Michel Ciment nous quittait le 13 novembre dernier.
Table ronde à la mémoire de Michel Ciment, en présence de Gilles Ciment, Arnaud Desplechin, Nicole Garcia, Dominique Martinez, et Alain Masson, mercredi 20 décembre 2023.
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Table ronde à la mémoire de Michel Ciment, en présence de Gilles Ciment, Arnaud Desplechin, Nicole Garcia, Dominique Martinez, et Alain Masson, mercredi 20 décembre 2023.
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00:00:00 Le cinéma est-il plus universel ? Est-ce que vous pensez que le cinéma est plus universel ?
00:00:08 Je pense que le cinéma n'est pas dans sa grande époque.
00:00:10 Le cinéma des années 70, le cinéma des années 30 ont été des plus grands cinémas, des plus grandes périodes.
00:00:17 Mais en même temps c'était des périodes plus rétrécies, parce que dans les années 30, il n'y avait pas Taïwan, il n'y avait pas le Japon, il n'y avait pas tout ça.
00:00:24 Donc aujourd'hui le cinéma est plus universel, mais je pense qu'il n'y a pas les titans qui peuplaient les écrans dans les années 70.
00:00:32 Bergman, Fellini, Kubrick, Lozet, Houston, c'était inouï le nombre de très très grands cinéastes.
00:00:40 Et maintenant quand il y a trois grands cinéastes dans une compétition comme l'an dernier, ils n'ont rien.
00:00:44 Donc je pense que c'est un peu inquiétant.
00:00:47 Mais néanmoins, si vraiment je n'avais pas des coups de cœur encore chaque année,
00:00:53 et que j'ai du mal à mettre les 10 meilleurs films de l'année parce qu'il y en a peut-être 15,
00:00:58 ça justifie, sinon je ne travaillerais pas dans une revue tous les mois, comme un dingue, avec mes camarades,
00:01:05 si vraiment le cinéma ne produisait plus rien.
00:01:07 C'est Godard qui dit que le cinéma est mort, il le répète depuis 45 ans.
00:01:11 Avec Daney, il avait annoncé en 1990 que le cinéma était fini, terminé, il n'y a plus de cinéma.
00:01:17 On voit ce qui arrive, il y a des chefs-d'œuvre, il y a encore des chefs-d'œuvre aujourd'hui.
00:01:22 Donc c'est ça qui m'énerve, c'est le systématisme, c'est les théories qui ne durent pas, etc.
00:01:29 Tout ça, non, vive le pragmatisme.
00:01:33 - Pour vous, la critique est peut-être d'abord, et aussi d'abord, un exercice d'admiration.
00:01:39 - Oui, absolument. Moi je préfère de loin écrire sur les films que j'aime que sur les films que je n'aime pas.
00:01:45 Je le fais de temps en temps, mais au masque et à la plume, je suis obligé d'être honnête
00:01:52 et de dire ce que je pense des films en toute franchise.
00:01:56 Mais c'est vrai que je préfère plus me battre pour défendre les films que pour les...
00:02:01 Je suis pour la critique des beautés plus que la critique des médiocrités.
00:02:06 - Et maintenant pour cette table ronde, on accueille donc deux rédacteurs et rédactrices de Positif.
00:02:14 J'ai nommé Alain Masson et Dominique Martinez, mais également vous pouvez venir et prendre place.
00:02:21 On peut les applaudir et les encourager.
00:02:24 Il fallait qu'il y ait également des cinéastes pour cette table ronde,
00:02:31 donc Nicole Garcia et Arnaud Despleuchiens, on nous font le plaisir d'être présents également.
00:02:38 C'est également un critique, mais c'est le fils de Michel qui vient également témoigner, Gilles Simon.
00:02:47 Alors donc, comme Bine vous le disait, on a ce petit temps d'échange tous ensemble autour de la mémoire de Michel.
00:03:04 Ensuite, vous aurez un petit entracte avant Avanti de Billy Wilder.
00:03:08 Mais c'est vrai que Michel nous a quitté le 13 novembre dernier, il y a un peu plus d'un mois.
00:03:15 Et avec lui, on a tous senti que quelque chose, que le cinéma avait perdu quelque chose qu'on ne sait pas encore bien nommer,
00:03:23 mais qu'il y avait un avant, un après, qu'on était tous un petit peu déstabilisés.
00:03:27 Et en même temps, comme le disait Philippe, il y avait beaucoup de baume au cœur avec tout ce qui pouvait se dire, s'écrire autour de l'œuvre de Michel.
00:03:36 Et bien entendu, il ne nous a pas quitté réellement ou totalement les livres, les textes, les films documentaires,
00:03:43 les émissions de radio où persiste et lui survivent.
00:03:46 Et tout cela constitue une œuvre critique, une œuvre critique et il y en a peu.
00:03:51 Ce sera l'un des thèmes que j'aimerais que nous abordions également ici.
00:03:54 Qu'est-ce qui constitue une œuvre critique et en particulier l'œuvre de Michel Ciment ?
00:04:00 Et qu'est-ce qui constitue une œuvre critique et comment elle se partage avec le public, avec d'autres critiques, des cinéphiles,
00:04:07 d'autres critiques de cinéma ou avec des cinéastes ou avec un fils ?
00:04:11 Et avant d'aborder ce contenu, on ne pourra pas évidemment traverser toute l'œuvre de Michel,
00:04:19 mais avant d'aborder cela, j'aimerais qu'on se souvienne, j'allais dire, de sa manière d'être au monde, d'être avec les autres.
00:04:26 Ma première question sera à la fois simple et compliquée.
00:04:30 J'aimerais faire un premier tour de table et nous terminerons par Gilles,
00:04:34 où chacun en quelques mots pourrait partager un souvenir personnel avec Michel.
00:04:40 Et tous ces souvenirs mis comme des flashbacks d'un biopic pourraient commencer à brosser un premier portrait, en tout cas de Michel.
00:04:49 Alain, puisque vous êtes en bout de table, je commencerai par vous.
00:04:53 Oui, on m'entend là ? Ça marche ?
00:04:56 C'est très bien, on vous entend dans le micro.
00:04:59 Je suis content que vous posiez cette question.
00:05:01 Un peu plus proche du micro.
00:05:03 Je trouve que dans les éloges qui ont été faits de Michel, et c'était inévitable, on n'a pas assez parlé de l'homme sensible qu'il était.
00:05:16 Un souvenir personnel, je ne vais pas m'étendre là-dessus, mais je me souviendrai toujours de l'ami attentif et discret qu'a été pour moi Michel Ciment.
00:05:31 Dans des circonstances difficiles, je pense en particulier à la mort de mon épouse,
00:05:35 il a été vraiment présent d'une manière extrêmement délicate et extrêmement rassurante.
00:05:42 C'était un homme qui savait quand et comment on devait intervenir dans la vie d'un ami, d'un collaborateur de la même revue,
00:05:55 et qui savait aussi, j'ai été très touché pendant tout mon travail de critique, qui n'a pas encore cessé, au grand dam de certains,
00:06:05 par la façon dont il encourageait certains d'entre nous, il nous encourageait probablement tous,
00:06:16 et dont il savait corriger gentiment nos travers.
00:06:20 Il n'a jamais eu une attitude de "Monsieur je sais tout", alors qu'il savait tout.
00:06:29 Et donc c'est sur ce point que je voulais commencer justement, c'était un homme, et pas seulement un critique de cinéma.
00:06:41 Merci Alain, Dominique ?
00:06:45 Moi je me souviens aussi quand on n'était pas d'accord, je me souviens avec beaucoup de tendresse, des engueulades franches,
00:07:01 et des désaccords, et voilà, on se disait les choses, ça montait, et puis deux minutes après il n'y avait plus rien,
00:07:09 il n'y avait plus rien, c'était sans rancune, c'était "bon qu'est-ce que t'as vu ?"
00:07:14 Et il aimait ça, vraiment, c'était caractéristique de Michel, c'était la discussion, le débat, franchement et respectueusement,
00:07:27 on s'engueulait, on se disait ce qu'on avait à se dire, et puis deux minutes après c'était sans rancune, c'est ça.
00:07:33 Il y avait un lien au propre réel et après ça il était là, tout était normal, on pouvait à nouveau reparler d'un autre film.
00:07:42 Ce qu'il exprimait aussi dans son art de la controverse et de la polémique.
00:07:46 Oui, et c'était toujours aussi sincère et aussi vigoureux et vraiment direct, et ça c'était très appréciable je trouve.
00:07:58 Nicole Garcia, oui, un souvenir, en tout cas ce que vous évoque Michel Ciment, un souvenir personnel ?
00:08:10 Un souvenir, beaucoup de souvenirs avec lui. Un jour Alain Rennais m'avait dit, et Alain Rennais a eu beaucoup d'importance pour lui,
00:08:19 il avait une formule, Rennais qui disait "à bonne interview, c'est l'intervieweur qui compte,
00:08:27 c'est l'intervieweur qui fait l'interview", comme si c'était ça qui donnait la qualité, la hauteur d'un interview.
00:08:33 Et c'est vrai que je n'allais plus m'en rendre compte avec Ciment, parce qu'il était, quand on est cinéaste,
00:08:39 on a besoin d'être vu mais d'être lu, et il avait l'impression qu'il vous lisait, mieux encore qu'on aurait pu le faire,
00:08:44 sans dire qu'on ait tout instinct et qu'il était toute analyse, mais il disait des choses qui étaient,
00:08:53 oui qu'il lisait des choses qui étaient dans le film, mais pas avec cette précision qu'il disait,
00:09:02 pas avec cette référence là, ou avec un film d'avant, comme s'il y avait une ligne, des thèmes qu'il voyait,
00:09:09 qui étaient, par rapport à d'autres gens, d'autres genres de journalistes qui regardent avec un oeil très neutre,
00:09:20 où il faut faire tout le travail, et lui il savait, donc il menait l'interview, et c'était, on en sortait plus grands cinéastes qu'on était rentrés dans l'interview.
00:09:30 Arnaud, vous êtes ?
00:09:32 Je pense d'abord, la première image, c'est très court, c'est un dîner avec Evelyne et Michel,
00:09:39 et à l'annonce de sa mort, je me dis mais quelle chance j'ai eu, de pouvoir les connaître, les rencontrer, de son accueil,
00:09:49 mais c'est aussi parce que je voyais Michel qui parlait de la mort du cinéma, moi je suis une sorte de transfuge,
00:09:55 puisque moi j'étais très jeune lecteur des cahiers du cinéma, qu'à 17 ans je suivais les cours de Dané,
00:10:01 et que j'ai très vu ce thème de la mort du cinéma, à travers la figure de Dané qui malade,
00:10:08 qui identifiait le cinéma à sa maladie, et voyait le cinéma mourir avec lui, il se disait si je meurs, que le cinéma meurt avec moi,
00:10:15 et Michel pour moi c'est l'absolu contraire, il s'est identifié à la vie du cinéma, il y a cette vie,
00:10:23 je l'ai vu au conseil de la Cinémathèque jusqu'au dernier moment, une vitalité incroyable,
00:10:29 donc j'ai juste une anecdote comme ça, je montrais un film que Michel avait la gentillesse de bien aimer,
00:10:36 qui était tromperie à Cannes, et je ne peux pas regarder mes films,
00:10:40 donc j'étais dehors en attendant comme un imbécile dans le couloir, et arrive un appariteur du festival de Cannes,
00:10:46 qui vient très génial en disant il y a un groupe d'handicapés qui demande des signatures à des réalisateurs plutôt français,
00:10:52 est-ce que ça vous embêterait, il y en a un qui est vraiment très insistant, je suis désolé de vous embêter,
00:10:56 alors que vous êtes très concentré sur votre film, et j'ai lu Michel arriver avec une calme,
00:11:01 c'était la blague qu'il m'avait faite, il avait déjà vu le film à Paris, il m'a dit votre film est très bien,
00:11:08 est-ce que vous avez vu le film Turc, et à ce moment là on a commencé à parler pendant 20 minutes de tous les films qu'il allait voir,
00:11:13 et qu'il fallait que je vois absolument, c'est à dire que cette vie du cinéma, ce combat contre la maladie,
00:11:19 il dit oui il y a des époques où il y a plus de monuments du cinéma, d'autres moins,
00:11:23 et pourtant ça a été tellement bouleversant quand il dit c'est super dur de choisir les 10 meilleurs films,
00:11:30 parce qu'il y en a peut-être 15, vous voyez c'est cette vitalité du cinéma que j'ai apprise avec lui.
00:11:35 Merci. Gilles l'exercice n'est pas le même pour vous, dans le dernier numéro de Positif, en tout cas vous avez écrit un très beau texte,
00:11:44 qui n'a pas dû être le texte le plus facile à écrire, mais vous parliez de la revue de Positif comme de votre grande soeur,
00:11:51 donc pour nous tous il était un repère, pour vous il était un père, mais qu'est-ce que vous retenez de lui,
00:12:00 1000 choses, mais qu'est-ce que vous pouvez nous dire aujourd'hui ?
00:12:04 C'est difficile de retenir une anecdote ou une impression, il y a quelque chose qui m'a frappé dans tous ces hommages et tous ces témoignages,
00:12:14 j'ai reçu beaucoup de témoignages, y compris d'anonymes, en tout cas de gens que je ne connaissais pas,
00:12:22 ou qui ne me connaissaient pas, mais qui ont tenu à m'envoyer des mots,
00:12:26 et ce que j'ai vu partout, notamment dans la presse, c'est qu'on parlait beaucoup de Positif, de ses émissions de radio,
00:12:37 de tout ce qui s'est dit ici, c'est-à-dire effectivement son talent d'intervieweur, qui était un jeu à deux, vraiment,
00:12:47 et toute cette affection et cette fidélité de ses lecteurs et de ses auditeurs, et on a beaucoup oublié une chose,
00:13:00 c'est que c'était aussi un enseignant, et que c'était une partie de sa vie qui était importante, pas seulement parce que ça lui assurait
00:13:11 une situation matérielle qui lui permettait de se donner à fond dans Positif, mais c'est aussi parce que c'est quelque chose
00:13:19 qui était vraiment au fond de lui, c'est-à-dire qu'il aimait enseigner, il aimait partager, son livre d'entretien avec BIN s'appelle "Le cinéma en partage",
00:13:31 c'était, je l'ai dit ailleurs, je pense qu'il ne se définissait pas comme un passeur comme le faisait Danay, mais comme ça,
00:13:43 pour le partage et la transmission, et donc il enseignait la civilisation américaine, mais c'était donc le cinéma aussi,
00:13:53 pas seulement, c'était aussi l'architecture américaine, la photographie américaine, c'était quelqu'un qui avait une culture immense,
00:14:01 un goût et un intérêt, une curiosité pour toutes les formes d'art, et ce qui l'intéressait dans le cinéma, c'est qu'il englobait tous les arts.
00:14:11 Et j'ai reçu, justement parmi les témoignages d'anonymes, ou de gens d'ailleurs parfois que je connaissais, mais dont je ne savais pas du tout
00:14:21 si j'avais suivi son enseignement, et ce qui m'a sans doute beaucoup ému, c'est ça, c'est ceux qui ont dit "mais moi j'avais une vénération pour Michel Ciment, prof".
00:14:31 Et je pense que c'était important aussi de parler de ça, parce que c'était son ADN.
00:14:42 - Il y aura quelques extraits, notamment d'un documentaire "Le cinéma en partage", le même titre que ce livre,
00:14:52 que vous pouvez encore vous procurer, "Le cinéma en partage", et le DVD du documentaire de Simone Lenné, qui date de 2010, est dans ce livre.
00:15:01 Donc on va voir un premier extrait pour justement commencer à parler de ce qu'il faisait, son oeuvre de critique de cinéma.
00:15:09 On peut lancer le premier extrait, vous allez très vite comprendre de quoi il s'agit. Quentin.
00:15:16 - Le métier de critique de cinéma, on peut le faire très très bien, mais on peut le faire horriblement mal.
00:15:21 D'ailleurs tout le monde est critique de cinéma, c'est ce que disait Truffaut, tout le monde a deux métiers, son métier et celui de critique de cinéma.
00:15:28 Et c'est vrai que dans un journal, le patron d'un journal ne va pas dire "ma femme était en désaccord absolu avec votre article sur la canne à sucre".
00:15:37 Par contre, "ma femme et moi on est allés voir ce film que vous trouviez très bon, on trouve ça complètement nul".
00:15:44 Voilà, c'est-à-dire que tout le monde a son opinion sur le cinéma, et donc on engage un peu n'importe qui, de préférence le cousin ou le neveu, on ne sait pas comment le caser.
00:15:53 Et le cinéma c'est une façon de... tout le monde peut en parler, on n'a pas besoin d'avoir des diplômes.
00:16:00 Donc je pense qu'il faudrait créer un permis de conduire, qu'il faudrait créer un permis pour être critique de cinéma, comme l'auto-école, pour ne pas envoyer le spectateur dans le fossé.
00:16:14 Donc on demanderait aux futurs critiques de cinéma d'avoir un certain nombre de connaissances, de répondre à un certain nombre de questions, etc. avant d'avoir son certificat.
00:16:23 (Applaudissements)
00:16:28 Un permis de critique, pour ne pas que le spectateur et la spectatrice aillent dans le fossé, Alain, vous voulez réagir à ça ?
00:16:36 J'ai déjà réagi en riant, comme tout le monde.
00:16:40 Oui, et ô combien je suis d'accord avec Michel, une fois de plus, sur ce sujet-là.
00:16:49 Moi ce qui me frappe souvent, et nous étions d'accord là-dessus, c'est que la plupart des articles, je dis bien la plupart, pas tous, qui concernent le cinéma, ne parlent pas de cinéma.
00:17:05 On raconte l'histoire, et puis après on fait un paragraphe en disant que les acteurs sont formidables, que la musique a des accents parfois désagréables, et que somme toute, vous pouvez aller voir le film, mais vous n'êtes pas obligés.
00:17:24 (Rires)
00:17:27 Alors que Michel, qui était mon mentor en matière de critique de cinéma, approfondissait les films, s'intéressait à la mise en scène, s'intéressait au jeu des acteurs,
00:17:45 et que les fameux entretiens dont il était un maître à contester, portaient sur ces questions autant que sur le sens du film.
00:17:59 Quand on fait un entretien avec un metteur en scène, un acteur, un directeur de la photographie, un musicien, ça n'est pas pour dispenser les lecteurs d'aller voir le film.
00:18:12 C'est pour les éclairer sur la valeur du film. Et je crois que Michel a été très brillant dans ce domaine.
00:18:21 J'avoue que je lui avais d'ailleurs suggéré d'écrire un livre sur la poétique de l'entretien. Comment prépare-t-on un entretien ?
00:18:31 Comment se poser devant la personne qu'on interroge ? Nicole Garcia a très bien parlé de ce talent.
00:18:42 Michel a refusé, c'était une conversation dans le métro, je me souviendrai toujours, en disant que ce serait trop "self-serving", comme disent les anglo-saxons.
00:18:51 C'était un américaniste. Il aurait trouvé que c'était trop faire l'éloge de soi-même. C'est l'un de mes regrets. C'est qu'il n'ait pas accepté ma suggestion.
00:19:05 Dominique, sur ce permis de critique.
00:19:10 J'en suis un peu l'exemple. Je suis arrivée à Positif, je venais de la sociologie. Je suis arrivée à travers Françoise Odé.
00:19:21 J'avais fait un mémoire sur les femmes cinéastes et on entretenait beaucoup d'intérêt sur ce sujet.
00:19:30 Mais c'est elle qui m'a traînée vers l'image, vers l'éducation à l'image. J'ai commencé petit à petit à écrire quelques petites notes dans Positif.
00:19:41 J'ai mis du temps avant de lire, avant de m'exercer et avant d'arriver au comité de rédaction de Positif.
00:19:53 Mais si on discutait ensemble, si on débattait des films, etc.
00:20:01 J'entends son rôle de prof et pourtant il ne l'a jamais fait ni avec mépris, ni avec condescendance.
00:20:11 C'était pas du tout son esprit. Pas du tout. Il était vraiment dans l'échange.
00:20:16 Du coup je suis restée.
00:20:23 Gilles, vous aussi vous avez fini par écrire pour Positif. C'était une position plus délicate pour vous ?
00:20:29 Oui. Évidemment, c'est un souvenir amusant. Je lui ai demandé mon permis de critique.
00:20:37 C'était lui qui donnait l'autorisation, c'est ça ?
00:20:39 Oui. Je lui ai remis, je devais avoir même pas 20 ans, un texte qui m'avait pris du temps, qui était un long essai.
00:20:49 Vous vous souvenez du sujet ?
00:20:51 Oui, c'était sur un film qu'il n'avait lui sans doute pas du tout apprécié d'ailleurs, qui était "The Wall" d'Alan Parker.
00:20:57 Qui n'était pas un cinéaste cher à son cœur.
00:21:01 Mais en revanche, j'avais fait vraiment une étude très poussée du film.
00:21:06 Et il l'a lu. Il m'en a rien dit.
00:21:11 Un petit peu après, je lui ai dit "Mais alors, tu l'as lu ?" "Oui, oui, oui."
00:21:15 "Mais tu t'intéresses beaucoup à la bande dessinée. Pourquoi tu n'écris pas sur la bande dessinée ?"
00:21:22 Je l'ai mal pris.
00:21:24 On peut comprendre.
00:21:25 Sur le moment. Et après j'ai compris.
00:21:27 Et donc j'ai écrit effectivement sur la bande dessinée.
00:21:32 J'étais parmi les défricheurs de la deuxième génération de gens qui ont écrit sur la bande dessinée.
00:21:40 Et je leur remercierais toujours de m'avoir conseillé d'emprunter mon propre chemin.
00:21:49 Ce qui ne m'a pas empêché de m'inviter à écrire dans Positif plus tard.
00:21:54 Mais sur un autre sujet que j'affectionnais beaucoup qui était le cinéma d'animation.
00:21:59 Et ça, c'est quelque chose qu'il savait aussi voir, je pense, chez les rédacteurs qui rentraient à Positif.
00:22:08 Il faudrait le faire écrire là-dessus.
00:22:11 Ou elle, elle serait bien sur ce sujet-là.
00:22:13 Je vais l'envoyer voir ce film.
00:22:15 Et c'était, j'ai écrit dans Positif que ce qu'il aimait, enfin ce qu'il savait faire en tout cas,
00:22:27 c'était en ça qu'il y avait cette partie prof quelque part,
00:22:32 qui était de donner aux autres les cartes et les chaussures pour emprunter leur chemin.
00:22:41 C'est-à-dire que vraiment il essayait d'armer les autres, et les rédacteurs de Positif, moi aussi,
00:22:49 en leur fournissant les outils, mais pas en assénant des opinions ou un savoir.
00:22:57 Et ça je pense que, en tout cas moi, je sais qu'il a fait un merveille avec moi.
00:23:03 Et je pense que ça faisait partie aussi de sa façon même d'écrire sur le cinéma,
00:23:10 ou d'interroger aussi les réalisateurs, c'est-à-dire d'essayer de partager quelque chose avec eux,
00:23:20 de leur montrer ce que lui avait vu dans leur film.
00:23:26 Et peut-être aussi même, comme vous disiez, pour les faire avancer.
00:23:34 C'était plus que juste la critique.
00:23:39 - Nicole Garcia précisément, la revue Positif a suivi votre oeuvre depuis le premier film.
00:23:46 - Le début. - Tout le début, il y a eu plusieurs entretiens, jusqu'à un très récent avec Michel précisément.
00:23:53 Ça aussi, quel est le rapport d'une cinéaste à la critique de cinéma ?
00:23:57 Alors il y a autant de cinéastes que de rapports à la critique, j'imagine.
00:24:01 Mais vous, est-ce que vous êtes quelqu'un qui allait lire les critiques ?
00:24:05 - C'est difficile la critique. - Oui, ça peut être difficile.
00:24:09 - Il me semble que quand la critique de vos propres films, elle est difficile, elle est délicate, elle est sensible, on tremble.
00:24:17 Mais justement, Michel, peut-être parce qu'il y avait ce crédit-là, ou que je le sentais, qu'il y avait une bienveillance.
00:24:23 Donc c'est la critique vers laquelle j'allais avec le plus de calme.
00:24:31 Et puis, je me bouge aussi voir sa critique des autres films.
00:24:37 Comme Farmeux était belle, tout à l'heure qu'il disait en disant, faire la critique de la beauté que de la médiocrité.
00:24:43 C'est vrai que quand il aimait, il le disait tellement bien, de manière tellement profonde, avec des choses qu'on n'avait même pas vues soi-même dans l'oeuvre des autres.
00:24:51 Donc c'était là aussi un apprentissage du professeur qu'il était, ou de quelqu'un qui aimait ce langage du cinéma.
00:24:59 J'ai eu cette chance de dire maintenant, d'avoir été en tout cas regardé par lui, et bien lu par lui.
00:25:09 Et c'est pour ça que j'ai été heureux d'être avec lui ce soir, parce que c'est une reconnaissance très grande que j'ai, au moins pour lui.
00:25:19 Arnaud, vous étiez présent aussi pour les 70 ans de Positif, ici même au Forum des images.
00:25:25 Vous aviez justement échangé autour du rôle de la critique de cinéma dans votre oeuvre, dans votre vie tout simplement.
00:25:33 Pareil, même question, comment vous vivez justement ce rapport avec la critique de cinéma ? Est-ce que ça vous aide à mieux faire des films ?
00:25:43 Moi, oui, très certainement, mais pas sur mes films.
00:25:47 Moi, je n'ai jamais lu une critique sur mes films, ce qui me vaut bien des inimitiers, parce que parfois les gens ont de la gentillesse d'écrire des trucs sur moi,
00:25:54 et puis ils me disent, je pense en particulier à une personne.
00:25:57 C'est-à-dire, tu as lu mon papier sur un conte de Noël. Je dis, non, je ne peux pas, c'est sur mon film, donc je ne lis pas, je m'abstiens.
00:26:03 Ce n'est pas vrai, je suis très curieux de ce que vous écrivez, alors je demande à ma petite amie, je lui dis, c'est bon ?
00:26:09 Elle me dit, ça va, ça me suffit, ça me suffit de poser là.
00:26:12 Par contre, de lire sur les films des autres, ça m'apprend énormément.
00:26:15 Moi, j'ai un souvenir singulier par rapport à Michel et à Positif, c'est que je n'ai pas eu pour moi la voix royale,
00:26:24 mais c'était une voix qui était peut-être plus précisément qu'avec du cinéma que Positif, c'est la critique et après réalisateur,
00:26:30 les figures héroïques de la nouvelle vague.
00:26:32 Et moi, je n'ai pas eu cette vie-là. J'ai été électricien, j'ai été ouvrier, j'ai été technicien.
00:26:38 J'ai adoré ça, mais je n'ai pas fait ça.
00:26:41 Et la première fois que j'ai... une fois, j'ai fait une... j'adore présenter des films,
00:26:46 et j'ai présenté "Vania 42e rue", et c'est Michel Simon qui m'a proposé de publier le texte, mon analyse du film de Louis Mal.
00:26:53 Et alors, du coup, je me disais, j'étais rentré chez moi, mais fier comme Artaban, en disant, je suis publié chez Positif,
00:27:00 je suis enfin devenu un critique de cinéma. Après avoir été électricien, c'était une médaille de noël.
00:27:05 J'avais bien passé 40 ans, mais ça y est, j'étais enfin publié chez Positif.
00:27:10 Un achèvement, en tout cas. Mais ça, c'est quelque chose que je pense que Michel avait, c'est-à-dire que,
00:27:18 quel que soit le statut, quelle que soit la génération, quel que soit l'âge, il avait une attention toujours à lire
00:27:26 les textes reçus par la poste d'inconnus ou les textes de cinéastes reconnus. Et voilà, il avait aussi cet appétit-là.
00:27:34 Je ne sais pas si vous voulez témoigner de ça, ou chacun, peut-être, quand vous avez publié pour la première fois dans Positif.
00:27:40 Oui, oui, Michel, on lisait. Enfin, il y a eu une époque où on lisait au comité de rédaction tous les articles,
00:27:50 y compris ceux des membres du comité de rédaction. Mais on a fait des progrès en volume, ça devenait impossible,
00:27:58 il y avait trop de choses à lire. Mais Michel, il se trouvait que tout le monde savait que c'était Michel le principal animateur.
00:28:05 Je vais pas prononcer le mot rédacteur en chef, parce qu'il n'aimait pas du tout cette idée-là. Le principal animateur de la revue.
00:28:13 Et c'est donc à lui que la plupart du temps, des jeunes ou moins jeunes auteurs envoyaient un texte.
00:28:22 Et alors, nous le lisions. Et alors, il y avait une exigence de Michel qu'il faut signaler, elle est importante,
00:28:30 c'est bien écrit ou c'est pas bien écrit. C'était capital pour lui qu'il y ait une expression claire, élégante, inventive, si possible.
00:28:43 C'était le principal critère. Il y avait une autre exigence qui était ce qu'on pourrait appeler, le mot est mauvais,
00:28:53 la ligne de la revue. Mais c'est une ligne qui était très épaisse, c'est pas la ligne du parti, au sens stalinien du terme.
00:29:01 C'était vraiment, il y avait quand même des préférences de positif pour un certain nombre de choses.
00:29:09 Et puis il y avait, je dirais, peut-être une troisième exigence qui était, nous en parlions tout à l'heure,
00:29:19 qu'il y ait une critique des beautés, mais une vraie critique des beautés, c'est-à-dire que le jugement esthétique,
00:29:29 le jugement de goût, ne soit pas entièrement soumis ou perturbés par des considérations politiques, morales, religieuses, je ne sais pas quoi.
00:29:43 Michel avait une très grande ouverture d'esprit. Il faut se souvenir que quand il est entré à Positif, il n'était pas question de parler de Dreyer, par exemple.
00:29:52 C'était beaucoup trop religieux pour les rédacteurs de l'époque. Michel a ouvert considérablement, je crois que c'est lui qui est le principal responsable de cela,
00:30:01 l'éventail des metteurs en scène qu'on pouvait défendre à Positif, indépendamment de nos propres opinions.
00:30:11 Ça me rappelle précisément, dans le dernier numéro de Positif, que vous avez peut-être tous eu entre les mains,
00:30:21 et reproduit le texte devenu fameux de Michel, l'un des textes sur les sept vertus cardinales de la critique.
00:30:29 J'aimerais vous lire simplement, pour qu'on entende aussi la plume de Michel, l'introduction de ce texte,
00:30:37 qui commence par ce qu'il ne faut pas faire pour être un bon critique.
00:30:42 Avant toute chose, je pense à une tentation qu'il faut éviter à tout prix, et qui est parfois un vice du critique,
00:30:48 c'est de désirer un film qui n'est pas celui qu'a voulu son auteur. C'est-à-dire que le critique parle d'un autre film, celui qu'il aurait aimé voir, ou qu'il aurait aimé faire.
00:30:58 Il faut juger une oeuvre vis-à-vis de son ambition à elle, et estimer alors si elle est réussie ou non.
00:31:04 Mais ce qu'il ne faut surtout pas faire, c'est parler d'un film qui n'existe pas ailleurs que dans la tête du critique.
00:31:10 Billy Wilder disait "On ne va pas reprocher à Johann Strauss de ne pas avoir composé la 7ème symphonie de Beethoven".
00:31:17 Donc ça c'est l'introduction très cimentienne, je ne sais pas si on peut le dire ainsi.
00:31:22 Et ensuite les sept vertus que vous connaissez peut-être, et qui sont un vrai discours de la méthode,
00:31:27 sont l'information, l'analyse, le style, vous en parliez, la passion, la curiosité, la hiérarchie du jugement et le coup d'œil.
00:31:36 Dominique, vous voudriez réagir sur ce texte en particulier ?
00:31:44 Ça met un peu la barre très haute, et un peu de pression, de se dire "Suis-je un possesseur de ces sept vertus cardinales de la critique ?"
00:31:56 D'abord quand on écrit à positif, il y a l'exigence du style, c'est sûr, on progresse tout le temps.
00:32:06 Quand moi je suis arrivée, Françoise Odé, c'était un préalable, il y avait une exigence d'écriture.
00:32:18 Quand je rendais des textes à positif, on les écrivait, puis on les laissait reposer, puis on les reprenait.
00:32:26 Ça c'est sûr, il y avait une exigence d'écriture qui n'a jamais varié.
00:32:32 Et puis ensuite il y a une vigilance, une vigilance et une honnêteté intellectuelle vis-à-vis de l'œuvre qu'il s'attachait à nourrir.
00:32:45 Et donc nos comités de rédaction le dimanche en étaient le reflet.
00:32:52 Gilles, quand vous avez le sou, si vous voulez réagir.
00:32:56 Je ne sais pas si tout le monde a compris, quand Alain disait qu'on lisait les textes du comité de réaction, c'était à voix haute.
00:33:05 Je ne sais pas si tout le monde a bien saisi ça, parce qu'il y a beaucoup de rédacteurs de positif qui ont connu cette époque-là, qui en ont encore un souvenir.
00:33:13 En revanche, moi, gamin puis adolescent, je ne manquais rien.
00:33:23 J'écoutais ça et j'écoutais les discussions autour des textes.
00:33:27 Ça c'était dimanche après-midi, le soir il fallait écouter "Le masque et la plume" et ensuite écouter les réactions au "Le masque et la plume".
00:33:37 Donc ça m'a construit effectivement pour l'exercice critique et toutes ces vertus-là, moi je les ai toujours en tête.
00:33:45 Ça plus une, je pense, ce que je disais tout à l'heure, c'est la culture.
00:33:51 C'est-à-dire savoir convoquer aussi les références, les influences, les autres arts, etc.
00:33:57 Et ce que disait Alain est très juste, c'est-à-dire qu'il avait cette volonté, et qui est celle qui moi m'a animé quand j'ai parlé de bande dessinée aussi,
00:34:09 c'est-à-dire de parler de cinéma. Et moi c'était aussi de parler de dessin, parce que je me rendais compte aussi que dans la critique de bande dessinée à l'époque,
00:34:21 quand j'ai commencé, tout le monde ne parlait effectivement là aussi que de l'histoire et personne ne parlait vraiment de dessin.
00:34:27 Et je pense qu'il n'y avait pas grand monde qui était non plus armé, avait fréquenté les musées, les expositions,
00:34:35 lu beaucoup de livres sur la peinture ou sur le dessin pour en parler. Et ça c'est quelque chose qui était pour lui, je pense, vraiment essentiel.
00:34:49 - Alors il disait qu'un bon critique doit avoir aussi des dégouts forts pour avoir des goûts tout aussi forts.
00:34:59 Je pense qu'il aurait aimé qu'on parle aussi de lui à travers ses goûts. Et je me posais la question de très difficile,
00:35:05 de ce qui pouvait caractériser son goût, son style, son apport. Qu'est-ce qu'il y a de commun entre notamment tous les cinéastes qui l'ont constitué,
00:35:15 en tout cas pour lesquels il a consacré des livres d'entretien, Kubrick, Cazan, Losey, Campion, Dardenne, Konchalowski.
00:35:21 Qu'est-ce qui fait le style, le goût, Simon, si j'ose dire ? Vous me tournez peut-être pour cette question difficile.
00:35:29 Je ne sais pas si vous auriez, vous, en tant que spectateur, spectatrice de l'œuvre de Michel, en tout cas, qu'est-ce qu'il apporte quand on est face à lui ?
00:35:41 Je suis venu à Positif avec le temps en fabriquant des films, très certainement parce que Michel avait une...
00:35:51 Ça se voyait quand on était au musée, j'ai un souvenir comme ça d'une visite à San Francisco au musée avec Michel.
00:35:57 Et je retrouve ce que vous disiez, il y avait rien de... Il donnait les jalons, vous disiez la carte et les chaussures pour prendre son chemin.
00:36:05 Par ailleurs, ce peintre africain-américain, il a commencé en 1905, vous devriez regarder Arnaud et puis partir dans l'autre salle.
00:36:11 Et c'était à moi de faire le travail. Après, il y a très certainement un style de film plus Simon, de ses passions.
00:36:19 Il y en a que je partage, Kubrick, évidemment, il y en a d'autres où je suis moins fan, parce que je viens d'une autre école.
00:36:25 J'ai le souvenir, ce que je voudrais souligner, j'ai le souvenir comme ça, pour un film où nous étions en désaccord, de Michel me broyant la main,
00:36:34 mais me broyant la main à Cannes quand j'étais dans le jury, en me disant "vous allez voter pour Tony Herman".
00:36:41 Et moi, j'ai essayé de dégager ma main comme ça. J'ai le film à ses vertus, il dit "non, non, non, vous allez voter pour Tony Herman".
00:36:49 Il me broyait la main, "nous n'avons pas à voter pour Tony Herman". Il avait certainement tort, il avait certainement raison.
00:36:54 Mais ce n'est pas ça, c'est ce qui me fascinait, c'est ce que je voulais vous dire avant, c'est qu'il y a une photo merveilleuse qui a été prise par un critique américain
00:37:01 qui s'appelle Ken Jones, de Doucher et Simon ensemble à Bologne, à une table de restaurant.
00:37:08 Et je trouve que de... vous voyez, on fait toujours l'éloge des... enfin pas toujours, quand ça nous arrive, c'est vachement bien, des actrices, des acteurs, des metteurs en scène, des réalisateurs.
00:37:19 Mais on fait pas assez l'éloge des gens qui passent leur vie à regarder des films, à essayer d'en parler.
00:37:25 Vous voyez, parce que c'est un peu facile, c'est beaucoup plus facile si vous occupez des arts nobles, vous voyez, d'arriver à 60 ans, 70 ans, 75 ans,
00:37:35 et de parler, je sais pas moi, de l'opéra ou de la peinture, parce que c'est des arts pérennes, vous voyez.
00:37:41 Et quand vous parlez du 7e art, c'est des objets tellement fragiles, vous voyez, tout d'un coup de dire "Karl Walt Disney a du génie, Tony Herman c'est super".
00:37:48 Vous voyez, de garder cet appétit, de garder cet appétit jusqu'à la fin.
00:37:53 Et ça, il y a deux personnes qui étaient des ogres, de manière très très différente, c'était Doucher et Simon.
00:38:00 Il y avait cette passion qu'il avait pour Tony Herman, il aurait pu laisser tomber l'affaire, vous voyez, s'occuper de littérature, il était calé sur tout.
00:38:07 Et il avait cette passion enfantine qu'il avait réussi à garder intacte.
00:38:11 Et cette morale de l'appétit, pour moi c'est une morale qui va au-delà du cinéma, qui est une morale de vie quoi.
00:38:16 C'est que vous êtes en vie parce que vous avez de l'appétit.
00:38:19 Il avait cet appétit dévorant à écrire sur les films, à les commenter.
00:38:22 On a beaucoup parlé du "Masquez la plume", je tiens à me souvenir de l'émission de Michel à France Culture.
00:38:28 "Projection privée" ?
00:38:29 Oui, qui est à mon avis la meilleure émission de cinéma que j'ai jamais entendue, c'était juste la meilleure.
00:38:34 Tout le monde est passé par là, incroyablement bien quoi.
00:38:38 Et c'est cet appétit-là qu'il avait réussi à garder, et donc moi personnellement j'ai toujours peur que ça s'éteigne.
00:38:44 Parce que le cinéma c'est un objet tellement fragile, je me dis peut-être un jour je vais en avoir assez,
00:38:48 j'ai trouvé que c'était trop fragile, trop frêle.
00:38:51 Et la bonne nouvelle c'est que Michel a dit "non pas du tout, c'est hyper fort" et c'est ça qui a continué.
00:38:56 Précisément de ce qu'il pouvait faire aussi, ça marque, c'est un échange qu'il avait avec vous, Nicole, dans une émission "Projection privée".
00:39:07 Je crois que c'était au moment des amants peut-être, mais il parlait chez vous d'un romanesque adulte.
00:39:17 Et c'était très juste, il commence l'entretien comme ça, et c'est peut-être aussi ce que lui aimait.
00:39:24 Ce romanesque adulte, c'est-à-dire pas d'odoroses, etc. On raconte des histoires avec ce qu'on a de plus intime.
00:39:29 Est-ce que ça c'est quelque chose qui vous a marqué, en tout cas ?
00:39:34 Je ne mentionne plus mais c'est merveilleux de dire ça, le romanesque adulte.
00:39:38 Bon ben voilà, c'est Michel, on peut le remercier.
00:39:41 Oui, on le remercie. C'est vrai, c'est deux choses ensemble mêlées, c'est un romanesque.
00:39:49 Enfin, je ne vais pas expliquer le romanesque adulte, mais cette formule, c'était tout à fait lui.
00:39:54 Quelque chose qui vous donnait envie de continuer, d'avoir été quelqu'un qui reconnaissait quelque chose,
00:40:05 même si il était souvent seul, ou selon les films, dans ce cas-là.
00:40:10 Mais ça ne me donne pas qu'il ait serré si fort la main pour Tony Harmon,
00:40:14 parce qu'il avait une passion qui était merveilleuse, qui perdurait.
00:40:19 Il y a un autre réchauffement, que cet appétit de cinéma était un appétit de vie immoral.
00:40:25 C'est vrai.
00:40:27 Mais c'est vrai que Michel, au festival de Cannes, tout le monde a pu l'expérimenter.
00:40:33 En général, il y avait des projections. Avant, c'était le matin, et maintenant, ça a un petit peu changé.
00:40:37 Mais il y avait la sortie de la projection de presse, de la sélection officielle,
00:40:43 et certains critiques, dont Michel, on attendait la voix de l'oracle, par exemple.
00:40:48 Ce qui allait donner le ton de la presse, soit internationale.
00:40:54 Donc là, c'était des petits moments, comme ça, à Cannes.
00:40:57 Je ne savais pas qu'il allait le faire jusqu'au juré, qu'il connaissait.
00:41:00 La question est, pour qui il est allé voter ?
00:41:02 Michel, ce n'est pas qu'un critique français. Grâce à nos films, on a pu voyager.
00:41:08 C'est un critique mondial. C'est une voix envoyée dans tous les noms, égrenée sur l'écran.
00:41:14 C'est incroyable. Son œuvre est énorme.
00:41:18 L'importance qu'il avait à Cannes, des critiques de tout pays le disaient.
00:41:24 Simon, on dit quoi ? C'était une stature énorme.
00:41:28 Cet aspect international, on va le voir dans deux extraits de témoignages de cinéastes.
00:41:35 Il y en a eu de nombreux, vous le rappeliez, de nombreux témoignages depuis un mois.
00:41:41 On va voir les deux extraits, trois et quatre.
00:41:44 Le premier est tiré du cinéma en partage, le documentaire de Simone Lenné.
00:41:49 Le second, c'est le message que Jane Campion avait envoyé au Festival d'Arras en 2018,
00:41:54 à l'occasion de l'hommage à Michel.
00:41:57 Quentin, s'il te plaît, les deux prochains extraits.
00:42:01 Comme pour la plupart des situations qu'on est en,
00:42:06 il est quelqu'un que nous avons hâte de rencontrer et de discuter des films avec.
00:42:12 En général, c'est un délire, mais avec Michel, c'est toujours un plaisir et très intéressant.
00:42:17 C'est ce qui le sépare.
00:42:19 Son sensibilité, la façon dont il lit les films,
00:42:23 et ce dont il a intérêt dans les films, est proche de la sensibilité d'un filmiste.
00:42:28 C'est une grande maladie dans le cinéma, au moins pour un metteur en scène comme moi.
00:42:35 On fait un film, et puis il y a le premier interview qu'on fait,
00:42:39 et après on connaît toutes les questions.
00:42:41 Les deux ans après, ils vont tous demander les mêmes questions,
00:42:45 jusqu'à ce que Michel arrive.
00:42:48 Il vous demande autre chose.
00:42:51 Il s'intéresse pour autre chose.
00:42:53 Il apporte tout un autre paquet de connaissances.
00:42:56 Il voit des choses, même s'il a vu un film une seule fois,
00:43:00 il voit des choses que personne n'a vues.
00:43:02 Je pense que ce que je pense vraiment à Michel,
00:43:06 c'est qu'il est inoubliable de son engagement
00:43:10 à un cinéma intelligent, humain, complexe, nuance.
00:43:15 Et c'est important pour un filmiste,
00:43:19 parce que, après avoir passé toute la difficulté de faire un film,
00:43:24 et avoir parlé à tellement de journalistes,
00:43:27 ou à des gens qui t'interviennent sur la caméra ou sur la vidéo,
00:43:32 qui ne connaissent pas l'histoire du cinéma,
00:43:35 à un moment, tu arrives chez Michel Simon.
00:43:38 C'est un moment très cher,
00:43:41 parce que tu as ce qu'on appelle une conversation avec un ami,
00:43:46 qui n'a pas besoin de lire les notes du film,
00:43:50 parce qu'il a regardé le film,
00:43:52 et il connaît les noms des personnages,
00:43:54 il comprend les thèmes, il a un livre derrière,
00:43:57 et il connaît probablement le livre aussi.
00:43:59 Et ça se sent comme une récompense.
00:44:02 Donc je vous remercie, Michel,
00:44:04 pour avoir été dans le monde ces 80 ans,
00:44:08 et j'espère que vous allez passer un moment brillant au Festival.
00:44:13 Merci, Michel, pour tout votre soutien
00:44:17 et pour le beau livre que vous avez publié.
00:44:21 On va faire des interviews ensemble.
00:44:23 Beaucoup d'amour.
00:44:25 Au revoir.
00:44:28 Évidemment, ça me touche beaucoup,
00:44:31 et ça me rappelle la première projection de Sweety,
00:44:34 au Festival de Cannes, son premier film long-métrage,
00:44:37 qui a été accueilli par la moitié de la salle huant
00:44:40 et l'autre moitié applaudissant.
00:44:42 Elle avait les larmes aux yeux,
00:44:44 c'était son premier film en compétition.
00:44:46 Elle avait eu la palme d'or du court-métrage,
00:44:48 mais c'est son début vraiment dans le cinéma de long-métrage.
00:44:52 Elle était complètement assez étonnée,
00:44:54 elle n'a pas eu de prix, évidemment.
00:44:56 Le jury l'a ignorée, ce n'est pas nouveau.
00:44:59 Et d'ailleurs, il y a eu Vim Van Ders,
00:45:03 j'aurais dû lui en parler,
00:45:05 qui n'avait pas voulu lui donner un prix.
00:45:08 Et voilà, ça me touche particulièrement,
00:45:11 parce que j'adore Jane Campion,
00:45:13 je dis grande au féminin,
00:45:16 mais ça vaut pour tous les sexes.
00:45:18 C'est une des plus grandes réalisatrices d'aujourd'hui.
00:45:21 (Applaudissements)
00:45:25 - Alors là, ils sont nombreux, les témoignages, évidemment.
00:45:28 Il y a les entretiens qui passent et qui se ressemblent,
00:45:31 puis arrive Michel,
00:45:33 et là, les choses changent.
00:45:35 Et ce qui est bien dans cet extrait,
00:45:38 c'est qu'on voit tout de suite la personnalité de Michel,
00:45:41 c'est-à-dire qu'il ne va pas s'attarder sur l'émotion
00:45:43 ou de parler de lui tout de suite.
00:45:45 Il enchaîne pour arriver à parler de Jane Campion.
00:45:48 De lui rendre hommage.
00:45:51 Et Arnaud, vous avez dû, voilà,
00:45:53 pas les oreilles qui ont sifflé,
00:45:55 mais dire à Wim Wenders, pareil, quoi.
00:45:57 Il en reparle même après.
00:45:59 Je ne sais pas si vous avez reparlé de Tony Herman.
00:46:02 - Mémoire d'éléphant.
00:46:04 - Mémoire d'éléphant, oui, il se souvient de tout.
00:46:06 Et donc, les entretiens, vous en avez déjà un peu parlé.
00:46:09 C'était des entretiens préparés, très spéciaux.
00:46:12 Mais est-ce que soi-même,
00:46:14 on se prépare à un entretien avec Michel Simon?
00:46:17 Drôle de question.
00:46:19 - Pour ma part, oui, je me suis préparé.
00:46:22 Sans me préparer, non.
00:46:24 Non, non, on aurait tort, pour ma part,
00:46:26 on aurait tort de se préparer.
00:46:28 Parce qu'il a préparé pour vous.
00:46:30 C'est ça qui est extraordinaire.
00:46:32 On n'a pas... On y arrive un peu,
00:46:34 on sait bien ce qu'on voudrait dire.
00:46:36 Voilà, on a bien un thème ou deux à développer.
00:46:38 On sait bien des vagues choses, comme ça.
00:46:40 Quand je dis que tout dépend de l'intervieweur,
00:46:42 comme disait René, c'est vrai.
00:46:44 Mais lui a tellement préparé,
00:46:46 tellement travaillé, que tout d'un coup,
00:46:48 on le suit.
00:46:50 On ne sait pas qui suit l'autre.
00:46:52 Moi, j'avais l'impression que je le suivais.
00:46:54 Et qu'il n'y avait pas d'effort, quoi.
00:46:57 Pas d'effort scolaire, pas d'effort...
00:47:01 C'est comme ça que je le ressentais.
00:47:04 - Une conversation?
00:47:06 - Me préparer, non.
00:47:08 Enfin, je ne sais pas, on espère.
00:47:10 Parce que ce que disait Nicole,
00:47:12 il y a des critiques qui écrivent des textes
00:47:14 merveilleux sur les films qui sont très abstraits
00:47:16 ou qui parlent de la signification du film
00:47:18 ou des choses.
00:47:20 Michel s'intéresse énormément aussi à la critique d'art.
00:47:24 Qu'est-ce qui est beau, pourquoi c'est beau,
00:47:26 comment c'est fabriqué.
00:47:28 Pendant très longtemps, je me disais,
00:47:30 je suis un fabricant de films, je ne sais pas si je suis réalisateur,
00:47:32 je les fabrique.
00:47:34 Et dans les interviews, ce qui est merveilleux,
00:47:36 c'est que d'un coup, on disait, il a vu que, en fait,
00:47:38 je l'avais fait, quoi.
00:47:40 Il a vu comment c'était fait.
00:47:42 Donc on espère, enfin, moi, avant les entretiens excitants,
00:47:44 je me disais, pourvu qu'il ait remarqué que
00:47:46 j'ai bien fait mon travail, quoi.
00:47:48 C'est un truc très stupide scolaire.
00:47:50 Et alors, quand ça arrive,
00:47:52 on est tout content.
00:47:54 - Et c'est dans le documentaire dont on parlait,
00:47:56 donc c'était le sujet d'un conte de Noël,
00:47:58 vous intervenez dans ce documentaire,
00:48:00 vous ne vous souvenez peut-être pas de ce que vous y disiez,
00:48:02 mais c'était ça.
00:48:04 Pour un conte de Noël,
00:48:06 vous disiez, c'était le seul, il avait vu,
00:48:08 il y avait quatre choses essentielles dans le film
00:48:10 et lui arrive,
00:48:12 il les a vues, il les a lues
00:48:14 et on parle de ça et c'est tout de suite très différent.
00:48:16 - Ça a aidé, quoi.
00:48:18 Par exemple, ça commence avec un texte d'Emerson,
00:48:20 il connaissait le texte d'Emerson,
00:48:22 etc., etc., etc.
00:48:24 C'était Jean-Paul Roussillon citant un texte obscur,
00:48:26 il l'avait lu.
00:48:28 C'était comme ça partout dans le film, quoi.
00:48:30 C'était facile, quoi, après.
00:48:32 - Comment on préparait un entretien avec Michel ?
00:48:34 Vous avez tous eu cette expérience ?
00:48:36 - Ah non, moi, jamais.
00:48:38 - Non, jamais d'entretien ?
00:48:40 - Non, j'ai fait quelques entretiens positifs.
00:48:42 Je me méfiais de moi-même
00:48:44 parce que
00:48:46 je me rendais compte que
00:48:48 quand je trouvais le metteur en scène sympathique,
00:48:50 j'aurais eu du mal à dire
00:48:52 du mal de ses films
00:48:54 postérieurs, même s'ils étaient mauvais,
00:48:56 ce qui peut arriver.
00:48:58 Mais Michel, c'est ça que je veux souligner à ce propos,
00:49:00 lui gardait
00:49:02 sa neutralité.
00:49:04 Il était capable
00:49:06 de faire du bien des gens.
00:49:08 Pour certains, il éprouvait
00:49:10 une véritable amitié. C'était le cas
00:49:12 de Francesco Rosi, par exemple.
00:49:14 Mais
00:49:16 on aurait eu du mal
00:49:18 à dire... On aurait eu de la difficulté
00:49:20 à dire du mal de Rosi dans "Positif".
00:49:22 Il faut le reconnaître.
00:49:24 Ça aurait été vraiment difficile.
00:49:26 Et d'ailleurs, on ne l'a pas fait.
00:49:28 Mais quand même,
00:49:30 il n'avait pas la reconnaissance
00:49:32 du ventre.
00:49:34 Il gardait
00:49:36 son objectivité,
00:49:38 le meilleur mot,
00:49:40 ce serait sa neutralité critique.
00:49:42 Il abordait le film
00:49:44 comme un film.
00:49:46 Pas nécessairement au départ
00:49:48 comme un film de machin ou de truc.
00:49:50 De sorte que le film,
00:49:52 même, ça a deux versants,
00:49:54 le film de quelqu'un
00:49:56 dont il avait pensé du mal auparavant
00:49:58 gardait ses chances.
00:50:00 Et le film
00:50:02 de quelqu'un dont il avait pensé du bien
00:50:04 auparavant pouvait être
00:50:06 précipité dans les enfers.
00:50:08 Michel n'a jamais été
00:50:10 un critique virulent.
00:50:12 Je ne pense pas que c'était un critique
00:50:14 nuancé, mais il pouvait
00:50:16 ne pas aimer un film.
00:50:18 C'est d'ailleurs
00:50:20 une chose que je veux
00:50:22 encore souligner, c'est ce côté
00:50:24 l'œil.
00:50:26 Il y a un moment
00:50:28 où on ne sait pas pourquoi
00:50:30 le film nous convainc.
00:50:32 À ce moment-là, il faut essayer de comprendre
00:50:36 pourquoi, mais c'est postérieur.
00:50:38 Le premier mouvement,
00:50:40 c'est d'aimer le film ou de ne pas aimer le film.
00:50:42 Et donc,
00:50:44 ceci exclut
00:50:46 tout ce qui viendrait perturber,
00:50:48 comme je le disais tout à l'heure,
00:50:50 le jugement esthétique.
00:50:52 Un film peut avoir des défauts,
00:50:54 nous déplaire moralement,
00:50:56 politiquement, etc., et être un bon film.
00:50:58 Michel a toujours reconnu ça,
00:51:00 et nous a encouragé
00:51:02 le reconnaître aussi.
00:51:04 Alors, bien entendu, ce jugement esthétique,
00:51:06 il a ses limites.
00:51:08 Et Michel les reconnaissait volontiers.
00:51:10 Il y a des choses
00:51:12 qui sont indécentes au cinéma,
00:51:14 du point de vue politique,
00:51:16 du point de vue moral, etc.
00:51:18 À ce moment-là, on n'aime pas le film,
00:51:22 d'ailleurs, en général.
00:51:24 Donc, voilà un peu...
00:51:26 Les entretiens,
00:51:28 surtout que je n'en ai jamais préparé avec lui,
00:51:30 j'en ai fait quelques-uns, mais comme je vous le disais,
00:51:32 je me méfiais de moi-même.
00:51:34 Dominique, ou sur l'art de l'entretien ?
00:51:38 Moi, je n'ai pas fait
00:51:40 d'entretien avec Michel. Ce qui me vient,
00:51:42 c'est la confiance.
00:51:44 En fait, la confiance
00:51:46 qu'il m'a accordée
00:51:48 quand j'ai eu l'occasion
00:51:50 d'en faire.
00:51:52 C'est sûr que l'exercice de l'entretien
00:51:54 positif, c'était aussi
00:51:56 un exercice très sérieux
00:51:58 qu'on préparait beaucoup.
00:52:00 D'ailleurs,
00:52:02 on met un point d'honneur à y aller
00:52:04 à deux, en général.
00:52:06 Et en général aussi,
00:52:08 la personne qui fait l'entretien
00:52:10 ne fait pas la critique.
00:52:12 C'est toujours deux.
00:52:14 Alors, on prépare avant. Évidemment, on va voir le film.
00:52:16 Souvent, plutôt,
00:52:18 deux fois qu'une. Et puis, on se parle.
00:52:20 Et puis, on prépare des questions.
00:52:22 Donc, on n'y va pas
00:52:24 comme Michel, peut-être,
00:52:26 spontanément,
00:52:28 avec son bagage, etc.
00:52:30 On prépare beaucoup.
00:52:32 Et puis, ensuite,
00:52:34 on déroge,
00:52:36 évidemment, et on écrit
00:52:38 beaucoup. Les entretiens
00:52:40 positifs
00:52:42 sont très écrits.
00:52:44 En tout cas, ceux que j'ai pu faire.
00:52:46 Et puis,
00:52:48 il y a la reconnaissance qui vient à un moment donné.
00:52:50 Donc, vous allez avec un collègue
00:52:52 faire un entretien.
00:52:54 Et Michel
00:52:56 vous appelle, quelques temps après, il vous dit
00:52:58 "Je m'en viens d'un entretien.
00:53:00 C'était drôlement bien."
00:53:02 Et là, voilà.
00:53:04 Qu'est-ce que je peux en dire ?
00:53:08 - Gilles, vous voulez ?
00:53:10 - Moi, je voudrais dire trois choses.
00:53:12 Deux petites remarques.
00:53:14 D'abord,
00:53:16 d'une part, vous avez tous remarqué
00:53:18 quand on a passé des extraits
00:53:20 où il parle,
00:53:22 la salarie.
00:53:24 Et c'est quelque chose, je pense, qu'il faut vraiment...
00:53:26 Enfin, moi, je répète,
00:53:28 souvent,
00:53:30 c'était quelqu'un de très drôle.
00:53:32 Et qui avait
00:53:34 toujours envie
00:53:36 d'amuser, de faire rire.
00:53:38 Mais pas au dépens.
00:53:40 Quoique, parfois, on est ce qu'il a plu.
00:53:42 Mais voilà, il embarquait aussi
00:53:46 avec le rire.
00:53:48 C'est la première chose. La deuxième,
00:53:50 c'est que
00:53:52 cet art de l'entretien, cette confiance,
00:53:54 et cette...
00:53:56 Enfin, c'est plus que de l'empathie.
00:53:58 Mais cette
00:54:00 proximité avec les réalisateurs,
00:54:02 c'est ce qui fait aussi
00:54:04 qu'il
00:54:06 obtenait
00:54:08 des entretiens
00:54:10 qui étaient difficiles à obtenir.
00:54:12 C'est-à-dire qu'à Cannes,
00:54:14 les presses John Kett, tout le monde avait droit à 5 minutes.
00:54:16 Ou alors, un quart d'heure,
00:54:18 mais avec 5 autres
00:54:20 journalistes.
00:54:22 Lui, il obtenait, pour positif,
00:54:24 une heure d'entretien
00:54:26 avec certains réalisateurs intouchables.
00:54:28 Et puis, c'est aussi ce qui lui a
00:54:30 permis de faire
00:54:32 plusieurs ses entretiens avec Kubrick,
00:54:34 ce qui est un cas unique.
00:54:36 Parce qu'il avait cette confiance.
00:54:38 La troisième chose, donc là, je vais en venir
00:54:40 à l'anecdote. Moi, j'en ai fait un,
00:54:42 un entretien avec lui.
00:54:44 Et l'entretien,
00:54:46 en lui-même, n'a pas
00:54:48 grand-chose à dire.
00:54:50 Je vais vous expliquer pourquoi.
00:54:52 Mais en revanche,
00:54:54 l'histoire de cet entretien,
00:54:56 ça résume aussi
00:54:58 assez bien,
00:55:00 ça décrit assez bien
00:55:02 son goût,
00:55:04 sa curiosité,
00:55:06 son goût de la découverte,
00:55:08 et puis son absence d'a priori.
00:55:10 C'est-à-dire que, ne pas aller voir un film
00:55:12 parce que c'est l'oeuvre de machin
00:55:14 ou parce que c'est
00:55:16 une école
00:55:18 ou quoi que ce soit.
00:55:20 On était à Annecy, c'était en 1993,
00:55:22 et on épluche
00:55:24 le programme et on voit
00:55:26 un dessin animé japonais.
00:55:28 Et là, on en parle,
00:55:30 on dit "Pfiou, c'est marrant".
00:55:32 Et puis, il y a d'autres films que ce réalisateur connaissait pas.
00:55:34 Et on nous dit
00:55:36 "Oh non, l'animation japonaise,
00:55:38 à l'époque,
00:55:40 on était envahi par
00:55:42 les Goldorak au Club Dorothée".
00:55:44 C'était ça, c'était ce que disaient
00:55:46 les gens autour.
00:55:48 Alors il y avait quand même quelques personnes
00:55:50 pour dire "Non, non, mais si, si, c'est intéressant".
00:55:52 Les gens n'y allaient pas.
00:55:54 Donc on est allé voir le film,
00:55:56 on a trouvé ça formidable.
00:55:58 On est allé aussitôt, ensemble,
00:56:00 voir les autres films qui étaient programmés.
00:56:02 Et puis on a demandé à la tachette presse qui s'occupait de ce film
00:56:04 "Est-ce qu'on pourrait avoir un entretien
00:56:06 avec le réalisateur ?"
00:56:08 Enfin, j'arrive pas à placer un entretien.
00:56:10 Personne ne veut le rencontrer.
00:56:12 Déjà, ils veulent même pas aller voir le film.
00:56:14 Et donc on fait
00:56:16 l'entretien avec Hayao Miyazaki.
00:56:18 Voilà.
00:56:20 Et c'était pour Coroso.
00:56:22 Et alors, il se trouve que
00:56:24 Miyazaki était un peu jetlagué.
00:56:26 Il parlait évidemment
00:56:28 que japonais, donc on passait par
00:56:30 un interprète qui n'était pas
00:56:32 très au point.
00:56:34 Et qu'en plus,
00:56:36 on n'avait pas eu vraiment le temps
00:56:38 justement de préparer.
00:56:40 On venait juste de découvrir.
00:56:42 Donc l'entretien en lui-même,
00:56:44 il a eu le mérite d'être le premier,
00:56:46 et d'avoir été pendant un certain temps
00:56:48 le seul en dehors du Japon.
00:56:50 Mais l'entretien lui-même,
00:56:52 c'était décevant pour ça.
00:56:54 Je regrette vraiment justement de ne pas avoir fait
00:56:56 un vrai, bon entretien
00:56:58 en sa compagnie.
00:57:00 Mais quand même, c'était ça.
00:57:02 On va parler de ce réalisateur,
00:57:04 et on s'en fiche que
00:57:06 l'animation japonaise soit pas considérée.
00:57:08 On va faire découvrir
00:57:10 une oeuvre.
00:57:12 Voilà. Il ne s'est pas trompé.
00:57:14 Et justement,
00:57:16 on parlait des livres
00:57:18 aussi d'entretien,
00:57:20 de celui qu'il a pu faire avec Kubrick,
00:57:22 la nouveauté en tout cas, et c'est toujours bon de le rappeler.
00:57:24 Je crois que son art était
00:57:26 un art des rapprochements.
00:57:28 On parlait
00:57:30 évidemment de peinture,
00:57:32 du XVIIIe siècle, etc.
00:57:34 C'était comme un artiste-monteur.
00:57:36 C'est ce qui faisait la marque
00:57:38 et la nouveauté, en tout cas,
00:57:40 de ce livre sur Kubrick.
00:57:42 Philippe Rouillet, ici présent,
00:57:44 vous pouvez le voir en ligne, justement,
00:57:46 il y avait eu un cours autour des grands livres
00:57:48 de cinéma et des grands critiques.
00:57:50 Un cours de Philippe sur ce livre de Kubrick.
00:57:52 Cet art des rapprochements.
00:57:54 Je vais vous faire réagir
00:57:56 avant de passer
00:57:58 à mon dernier extrait.
00:58:00 Ce livre sur Kubrick,
00:58:02 c'est un très bon exemple.
00:58:04 On va prendre aussi le livre sur Brumann.
00:58:06 Il y a,
00:58:08 je dirais, deux originalités
00:58:10 importantes
00:58:12 par rapport à ce qu'était
00:58:14 à l'époque la littérature sur le cinéma.
00:58:16 Outre le style
00:58:18 élégant, précis, etc.
00:58:20 de Michel.
00:58:22 Il y a l'utilisation
00:58:24 des images, des photos.
00:58:26 Ces photos ne sont
00:58:28 pas des illustrations.
00:58:30 Ce sont des démonstrations,
00:58:32 des preuves.
00:58:34 Dans les deux cas.
00:58:36 Et puis, bien entendu, il y a les entretiens.
00:58:38 Il avait déjà commencé
00:58:40 avec le Dossier Rosi,
00:58:42 un livre qui épouse
00:58:44 la poétique de Rosi lui-même.
00:58:46 Il s'agit d'un dossier
00:58:48 comme certains films de Rosi.
00:58:50 Je crois que c'est ça le plus important.
00:58:52 C'est que
00:58:54 ces livres
00:58:56 magnifiques
00:58:58 du point de vue éditorial,
00:59:00 ce ne sont pas des images pour faire joli.
00:59:04 Ni pour donner une idée vague
00:59:06 du film. Ce sont des images...
00:59:08 Il y a un montage des images.
00:59:10 Il y a des rapprochements entre les images
00:59:12 qui...
00:59:14 Le mot
00:59:16 est trop froid, probablement.
00:59:18 Qui démontrent
00:59:20 qu'il y a un thème particulier.
00:59:22 Une façon de voir.
00:59:24 Une transfiguration de la réalité
00:59:26 propre à tel metteur en scène.
00:59:28 A Kubrick, à Rosi,
00:59:30 à Losey.
00:59:32 Losey, le livre est moins illustré.
00:59:34 Je crois que c'est ça qui intéressait Michel.
00:59:36 Il faut que le film
00:59:40 soit d'une certaine manière
00:59:42 une transfiguration de la réalité.
00:59:44 Pas une simple copie de la réalité.
00:59:46 Est-ce que quelqu'un d'autre veut réagir
00:59:50 sur cet art de rapprochement
00:59:52 chez Michel ?
00:59:54 On peut passer au dernier extrait.
00:59:56 Vous aurez le temps
01:00:00 pour quelques questions.
01:00:02 On passe au dernier extrait,
01:00:04 tiré du documentaire
01:00:06 "Le cinéma en partage".
01:00:08 Un film de l'art
01:00:10 qui est en train de se dépasser
01:00:12 et de se dépasser
01:00:14 et de se dépasser.
01:00:16 Un critique d'art
01:00:18 un historien du cinéma sérieux
01:00:20 qui chronique le passé,
01:00:22 le présent
01:00:24 et cherche le futur
01:00:26 et le garde toujours en contexte.
01:00:28 Et...
01:00:30 un professeur
01:00:32 enthousiaste du cinéma.
01:00:34 Je ne l'ai pas vu
01:00:36 en m'écrivant.
01:00:38 Si il y a des gens comme
01:00:44 Michel Simone dans le monde,
01:00:46 la histoire du cinéma est en très bonnes mains.
01:00:48 La rumeur qu'il y a 4 jeunes
01:00:50 cinéastes américains
01:00:52 qui étaient ensemble
01:00:54 un jour lors d'un dîner.
01:00:56 James Gray,
01:00:58 Quentin Tarantino,
01:01:00 Steven Soderbergh,
01:01:02 Paul Thomas Anderson.
01:01:04 Un jour, ils étaient ensemble
01:01:06 en smoking,
01:01:08 et ils ont un peu bu.
01:01:10 Ils parlent de la critique.
01:01:12 Chacun fait le pari
01:01:14 aux 3 autres que c'est sur lui
01:01:16 et je me suis dit
01:01:18 que j'ai photographié les 4.
01:01:20 J'ai vérifié l'anecdote
01:01:22 et ils m'ont confirmé que,
01:01:24 lors d'un dîner à New York,
01:01:26 ils ont fait ce pari.
01:01:28 J'ai demandé à Michel
01:01:30 lequel avait le plus de chances de gagner.
01:01:32 Il m'a dit que Tarantino avait fait 4 films
01:01:34 et que Gray 3.
01:01:36 Il faut qu'il s'active un peu plus.
01:01:38 C'était aussi une manière
01:01:40 de rendre hommage à Nicolas Guérin,
01:01:42 photographe positif.
01:01:44 J'en profite aussi pour saluer Simone Lenné
01:01:46 dans la salle réalisatrice
01:01:48 de ce documentaire.
01:01:50 Vous êtes ici.
01:01:52 Un vrai beau document
01:01:54 sur Michel.
01:01:56 Le temps file vite.
01:01:58 Je sais qu'Arnaud doit nous quitter
01:02:00 à 20h30. On a encore 5 minutes
01:02:02 et c'est normal.
01:02:04 La vie se poursuit.
01:02:06 Est-ce que vous avez des interventions,
01:02:08 des remarques ou des questions
01:02:10 à nos intervenants ?
01:02:12 Oui.
01:02:14 Je ne sais pas.
01:02:16 Il y a un micro qui arrive.
01:02:18 Simone Lenné.
01:02:20 Ce qui m'avait le plus touchée
01:02:24 chez Michel
01:02:26 quand on s'est rencontré
01:02:28 et on avait organisé un festival ensemble,
01:02:30 c'est son absence totale de frustration.
01:02:34 Il côtoyait
01:02:36 les plus grands.
01:02:38 Il n'avait absolument
01:02:40 pas ce travers.
01:02:42 Ça ne l'effleurait pas.
01:02:44 J'ai trouvé ça
01:02:46 extrêmement touchant.
01:02:48 L'humour dont tu parlais,
01:02:52 Gilles,
01:02:54 il nous faisait énormément rire.
01:02:56 C'est pour être la 8ème vertu cardinale.
01:03:00 Ça doit l'être.
01:03:02 D'autres remarques ?
01:03:04 Il y en a sur la gauche.
01:03:06 Sur la gauche, là-bas.
01:03:08 Le micro fonctionne, je pense.
01:03:18 C'était plutôt une question.
01:03:26 Est-ce qu'on sait
01:03:28 comment et par quelle voie
01:03:30 il a choisi de devenir critique de cinéma ?
01:03:32 Alors, si.
01:03:34 Est-ce que l'on sait comment et dans quelle voie
01:03:36 il a décidé de devenir critique de cinéma ?
01:03:38 Je ne sais pas qui veut
01:03:42 et peut répondre à ça.
01:03:44 C'est très difficile de le savoir.
01:03:46 Il y a une chose qui m'a beaucoup frappé.
01:03:50 C'est que
01:03:52 Michel était
01:03:54 hypocagneux
01:03:56 au lycée Louis-le-Grand.
01:03:58 Il était premier en philosophie.
01:04:00 Et il a quitté cette voie
01:04:02 pour
01:04:04 devenir américaniste.
01:04:06 Il est parti aux Etats-Unis avec une bourse Fulbright.
01:04:08 Et au fond,
01:04:10 il a sacrifié l'école normale supérieure
01:04:12 de Saint-Cloud pour le cinéma.
01:04:14 C'est pratiquement certain.
01:04:16 Cette vocation
01:04:18 venait
01:04:20 en partie de son enfance.
01:04:22 Il allait au cinéma avec sa mère
01:04:24 pendant l'occupation
01:04:26 et après l'occupation.
01:04:28 Et il a pris goût
01:04:30 à un cinéma extrêmement populaire.
01:04:32 Les films d'action,
01:04:36 comme on dit aujourd'hui.
01:04:38 Les films d'aventure, plus exactement.
01:04:40 Les comédies américaines.
01:04:42 Le burlesque
01:04:44 et ainsi de suite.
01:04:46 Et c'est devenu
01:04:48 comme en même temps
01:04:50 il avait
01:04:52 perfectionné un outil intellectuel
01:04:54 dans les musées,
01:04:56 dans la littérature.
01:04:58 Il a lu
01:05:00 énormément de poètes,
01:05:02 d'écrivains, de romanciers
01:05:04 de tous les pays.
01:05:06 En particulier, dans le français
01:05:08 et anglo-saxon, bien entendu.
01:05:10 Je crois que
01:05:12 c'est ça qui a
01:05:14 suscité sa vocation de penser
01:05:16 à propos du cinéma.
01:05:18 D'un côté, il avait
01:05:20 le goût du cinéma, le plaisir du simple spectateur.
01:05:22 Le spectateur du samedi soir, comme on dit.
01:05:26 Qui existait à l'époque.
01:05:28 Et d'un autre côté,
01:05:30 il avait développé un instrument intellectuel
01:05:32 qui lui permettait
01:05:34 à une époque où déjà quand même
01:05:36 le cinéma était considéré comme un art.
01:05:38 Il ne faut pas trop
01:05:40 mépriser
01:05:42 nos aïeux.
01:05:44 Mais il avait ce sentiment
01:05:48 qu'il pouvait apporter sans doute quelque chose
01:05:50 à la découverte
01:05:52 du cinéma comme art.
01:05:54 Je vous invite,
01:05:56 si vous ne l'avez pas lu,
01:05:58 à vous procurer le cinéma en partage.
01:06:00 Les entretiens avec N.T. Bean
01:06:02 où il raconte aussi
01:06:04 très bien lui-même ce parcours.
01:06:06 Il se prête lui-même à cet exercice
01:06:08 de l'entretien. D'autres interventions ?
01:06:10 Oui, bonsoir.
01:06:16 Je suis entièrement d'accord avec tout ce qui s'est dit
01:06:18 précédemment. J'ai un souvenir
01:06:20 personnel de Michel Ciment,
01:06:22 à part l'avoir vu de nombreuses fois
01:06:24 au "Masque et la plume" dans le public.
01:06:26 Je vais régulièrement depuis une quinzaine d'années
01:06:30 au festival d'Anjou
01:06:32 qui était cher à Jean-Claude Brialy,
01:06:34 donc du théâtre. Là aussi, c'est quelque chose
01:06:36 qui l'intéressait.
01:06:38 Toutes les expressions artistiques l'intéressaient.
01:06:40 C'est en cela que le cinéma
01:06:42 est une expression plurielle
01:06:44 au niveau artistique. Le passionné,
01:06:46 je le comprends très bien.
01:06:48 À l'entrée d'une séance au théâtre
01:06:50 d'Angers, où on voyait
01:06:52 des compagnies
01:06:54 débutantes, privées,
01:06:56 peu connues, présenter des pièces. Il y a toujours
01:06:58 une semaine avec des pièces peu connues.
01:07:00 Il a ouvert sa grande gueule,
01:07:02 si je puis dire sympathiquement,
01:07:04 en disant "voilà un cinéphile
01:07:06 qui vient de Paris exprès pour voir
01:07:08 du théâtre amateur à Angers".
01:07:10 C'est tout à fait Michel Ciment, ça.
01:07:12 J'ai beaucoup
01:07:14 d'émotions à repenser
01:07:16 à lui parce que c'était un grand monsieur.
01:07:18 Merci.
01:07:20 Je ne vois pas bien dans la salle
01:07:26 s'il y a d'autres mains qui se lèvent. Oui.
01:07:28 J'ai remarqué que
01:07:34 Michel Ciment aimait bien
01:07:36 utiliser le mot "hommage".
01:07:38 Il faisait
01:07:40 souvent des hommages, même à des jeunes
01:07:42 metteurs en scène.
01:07:44 Il m'avait fait une dédicace en écrivant le mot
01:07:46 "hommage". Je voulais savoir si vous saviez pourquoi
01:07:48 il aimait tellement ce mot "hommage"
01:07:50 qu'il l'utilisait souvent.
01:07:52 Je pense que
01:07:54 c'était, si je peux me permettre,
01:07:56 un exercice d'admiration.
01:07:58 Je crois que ça veut dire
01:08:00 admiration.
01:08:02 Michel aimait admirer.
01:08:04 Et je dois dire
01:08:06 qu'une chose qui l'inquiétait
01:08:08 depuis probablement une dizaine
01:08:10 d'années, c'est
01:08:12 que ça n'est plus un exercice sportif
01:08:14 très répandu aujourd'hui,
01:08:16 admirer.
01:08:18 Plus volontiers,
01:08:20 on coche des cases, le film
01:08:22 est bien parce que...
01:08:24 On lit très rarement.
01:08:26 Il faut admirer
01:08:28 ce film.
01:08:30 Il faut admirer ce tableau.
01:08:32 Ce qu'il faut admirer dans le film.
01:08:34 C'est trop rare.
01:08:38 Et Michel tenait beaucoup
01:08:40 à cet expressionnage. Je pense que c'est ce que signifie
01:08:42 son emploi
01:08:44 du hommage essentiellement.
01:08:46 Nous avons
01:08:50 le temps d'une dernière intervention.
01:08:52 Question avant de passer un petit
01:08:54 entracte et
01:08:56 de laisser la parole à Billy Wilder.
01:08:58 Ah oui, c'est tout là-haut.
01:09:08 Bonsoir.
01:09:10 Bonsoir.
01:09:12 Je tenais juste à dire que Michel Simon,
01:09:14 c'est pour moi l'incarnation même
01:09:16 du critique de cinéma.
01:09:18 J'ai découvert "Au masque et la plume"
01:09:20 j'étais tout petit, 7-8 ans.
01:09:22 Ce que je peux dire,
01:09:24 et que j'ai un petit peu cru entendre aussi ce soir,
01:09:26 c'est que pour moi c'est un peu la ligne claire de la critique
01:09:28 au milieu du game
01:09:30 et des idées, si je puis dire.
01:09:32 Et dès gamin, c'est ce que j'ai tout de suite
01:09:34 senti. Quand je me suis mis
01:09:36 à écrire à mon tour, j'ai repensé à lui.
01:09:38 Et des fois, j'ai dit, non mais...
01:09:40 être partiel,
01:09:42 oui, mais il faut savoir dans quelle direction on va.
01:09:44 Donc pour moi,
01:09:46 ça restera la figure du critique
01:09:48 telle qu'elle devrait être, si je puis dire.
01:09:50 Merci, c'est un beau mot
01:09:52 de la fin de cette première
01:09:54 partie, en tout cas pour
01:09:56 continuer.
01:09:58 Il nous oblige, comme
01:10:00 dirait l'autre.
01:10:02 Merci à toutes et à tous d'avoir
01:10:04 participé à cet hommage.
01:10:06 Merci à vous.
01:10:08 (Applaudissements)
01:10:10 [SILENCE]