Journée d'études 2022 de l'Arcom : Lucie de Laget

  • il y a 9 mois
Transcription
00:00 Alors on va écouter la dernière présentation de cette première partie de l'après-midi
00:05 par Lucie Delaget de l'Université Ex-Marseille.
00:10 Le Code de bonne pratique contre la désinformation, on y est encore.
00:14 Quelle perspective pour la régulation des plateformes ?
00:17 Je crois que vous avez d'ailleurs consacré votre thèse à cette question tout à fait essentielle.
00:22 Merci beaucoup pour cette introduction.
00:24 Merci à l'ARCAM et à son organisation pour toute cette journée.
00:29 Et puis merci à toutes les présentations qu'on a eues juste avant qui étaient vraiment édifiantes.
00:35 Donc oui, en effet, je suis en train en deuxième année d'étudier la problématique des fausses informations en droit
00:44 et de le faire au regard de la liberté d'expression.
00:47 Et aujourd'hui, on va s'interroger sur ce prisme en regardant le Code des bonnes pratiques
00:52 contre la désinformation qui a été adopté par la Commission européenne cet été.
00:58 Donc déjà, on va se poser une première question qui est pourquoi on passe par la régulation en matière de fausses informations ?
01:05 Comme tout à l'heure nous l'a rappelé le professeur Patrick Evnos,
01:10 les fausses informations, ce n'est pas une pratique nouvelle.
01:14 Elles ont toujours existé. Il y a déjà beaucoup d'outils différents qui permettent,
01:19 d'outils juridiques bien sûr, qui permettent de lutter contre les informations.
01:23 Cependant, le problème, il est d'actualité en ce moment.
01:26 On le voit par rapport, on l'a vu avec la Covid-19, on le voit avec la guerre en Ukraine, etc.
01:31 C'est que les informations aujourd'hui, elles ont une capacité à se propager,
01:36 elles prennent une ampleur qui est vraiment différente des fausses informations d'il y a ne serait-ce que 50 ans.
01:42 En plus de ça, l'information a changé un petit peu de prisme
01:46 parce qu'avant, on savait à peu près d'où l'information arrivait, par qui elle était produite.
01:52 Or, maintenant, on a un petit peu un phénomène de déprofondisation autour de la production de l'information
01:58 puisque maintenant, tout utilisateur, tout consommateur des réseaux sociaux peut lui-même fournir de l'information.
02:04 Et en plus, ça a déjà été évoqué, mais parfois, du fait de l'irresponsabilité de certains hébergeurs, etc.,
02:11 il est difficile de placer le curseur de la responsabilité des propos qui sont partagés,
02:17 des fausses informations qui peuvent être partagées.
02:21 Tout ça nous pousse à potentiellement avoir un réflexe qui va être d'en changer des mesures de lutte contre les fausses informations.
02:29 Alors, des mesures qui pourraient être connues, c'est le contrôle de l'information a priori,
02:34 c'est la suppression des fausses informations, etc.
02:37 Mais ce qu'on peut retenir, c'est que toutes mesures qui visent à lutter contre les fausses informations,
02:42 quand on parle vraiment de lutter contre, ce sont des limites à la liberté d'expression.
02:46 Sauf qu'en fait, on le sait, chacun de nous ici le sait, limiter la liberté d'expression,
02:50 c'est aussi prendre un risque et ça peut comporter de grandes dérives.
02:55 C'est ici que se place tout l'intérêt de la régulation qui, intrinsèquement,
03:00 est là pour l'objectif de protéger les libertés et d'être beaucoup moins restrictives que la législation.
03:07 Par ça, on passe par les autorités de régulation.
03:10 C'est elles qui, au nom de l'État, se subordonnent au gouvernement et bénéficient,
03:17 pour l'exercice de leur mission, de garanties qui leur permettent d'agir en pleine autonomie,
03:22 sans que leur action puisse être orientée ou censurée.
03:26 Alors on l'a vu, des fois, il y a des petites menaces,
03:29 mais globalement, on essaye de protéger cette activité des régulateurs.
03:33 Et donc, toutes les mesures que le régulateur va pouvoir prendre, c'est ça qu'on appelle la régulation.
03:40 Et ça tourne autour des différents outils qu'on donne à ces autorités de régulation,
03:46 à savoir, on a déjà vu la réglementation, l'autorisation, les différents contrôles, les injonctions, les sanctions.
03:53 Et surtout, ce qui va nous intéresser en matière de fausses informations, ça va être aussi ce pouvoir d'influence.
04:00 L'influence, parce que la plupart du temps, les autorités de régulation,
04:04 elles sont en contact permanent avec le secteur privé.
04:07 Elles sont des expertes, à la différence parfois des élus.
04:11 Elles sont spécialistes et elles ont pour objectif la collaboration.
04:15 Par exemple, l'ERGA, en tant qu'experte, dont est membre l'ARCOM,
04:22 elle a participé activement à la création et puis à la révision du code des bonnes pratiques contre la désinformation.
04:30 Et elle a mis en place un groupe de travail permettant d'adapter le code, et notamment à l'échelle nationale.
04:37 Et c'est intéressant parce que l'objectif, il est de faire passer le code des bonnes pratiques contre la désinformation,
04:45 qui est un outil de régulation européenne, à un outil de régulation nationale.
04:50 Maintenant, cela étant dit, on va voir un petit peu plus en détail l'intérêt et les perspectives
04:56 que nous apporte ce code des bonnes pratiques contre la désinformation.
05:00 Alors, à mon sens, la première chose à retenir de ce code de bonnes pratiques, c'est un apport définitionnel.
05:08 Parce que pour l'instant, en France, nous, on a une définition très restreinte de la notion de fausses informations.
05:14 Cette définition, on la trouve dans la loi du 22 décembre 2018, qui nous rappelle qu'une fausse information,
05:20 c'est une allégation ou une imputation inexacte ou trompeuse d'un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir,
05:26 qui est diffusée de manière délibérée, artificielle, automatisée et massive par le biais des services de communication publique en ligne.
05:36 Le Conseil constitutionnel, d'ailleurs, il est venu préciser que déjà toutes ces conditions sont cumulables
05:42 et qu'en plus, il est nécessaire de démontrer la fausseté des informations de manière objective.
05:48 Donc, on voit qu'en fait, cette définition, elle est très restreinte. Et en fait, c'est pas pour rien que la définition, elle est restreinte.
05:54 C'est justifié au regard de la nécessité de protéger la liberté d'expression, car la loi, elle doit être précise en fonction du but qu'elle recherche
06:07 pour éviter de dépasser et de mettre en place des mesures qui seraient pas proportionnelles par rapport à l'atteinte à la liberté fondamentale
06:16 qu'est la liberté d'expression. Et du coup, l'avantage de la régulation et notamment de la régulation européenne et donc du Code des bonnes pratiques
06:25 contre la désinformation, c'est qu'elles sont beaucoup moins restrictives qu'une législation. Et donc, on a beaucoup plus...
06:34 C'est ce qu'on dit, c'est du droit souple. Donc, on a beaucoup plus de souplesse et de champ d'action sans être trop, on va dire,
06:42 trop une menace pour la liberté d'expression. Donc, la définition que vient nous apporter le Code des bonnes pratiques contre la désinformation,
06:49 elle est elle aussi un petit peu plus étendue. D'ailleurs, en fait, c'est une définition de la désinformation avec un grand « D »
06:55 qui superpose plusieurs types de ce qu'on pourrait appeler une fausse information. Donc, on a la mésinformation, la désinformation,
07:03 les opérations d'influence et l'ingérence étrangère dans l'espace de l'information. Donc, ça, ça se retrouve dès le préambule du Code
07:10 renforcé des bonnes pratiques contre la désinformation. Et après, ensuite, le Code vient nous définir type de fausse information
07:19 par type de fausse information, exactement ce que ça veut dire. Donc, on va passer un peu plus vite que ce que j'avais prévu,
07:24 parce que j'ai un peu peur de dépasser au niveau du timing. Mais globalement, la mésinformation, ce sont les contenus faux ou trompeurs
07:31 qui sont partagés sans attention nuisible. Donc ça, ça va être des contenus qui sont potentiellement partagés par les utilisateurs
07:37 à leur famille. Il n'y a pas d'attention de nuire. Ensuite, la désinformation, ça, c'est le contenu qui est toujours faux ou trompeur,
07:44 mais cette fois, qui est diffusé dans l'intention de tromper et d'obtenir un gain économique ou politique et qui peut causer
07:50 un préjudice public, sachant que le préjudice public, la Cour, elle le définit comme un préjudice par exemple sur la santé des personnes
07:58 ou sur l'écologie, etc. Ensuite, on a l'opération d'influence. Donc là, c'est plutôt quand on a des efforts coordonnés d'acteurs
08:06 pour influencer le public ciblé en utilisant des moyens trompeurs. Donc c'est par exemple quand il y a des campagnes de désinformation,
08:13 comme on a vu contre les vaccins. Enfin, elle rajoute dans sa définition de la désinformation les ingérences étrangères dans l'espace
08:21 de l'information. Donc ce sont les efforts coercitifs et toujours trompeurs visant à perturber la libre information et l'expression
08:29 de la volonté politique des individus par des acteurs étatiques ou étrangers ou ses agents. Donc là, ça va être, on va dire, plutôt un État
08:37 qui viendrait... Je donne un exemple d'effort, mais donner une masse gigantesque d'informations qui noierait potentiellement
08:45 la vraie information de qualité. Donc en plus, pour rajouter encore plus de protection autour de sa définition, le Code, il vient faire aussi
08:56 une définition par la négative en excluant différents types de ce qui pourrait être qualifié de fausse information, à savoir la publicité trompeuse,
09:03 qui est gérée à côté, les erreurs de signalement, la satire et la parodie, les publications partisanes. Alors oui, parce que la plupart d'entre elles,
09:12 ce sont des façons de partager des fausses informations qui sont complètement issues de la liberté d'expression et qui sont même,
09:22 parfois pour certaines, je pense à la satire ou à la parodie, directement protégées par des personnes qui adoptent la régulation.
09:30 Donc je me reconcentre. Une fois qu'on est d'accord que le Code adopte sa définition, je vous l'ai présentée.
09:44 Maintenant, on va voir l'intérêt d'avoir une définition européenne de la désinformation. Par exemple, on le voit dans les déclarations de 2022
09:50 des opérateurs aux plateformes en ligne faites à l'ARCOM que chacun a sa petite définition de ce qui est la fausse information.
09:56 Par exemple, Facebook, c'est toute publication fausse ou trompeuse partagée intentionnellement pour tromper des internautes.
10:01 Donc là, on a la notion d'intention. Et à l'inverse, TikTok, pour eux, les fausses informations sont les contenus faux ou mensongers.
10:09 Et si jamais on demande des rapports et qu'il y a des quantifications, je ne sais pas, par exemple, de l'action de modération,
10:15 si on ne part pas sur la même définition, à mon sens, il est assez difficile de comparer les activités des uns et des autres,
10:23 puisque en fait, on n'a pas les mêmes données, on n'a pas la même nature de récolte des données.
10:28 Donc pour faire un petit résumé de tout l'intérêt d'avoir une définition européenne, c'est peut-être que pour les régulateurs,
10:37 mais aussi pour les sources privées et les entreprises, d'avoir une source commune pour établir une définition harmonisée
10:46 de la notion de fausse information, parce que pour l'instant, la définition est tellement complexe qu'on n'a pas d'accord doctrinal
10:52 pour définir les fausses informations. Ensuite, ça serait évidemment le point de départ de mesures communes,
10:58 que ce soit européennes ou aussi des mesures nationales, autour d'une même définition et donc dans le même sens
11:05 et en regardant au même endroit. Et puis enfin, c'est ce que je vous donnais comme exemple, ça permettrait de récolter des données
11:11 plus facilement et de pouvoir mieux comparer les données les unes aux autres. Ensuite, évidemment, l'autre rapport intéressant
11:19 qui va être soulevé maintenant du Code de bonne pratique contre la déformation, ce sont les engagements différents
11:28 que les différents signataires ont adoptés. Donc d'abord, il y avait – merci beaucoup – une première version en 2018.
11:35 Et puis il y a eu le Code renforcé qui est sorti cet été. Donc on va aussi passer le plus rapidement possible.
11:41 Donc d'abord, premier point, et ça a déjà été abordé, contrôle du référencement des publicités. Donc par ici,
11:49 on passe par évidemment, comme on l'a dit, bien écrire, bien faire comprendre aux utilisateurs la nature des publicités, etc.
11:57 Ensuite, on a l'encadrement des publicités, mais cette fois, politique et engagée. Donc toujours dans un objectif de ne pas mettre
12:05 des limites à la liberté d'expression, mais plutôt de permettre à chacun d'utiliser sa liberté d'information comme il l'entend.
12:11 Ensuite, ça, c'est la protection de l'intégrité des services. Donc ça, c'est plutôt au niveau algorithmique, comme on a vu,
12:16 plutôt la protection. Voilà, les grandes plateformes, les signataires, ils s'engagent à mettre leurs meilleurs efforts
12:23 pour lutter contre le multicompte, les spams, etc. Ensuite, on a évidemment toute une notion, tout un acte où on va plutôt essayer
12:33 de passer par l'information, par la reprise de pouvoir de la part des utilisateurs – et on va le voir juste ensuite –
12:40 de la communauté de la recherche sur l'information et sur l'information qui circule sur les réseaux sociaux, en ligne, etc.
12:48 Enfin, le Code, il est venu dans sa version de 2022. Moi, j'ai noté, on va dire, 7 engagements, parce que le dernier,
13:00 la mise en place d'un centre de transparence, finalement, je l'ai noté comme un engagement. Donc, on va dire 7 mesures.
13:04 On rajoute... Et en fait, elle était déjà un peu présente dans la version de 2018. Mais dans la version de 2022,
13:11 on a vraiment mis toute une section sur l'autonomisation de la communauté de fact-checking. Et c'est ça qui va nous intéresser
13:17 contre les fausses informations, parce que comme on veut protéger la liberté d'expression, c'est obligatoire,
13:22 évidemment que des fausses informations vont apparaître en ligne. Ce qui est intéressant pour lutter contre ces fausses informations,
13:29 ça va être de dire, d'arriver à prouver qu'elles sont fausses et si possible, d'apporter la vérité. Et quand c'est pas possible
13:36 d'apporter la vérité, d'essayer de s'en rapprocher le plus possible. Et donc, pour ça, le Code, il va vraiment détailler...
13:43 On passe, je crois, à 44 engagements différents, signés par les plateformes, signés par les hébergeurs, etc.,
13:50 pour réussir à viser tous ces objectifs. Et en ce sens, d'avoir des objectifs communs, c'est un moyen...
13:59 Enfin, c'est forcément que du positif par rapport à la protection de la liberté d'expression, mais par rapport aussi à cette volonté
14:06 de régler ou du moins d'essayer d'amoindrir le problème des fausses informations comme elles sont réparties aujourd'hui.
14:12 D'autant plus que ce Code des bonnes pratiques contre la désinformation, il arrive en même temps, presque, parce que cet été,
14:19 il a aussi été adopté un Code de bonne conduite pour les organismes indépendants de vérification de faits,
14:26 qui a été adopté par l'European Fact-Checking Standard Network. Donc on est sur toute une volonté de donner de l'importance
14:35 au fact-checking, etc. Et le Code vient lui aussi montrer son implication en l'espèce. Bien sûr, j'ai passé toutes les informations
14:46 de transparence, etc. parce qu'on en a déjà beaucoup parlé. Mais évidemment, ça passe aussi par la transparence des algorithmes,
14:51 la transparence de la modération, etc. Pour du coup finir, l'intérêt d'une telle régulation et vraiment les perspectives
15:00 que peuvent apporter le Code, c'est toujours plus de protection par rapport à la liberté d'expression, parce qu'il va rappeler
15:07 des principes et la volonté... Parce que les signataires, ils s'engagent aussi à protéger cette liberté d'expression.
15:12 Quand on voit des fois la largesse des définitions de la fausse information, on a un peu peur de la censure.
15:19 Donc le Code, il permet aussi de s'engager à ne pas censurer. Il permet de s'harmoniser le plus possible sur la volonté de lutter
15:26 contre les fausses informations et sur les moyens de cette lutte. Enfin, il permet de collaborer, parce que par rapport à la création
15:33 d'un centre de recherche unique, donc collaborer entre les différents acteurs, mais aussi collaborer avec le monde de la recherche
15:39 et le monde du fact-checking. Et enfin, une même définition, comme on l'a vu, ça peut permettre encore et toujours plus de documentation
15:46 pour la recherche, pour essayer de trouver les meilleures solutions face à tous les problèmes posés par le changement apporté
15:53 par ces nouvelles problématiques. Voilà, je vous remercie.
15:57 Merci beaucoup.
15:59 (Applaudissements)

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