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Maud reçoit Jean-Louis Etienne, médecin et explorateur. C'est le premier homme à avoir atteint le Pôle nord en solitaire, son terrain de jeu : les endroits les moins hospitaliers de la terre. Il nous parle de son prochain périple, une mission de trois ans autour de l'Antarctique. 

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Transcription
00:00 Bienvenue sur le plateau de Télémathènes, on est ravis de vous recevoir.
00:03 Vous êtes explorateur, vous êtes entre autres le premier homme à avoir atteint le pôle Nord en solitaire.
00:08 C'était en 1986, ça remonte à quelques années maintenant.
00:11 Votre terrain de jeu, ce sont tous les endroits les plus inhospitaliers de la Terre,
00:15 là où il fait froid, l'Arctique, la Patagonie, le Groenland.
00:18 On ne compte plus le nombre d'expéditions que vous avez menées.
00:21 Et ce matin, vous venez nous parler de votre prochain périple,
00:24 une mission de trois ans autour de l'Antarctique, à l'extrême sud de la Terre.
00:30 Qu'est-ce que vous allez y faire exactement ?
00:32 Alors, le pôle Sud est au milieu d'un continent, un continent de glace,
00:36 c'est grand comme 28 fois la France, recouvert par 2,5 km de glace moyenne,
00:41 vous voyez la taille du glaçon qu'il y a au sud.
00:43 Et tout autour, il y a un océan qui tourne, que les marins appellent les 50e Hurlant, 40e Brugisson.
00:49 C'est loin, c'est difficile d'accès, il n'y a pas beaucoup de missions.
00:53 Toute la communauté scientifique dit, on a besoin de mesurer une situe sur cet océan.
00:58 En un mot, on a besoin de s'installer sur cet océan.
01:01 Et donc pour ça, on va construire le PolarPod, un navire vertical.
01:05 Un drôle de bateau, oui.
01:06 Oui, c'est un navire vertical.
01:08 Si vous voulez être confortable sur une mer de tempête,
01:11 il faut avoir un navire profond qui descend à 75 mètres sous l'eau.
01:15 Et à la surface, on a un trahier, trois tubes comme ça,
01:18 et donc la mer nous passe à travers.
01:19 C'est un peu une sorte de gratte-ciel, mais sur l'eau, c'est ça ?
01:22 C'est un gratte-ciel qui va gratter sous l'eau, effectivement, à 75 mètres.
01:26 Et on habite dans une capsule qui est tout à fait en haut.
01:28 Et un bateau qui a été conçu spécialement pour cette expédition ?
01:31 Spécialement, ah oui.
01:32 Construit en France ?
01:33 Il est unique, il va être construit en France, au chantier Piriou à Concarneau.
01:37 Et il est unique.
01:38 Et donc la communauté scientifique, quand elle a appris l'existence de ce futur projet,
01:43 il y a beaucoup de monde, parce que personne n'a imaginé un truc comme ça,
01:47 si vous voulez, pour l'explorer un tel océan.
01:50 Oui, je vois 43 institutions scientifiques, 12 pays.
01:53 Ça arrive souvent qu'il y ait autant de monde comme ça sur une expédition ?
01:56 Non, c'est vraiment…
01:57 J'ai commencé à travailler aux États-Unis sur ce projet,
02:00 donc j'ai beaucoup d'universités américaines qui sont déjà impliquées,
02:04 MIT, Georgia Tech, Cal State, Scripps, tout ça, qui sont dedans.
02:07 Puis je suis revenu en France parce que je suis français,
02:09 je voulais que ce soit fait en France, et bien sûr, la communauté scientifique…
02:13 Et là, il y a une énorme attente,
02:16 parce que c'est un acteur majeur du climat que l'on ne connaît pas.
02:18 Alors justement, qu'est-ce que vous allez mesurer là-bas ?
02:20 Ça va servir à quoi, cette expédition ?
02:22 Cet immense océan, c'est un océan d'eau froide,
02:25 c'est le principal puits de carbone océanique de la planète.
02:29 Ça veut dire qu'il recapture le gaz carbonique qu'on aimait annexer,
02:33 responsable du réchauffement climatique.
02:36 Donc, il recapture parce que le CO2, le fameux CO2,
02:40 responsable de l'effet de serre,
02:42 se dissout beaucoup plus dans les eaux froides que dans les eaux tempérées.
02:45 Et donc, c'est une immensité d'eau froide.
02:47 On va mesurer l'échange entre l'atmosphère et l'océan.
02:50 Le CO2, on le mesure là, à la surface et dessous. Acte 1.
02:55 Deuxièmement, on est entraîné par le courant.
02:58 - Oui.
02:59 - Vous voyez, on n'a pas de moteur de propulsion.
03:01 - Vous vous laissez porter.
03:03 - Oui, oui, le courant nous entraîne autour,
03:05 on appelle ça le courant circumpolaire.
03:08 Et deuxièmement, on a des éoliennes,
03:11 on n'a pas de groupe électrogène,
03:12 donc on a l'électricité avec le vent.
03:14 Donc il est silencieux.
03:16 Et on va mettre des micros sous l'eau, des hydrophones,
03:19 et on va faire un inventaire de la faune par acoustique.
03:22 On connaît la signature sonore de toutes les espèces
03:25 et par une écoute comme ça, on va dire,
03:27 tiens, un mâcho, tiens, un phoque, tiens, une balette bleue, voilà.
03:30 Par une écoute.
03:31 Et ce qui est remarquable sur ce projet,
03:34 c'est qu'on va y rester en permanence,
03:36 à toutes les saisons, qui n'ont jamais été faites, bien sûr.
03:39 - Et ce qui est assez incroyable aussi sur ce projet,
03:41 c'est qu'il y a une dimension pédagogique.
03:43 Toutes ces données, tout ce que vous allez découvrir,
03:45 vous allez le partager quasiment en temps réel, c'est ça ?
03:48 - Alors, en temps réel.
03:49 Donc les données, elles sont à la fois pour les...
03:51 On est un arbre de Noël de capteurs.
03:52 C'est Noël, écoutez, vraiment,
03:54 il y a des capteurs absolument partout.
03:56 Donc il y a quatre ingénieurs qui vont s'occuper de ça.
03:59 On envoie la donnée à terre.
04:00 Les scientifiques sont à terre,
04:02 ils travaillent sur la donnée qu'on envoie, effectivement.
04:04 Et puis ce sont des supports pédagogiques formidables.
04:07 Quand vous êtes sur le terrain,
04:08 vous voyez une légitimité pour parler des choses.
04:11 Et donc moi, j'adore la pédagogie.
04:15 Transformer des choses complexes en quelques mots simples,
04:18 sans dénaturer le projet, c'est quelque chose que j'aime bien.
04:20 - Je souris parce que vous parlez de cette expédition
04:23 avec des étoiles dans les yeux.
04:25 Pourtant, c'est loin d'être votre première expédition.
04:27 Vous avez 77 ans.
04:28 Il y a toujours cet émerveillement, ce rapport d'étonnement
04:31 sur chaque mission que vous faites.
04:33 - Ah oui, c'est une création.
04:34 Chacune a été une création.
04:36 Alors, je n'ai pas de catalogue, vous avez mentionné,
04:38 j'ai 77 ans, je n'ai pas le catalogue.
04:40 Non, elles viennent au fur et à mesure.
04:43 Je m'intéresse beaucoup à ces régions
04:45 qui sont difficiles d'accès.
04:46 J'ai construit Antarctica, qui s'appelle Tara aujourd'hui,
04:49 pour l'océan Arctique.
04:50 J'ai construit d'autres choses, effectivement.
04:53 Moi, j'aime un lieu difficile d'accès,
04:56 une attente de la communauté scientifique,
04:58 quelque chose à construire.
05:00 Vous savez, au début, j'étais tourneur-fraiseur.
05:02 - Mais oui, vous ne vous destinez absolument pas à ce métier-là.
05:04 Qu'est-ce qui vous a donné ce goût de l'aventure ?
05:06 - Ah, ça, c'est depuis tout petit.
05:08 Je suis né à la campagne, dans le Tarn.
05:10 Il y avait la maison, la route et les champs.
05:12 J'aimais vivre dehors, vous voyez ?
05:14 Donc, j'étais un garçon assez timide, solitaire.
05:17 J'aimais vivre dehors et je m'y machinais des expéditions.
05:20 Et quand j'étais interne en chirurgie,
05:22 à un moment donné, je me suis dit,
05:24 mais peut-être que c'est le moment de proposer mes services, vous voyez ?
05:27 Et ça a commencé comme ça, la course autour du monde avec Eric Tabarly,
05:30 la face nord de l'Everest, des choses comme ça.
05:32 Et à un moment donné, vous l'avez mentionné, à 40 ans,
05:35 je me suis dit, maintenant, je vais faire la mienne.
05:37 Et ça a été le pôle Nord en solitaire,
05:39 de mes expéditions polaires.
05:40 - Je sais que la liberté, l'aventure que vous avez pu vivre
05:43 quand vous étiez enfant, c'est quelque chose qui vous a marqué,
05:46 qui vous a formaté pour la suite.
05:48 Vous trouvez qu'aujourd'hui, on laisse suffisamment, justement,
05:50 chez les enfants, la liberté, la possibilité de développer ce goût pour l'aventure ?
05:54 - Moi, j'ai eu des parents qui m'ont laissé la liberté d'inventer ma vie, vous voyez ?
05:58 C'est vrai que j'avais pas le certificat.
06:00 J'avais le certificat et j'avais pas de diplôme.
06:02 Je pouvais pas rentrer au collège, etc.
06:04 Mais j'avais 10 doigts.
06:06 Et j'ai toujours été bricoleur, vous voyez ?
06:08 Et c'est marrant parce que ça m'a toujours rassuré
06:10 de me dire qu'avec mes 10 doigts, je pouvais faire quelque chose,
06:12 construire une cabane, des poules, un jardin, et voir venir.
06:16 Je pense que pour les parents qui ont des enfants qui sont en troisième,
06:21 on les connaît, on les adore, ils sont intelligents,
06:24 mais ils n'arrivent pas à trouver leur chemin.
06:26 Moi, je suis un pur produit de la formation professionnelle.
06:29 Et donc, j'ai vraiment, en ambassadeur,
06:31 laissé conduiser vers la réalisation de soi à travers un autre parcours.
06:36 Et après, si vous voulez, l'agilité, l'intelligence,
06:39 l'habileté, l'ambition, tout ça fait qu'on réinvente sa vie.
06:43 On sent votre passion, on sent votre engagement.
06:46 En face, il y a quand même la réalité, il y a la COP 28 qui vient de se terminer.
06:49 Je suppose que vous l'avez suivie.
06:51 Vous vous dites quoi ? Est-ce qu'on écoute assez les scientifiques ?
06:54 Ou est-ce que vous dites de toute façon ça va droit dans le mur ?
06:56 Non, on les écoute, si vous voulez, mais le chantier est énorme.
06:59 Si vous voulez, voyez.
07:01 Normalement, il faudrait limiter nos émissions de 7 % par an jusqu'en 2000,
07:09 enfin, pendant 6 ans.
07:11 7 % pendant 6 ans.
07:13 Il faut débuter avec 43 %.
07:15 Pendant la Covid, la diminution de nos émissions était de 7 %.
07:21 Donc, il faudrait, si vous voulez, une petite Covid en même temps,
07:25 et conjuguer ça avec la vraie vie.
07:27 Mais le challenge, il est intéressant,
07:29 parce que le résultat, il est le comportement de chacun.
07:32 Chacun doit être efficace sur sa zone d'influence.
07:34 Mais on va y arriver, vous pensez ?
07:35 Mais il y a un chemin à prendre.
07:37 On ne peut pas abandonner, vous voyez ce que je veux dire.
07:40 Je ne veux pas dire qu'on ne va pas arriver à un degré 5,
07:43 peut-être qu'on va le dépasser, si vous voulez.
07:45 Mais le chantier, il faut le mettre en œuvre tout de suite.
07:47 Il faut beaucoup d'intelligence, beaucoup d'investissement
07:50 pour passer des fossiles à des énergies décarbonées.
07:54 Merci beaucoup, Jean-Louis Etienne, d'être venu partager votre passion
07:57 avec nous ce matin sur le plateau de Télémathens.

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