André Pollard, ex salarié du site d'Amiens, témoigne dix ans après la fermeture de l'usine de pneus où il a passé l'essentiel de sa vie professionnelle.
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00:00 Ça fait 10 ans que l'usine a fermé, mais je me rappelle comme si c'était hier.
00:07 Je me rappelle comment on pouvait travailler avec les collègues, comment on a produit
00:17 24 000 pneus par jour.
00:18 Je peux vous dire que pour conduire ce nombre de pneus, il ne fallait pas être fainéant,
00:23 dans des conditions pas toujours faciles, à faire des gestes répétitifs, souvent
00:27 dans la chaleur, dans la poussière, dans le bruit, et à toucher des produits pas toujours
00:33 très catholiques, ce qui a fait que beaucoup d'entre nous sont tombés malades, et il y
00:38 en a même qui en sont morts.
00:40 On sent votre émotion et aussi en discutant votre attachement à Goodyear.
00:45 Vous m'avez dit un truc hier au téléphone, Goodyear un jour, Goodyear toujours.
00:49 Oui tout à fait, parce que je peux vous dire que dans cette entreprise, il y avait une
00:52 camaraderie comme peut-être nulle part ailleurs.
00:56 On était solidaires.
00:57 Comment ça se passe quand on est dans une entreprise comme ça depuis presque 30 ans,
01:01 et que d'un coup on apprend que ça va fermer ?
01:03 Il faut savoir quand même que les salariés Goodyear ne se sont pas laissés faire.
01:06 On a fait beaucoup de sacrifices, mais à un moment donné, à force de faire des sacrifices,
01:10 on ne veut plus en faire.
01:11 On s'est battus pendant 7 ans pour garder notre emploi en faisant capoter 5 plans sociaux
01:18 avec l'aide des syndicats, et on a refusé le 4-8 parce qu'on ne voulait pas travailler
01:23 le dimanche.
01:24 A Goodyear, il y avait des équipes de week-end, ça se passait très bien comme ça.
01:27 Il y a des gens qui aiment bien travailler le week-end parce qu'il faut autre chose
01:30 la semaine, ils s'occupent des enfants, ils ont des travaux, etc.
01:33 Je ne vois pas pourquoi que du jour au lendemain, on a voulu changer ce système qui fonctionnait
01:38 à merveille.
01:39 Vous vous êtes beaucoup battus, vous avez aussi pas mal de soutien, ça a été beaucoup
01:42 dans la presse.
01:43 Comment on vit tout ça, cette médiatisation qui a très vite dépassé Amiens finalement ?
01:47 Quand vous faites des piquets de grève devant votre usine, à un moment donné, ça ne gêne
01:50 plus personne.
01:51 Donc il a fallu délocaliser un peu le conflit, on s'est déplacés sur Paris, à Roymal-Maison,
01:57 aux sièges sociaux.
01:58 C'est en faisant ça qu'on a pu résister pendant 7 ans.
02:01 Si on était restés devant l'usine, je peux vous dire qu'on n'aurait pas fait long feu.
02:04 Il y avait beaucoup aussi de promesses politiques qui ont été faites, je pense notamment à
02:07 François Hollande.
02:08 On les prend comment ces promesses sur le coup ?
02:10 François Hollande, qui n'était pas président à l'époque, mais qui était candidat, nous
02:14 avait promis "j'empêcherai la fermeture de votre usine".
02:18 Malheureusement, ça n'a pas été le cas.
02:20 On a eu beaucoup de politiciens qui sont venus nous voir, Besancenot, Arlette, Laguiller,
02:26 etc.
02:27 Ils ont fait que des promesses.
02:28 Et on ne peut pas dire qu'il y a un politicien qui est monté au créneau pour défendre
02:32 l'usine Goudier-Ramianoor.
02:33 Il y a un moment, le 22 janvier 2014, vous vous rendez compte que ce n'est plus possible
02:39 de tenir.
02:40 Qu'est-ce qui vous fait dire à vous, vos camarades, à un moment, là on ne peut plus,
02:42 on lâche ?
02:43 Personnellement, là ça n'engage que moi.
02:45 Je pense qu'on aurait pu tenir quelques mois dans l'usine.
02:48 Tant qu'on restait dans l'usine, on n'aurait pas pu la démonter.
02:52 Bref, à un moment donné, on nous a prévenu que si on restait, on allait subir des charges
02:57 de CRS, etc.
02:58 On nous a dit qu'il y avait des pères de famille.
03:01 Enfin, on nous a fait un tout petit peu peur pour qu'on quitte l'usine.
03:06 Et à partir du moment qu'on a quitté l'usine, c'était fini.
03:09 Est-ce que vous avez gardé des souvenirs de ces années Goudières ?
03:12 Je ne sais pas, des photos, des équipements ?
03:14 J'ai gardé surtout le t-shirt de cette longue lutte où il y a marqué "Goudière à mien,
03:20 patron voyou".
03:21 Simplement, il me semble qu'il y avait eu une séquestration, entre guillemets.
03:25 Voilà, ça me revient, en discutant avec vous, patron voyou, tout ça.
03:29 Ça, comment vous l'aviez vécu, vous ?
03:31 Pour moi, ce n'était pas une séquestration, c'était une retenue.
03:33 Les directeurs, je les considérais comme des mauvais élèves.
03:36 Et c'est pour ça qu'on les a retenus 24 heures.
03:38 Le principal, c'est qu'il reste une nuit dans l'usine pour leur faire comprendre
03:41 ce que c'était l'usine la nuit.
03:43 Bref, on les a très bien soignés, vous rassurez-vous.
03:47 Ils ont été, entre guillemets, "libérés" par le préfet le lendemain.
03:51 Ça s'est très bien passé.
03:53 Ce n'était pas la peine d'en faire une polémique.
03:54 Quand Goudière a fermé, j'avais 50 ans.
03:56 Mais il faut savoir que la plupart des camarades qui ont démarré chez Goudière,
04:01 il n'y avait pas de CV, il n'y avait pas de lettre de motivation.
04:04 Donc, il a fallu apprendre pour retrouver un job.
04:06 Ça n'a pas toujours été évident.
04:08 Comme la plupart des Goudières, j'ai fait de l'intérim.
04:11 Et j'ai eu la chance, grâce à mon permis poids lourd,
04:14 j'ai été embauché à Miami-Etropole.
04:17 À part la dernière année, je n'ai que des bons souvenirs dans cette usine.
04:20 Je retiendrai seulement la camaraderie.
04:22 Les Goudières, c'était des mecs bien.
04:24 Quand on était Goudière un jour, on reste Goudière pour toujours.
04:28 Sous-titrage ST' 501
04:31 [Musique]