• il y a 10 mois
Rachel Keke, députée "La France insoumise" du Val-de-Marne.

Rien ne la prédestinait à devenir députée. Rachel Keke a été femme de chambre dans un hôtel pendant près de 20 ans. Elle y a mené une grève victorieuse de 22 mois contre son employeur. Depuis son élection sous les couleurs de la France insoumise, elle s'efforce de porter la voix des "sans voix" à l'Assemblée.

Pourquoi s'engage-t-on en politique ? Comment tombe-t-on dans le grand chaudron de l'Assemblée ?
Chaque jour, Clément Méric, dans un entretien en tête à tête de 13 minutes, interroge un parlementaire sur les personnalités, les évènements - historiques ou personnels - qui l'ont conduit à choisir la vie publique.
Car on ne naît pas politique, on le devient !

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Transcription
00:00 Rien ne l'a prédestinée à devenir députée.
00:03 Mon invitée a été femme de chambre dans un hôtel
00:06 pendant près de 20 ans.
00:07 Elle a mené une grève victorieuse de 22 mois
00:09 contre son employeur.
00:11 Depuis son élection, elle s'efforce de porter
00:13 la voix des sans voix à l'Assemblée.
00:16 Générique
00:30 -Bonjour, Rachel Keke. -Bonjour.
00:32 -Vous êtes une combattante,
00:33 c'est comme ça que vous vous définissez.
00:36 Une combattante dont la vie a basculé
00:38 quand vous aviez 12 ans, en Côte d'Ivoire,
00:40 quand votre mère est décédée. Ce drame dans votre vie
00:43 vous a conduit à prendre des responsabilités familiales
00:46 très jeunes, très tôt. Vous avez dû arrêter les études
00:49 à 12 ans pour travailler.
00:51 -Quand ma mère est partie,
00:53 heureusement qu'elle m'a appris beaucoup de choses.
00:56 Donc, à 12 ans, je faisais manger à mes frères
00:59 et en même temps, je partais à l'école.
01:01 Après, en classe de CM2, j'avais plus la force
01:04 de faire les travaux mélangés à la maison
01:06 et aller à l'école, faire les deux choses ensemble.
01:09 Un jour, j'ai dit à mon père que je préférais rester à la maison,
01:13 que de continuer les études.
01:14 -Plus tard, vous êtes donc arrivé en France.
01:17 Vous aviez 26 ans, vous avez vécu dans un squat
01:19 avec vos enfants, à l'époque, vous avez exercé plusieurs métiers
01:23 avant de devenir femme de chambre, à l'Hôtel Ibis-Batignolles,
01:26 à Paris, c'était en 2003. Vous avez, sur place,
01:29 enchaîné des cadences très soutenues,
01:31 jusqu'à 40 chambres à nettoyer chaque jour
01:34 pour 1 300 euros par mois, avec une tendinite au poignet,
01:37 que vous avez eue, des douleurs au dos.
01:39 Et puis, au mois de juillet 2019, vous êtes mise en grève
01:42 avec une quarantaine de femmes de chambre de cet hôtel.
01:45 On va revoir ça en image.
01:47 -Cela fait maintenant près d'une semaine
01:49 qu'elles occupent le hall de l'hôtel Ibis,
01:51 où elles travaillent. Elles sont femmes de chambre,
01:54 gouvernantes toutes étrangères.
01:56 La liste de leurs revendications est longue.
01:59 Cadences infernales, obligation de laver soi-même
02:02 sa tenue de travail, pas d'indemnité de repas
02:04 et même un cas de viol dénoncé devant la justice.
02:07 -Beaucoup d'entre nous, on ne connaît pas le droit de travail.
02:11 Ils nous exploitent au maximum.
02:13 -Ces images, c'était le tout début de votre combat.
02:16 Je le disais, ça a duré 22 mois,
02:18 dans la pluie, dans le vent, dans le froid.
02:20 Qu'est-ce qui vous a fait tenir aussi longtemps sans salaire ?
02:25 -Ce qui nous a fait tenir, déjà,
02:27 c'est les conditions qu'on traversait dans cet hôtel.
02:30 Avec la sous-traitance, on était mal payés,
02:32 on avait des assailements sociaux,
02:34 on avait des assailements moraux, on était tellement maltraités.
02:38 Franchement, il fallait qu'on soit de ça.
02:41 C'est un métier, sachez qu'il rend malade,
02:43 qui donne des tendinites, des poignets qui s'enflent,
02:46 des épaules qui se déboitent.
02:48 C'est un boulot très pénible et très mal payé.
02:51 Et là, ça nous a donné la force de pouvoir sortir du silence
02:54 pour mettre fin à ça.
02:56 -Alors, à l'époque, vous étiez élue CGT au sein de cet hôtel.
02:59 Vous vous êtes imposée un peu comme la leader de cette grève.
03:03 Le député LFI, Eric Coquerel,
03:05 qui est venu vous soutenir plusieurs fois sur place,
03:08 a quelque chose qui magnétise, elle est forte,
03:11 elle a les mots justes, elle n'a pas besoin de lire,
03:14 et il vous qualifie de leader de masse.
03:16 Est-ce que vous saviez que vous aviez ce don
03:19 d'emmener les autres avec vous, de transmettre une énergie,
03:22 de porter leur parole avant cette grève ?
03:24 -Oui, parce qu'au départ,
03:26 quand j'ai commencé à faire le métier des femmes de chambre,
03:29 je voyais les injustices qui se passaient.
03:32 Beaucoup de ces femmes ne savaient pas lire et écrire.
03:35 Je me prenais tout le problème dessus, donc je les défendais.
03:38 Quand elles avaient un problème,
03:40 je cherchais où était Rachel.
03:42 Malgré que je n'étais pas déléguée syndicat,
03:45 je les défendais pour leur dire que ce n'était pas normal.
03:48 -C'est dans votre tempérament. -Oui.
03:50 J'aime pas l'injustice, c'est comme ça.
03:53 Là où il y a l'injustice, je n'aime pas,
03:55 mais c'est dans le bon sens.
03:57 J'essaie de trouver des solutions pour ces femmes-là.
04:00 -Vous l'avez gagnée. Le 25 mai 2021,
04:02 votre employeur a accepté d'augmenter les salaires,
04:05 vous a accordé une prime pour les repas,
04:07 il a accepté de baisser les cadences de ménage.
04:10 Un an après avoir gagné ce combat, vous avez accepté d'en mener un autre
04:14 quand la France Insoumise vous a proposé d'être candidate
04:17 aux législatives. Vous avez hésité à vous lancer en politique ?
04:21 -Quand ils m'ont proposé d'être candidate aux législatives,
04:24 j'ai dit que c'était un peu compliqué.
04:26 Je ne connais pas la politique, mais bon.
04:29 Après, le président de la France Insoumise m'a dit
04:31 que j'avais mené une lutte victorieuse
04:34 et que je savais qu'à l'Assemblée nationale,
04:36 vous pourriez nous représenter. J'ai pris confiance en moi
04:39 parce qu'on a gagné une grève très victorieuse pendant 22 mois.
04:43 Pourquoi ne pas être la voix des sans-voix
04:45 à l'Assemblée nationale ? -On voit votre première prise de parole
04:49 lors du lancement de la NUP. Vous avez mis la salle debout.
04:52 Quelques semaines plus tard, vous avez été élue députée
04:55 face à une ancienne ministre, Roxana Maracineanu.
04:58 Le soir de votre victoire, vous avez déclaré
05:00 "J'ai le niveau CM2, je dis merci aux journalistes
05:04 "qui me suivent". On sent quand même
05:06 une forte dose d'ironie dans cette déclaration.
05:08 Ca vous a agacé le regard que les journalistes ont pu porter
05:11 sur vous à l'époque, sur votre parcours ?
05:14 -Il y a des journalistes qui sont un peu méprisants,
05:17 mais bon, je dis oui, je sais qu'ils vont prendre
05:19 pour m'attaquer, mais je suis une guerrière,
05:22 je les tiendrai tête. Si un journaliste me pose
05:25 une question que je ne comprends pas, je ne réponds pas,
05:28 mais je n'ai pas peur de me mettre devant un journaliste
05:31 pour répondre. -Les premiers pas
05:33 sont toujours compliqués pour n'importe quel député.
05:36 Qu'est-ce qui a été le plus difficile ?
05:38 -Déjà, à l'Assemblée nationale, à la télévision,
05:41 quand je regardais souvent les autres députés
05:44 avec la cravate, je me disais "Waouh",
05:46 avec des gens qui sont formés, qui ont un bac +5,
05:49 ça va être un peu... Voilà, ça va être un peu difficile
05:52 pour moi. Comment est-ce que j'allais y arriver
05:55 pour comprendre le rouage, comment ça se passe
05:57 à l'Assemblée nationale ? Mais enfin, j'ai compris
06:00 qu'il faut se former, et ça m'a beaucoup formé.
06:03 Je comprends encore beaucoup de choses.
06:05 -Vous aviez promis d'être la voix des sans voix,
06:08 de ceux qui s'occupent de ce que vous appelez
06:10 les métiers essentiels, et qui sont peu représentés
06:13 à l'Assemblée. Vous l'avez fait dès votre première prise de parole
06:17 dans l'hémicycle, et avec plus de force,
06:19 pendant la réforme des retraites, puisque vous étiez chef de file
06:23 des députés LFI sur le sujet de la pénibilité.
06:26 Voici un extrait.
06:27 -Qui d'entre vous a déjà fait un métier pénible ?
06:31 Qui d'entre vous peut lever la main et dire
06:35 "Moi, aujourd'hui, j'ai dû pousser des chariots
06:38 "avec 52 kilos de ciment, j'ai dû m'occuper
06:43 "de 20 personnes âgées." Qui peut lever la main ?
06:46 Personne. Vous n'avez pas le droit de mettre en genou
06:51 les gens qui tiennent la France debout.
06:54 C'est pourquoi vous voterez contre cette réforme des retraites.
06:58 Nous serons dans la lutte. -Je vous remercie.
07:01 -Avec le coup de sou, elle est là !
07:03 Applaudissements
07:05 -Je vous remercie. C'est fini.
07:09 -Vous vivez à 200 % vos prises de parole.
07:12 Vous êtes à fond. -Oui, je suis à fond,
07:15 parce que c'est un sujet qui me tenait vraiment à coeur.
07:18 Faire travailler les gens deux années de plus, jusqu'à 60 ans,
07:21 sans penser à des métiers pénibles, c'est quand même dommage.
07:25 Parce que, par exemple, moi, quand j'étais femme de chambre,
07:28 jusqu'à 64 ans, est-ce que je peux faire un lit ?
07:31 -Il y a aussi cette façon de pointer du doigt
07:34 vos collègues députés ou les ministres.
07:36 Qui d'entre vous a connu ça ?
07:38 Faut-il forcément avoir connu les métiers pénibles
07:42 pour pouvoir voter une loi sur ce sujet-là ?
07:44 -Je dis oui, parce que quand tu sais,
07:46 quand tu connais quelque chose, tu fais beaucoup attention.
07:50 -Vous vous abstenez sur les sujets politiques
07:53 que vous ne connaissez pas personnellement ?
07:55 -Mais avant, je m'abstiens si je ne comprends pas.
07:58 Mais quand je comprends,
07:59 je sais qu'on m'explique l'amendement,
08:02 ce que ça veut dire, mais je ne m'abstiens pas
08:04 si ça va dans mon cadre ou vers le cadre du peuple.
08:07 Le problème, comme il a dit, je suis la voix des sans-voix,
08:10 mais c'est pour représenter le bas peuple.
08:13 Si ça va dans l'intérêt du peuple,
08:15 voilà, je ne m'abstiens pas.
08:17 -Votre vie depuis votre élection a radicalement changé,
08:21 ne serait-ce que parce que votre salaire a plus que triplé,
08:24 je crois. Est-ce que vous avez peur, au bout d'un moment,
08:27 de vous déconnecter de ce que vivent les gens
08:30 que vous voulez représenter ?
08:31 -Je ne me déconnecte pas, parce que je sais d'où je viens.
08:35 Quand tu sais d'où tu viens,
08:36 l'argent ne peut pas faire que tu vas te déconnecter.
08:39 Tu as eu des amis, tu comprends les gens.
08:42 -Vous êtes encore en relation avec vos anciennes collègues
08:45 de l'hôtel Ibis ? -Oui, je vais à l'hôtel Ibis,
08:48 je vais les voir, je vais parler avec eux,
08:51 je vais voir comment ça se passe.
08:52 -Leur regard sur vous a-t-il changé ?
08:55 -Non, ça n'a pas changé. Au contraire,
08:57 elles sont très contentes d'être là où je suis,
09:00 elles sont vraiment heureuses.
09:01 Même un jour, j'ai été à mon dit,
09:03 souvent, quand les clients viennent ici,
09:06 ils nous disent "c'est ici, elle est partie,
09:08 "la femme de chambre qui est à l'Assemblée nationale".
09:11 C'est une fierté pour elles.
09:13 Je vais là-bas, je leur donne les conseils, on parle.
09:16 Même quand le directeur d'Ibis me voit, il me dit
09:19 "vous pouvez venir pour qu'on puisse discuter",
09:22 parce que je suis de près.
09:23 Leurs conditions de travail ne sont pas les pires.
09:26 C'est ce qu'on a vécu pendant les 22 mois.
09:29 -Vous êtes la première femme de chambre
09:31 à avoir été élue députée.
09:33 Ca fait de vous un symbole.
09:34 Beaucoup de gens se reconnaissent en vous,
09:37 qui ne se sentaient pas représentées avant à l'Assemblée
09:40 et qui se sentent aujourd'hui. Vous pensez
09:43 que bientôt, il y aura beaucoup d'autres
09:45 à l'Assemblée ? -Je vais bien.
09:47 -Vous y croyez ? C'est possible ? -Ca peut être possible.
09:50 Ca dépend des partis politiques.
09:52 Mais comme l'a fait la France insoumise,
09:55 d'autres partis, comme le Macronisme,
09:57 le RN, je pense qu'il faut qu'ils proposent
10:00 certaines personnes qui viennent du bas-peuple.
10:03 Parce que l'Assemblée nationale,
10:05 je pense qu'on est mieux représentées.
10:07 Ceux qui font ce métier sont mieux représentés.
10:10 Ils pourront mieux défendre eux-mêmes
10:12 leurs conditions de travail en face du gouvernement.
10:15 -Un dernier sujet. Juste après votre élection,
10:18 il y a un site d'extrême droite, F2Souch,
10:20 qui a révélé que vous avez relayé des messages de soutien
10:23 à Marine Le Pen en 2016.
10:25 Qu'est-ce que ces messages disent de la Rachel Keké ?
10:28 Vous étiez sensible aux idées de Marine Le Pen ?
10:31 -C'est pas vraiment ça, parce que vous savez,
10:34 quand tu vas au travail, tout le monde a un portable.
10:37 A l'époque, je ne connaissais pas la politique.
10:39 Tu as ton portable, tu partages, tu regardes,
10:42 sans comprendre exactement ce qu'il se passe.
10:45 Donc, c'est pas que moi, j'ai jamais voté Marine Le Pen.
10:49 Il n'y a pas une photo, pas une image
10:52 qui prouve que j'étais à une manifestation de Marine Le Pen.
10:55 Non, ça n'existe pas.
10:56 En revanche, je ne comprenais pas la politique de Marine Le Pen.
11:00 Mais depuis que j'ai été élue, j'ai compris beaucoup de choses,
11:04 surtout envers les immigrés,
11:07 comment ils font leur politique,
11:09 comment ils créent la division entre les Français.
11:12 -Il y a un autre sujet aussi qui a été révélé à ce moment-là.
11:16 En 2018, vous avez relayé un message de soutien à Bachar Al-Assad,
11:19 qui qualifiait la France de prédateur criminel.
11:22 Pour quelles raisons ?
11:24 -Mais comme je dis, je n'aime pas l'injustice,
11:26 parce que je voyais...
11:28 Aujourd'hui, on défend la cause de la Palestine.
11:30 Voilà, c'était un peu pareil comme la politique de Bachar Al-Assad.
11:34 Aujourd'hui, je sais pas, parce que d'autres me disent
11:37 qu'il est dictateur, mais à l'époque, je savais pas.
11:41 Je voyais seulement les bombardements
11:43 et je trouvais que c'était pas juste,
11:45 mais je savais pas qu'il était dictateur,
11:47 qu'il était comme ça.
11:49 A l'époque, je le savais pas. Maintenant, je sais.
11:52 -On va passer à notre quiz.
11:53 Je vous explique le principe.
11:55 Je vais commencer des phrases
11:57 et ça va être à vous de les compléter.
11:59 Vous êtes prête ? -OK.
12:01 -On y va.
12:02 Quand une éditorialiste me reproche
12:04 de porter un boubou dans l'hémicycle.
12:06 -Moi, ça me fait rire.
12:10 -Ca vous a fait rire ? -Oui, oui, j'ai vu,
12:12 mais ça me fait rire parce que je suis venue,
12:14 j'étais pas en boubou, je sais pas d'où sort l'idée de boubou,
12:18 donc ça m'a fait rire. -D'accord.
12:20 Vous l'avez pris avec humour. -Voilà.
12:22 -Mon principal défaut, c'est... -Ah, mon défaut, moi ?
12:25 -Votre défaut à vous. -Mon défaut, c'est...
12:28 J'aime rigoler beaucoup.
12:29 Parce que souvent, on me dit, "Tu prends tout à la légère."
12:33 Je sais pas si c'est un défaut, mais bon, voilà.
12:35 -Enfin, si je ne suis pas réélue en 2027,
12:39 que feriez-vous ? -Je ferais d'autres choses.
12:41 Il y a plein de choses dans le monde.
12:43 -Oui. -Beaucoup de choses.
12:45 -Vous resterez engagée en politique ? -Oui, je resterai engagée,
12:48 je vais pas baisser les bras. Surtout, je ferai...
12:51 Comment je peux dire ? Je vais me mettre dans une ONG
12:54 pour défendre les femmes, donner la force aux femmes
12:57 de ne pas baisser les bras, de continuer la lutte,
13:00 d'aller de l'envers, parce que dans la vie,
13:02 tout peut être possible.
13:04 -La combattante jusqu'au bout. -Voilà, il faut combattre.
13:07 -Merci beaucoup, Rachel Keke, d'avoir été l'invité de La Politique et moi.
13:11 -Merci.
13:13 ...

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