La start-up française Mistral AI s'impose comme une championne européenne de l'IA. Elle vient de réussir une levée de fonds de 385 millions d'euros.
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00:00 Oui, le voilà Sonia De Villere, votre invitée ce matin, PDG de Mistral AI, entreprise française
00:06 spécialisée dans l'intelligence artificielle.
00:09 Deux minutes trente qu'il sourit Nicolas en écoutant Dominique Seux.
00:13 Emmanuel Macron l'a fait applaudir hier lors de son déplacement à Toulouse, parlant du
00:17 génie français.
00:18 Une boîte de 22 salariés seulement, créée il y a 7 mois mais déjà valorisée, tenez-vous
00:23 bien, 2 milliards d'euros.
00:25 Une fulgurante percée tricolore dans un domaine où les Américains et les Chinois triomphent.
00:29 Mais l'Europe, ah oui, il y a l'Europe, veut réguler et tenir en l'aise les apprentis
00:34 sorciers.
00:35 Bonjour Arthur Mench.
00:36 Bonjour Sonia De Villere.
00:38 Après 105 millions d'euros de financement réunis en juin dernier, vous levez 385 millions
00:42 d'euros.
00:43 Ce montant est colossal.
00:44 Alors, il dit que vous êtes très très bon ou que l'intelligence artificielle suscite
00:48 un enthousiasme débridé chez les financiers ?
00:50 Alors, il dit qu'on a réussi en quelques mois à faire des modèles qui sont pertinents
00:57 et qui ont été largement utilisés par la communauté.
00:58 C'est d'abord une promesse, une levée de fonds, ce n'est pas un succès.
01:03 Et donc c'est surtout quelque chose qui nous engage.
01:05 On est très humbles devant cette levée.
01:10 L'objectif de cette levée, c'est de pouvoir accélérer parce que la capacité des modèles,
01:14 elle est très liée à la capacité de calcul qu'on utilise pour les entraîner et cette
01:18 capacité, elle coûte cher.
01:19 Et c'est pour ça qu'on a...
01:20 Vous avez un super calculateur ?
01:21 Oui, on a un super calculateur.
01:23 Et il est super super mais pas assez super ?
01:25 Il est vraiment super.
01:27 Il y a beaucoup de cartes graphiques dedans, de derniers cris de Nvidia justement.
01:32 Et l'enjeu avec cette levée, c'est de l'agrandir, de pouvoir aussi agrandir l'équipe qui va
01:38 l'utiliser parce que ce super calculateur, on l'utilise pour faire une espèce de science
01:44 naturelle de l'ordinateur.
01:45 C'est-à-dire qu'on fait tourner les expériences dessus, on regarde les modèles qu'on a entraînés,
01:48 on les améliore.
01:49 Donc il y a beaucoup d'itérations à faire et c'est un vrai enjeu d'avoir suffisamment
01:52 de capacités pour pouvoir faire suffisamment d'expériences et progresser.
01:55 Alors justement, vous n'êtes que 22 et tout le monde se demande comment à 22, en 7 mois,
02:00 vous avez réussi à faire autant.
02:02 Mais pour faire grossir l'entreprise, il va falloir embaucher des jeunes ultra-diplômés
02:06 sortis par exemple de l'école normale sub ou de Polytechnique comme vous et vos associés.
02:10 Sauf que tous ces étudiants-là, ils filent directement en Californie, dans la Silicon
02:15 Valley.
02:16 Comment vous les faites revenir ? Comment vous les attirez chez vous en France ?
02:18 Alors ils ne filent pas tous.
02:20 Souvent les Français aiment bien rester en France.
02:22 Donc ça, c'est quelque chose qu'on exploite.
02:23 Vous, vous avez filé en Californie et vous êtes revenu ?
02:25 Moi, je ne suis jamais allé.
02:26 Guillaume et Timothée non plus.
02:28 Mais vous avez travaillé pour des entreprises américaines.
02:29 On a travaillé pour les entreprises, pour les GAFAM qui étaient en France.
02:33 Et d'ailleurs, on les remercie de s'y être implantés puisque ça a créé des viviers
02:35 de talents tout à fait intéressants pour nous.
02:38 Et donc, on les attire avec un projet européen.
02:42 Nous, on a lancé un projet sur cette technologie parce qu'on pense que l'inflexion qu'on
02:46 voit aujourd'hui, c'est une opportunité pour faire émerger un champion.
02:49 Et ça, c'est quelque chose qui parle beaucoup aux Européens de manière générale.
02:53 Si on fournit ça et on fournit une équipe qui est la plus talentueuse, une des plus
02:57 talentueuses du monde, c'est suffisamment attirant pour qu'on nous rejoigne et parce
03:02 que nos nouveaux employés vont apprendre des choses.
03:06 Et c'est souvent ce que les ingénieurs recherchent quand ils rejoignent une entreprise.
03:09 C'est ça.
03:10 Alors, Manmistral AI, 2 milliards d'euros de valorisation.
03:15 Ça reste très petit par rapport à OpenAI.
03:18 L'entreprise à l'origine du logiciel Tchad GPT qui a été fondée en 2015 et qui
03:23 atteint les 90 milliards de valorisation.
03:26 Alors, est-ce qu'on peut être considéré comme un rival quand la différence de taille
03:30 est si conséquente ?
03:31 Alors, nous, on prend une approche assez différente d'OpenAI.
03:34 C'est-à-dire que la technologie qu'on déploie, on la déploie de manière ouverte.
03:38 On donne toutes les clés à nos clients, aux développeurs auxquels on s'adresse
03:41 majoritairement, pour qu'ils modifient la technologie de manière assez profonde.
03:44 Et c'est quelque chose qu'OpenAI ne fait pas aujourd'hui.
03:47 Et je pense que c'est quelque chose qui nous a valu le succès qu'on a eu sur notre
03:50 premier modèle et sur le deuxième modèle.
03:52 Alors, juste un instant pour que tout le monde comprenne.
03:54 C'est-à-dire, vous n'ouvrez pas le capot complètement.
03:57 Vous ne donnez pas tous vos secrets industriels.
04:00 Vous avez là-dessus un double discours.
04:02 C'est-à-dire, d'un côté, vous êtes transparent.
04:03 Mais d'un autre côté, vous sécurisez quand même ce qui fait votre différence.
04:07 Oui, bien sûr.
04:09 Tout l'enjeu, c'est de garder un peu des secrets, des affaires, une espèce de recette
04:15 secrète pour entraîner les modèles.
04:17 Donc, il y a comment on prête les données qui viennent du web ouvert, comment on entraîne
04:22 tous les algorithmes qu'on utilise.
04:23 Mais ensuite, ce qu'on met à disposition, qui est donc le modèle lui-même, qui est
04:26 celui qui prédit les mots et qui est ensuite utilisable pour faire des chatbots, par exemple.
04:30 Ce modèle-là, il peut être modifié.
04:32 On peut y rentrer des choix éditoriaux.
04:34 On peut y rentrer des orientations, de nouvelles connaissances.
04:36 Et ça, c'est quelque chose que nos concurrents américains ne proposent pas à ce stade.
04:39 Et ce que nous, on propose et qui est très attirant pour les développeurs, parce qu'ils
04:43 peuvent créer de la différenciation dessus.
04:45 Ils peuvent modifier les modèles pour en faire des applications uniques.
04:48 Mais quand même, Arthur Mench, le retard français par rapport aux Américains, il
04:51 se compte en quoi ? En semaines ? En mois ? En années ?
04:54 Aujourd'hui, le modèle qu'on a mis à disposition, enfin plutôt hier, celui qu'on a mis à disposition,
04:59 il est du niveau de chat GPT 3.5, qui est sorti il y a 12 mois.
05:03 L'objectif, c'est de battre chat GPT 4 ?
05:06 L'objectif, c'est d'aller au-dessus de 4, effectivement.
05:08 C'est pour ça qu'on a levé des fonds.
05:09 Et donc, cette échéance, ça se compte plutôt en mois qu'en années.
05:13 En mois ? Alors, quelle échéance ?
05:16 C'est toujours difficile de donner des échéances techniques, parce que nos ingénieurs vont
05:20 s'en plaindre après.
05:21 Mais l'enjeu, c'est plutôt l'année prochaine.
05:25 L'année prochaine.
05:26 Arthur Mench, évidemment, vous le savez, l'Artificial Intelligence Act, un interminable round de
05:33 négociation à Bruxelles, qui donne lieu à une future loi qui n'entrera pas en vigueur
05:38 avant 2025.
05:39 Cette volonté de régulation européenne, vous la voyez comme un frein à l'innovation
05:44 ou comme un filet indispensable dont l'industrie doit se doter pour empêcher les dérives ?
05:49 Alors, nous, on est pour la régulation.
05:51 C'est-à-dire qu'on pense que pour déployer de manière sécurisée l'intelligence artificielle
05:57 dans des applications, dans des systèmes de diagnostic en santé, par exemple, c'est
06:00 indispensable qu'il y ait une sécurité des produits.
06:03 Et c'était un peu l'essence de l'AI Act au démarrage, dans sa première version.
06:07 Donc, on pense que c'est cette version-là qui était certainement la meilleure, qui
06:11 permettait à la fois une protection du citoyen européen et un cadre d'innovation favorable.
06:17 Parce que protection, il faut ?
06:19 Parce que protection, il faut sur les applications.
06:21 En revanche, la régulation de la technologie en elle-même, c'est-à-dire réguler les
06:25 mathématiques, ce qu'en réalité c'est de ça dont on parle, quand on met une régulation
06:29 qui dépend du nombre d'opérations de calcul qu'on a faites, on pense que ça, ce n'est
06:34 pas la bonne manière de faire.
06:35 Ça n'a jamais été la bonne manière de faire.
06:36 Ce qui est important, c'est de réguler plutôt l'aspect applicatif, réguler le
06:42 produit final.
06:43 Mais ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'on va aller mettre le nez dans vos calculs,
06:46 Arthur Mensch, le nez dans les calculs de Mistral.ai, qu'il va falloir que vous ouvriez
06:50 vos modèles, que vous les laissiez contrôler par d'autres ?
06:54 C'est encore largement en discussion.
06:56 Et donc, c'est difficile pour nous.
06:57 On n'a pas toutes les analyses et le texte est encore assez… Alors, il n'est pas
07:01 mouvant, mais tout l'aspect technique est encore largement en discussion.
07:04 On va prendre part à ces discussions-là.
07:06 Nous, on est largement pour la transparence.
07:10 La seule chose qui nous tient à cœur, c'est qu'on puisse garder un avantage compétitif
07:13 par rapport à nos concurrents américains.
07:14 On veut créer un champion européen, il faut s'en donner les moyens.
07:17 Il ne faut pas se couper les ailes un peu trop tôt en régulant trop vite une technologie
07:22 qui ne fait qu'émerger.
07:23 Est-ce que vous croyez, Arthur Mensch, à l'avènement d'une super intelligence,
07:28 d'une intelligence supérieure à l'intelligence humaine ?
07:31 Alors, moi, personnellement, je trouve que c'est un peu une distraction par rapport
07:35 à ce qu'on peut faire aujourd'hui avec l'intelligence artificielle.
07:38 C'est-à-dire ?
07:39 C'est-à-dire que tout le monde fantasme sur un machin qui n'arrivera jamais au
07:41 lieu de voir les vrais dangers qui sont là sous nos yeux ?
07:44 Surtout au lieu de voir les vrais bénéfices.
07:46 C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on a la capacité d'augmenter notre intelligence,
07:51 de retirer les aspirés barbatifs de certains métiers, d'améliorer les diagnostics médicaux,
07:57 d'améliorer l'éducation personnalisée, y compris dans les endroits où c'est difficile
08:00 de trouver des professeurs.
08:01 Donc, on a vraiment une technologie qui est porteuse d'une révolution sociale assez
08:04 forte et une révolution sociale qui est bénéfique si on la gère bien.
08:07 Et en revanche, si on commence à parler…
08:08 Pardon, que l'intelligence artificielle la remplace des professeurs dans les régions
08:12 où il n'y a plus de professeurs ou les disciplines où il n'y a plus de professeurs,
08:14 c'est une révolution sociale bénéfique ?
08:17 Ce n'est pas pour les remplacer.
08:19 C'est plutôt pour faire en sorte qu'on ait une éducation plus personnalisée et
08:23 que les professeurs puissent se concentrer sur comment faire en sorte que les étudiants
08:29 qui sont en difficulté progressent plus vite.
08:31 Donc, il y a vraiment ce sujet que ça permet aux professeurs de se démultiplier parce
08:35 qu'ils vont identifier plus précisément comment ces étudiants fonctionnent.
08:38 Mistral AI.
08:40 Merci Arthur Mensch.