,
14:44 des vies qui ont été arrachées sans raison, arbitrairement.
14:47 C'est une demande forte de la société iranienne.
14:50 C'est justice pour le peuple iranien.
14:52 -Comment peut s'exercer cette justice ?
14:55 -Elle s'exercera en temps utile.
14:56 Je vous l'ai dit, c'est un temps long.
14:59 Les avocats que nous sommes font ce travail
15:01 de recensement des preuves.
15:03 Comme les procès d'Honorimber,
15:05 comme les procès pour la mémoire,
15:07 je pense qu'au moment où la société iranienne
15:09 sera débarrassée des mollas iraniens,
15:12 peut-être même que la justice sera rendue
15:14 par le peuple iranien lui-même.
15:16 Je le dis souvent, les avocats que nous sommes,
15:19 on prépare juste les preuves,
15:21 et peut-être qu'un jour, on les donnera à nos confrères,
15:24 et eux iront plaider, dans les juridictions iraniennes,
15:27 la cause des Iraniens.
15:29 -Vous avez reçu le soutien, chérie, d'un parlementaire français.
15:33 100 d'entre eux ont accepté de parrainer
15:35 des manifestants condamnés à mort.
15:37 Vous êtes intervenue au Conseil des droits de l'homme
15:40 pour évoquer la répression en cours.
15:42 Ce sont des actions symboliques
15:44 où la médiatisation est aussi une arme de dissuasion massive.
15:48 -Alors, ce sont effectivement des actions
15:50 qui sont symboliques, mais pas que.
15:52 Je crois à la mobilisation de la société civile.
15:55 Je l'ai dit, en Iran, il n'y a pas de parti politique,
15:58 il y a véritablement une interdiction
16:01 des partis politiques.
16:02 Il n'y a pas d'expression publique possible pour les journalistes.
16:06 La presse est aux ordres.
16:07 Donc, dans ce contexte-là,
16:09 c'est aux citoyens engagés dans les sociétés démocratiques
16:13 de se faire le porte-voix.
16:14 Quand on est dans une société démocratique,
16:17 on doit se saisir des outils de la mobilisation,
16:19 de nos élus, de nos parlementaires,
16:21 des médias occidentaux, qui sont des médias libres.
16:24 On se rend bien compte que quand les médias sont aux ordres,
16:28 quand ils sont empêchés,
16:29 quand les journalistes sont empêchés de faire leur travail,
16:32 c'est un coup pour la démocratie.
16:34 C'est aux citoyens engagés d'aller chercher les outils
16:37 dont on a à disposition dans les sociétés démocratiques
16:40 pour les mettre à disposition des Iraniens
16:42 qui ne peuvent pas jouir de ces outils de mobilisation.
16:45 -C'est tôt combien il y a de condamnés à mort ?
16:48 -Oui, tout à fait.
16:49 En tout cas, pour des motifs tout à fait politiques,
16:52 on est à plus d'une centaine aujourd'hui,
16:55 qui sont dans les couloirs de la mort,
16:57 qui risquent une exécution à l'aube,
17:00 c'est-à-dire dont, finalement, la peine a été confirmée
17:03 et qu'ils n'ont plus de voix de recours
17:05 et dont on sait qu'ils sont voués à l'exécution
17:08 et à la pendaison, puisque c'est le régime
17:10 qu'ont choisi les autorités
17:13 pour exécuter les manifestants.
17:15 C'est à peu près une centaine de personnes,
17:17 mais en réalité, on n'en sait jamais trop rien.
17:20 Il n'y a pas de listing,
17:21 il y a des centres même d'interrogatoire,
17:24 de détention cachée, secret.
17:26 Voilà, on n'a pas de certitude,
17:28 en tout cas de notre recensement,
17:30 il y a plus d'une centaine de personnes
17:32 qui sont dans les couloirs de la mort.
17:34 -J'imagine que le régime a tout intérêt
17:37 à garder le flou sur les chiffres exacts
17:39 pour terroriser la population.
17:41 -Oui, tout à fait, et en même temps,
17:43 le régime se nourrit de cette terreur
17:46 qu'il va distiller dans la population
17:49 pour l'empêcher de, eh bien, descendre dans la rue.
17:52 C'est le régime de la terreur de masse.
17:55 -C'est une guerre psychologique.
17:57 D'ailleurs, je me souviens de tous les militants des droits humains
18:00 que nous étions en décembre,
18:02 quand les exécutions, eh bien, arrivaient au compte-gouttes,
18:06 c'était épouvantable.
18:07 Tous les matins, les Iraniens se réveillaient
18:10 en regardant sur les réseaux sociaux
18:12 pour savoir si, effectivement, leurs proches
18:15 avaient été pendus à l'aube.
18:16 C'était une véritable guerre psychologique
18:19 et qui vise, en réalité, à faire en sorte
18:21 que les gens restent chez eux par peur du régime.
18:24 -Que pouvez-vous faire d'ici pour stopper
18:27 cette répression à huis clos et cette vague d'exécution en Iran ?
18:30 -Je crois que le premier des moyens,
18:32 c'est de continuer d'en parler, de faire ce que vous faites,
18:36 c'est de faire vivre ce sujet iranien,
18:38 parce que je crois que le sujet iranien,
18:40 plus largement, nous touche tous,
18:42 parce qu'il promeut des valeurs qui sont universelles.
18:45 Cette bannière est très forte, "Femme, vie, liberté",
18:49 cette devise, je crois qu'elle est universelle,
18:51 qui nous parle à tous, où qu'on soit.
18:54 C'est une célébration des femmes,
18:56 de ce qu'elles représentent dans la société.
18:58 Elles ont été aux avant-gardes du mouvement iranien,
19:01 de la jeunesse, des étudiants qui le sont.
19:04 Je crois que tous, citoyens que nous sommes,
19:06 nous sommes concernés par ces sujets.
19:08 Continuer d'en parler, de se mobiliser entre nos pairs.
19:11 Les avocats doivent faire leur travail,
19:14 les journalistes doivent faire le leur,
19:16 les parlementaires doivent défendre les valeurs démocratiques.
19:20 On voit qu'on a un pacte des autocrates
19:22 et on espère, comme ça, qu'on parviendra
19:25 à être forts dans ce qu'on défend.
19:27 -Le représentant de la République islamique d'Iran
19:30 a été nommé en mai dernier à la présidence
19:32 du Forum social du Conseil des droits de l'homme,
19:35 qui se tiendra en novembre.
19:37 On pourrait croire qu'il s'agit d'une blague du Gorafi.
19:40 -Tout à fait. C'est là où on voit
19:42 qu'effectivement, les institutions internationales
19:45 touchent parfois à leurs limites.
19:47 Je crois que ce qui est intéressant,
19:49 c'est que la classe politique se mobilise
19:51 d'une manière générale pour montrer
19:53 qu'il y a des contradictions.
19:55 Il y a des contradictions fortes
19:57 entre ce qu'on appelle la diplomatie des droits humains,
20:00 j'entends par exemple, ça et là, nos diplomates,
20:03 et c'est tout à leur honneur de dire
20:05 qu'il y a une diplomatie féministe,
20:07 en tout cas, une volonté d'une diplomatie féministe
20:10 de l'Union européenne,
20:12 et plus largement des sociétés démocratiques.
20:14 On voit bien que cette diplomatie féministe
20:17 se heurte à une grande contradiction.
20:19 -A la réelle politique. -Tout à fait.
20:21 -Ce principe au nom d'intérêts supérieurs.
20:24 -Précisément, et ça, je trouve que c'est intéressant,
20:27 la réelle politique. Je crois qu'on se déshonore
20:30 à chaque fois qu'on met en contradiction
20:32 des intérêts supérieurs, les intérêts de la nation,
20:35 des intérêts économiques et les droits humains.
20:38 Tout le monde a toujours intérêt,
20:40 et c'est l'intérêt supérieur,
20:41 à ce que les droits humains soient respectés.
20:44 Il ne faut pas mettre en opposition ces deux éléments.
20:47 La première des conditions de la négociation,
20:50 si on a des régimes autocratiques, des régimes dictatoriaux,
20:53 c'est de dire que la négociation, oui,
20:55 mais la première des conditions, c'est de respecter les droits humains.
20:59 -Si ce n'est que l'Union européenne
21:01 n'a pas inscrit les gardiens de la révolution
21:04 sur la liste des organisations terroristes,
21:07 c'est une déception. -C'est une bataille
21:09 que nous avions menée au Parlement européen.
21:12 Nous avions mobilisé les parlementaires
21:14 pour qu'il y ait le vote d'une résolution,
21:16 qui a été votée par les parlementaires,
21:19 et qui a une forme de diplomatie parlementaire,
21:22 quand parfois on voit que les exécutifs
21:24 sont à la traîne, et on mobilise les parlementaires
21:27 pour qu'ils fassent le travail.
21:29 Une résolution avait été votée par le Parlement européen
21:32 pour que les gardiens de la révolution,
21:34 bras armés idéologiques des Mollah, soient inscrits
21:37 à la liste des entités terroristes.
21:39 Le chef de la Commission européenne,
21:41 Joseph Borrell, avait expliqué
21:43 qu'il y avait un certain nombre de considérations du juridique
21:47 qui étaient en train de se faire.
21:49 En réalité, on n'est pas tout à fait dupes.
21:51 La technique juridique n'a jamais été un obstacle
21:54 quand il y a une volonté politique.
21:56 -Elle n'est pas là, de fait. -La volonté politique
21:59 n'est pas d'inscrire les gardiens à la liste des entités terroristes,
22:03 alors que nous savons que ce corps armé paramilitaire
22:06 est une source de déstabilisation au Moyen-Orient,
22:09 finance un certain nombre d'organisations terroristes,
22:12 le Hezbollah est un facteur clé de la répression interne,
22:16 et que les milices des Bassidi,
22:17 qui sont une émanation des gardiens,
22:20 sont aux avant-postes de cette répression.
22:22 -Vous faites tout cela bénévolement.
22:24 Quand trouve-t-on le temps de collecter des preuves
22:27 quand on exerce comme vous tous les jours au pénal ?
22:30 -Ecoutez, c'est une question.
22:32 -Une vraie question. -Une vraie question.
22:34 C'est un devoir, je crois, déontologique.
22:37 Je le disais souvent, pour moi, être avocat, c'est deux choses.
22:41 C'est l'amour de la condition humaine, en règle générale.
22:45 Quand on est avocat, il faut aimer les gens, les autres,
22:48 aimer ceux qui sont acculés, ceux qui ne peuvent pas être défendus.
22:52 Je crois qu'aujourd'hui, le peuple iranien,
22:55 d'une certaine manière, a besoin d'être défendu,
22:58 et c'est la lutte. Je crois qu'être avocat,
23:00 le deuxième mot qui définirait ma profession, c'est la lutte.
23:03 La lutte au quotidien, dans les prétoires,
23:06 c'est de défendre nos clients, et la grande lutte,
23:09 en l'occurrence pour moi, c'est la cause des femmes.
23:12 -C'est votre façon de participer au soulèvement d'un peuple ?
23:15 -Oui, alors, bon,
23:17 en toute proportion gardée, avec la modestie,
23:20 on apporte notre pierre à l'édifice.
23:22 Ce qui est intéressant, c'est de dire que c'est le peuple iranien
23:26 qui est engagé dans cette lutte, et nous, ce que nous faisons,
23:30 à notre niveau, ce n'est que de participer
23:32 à ce qu'eux font. Un mot, peut-être,
23:34 et après, j'en termine, peut-être,
23:36 mais les prisonnières politiques, aujourd'hui, iraniennes,
23:40 c'est-à-dire les femmes qui se mobilisent en détention,
23:43 qui, dans la prison politique, dévinent,
23:45 regorgent d'intellectuels, de militantes des droits humains,
23:48 qui luttent contre la lapidation, pour l'abolition de la peine de mort.
23:52 Ces prisonnières politiques, Narges Mohammadi,
23:55 une de vos consoeurs, qui a obtenu le prix de l'UNESCO
23:58 pour la liberté de la presse,
24:00 continuent ces combats depuis la détention.
24:03 Elle fait parvenir un certain nombre de rapports
24:05 sur la torture blanche de ses camarades dans la détention.
24:09 Je pense que ces femmes m'inspirent par leur combat
24:12 et que nous ne sommes que leurs serviteurs
24:14 et que si notre travail peut servir leur cause,
24:17 c'est avec plaisir qu'on le fait.
24:19 -La lutte féministe, c'est aussi ce qui vous a amené
24:22 à monter ce collectif ?
24:24 -C'est surtout ce qui m'a amenée à exercer ma profession,
24:27 c'est la lecture de "La cause des femmes" de Gisèle Halimi,
24:30 qui est une avocate et qui, tout à la fois,
24:33 a mené des combats féministes.
24:34 D'une part, ça m'a amenée dans la profession d'avocat,
24:37 et, effectivement, la lutte féministe des femmes iraniennes,
24:41 c'est quelque chose qui parle, je crois, même à ma génération.
24:44 Nous, alors, quand je dis "nous",
24:47 avocate de ma génération,
24:49 on a été bercé du récit de grandes avocates,
24:52 comme Gisèle Halimi,
24:53 et puis surtout de ce récit, qui est une réalité,
24:56 des femmes enfermées,
24:58 des femmes enfermées à l'univers du domestique,
25:00 du culturel, sur des lois qui sont les lois patriarcales,
25:04 et en Iran, ce sont les lois patriarcales
25:06 qui asservissent les femmes,
25:08 qui les empêchent de prendre leur place dans la société,
25:11 qui les excluent d'un certain nombre de métiers,
25:14 qui les spolient patrimonialement,
25:16 et je crois que ce récit de la femme enfermée,
25:19 c'est ce qui fait que les avocates que nous sommes
25:22 ont envie de briser les murs de l'enfermement.
25:24 -Vous avez appris très récemment, Gérinard Dakani,
25:27 que vous n'étiez pas née française,
25:29 vous avez été naturalisée à 8 ans,
25:31 mais vous ne l'avez appris qu'au moment de passer le barreau.
25:35 C'est comme un comble pour une avocate spécialisée
25:38 dans le droit des étrangers.
25:40 -Ce que mes amis me plaisent à raconter,
25:42 c'est qu'effectivement, j'ai appris,
25:44 en révisant, effectivement, les règles de la nationalité,
25:49 que je n'étais pas née française.
25:51 Alors, c'est pas un grand drame,
25:53 mais c'est vrai que dans la construction
25:56 d'une identité qu'on peut se faire,
25:58 ça vient bouleverser un certain nombre de choses,
26:01 et c'est ce qui a fait mon entrée dans une iranité
26:04 peut-être plus forte et avec un lien peut-être plus charnel,
26:07 peut-être plus intime avec l'origine de mes parents.
26:10 -Au Mali, un proverbe bambara dit
26:12 "Si éloigné soit le jour, il finira par arriver".
26:15 C'est tout le bien que je vous souhaite.
26:17 -Merci. -Merci à vous.
26:19 SOUS-TITRAGE : RED BEE MEDIA
26:21 Générique
26:23 ...

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