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HPI et Asperger, l'auteur Olivier Liron publie "La stratégie de la sardine". C'est le récit d’un surdoué sur toutes les formes d’intelligence.

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Transcription
00:00 Bonjour Olivier Liron, écrivain, vous signez en cette fin d'année votre troisième livre
00:05 La stratégie de la sardine aux éditions Robert Laffont.
00:08 Récit autobiographique, l'histoire d'un petit garçon, d'un adolescent puis d'un
00:12 jeune homme qui se sent différent, à qui l'on fait sentir aussi sa différence et
00:16 qui va longtemps en souffrir avant qu'un diagnostic soit enfin posé, autisme Asperger
00:21 et haut potentiel intellectuel HPI.
00:24 Votre livre, Olivier Liron, il commence par 10 pages d'une liste à l'après-verre,
00:28 parce que vous adorez ça, faire des listes.
00:30 Alors on découvre un QI de 162, un peu mieux qu'Einstein, beaucoup moins que Kasparov,
00:35 une passion pour les plaques d'immatriculation, les dates, la poésie polonaise, 5 victoires
00:39 à question pour un super champion, une méthode originale pour s'endormir, faire le produit
00:44 de 247 856 par 91, etc.
00:47 Est-ce que vous avez voulu évacuer avec ces premières pages, dès le début, tout ce
00:52 que les autres remarquent d'original, de décalé chez vous ?
00:55 Merci, tout ça c'est aussi un petit peu du second degré, justement pour partir de
01:02 cette vision un peu fantasmée qu'on a.
01:04 C'est ça, et un peu superficielle.
01:06 Voilà, moi, ce territoire-là de la neurodiversité, comme on dit, je l'aborde de l'intérieur
01:11 et puis je l'aborde en tant qu'écrivain.
01:13 D'ailleurs, je remercie mes éditrices de ce livre, chez Robert Laffont, Sophie Rouanet
01:19 et Zoé Guermain.
01:20 Les auteurs ne citent jamais leurs éditrices, c'est marrant, qui m'ont proposé de prolonger
01:24 un peu le travail que j'avais fait dans les livres précédents.
01:27 Et il y a une phrase de Simone de Beauvoir que j'aime beaucoup qui dit "finalement,
01:31 le comble de l'art et le secret du bonheur, c'est d'être, de vivre comme tout le monde
01:41 en étant comme personne".
01:42 Je crois que c'est ça la stratégie de la sardine, c'est pas du tout "oh là là,
01:45 je suis vraiment exceptionnel, je suis vraiment différent".
01:49 C'est comment on trouve sa place en acceptant sa singularité et aussi son grain de folie.
01:55 Vous dites sortir de la boîte de sardines tout en restant dans le banc de sardines aussi.
01:59 Oui, sortir de la boîte de sardines, j'aime bien, c'est une image qui est pleine d'humour.
02:03 Moi j'aime bien l'humour, la poésie, l'émerveillement, je crois qu'il y a ça dans ce livre, on en
02:07 a quand même pas mal besoin.
02:08 Donc j'espère que ce livre, la stratégie de la sardine n'est pas trop ennuyeuse surtout.
02:11 Alors non, beaucoup d'humour, en effet, dès le début, mais aussi, je le disais, le récit
02:15 d'une souffrance, celle d'un enfant surdoué et qui souffre de l'être.
02:19 Ça me rend tellement malheureux d'être le premier, vous dites, parce que oui, vous
02:23 avez des capacités énormes, mais aussi le sentiment souvent de se sentir trop quelque
02:27 chose.
02:28 C'est terrible d'être mis dans une case et c'est des enfants qui ont une sensibilité,
02:35 une curiosité, un émerveillement souvent.
02:38 C'est terrible de leur mettre une pression scolaire.
02:43 Pour moi, un enfant, c'est comme un bourgeon.
02:45 C'est un livre sur l'enfance, la stratégie de la sardine.
02:46 Un enfant, c'est comme un bourgeon, vous avez plein de petites choses et si vous les
02:49 arrosez bien, si vous en prenez soin, vous allez avoir plein de branches, plein de feuilles,
02:53 plein de fleurs, plein de fruits.
02:54 Il ne faut pas le contraindre ce bourgeon.
02:58 Pour moi, il y a vraiment cette idée de laisser toute sa place à la fragilité, à la vulnérabilité
03:06 de l'enfant qui est terrible et qu'on sous-estime énormément.
03:09 Et puis il y a cette capacité d'émerveillement, de laisser la place à la poésie, à la beauté,
03:18 à toutes ces choses qui sont tellement importantes.
03:22 Et qui vont vous permettre, on va le voir ensuite, de survivre à cette souffrance aussi
03:27 et de vivre avec.
03:28 C'est l'histoire d'un cercle vicieux.
03:30 La différence qui déclenche le harcèlement au collège, qui entraîne la descente aux
03:35 enfers jusqu'à l'autosabordage, ça vous le racontez.
03:37 Parce que vous le dites, pour que le harcèlement, pour que la violence des autres cesse, il
03:42 faut que j'arrête d'exceller.
03:43 Oui, on étouffe sa sensibilité.
03:46 Quand vous étouffez votre sensibilité, vous êtes mort.
03:48 Vous souffrez et vous faites souffrir, ce qui est pire.
03:51 Et donc, effectivement, moi je trouve que les diagnostics, je les laisse aux médecins.
03:59 Il y a quelque chose qui… En tant qu'écrivain, les diagnostics ne sont pas très intéressants.
04:06 Ce qui est intéressant, ce sont les expériences et les émotions, qui sont des choses qui
04:10 sont à la fois extrêmement poétiques et extrêmement politiques.
04:13 Et il y a cette idée qu'on trouve beaucoup dans la poésie de Rilke, par exemple, que
04:18 finalement les émotions, les expériences, c'est ça qui fait un bon poème, c'est
04:22 des expériences, c'est pas des sentiments.
04:23 Si vous mettez des sentiments dans un livre, vous avez un mauvais livre.
04:25 Vous mettez des expériences.
04:26 Un écrivain, ça donne accès à des blocs d'émotions, à des expériences.
04:31 Et donc, effectivement, quand on voit la souffrance inouïe que peut avoir certains
04:36 enfants, mais vraiment dans la famille, à l'école, bien sûr, au sport, dans tous
04:41 les lieux… Encore aujourd'hui, parce que vous le collège, c'était il y a à peu
04:43 près une vingtaine d'années.
04:44 Encore aujourd'hui, évidemment, tous les jours, il y a des effets d'hiver absolument
04:45 terribles qui sont d'une violence inouïe, qui sont à l'image de la société extrêmement
04:48 brutale dans laquelle on est.
04:49 Et c'est clair que vous ne pouvez pas faire fi de ça.
04:54 Le trajet, quand on écrit, c'est de partir toujours du jeu au « nous ». Donc, effectivement,
04:58 cette souffrance-là, quand on est ado, on se gèle, on devient une sorte d'iceberg.
05:02 On se fait beaucoup de mal.
05:04 On peut avoir besoin d'une vie pour se réconcilier avec ça, pour redonner la place à la sensibilité.
05:11 Et c'est aussi pour ça que cette question-là, je l'aborde aussi sous un angle politique.
05:15 Pour moi, la sensibilité, c'est une catégorie politique.
05:18 Je fais aussi le lien avec des luttes des personnes LGBT.
05:23 Je fais des liens avec la trajectoire d'immigration de ma famille, c'est-à-dire l'expérience
05:26 de l'exclusion.
05:27 Vous lancez des messages aussi dans ce livre.
05:30 « Attention à l'instrumentalisation des réussites des personnes neuro-atypiques qui
05:33 seraient capables de tous les exploits ». On met en lumière la réussite de quelques-uns,
05:37 de certains, pour masquer une situation d'inégalité sociale, d'injustice, de discrimination vis-à-vis
05:42 de tous les autres.
05:43 Est-ce qu'avec ce livre, il y a aussi la volonté de se faire le porte-voix des enfants
05:47 qui ont vécu et qui vivent aujourd'hui la même chose que ce que vous avez vécu ?
05:51 Oui, bien sûr, qu'on le veuille ou pas, on est forcément le porte-parole.
05:57 J'ai beaucoup appris des personnes que j'ai rencontrées, bien plus que l'inverse.
06:03 Je crois qu'il y a quelque chose d'exemplaire dans ma trajectoire, de la manière dont une
06:12 société va exclure des personnes qui ne correspondent pas forcément aux normes, va
06:19 vouloir détruire certaines parties du corps social.
06:21 Après, mon message, c'est surtout un message de tendresse.
06:26 Je crois qu'un écrivain, il est là, évidemment, une écrivaine, un écrivain, il cherche à
06:29 mettre des mots sur des souffrances que tout le monde vit, qu'on vit tous, et que souvent
06:34 on n'a pas les mots pour.
06:36 Et c'est un message de tendresse.
06:37 Il y a une phrase du réalisateur Rossellini que je dis à un moment qui est "la tendresse,
06:43 c'est la seule position morale, c'est la vraie position morale, c'est la tendresse".
06:46 Il dit "je ne crois pas qu'on puisse considérer comme artistique quelque chose qui manque
06:52 de tendresse".
06:53 Je crois vraiment que ce soit un message de tendresse.
06:57 La tendresse et la littérature vous concernant.
07:00 Parce que la renaissance, pour vous, elle passe par les études, les études de lettres,
07:03 vous êtes normalien, agrégé d'espagnol, par les études et par la littérature à
07:07 ce moment-là.
07:08 Oui, moi ce qui m'a sauvé, c'est ça.
07:10 Je pense qu'on a tous quelque chose qui peut nous aider.
07:13 Moi j'ai rencontré la littérature à un âge, voilà, comme on rencontre...
07:18 C'était une conversion, quoi.
07:20 Il y a quelque chose tout à coup qui est en devant de votre vie, qui est sublime.
07:23 J'ai beaucoup lu de poésie, c'est ça qui m'a sans doute sauvé.
07:27 Il y a un poème très simple et très beau d'Aragon, je crois, qui est écrit pendant
07:31 la Résistance, qui dit "que ton poème soit l'espoir, que ton poème soit l'espoir qui
07:38 dit à suivre au bas du feuilleton sinistre de nos pas, que triomphe la voix humaine sur
07:43 les cuivres et donne une raison de vivre à ceux que tout semblait inviter au trépas".
07:47 Et il dit à un moment "que ton poème soit dans les lieux sans amour, comme un café
07:53 au point du jour".
07:54 Pour moi, on devrait écrire des livres comme on va au café avec des copains, des copines.
07:58 Pour moi, c'était vraiment des compagnons, des copains, des copines, les écrivains.
08:02 Et ça m'a apporté quelque chose d'absolument inouï, quoi.
08:05 Ça m'a permis vraiment de...
08:07 Ça m'a sauvé, c'est clair.
08:09 Et bien merci à Réveillant Poésie, grâce à vous Olivier Liront ce matin.
08:13 La stratégie de la sardine s'est publiée aux éditions Robert Laffont.
08:17 Bonne journée à vous.

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