"Décoloniser le jeu vidéo", moi ce que j'en dis... La chronique de Yann Marguet

  • il y a 9 mois
Le jeu vidéo, un monde où l'on peut incarner n'importe quoi, mais où l'imagination bute quand il s'agit de concevoir qu'une meuf noire puisse tenir une manette derrière un écran...

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😹
Amusant
Transcription
00:00 Mon fils me regarde différemment depuis qu'il sait que je travaille avec lui.
00:04 Papa, mais tu connais Yann Marguet, l'humoriste de quotidien sur TMC ? Oui, petit con, non
00:08 seulement je le connais, mais je l'ai fait ! Oui, j'en rajoute un peu, mais ça m'énerve
00:11 cette histoire.
00:12 Bonjour Yann Marguet !
00:13 Hiver dans les bains, Suisse, 1996.
00:16 J'ai 12 ans.
00:17 Le pas léger et le cœur chaste, je chemine en direction de ce qui pour moi représente
00:21 une nouvelle terre promise, un lieu d'abondance.
00:24 Un café, les délines ! Le fraîchement inauguré Dog Games d'hiver dans les bains.
00:29 Fort de connaissances honorables en matière vidéoludique que me confère un double abonnement
00:34 à Joypad et Joystick dont je ne suis ma foi pas peu fier.
00:37 C'est la mine réjouie que je pousse la porte de l'établissement pour y découvrir un vendeur
00:41 que nous appellerons Fils à Merde, en train d'ostensiblement plaisanter avec quelques
00:45 clients adultes.
00:46 Il a, il lance un… Attends, regarde…
00:48 « Eh toi ! » « Moi ? » « Ouais, tu connais Shin Megami Tensei ? » « Euh non ? » répond-je
00:53 encore souriant.
00:54 « Bah non, t'as rien à foutre là, dégage ! » Honteux, petit Yann quitte le magasin.
00:58 Celles et ceux qui s'intéressent un peu au domaine le savent, dans le jeu vidéo,
01:03 des fils à merde, y'en a pas qu'un.
01:05 Et s'ils laissent un souvenir aussi impérissable, un petit Yann Blanc privilégié de 12 ans,
01:09 imaginez ce qu'ils peuvent infliger à des personnes racisées.
01:11 Le jeu vidéo, un monde où on peut incarner un mage élémentaire pyromancien chargé
01:15 de sauver le royaume d'Azeroth d'une bande de démons mi-homme mi-soulmenière.
01:19 Mais où l'imagination bute quand il s'agit de concevoir qu'une meuf noire peut tenir
01:24 une manette derrière un écran.
01:26 Je disais d'ailleurs que certaines d'entre elles étaient tellement harcelées en jouant
01:29 qu'elles finissaient par opter pour un avatar masculin blanc et choisir comme pseudo « énorme
01:33 queue 69 » pour pouvoir se fondre dans la masse des cons sans se faire emmerder.
01:38 Même à Azeroth, on est mieux loti quand on est un mage blanc hétérosexuel.
01:42 A ce propos, l'éditeur de personnages dans les jeux vidéo, parlons-en, tiens, jusqu'à
01:46 il y a peu, dans les jeux où vous pouvez créer votre perso, on vous mettait par défaut
01:50 devant un homme blanc musclé et c'est seulement à partir de lui, créature parfaite de Dieu,
01:55 que vous pouviez commencer à altérer son apparence pour le rendre moins blanc, moins
01:59 musclé ou pire, une femme.
02:01 Je rêverais que ce soit une façon allégorique pour les développeurs d'avoir voulu montrer
02:04 que le genre masculin doit au fond se déconstruire face à l'altérité pour se raventer dans
02:08 son identité.
02:09 Mais je ne crois pas que ce soit le cas.
02:11 Autre exemple illustrant à merveille un esprit étriqué jusque dans la création des jeux.
02:15 Le premier héros noir que j'ai pu incarner dans un jeu vidéo, il a fallu attendre 1997
02:20 et c'était Thierry Henry dans FIFA.
02:22 Le deuxième, c'était CJ dans GTA San Andreas en 2004.
02:25 Et disons que ce n'était pas un jeu de composition florale qui renversait les clichés qu'on
02:30 se fait sur les ghettos américains.
02:31 Ce n'est pas compliqué, le jeu où il y a le plus de noirs de toute l'histoire, on en
02:34 a parlé, c'est Resident Evil 5.
02:36 Ce ne sont pas les héros, ce sont des zombies africains qu'il fallait flinguer avec un blanc
02:39 américain, élégant, quand je pense que presque tout avait commencé avec une fable sociale
02:44 ultra sensible sur la diaspore italienne, Super Mario sur NES.
02:47 Je me demande bien comment on en est arrivé là.
02:50 Après, ce n'est pas que ça les jeux vidéo.
02:53 Il y a ce qu'on appelle les triple A, les grosses prods à millions comme Call of Duty
02:56 qui doivent plaire à un maximum de monde, dont les fils à merde, pour être rentables.
03:01 Et puis il y a les jeux indépendants, beaucoup plus créatifs, personnels et inclusifs dans
03:04 lesquels vous incarnez par exemple un personnage un peu étrange et vous vous rendez compte
03:08 à la fin que tout du long, c'était la dépression d'Elisabeth Borne.
03:11 Mais ça, le fils à merde n'aime pas.
03:14 On le voit d'ailleurs souvent quand on consulte les notes des jeux sur les sites spécialisés,
03:18 les jeux qui font un peu parler d'eux par leur contenu inclusif, qu'ils soient triple
03:21 A ou 1D, du reste, sont souvent gratifiés par les journalistes d'un 16, 17, 18 sur
03:25 20 par exemple, alors que quand on regarde certaines notes du public, c'est DEUX ! DEUX ! NUL !
03:31 ZERO ! ZERO SUR 20 ! NUL ! LA CHIÉE ! PEDÉ !
03:38 Ou la technique du review bombing pour descendre une œuvre pratique bien connue des fils à merde.
03:42 Alors je ne connais peut-être pas Shin Megami Tensei, mais c'est un truc.
03:45 On estime le nombre de joueurs dans le monde à 3,2 millions et là-dedans, il n'y a pas
03:49 que des blancs, il n'y a pas que des hommes, il n'y a pas que des hétéros et par-dessus
03:52 tout, les gens intelligents, ils sont plus nombreux que les fils à merde.
03:55 Alors est-ce que ce ne serait pas le moment que l'industrie du jeu vidéo se déconstruise
03:58 un peu face à l'altérité pour se réinventer dans son identité ?
04:02 Mario Bros, la fable ultra sensible sur la diaspora italienne, ça, il n'y avait que
04:07 Yann Marguet, il n'y avait que MON Yann Marguet pour la trouver !

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