« Ça tire partout, c’est la guerre dehors » : j’ai vécu un conflit armé en Côte d’Ivoire

  • il y a 7 mois
À 13 ans, Bayass est envoyé en Côte d’Ivoire par sa mère. Enfant du 18e arrondissement de Paris, il découvre une autre vie à Abidjan. Jusqu’à la guerre en 2011 qui précipite son retour à Paris.
Transcript
00:00 C'est compliqué, je perds mon oncle, ma mère elle est en France,
00:03 c'est la guerre dans le pays, je ne sais même pas si moi je vais caner.
00:07 Vas-y, c'est chaud là.
00:11 Moi je suis un jeune du 18ème, je suis né et j'ai grandi dans le 18ème.
00:25 Je suis né à l'hôpital Bichat, juste à côté là.
00:28 C'est dans le 17, mais c'est collé, c'est un café.
00:31 Et j'ai toujours été là.
00:34 La seule fois où j'ai déménagé,
00:36 c'est quand ma daronne m'a ramené le kéblo.
00:39 J'ai grandi dans une famille monoparentale,
00:43 qu'avec ma daronne et mes reufs.
00:45 On est à Porte de Clignancourt, dans le 18ème arrondissement de Paris.
00:48 Film, film, film, film.
00:49 La crasserie mon poteau, la crasserie.
00:52 Ça pleut déjà.
00:52 L'ambiance quand j'étais petit, c'était bien,
00:56 mais je sentais que c'était un peu gore.
00:58 Tu sors de chez toi, tu peux voir 2-3 SDF,
01:02 une prostituée, 2 toxicos.
01:05 Paru un peu salasse.
01:08 Moi j'allais en Côte d'Ivoire chaque été,
01:12 tous les étés j'étais en Côte d'Ivoire.
01:14 C'était un peu un rituel, j'allais avec tous mes encous.
01:17 C'était grave bon délire.
01:19 En fait, c'était le moment où toute la famille se retrouvait.
01:26 C'est quand je rentre au collège que là je deviens un peu olé olé.
01:31 Trop tête en l'air, je commence à vouloir faire le show.
01:37 Que là ma mère commence à être en mode,
01:40 "toi là, tu vois la bi de Jean".
01:42 Et moi j'étais en mode, "vas-y, elle peut pas faire ça".
01:45 En fait, t'es petit, ça veut dire que t'écoutes pas forcément.
01:48 Elle le dit, le lendemain tu te réveilles, tu vas à l'école, t'oublies.
01:53 On commence à me faire mes inscriptions pour aller à l'école en Côte d'Ivoire.
01:56 Je comprends pas dans ma tête, je me dis, "c'est quoi le thème ?".
02:00 Là, je bouge plus.
02:03 En fait, ma mère m'avait tellement menacé avant que là elle parlait pas trop.
02:07 Et moi je le prends au sérieux quand je la vois partir,
02:10 quand elle rentre en France, tu vois ou pas ?
02:13 Là je me dis, "ah ouais, là je suis là en fait".
02:16 C'est cool, je vis ma vie, je suis en Côte d'Ivoire.
02:18 Là, je suis là en fait.
02:21 C'est cool, je vis bien, je mange bien, tout est bon.
02:24 Donc en vrai, je suis pas dépaysé pour autant, tu vois.
02:27 Parce que je suis encore avec ma mif, des gens que je connais.
02:31 Le choc, c'est juste que là, y a plus ma mère.
02:32 Quand je vais à l'école, je sens une différence.
02:38 Dans une classe en France, vous êtes combien ?
02:40 25, et 25 même, c'est un peu beaucoup.
02:44 Moi j'arrive dans une classe, on est 70.
02:46 Je suis le seul Français.
02:48 Genre toute l'école sait que je viens de France.
02:50 T'es renoi, t'es comme eux, mais eux ils te voient pas comme eux.
02:53 Ça parle pas mal, mais avec du recul, y a grave des pics.
02:57 Ça me rappelle, "hé, ici t'es pas en France,
03:00 ah c'est pas comme là-bas, ah si tu vois".
03:02 Moi je suis en mode "eh vas-y, déjà j'ai un peu le seum d'être là".
03:06 Mais vas-y, t'es dur, faut pas montrer que...
03:10 Faut pas faire le faible, sinon t'es mort.
03:12 Le travail des enfants en Côte d'Ivoire,
03:14 ce n'est pas que dans les plantations de café et cacao.
03:17 Ils sont nombreux ces mineurs qui se faufilent entre les voitures
03:21 pour vendre paquets de mouchoirs, gel désinfectant
03:24 ou encore chewing-gum à la sauvette.
03:26 D'abord moi ça m'a choqué de voir qu'il y avait des plus petits que moi
03:29 qui travaillaient, genre j'étais en mode "oh, comment ça se fait,
03:32 ils travaillent, ils vont pas à l'école, genre tu vois".
03:33 Moi à la base, tous les enfants du monde ils vont à l'école,
03:37 tout le monde kiffe sa vie, tout le monde mange un petit déjeuner le matin,
03:40 genre y avait des plus âgés aussi qui savaient pas lire.
03:43 Je me suis dit "mais attends, t'es pas allé à l'école".
03:45 "Bah oui frérot, je suis pas allé à l'école".
03:47 Parce que c'est payant l'école, tu vois.
03:49 Et tout le monde n'a pas forcément les moyens de se payer l'école.
03:51 Genre quand t'es en galère au bled, y a pas de RSA, y a pas de pôle emploi.
03:55 Genre quand t'es en galère, t'es en galère, tu vois.
03:57 Forcément quand je suis là-bas, je massagie,
03:59 parce que c'est un autre mode de vie, tu vois.
04:02 Ouais, avec le temps là, je suis plus un mec du bled qu'eux même,
04:05 j'ai envie de te dire.
04:12 En fait ça se termine bien, mais en vrai ça se termine mal.
04:15 Depuis 4 mois, Laurent Bacbaud s'accroche au pouvoir.
04:18 Sanctions diplomatiques ou financières, rien n'y fait.
04:21 Lassé d'attendre, le camp Ouattara est passé à l'offensive.
04:24 Une attaque éclaire, plus question maintenant d'accepter tout appel au dialogue.
04:29 Donc avec ma mif, on décide de faire quoi ? D'aller au village.
04:32 Et arrivé au village, mon oncle, qui est ma figure paternelle,
04:36 le grand frère de ma mère, tu vois, il tombe malade.
04:38 Il a le paludisme.
04:39 Le paludisme se transmet par les moustiques.
04:42 Chaque année, il contamine pas moins de 216 millions de personnes dans le monde
04:46 et provoque 400 000 décès.
04:48 Moi aussi je tombe malade.
04:50 Et maintenant, j'ai de l'émotion quand je parle de ça, la tête...
04:54 Et mon oncle il me dit quoi ?
04:55 "Bon, toi, va, tu te soignes, tout, tout, tout, tranquille."
04:59 Et quand ça se calme, moi je rentre à Bidjan et on calme, tu vois.
05:02 Du coup, moi je vais à Bidjan, tout ça.
05:04 Je vais chez une tante à moi, qui habite à Kokodi.
05:08 Un quartier un peu huppé du bled, tu vois.
05:10 C'est là que ça part vraiment en sucette.
05:13 Ça tire de partout et tout.
05:14 En vrai, moi je suis pas dehors,
05:19 moi je suis terré dans la baraque pendant une semaine.
05:23 Mais ce que j'entends là, c'est trop réel.
05:25 Ça tire de partout.
05:27 C'est la guerre dehors.
05:29 Au point où même quand ça s'est calmé,
05:31 genre on est sorti vite fait devant,
05:35 il y avait des balles devant, des auguts, des douilles par terre.
05:40 C'était chaud de ouf.
05:42 Alors la capitale s'est réveillée totalement traumatisée
05:45 par les affrontements d'hier qui ont peut-être fait jusqu'à 30 morts.
05:49 Ce sont les pires violences que le pays ait connues depuis 2004.
05:52 Vu que j'étais plus jeune,
05:55 je n'étais pas conscient, tu vois.
05:56 Je pense que là, si j'y suis maintenant, avec l'âge que j'ai,
05:59 j'ai beaucoup plus peur qu'à l'époque.
06:01 Et la dinguerie, c'est que comme moi je suis à Bijan,
06:05 je n'ai plus eu contact avec mon oncle et tout.
06:09 Je connaissais la guerre, je crois qu'il n'y a même plus de réseau
06:11 donc on ne peut pas trop s'appeler.
06:14 Et sur Facebook, je parle avec un cousin à moi,
06:16 mais lui, il est en France.
06:17 Et je vois mon cousin, il a un statut bizarre.
06:19 C'est un vrai, mon bref.
06:21 Il a un statut bizarre en mode RIP, tonton et tout.
06:25 Et moi, je dis à mon zinco,
06:26 "Toi, tu parles de quel Cléon ? Tu parles de qui, toi ?"
06:28 Il me dit "Mais toi, t'es dans quel pays ?
06:30 Tu ne sais pas que tonton, il est décédé."
06:33 Et moi, je pète un câble, je dis "Ouais, ce n'est pas possible."
06:36 Moi, j'étais avec lui il y a une semaine.
06:39 On s'est dit "Vas-y, va à Bijan, tu te soignes."
06:41 Et quand ça se calme, moi aussi, je rentre.
06:45 Et donc, c'est comme ça que j'apprends la mort de mon oncle.
06:47 Je suis dévasté quand j'apprends ça.
06:50 Parce que mon oncle, c'était vraiment comme mon père.
06:52 Je vois mon père dans un cercueil et tout,
06:54 je suis en mode "Ah ouais, dinguerie."
06:59 C'est la première fois que je suis confronté à la mort,
07:01 genre de quelqu'un de proche.
07:03 En fait, quand je rentre en France, je ne suis pas en mode
07:11 "Trop bien !" et tout.
07:12 Je rentre en France, je suis blasé un peu quand je rentre.
07:15 Parce que ce n'est pas comme ça que je voulais rentrer.
07:17 J'aurais kiffé, je rentre.
07:20 Je rentre et je suis en France et je peux encore appeler mon oncle
07:22 "Ouais, ça dit quoi, tonton ?"
07:25 Alors que quand je rentre,
07:26 je rentre parce qu'il y a eu un chaos dans la famille.
07:29 Les cinq premiers mois, je suis la bonne gamberge.
07:33 Là, j'étais au bled, il y a eu ci, il y a eu ça.
07:36 Je connais les réalités de la vie.
07:37 J'ai été confronté à la mort, à la pauvreté.
07:40 J'ai vu des gens, des enfants qui travaillent.
07:43 Ça veut dire que je sais que là-bas et ici,
07:45 ce n'est pas forcément la même chose.
07:47 Mais dans la vie sociale en France, je suis en mode
07:50 "Je suis encore plus en roue libre."
07:52 Quand je retourne au carcher, quand je sors,
07:53 je vois mes potes là, c'est fini.
07:56 Ça repart en sucette.
07:59 Je pense que dans chaque quartier,
08:03 il y a forcément deux, trois pirates,
08:06 on les a ramenés au bled.
08:07 Après, je ne sais pas pourquoi on n'en prend pas.
08:09 Mais moi, je pense que ce n'est pas négatif.
08:14 Ce n'est pas mal.
08:17 Je pense que chaque parent qui fait ça pour son enfant,
08:19 c'est parce qu'au final, il lui veut du bien.
08:21 Et il pense que, en faisant ça,
08:24 ça sera mieux pour son enfant.
08:26 Porte de Clio, cours Paris-Nord,
08:27 j'ai jamais traîné à Gare du Nord.
08:29 À part pour Vissère, Alphonse,
08:31 ils m'appellent quand ils se défondent.
08:34 Je suis dans la cahier, parisien pressé.
08:37 Je suis pressé, je détaille l'acé.
08:40 Aujourd'hui, maintenant que je fais du rap,
08:44 je n'ai pas encore trouvé le bon élément
08:50 pour placer ça.
08:51 Parce qu'en vrai, je trouve que ce n'est pas rien.
08:54 Donc il faut que je le...
08:58 Je n'ai pas envie de le faire là-bas vite.
09:01 - Est-ce que tu retourneras en Côte d'Ivoire un jour ?
09:03 - Je suis déjà retourné depuis.
09:05 Et même pour te dire,
09:07 plus tard, j'aimerais bien y vivre.
09:11 C'est chez moi au final.
09:14 Sous-titrage ST' 501
09:16 *Sous-titrage ST' 501*
09:18 *Sous-titrage ST' 501*
09:20 [SILENCE]

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