"Je finis ma carrière comme je l'ai commencée : dans l'humanitaire" : Véronique, sage-femme "de rue"

  • l’année dernière
À Paris, nous avons suivi Véronique Boulinguez, sage-femme "de rue". En maraude ou dans le cadre d'un accueil de jour, elle assure le suivi gynécologique de nombreuses femmes sans-abri, les accompagne durant leur grossesse et dans le soin de leurs enfants.


Un reportage de Didier Mariani.

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Transcription
00:00 Ah ben le voilà ! C'est rassurant.
00:03 Vous avez vécu le naufrage ?
00:04 Oui, en 2019, le 30.
00:07 J'essaye de venir à peu près une fois par semaine.
00:16 Ça me permet aussi de repérer des femmes enceintes
00:18 qui n'ont aucun suivi de grossesse.
00:20 Très souvent, les femmes que je retrouve ici
00:21 ont des grossesses déjà bien avancées
00:24 et c'est un peu urgent quand même d'organiser leur suivi de grossesse.
00:28 Pour le dernier trimestre, en effet,
00:30 on inscrit toutes les mamans en maternité.
00:32 Vous êtes à combien de semaines maintenant ?
00:33 Vous savez ?
00:34 Le 19, ça fait 6 mois.
00:35 D'accord, en effet, ça va être le moment de vous inscrire dans une maternité.
00:39 Le moral, ça va quand même ?
00:41 Un peu, un peu ?
00:43 Vous êtes toutes seules ?
00:44 Non, non, j'ai pas envie d'aller se promener.
00:48 On va aller voir les mamans qui installent leur tente là devant la piscine.
00:53 Bon, il n'y a plus de tente ?
00:54 Il y a une interdiction ou quoi ?
00:57 Excusez-moi ?
00:58 Bonjour.
00:59 Bonjour.
01:00 Avant, il y avait plein de familles qui dormaient ici, sous la tente ?
01:02 Oui, elles ont été relogées, je crois.
01:05 J'espère pour eux, mais en tout cas, ils ne sont plus là,
01:07 de ce que j'ai entendu dire.
01:08 Depuis quand ?
01:09 Je crois depuis deux jours.
01:10 Depuis deux jours ?
01:11 Oui, depuis deux jours.
01:12 Apparemment, ils ne sont plus là depuis deux jours.
01:14 La police est venue ?
01:15 À 23h et…
01:17 On va retourner à la place de l'hôtel de ville, on va essayer de comprendre.
01:20 Je rencontre énormément de femmes qui ont un parcours migratoire.
01:24 Soit elles sont primo-arrivantes, elles ont été demandeuses d'asile,
01:27 elles sont parties en province dans ce qu'on appelle un cada,
01:30 et elles reviennent parce qu'elles ont été déboutées du droit d'asile.
01:34 Elles reviennent ici à la case départ, à nouveau à la rue.
01:37 Quand j'arrive ici le matin, en fait, j'ouvre les volets.
01:47 Et c'est vraiment l'impression de…
01:50 Et j'aperçois souvent des femmes qui attendent juste en face l'ouverture du centre.
01:55 Ici, là-bas, c'est la rue.
01:57 Ici, c'est la maison dans la rue.
01:59 Donc là, on est à 21 semaines et 3 jours.
02:02 Vous commencez à le sentir un peu bouger, le bébé ?
02:05 Parfois, il ne bouge pas.
02:06 Parfois, il bouge.
02:07 Comme je suis un peu…
02:08 Mon âme n'est pas bonne.
02:09 C'est difficile, hein ?
02:10 Oui.
02:11 Il ne bouge pas.
02:12 Il est descendu dans un coin seulement.
02:14 Il est arrêté là.
02:15 On écoute un peu le bébé, là, si vous ne le sentez pas trop bouger ?
02:18 Vous voulez bien ?
02:19 Oui.
02:20 Alors, le ventre, là, il est bien souple.
02:22 Est-ce que ça lui arrive d'être très, très dur, le ventre ?
02:24 Oui.
02:25 Combien de fois, à peu près, par jour ?
02:27 Deux fois.
02:28 Deux fois.
02:29 Bon, ça va.
02:30 Si c'est deux à trois fois, ça va.
02:32 Vous avez de quoi vous protéger un peu de la pluie ou pas ?
02:35 Non.
02:36 Hop.
02:38 Hop, elle le voit, là.
02:40 C'est rassurant ?
02:43 Oui.
02:44 Et votre fille, est-ce qu'elle est au courant, maintenant ?
02:46 Elle le sait ?
02:47 Oui, elle le sait.
02:48 Vous voyez, ma fille, aussi, elle a vécu le naufrage.
02:52 Vous avez vécu le naufrage, vous ?
02:55 Oui.
02:56 En 2019, le 30.
02:59 Et parfois, quand elle dort, elle a…
03:02 Elle a des cauchemars ?
03:03 Oui.
03:04 Elle est aidée, elle aussi, par la psychologue de l'école ?
03:06 Oui, c'est à cause de ça que j'ai été aller voir la psychologue de l'école.
03:09 Pour qu'elle puisse avoir l'autorisation de parler avec elle.
03:13 D'accord.
03:14 L'utérus est bien souple.
03:15 On entend bien les bruits du cœur.
03:17 Voilà.
03:18 Je vous laisse vous relever ?
03:19 Garde l'aise pour dormir ?
03:21 Vous ne préférez pas aller voir Utopia ?
03:26 Pour essayer d'être hébergée dans une famille ?
03:28 Ou à l'hôpital, sinon.
03:32 Il faut quand même que quelqu'un vous accompagne.
03:35 Vous vivez des choses quand même difficiles.
03:37 Ce n'est pas juste un traumatisme, c'est une série de traumatismes.
03:42 S'il y a une bonne nouvelle du 115, venez me le dire.
03:45 Oui, madame. Merci.
03:46 Prenez des petits chocolats pour votre fille.
03:48 Quand elle va sortir de l'école, elle va être contente.
03:51 Merci.
03:52 Allez-y, prenez.
03:53 Allez, voilà.
03:55 On comprend qu'elle soit hors radar, puisque la première dort dans l'école,
04:00 où sont scolarisés ses enfants.
04:02 La seconde nous a expliqué qu'avec ses deux petits, elle dort dans les bus de nuit.
04:06 Elle va jusqu'au bout de la ligne, et puis après, elle réveille ses enfants
04:10 et elle attend un autre bus de nuit pour partir dans l'autre sens.
04:14 Ça fait six ans que cette dame est en France.
04:17 Pour survivre, quand on est maman, avec des enfants, sans un sou en poche,
04:21 ce n'est pas rare que certaines femmes confient se donner à la prostitution
04:25 pour gagner quelques sous.
04:27 Donc là, mon rôle, c'est de les orienter pour faire des dépistages
04:31 et peut-être même évoquer la PrEP, qui est un traitement préventif contre le VIH.
04:36 Là, on a vu récemment des tout-petits à nouveau à la rue.
04:39 Voilà, des bébés de moins d'un mois.
04:41 Hier, j'ai eu deux alertes d'un accueil de jour pour des tout-petits.
04:45 Je suis parfois la première personne qu'elles ont rencontrée en arrivant ici
04:48 et où elles ont raconté un peu leur récit et leur histoire de vie.
04:52 Et ça crée des liens forts.
04:54 Pour moi, c'est aussi important de voir que les familles s'en sortent,
04:57 ont pu trouver du travail, obtenir un titre de séjour.
05:01 Les enfants sont scolarisés, tout le monde va bien.
05:04 J'ai besoin d'histoires comme ça pour tenir la route.
05:06 Vous voyez, j'ai commencé ma carrière dans l'humanitaire
05:09 et je vais la terminer dans l'humanitaire, j'ai l'impression.
05:11 [Musique]

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