Ça vous regarde - Comment faire la guerre aux écrans ?

  • il y a 9 mois
Grand témoin : Nathan Devers, philosophe et auteur de « Penser contre soi-même » (Albin Michel)

GRAND DÉBAT / Comment faire la guerre aux écrans ?

« Le récap » par Bruno Donnet

Les écrans ont longtemps été vantés comme un outil technologique utile dans l'éducation des enfants. Pourtant, leurs effets et la surexposition à ceux-ci commencent à inquiéter en France, plus particulièrement concernant le développement cognitif des jeunes. D'après « Santé Publique France », un enfant de trois ans et demi passe 80 minutes par jour devant un écran en moyenne. Gabriel Attal, quant à lui, évoquait qu'un « enfant de moins de six ans passe en moyenne 830 heures devant un écran sur l'année », soit presque autant que les heures passées à l'école. Lors de sa conférence de presse, mardi 16 janvier, le Président de la République indiquait la tenue d'un comité d'experts chargé d'obtenir un « consensus scientifique » d'ici fin mars. Le rapport fourni servira à prendre des mesures pour contrôler l'usage des écrans, à l'instar de la Chine, de l'Espagne et de la Corée du Sud qui se sont déjà saisies de la question. Dans une société ultra-connectée, comment garantir un usage bénéfique des écrans ?

Invités :
- Fanta Berete, députée Renaissance de Paris,
- François Saltiel, producteur à France Culture,
- Professeur Amine Benyamina, Professeur de psychiatrie et addictologie Paris-Saclay et chef de service à l'hôpital Paul Brousse APHP Villejuif,
- Olivier Duris, psychologue clinicien, docteur en psychologie et membre de l'association « 3-6-9-12 ».

GRAND ENTRETIEN / Nathan Devers : la philosophie plutôt que le rabbinat

Pourquoi existons-nous ? Pour trouver un sens à cette question, Nathan Devers s'est d'abord réfugié dans la religion juive. Il a franchi les étapes pour devenir rabbin avant d'opérer un tournant radical et d'abandonner le culte pour se consacrer à la philosophie. Dans ce livre qu'il a envisagé d'intituler « Histoire de mon suicide », Nathan Devers raconte son dialogue et sa relation avec son « anti-moi » qui l'ont conduit à se détacher de ses convictions profondes. Comment conjurer le sort de sa naissance ?

Grand témoin : Nathan Devers, philosophe et auteur de « Penser contre soi-même » (Albin Michel)

LES AFFRANCHIS

- Bertrand Périer, avocat,
- Mariette Darrigrand, sémiologue,
- « Action planète » : Léa Falco, membre du collectif « Pour un réveil écologique ».

Ça vous regarde, votre rendez-vous quotidien qui prend le pouls de la société : un débat, animé par Myriam Encaoua, en prise directe avec l'actualité politique, parlementaire, sociale ou économique.
Un carrefour d'opinions où ministres, députés, élus locaux, experts et personnalités de la société civile font entendre leur voix.

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Transcription
00:00 [Musique]
00:06 Bonsoir et bienvenue, très heureuse de vous retrouver au sommaire de Savourgarde ce soir,
00:10 "Pensez contre soi-même". Bonsoir Nathan Devers.
00:14 Bonsoir.
00:14 Et merci beaucoup d'être notre grand témoin ce soir, philosophe, romancier, éditeur.
00:19 Et tenez-vous bien, à 26 ans, vous publiez votre cinquième livre, "Pensez contre soi-même",
00:24 chez Albain Michel, c'est le récit autobiographique d'une conversion à la philosophie,
00:30 l'histoire personnelle d'un jeune homme qui veut devenir rabbin,
00:33 et qui va finalement complètement rompre avec la religion juive et découvrir le doute.
00:39 C'est foisonnant, c'est très drôle aussi, et c'est courageux dans cette période
00:43 où tout le monde s'enferme dans ces certitudes, on va en parler longuement tout à l'heure.
00:47 Notre grand débat ce soir, comment peut-on mettre fin à la dictature des écrans ?
00:53 C'est l'une des propositions du chef de l'État à reprendre le contrôle
00:56 pour réguler l'exposition des enfants. Emmanuel Macron parle même de restrictions et d'interdictions.
01:02 Mais est-ce seulement possible ? Nous en débattons dans un instant avec mes invités sur ce plateau.
01:08 Enfin, nos affranchis ce soir, le théâtre à l'école, "Fausse bonne idée", nous dira Bertrand Perrier.
01:14 Le mot de la semaine, c'est "autorité", avec Mariette Darigrand et puis Action Planète,
01:19 la chronique écolo de Léa Falco.
01:21 Voilà donc pour le sommaire, vous me suivez Nathan Devers, ça vous regarde ? C'est parti !
01:25 *Générique*
01:36 Après le réarmement civique et démographique, place donc au réarmement face au numérique.
01:43 Emmanuel Macron veut donc s'attaquer à l'addiction aux écrans, le danger est là,
01:47 on le sait surtout pour les enfants, mais reprendre le contrôle, c'est une autre paire de manches.
01:52 Alors quelles sont les solutions ? Y a-t-il des modèles à suivre à l'étranger ?
01:56 Est-ce l'État de fixer les limites ? Bonsoir, Fanta Berreté.
02:00 - Bonsoir. - Merci d'être là. Vous êtes députée Renaissance de Paris.
02:03 Il y a une proposition de loi sur la surexposition aux écrans qui a été votée à l'Assemblée, on en parlera.
02:08 Elle doit encore passer au Sénat. Bonsoir, Amine Beniamina.
02:12 - Bonsoir. - Merci d'être là.
02:13 Vous êtes professeur de psychiatrie et d'addictologie à Paris-Saclay,
02:17 chef de service à l'hôpital Paul-Brousse de Villejuif,
02:20 et vous êtes l'un des membres de ce comité d'experts qui a été mis en place par le chef de l'Etat
02:26 et qui va rendre ses conclusions fin mars sur le contrôle des écrans.
02:30 Bonsoir, Olivier Duris. - Bonsoir.
02:31 - Bienvenue. Vous êtes psychologue, clinicien, membre de l'association 36912.
02:37 Vous nous direz à quoi correspondent ces chiffres sur les écrans pour les différents âges.
02:42 Recommandés aux enfants ou pas. Bonsoir, François Saltiel.
02:46 - Bonsoir. - Merci d'être avec nous,
02:48 journaliste et spécialiste du numérique. Tous les matins, 8h50, France Culture,
02:52 avec un monde connecté. Nathan Devers, il est pour vous, ce débat.
02:56 On se souvient de votre roman "Les liens artificiels" sur le métavers.
03:01 N'hésitez pas à intervenir quand vous le souhaitez.
03:04 On va commencer par planter le décor, le danger des écrans, les propositions du président.
03:08 C'est dans le récap de Bruno Donnet.
03:11 Et je me retourne pour vous accueillir, mon cher Bruno. Bonsoir à vous.
03:14 - Bonsoir, Myriam. Bonsoir à tous.
03:16 - Vous avez regardé cette épineuse question des écrans pour les enfants.
03:20 Le moins que l'on puisse dire, c'est que vous êtes ce soir partagé.
03:23 - Oui, je suis un peu comme l'écran qui est derrière moi, Myriam, divisé, coupé en deux.
03:28 Car j'ai bien entendu le président de la République nous faire part
03:31 de son nouveau sujet de préoccupation.
03:34 Passer du temps devant un écran, ça a un impact sur le développement affectif,
03:38 sensoriel, cognitif d'un enfant.
03:41 - Voilà, il est inquiet pour la santé mentale de nos enfants,
03:44 et plus particulièrement pour celle des tout-petits,
03:47 qui l'estiment beaucoup trop exposés.
03:50 - On a des enfants de deux ans et beaucoup qui passent parfois plusieurs heures par jour devant un écran.
03:55 - Alors, je suis allé chercher les chiffres, et c'est vrai qu'ils sont assez spectaculaires.
03:59 Il y a un tout petit peu moins d'un en santé publique.
04:02 France a publié un rapport qui montre que, dès l'âge de deux ans,
04:06 nos bambins se retrouvent collés devant des écrans pendant pratiquement une heure,
04:10 et ça, tous les jours.
04:11 A trois ans, la durée passe à une heure et vingt minutes,
04:14 à cinq ans, c'est une heure trente-quatre,
04:16 et pour les adolescents, ceux qui ont entre 13 et 18 ans,
04:19 alors là, accrochez-vous bien, car on dépasse les cinq heures quotidiennes.
04:23 Donc, quand Emmanuel Macron réclame un réarmement civique
04:27 qui passerait par davantage de maîtrise des écrans,
04:30 on a forcément très envie d'être d'accord avec lui.
04:33 - Et pourtant, vous l'avez dit en préambule, vous n'êtes pas très emballé.
04:36 - Eh ben non, je ne suis pas très emballé parce que je me demande bien
04:39 comment un gouvernement, qui, je le rappelle, est totalement impuissant,
04:43 a réglé la question, par exemple, de l'exposition des mineurs à la pornographie,
04:47 ou encore celle de la modération des contenus sur les réseaux sociaux,
04:51 pourrait bien s'y prendre, très concrètement,
04:54 pour empêcher des enfants de se retrouver scotchés à des écrans.
04:58 Emmanuel Macron a bien tenté de nous l'expliquer mardi soir,
05:01 mais il m'a semblé un peu empêtré.
05:04 - Et donc, il y aura peut-être des interdictions,
05:06 il y aura peut-être des restrictions,
05:08 il y aura peut-être aussi des restrictions sur les contenus.
05:11 - Voilà, beaucoup de peut-être, mais pas beaucoup de certitude.
05:14 Et puis, il y a un autre sujet qui me contrarie beaucoup, Myriam,
05:18 il est cette fois de l'ordre du libre arbitre,
05:21 des libertés individuelles, si vous préférez.
05:23 Car mardi soir, le président de la République a précisé ceci.
05:27 - Sur la base de recommandations que feront les experts
05:30 que j'ai réunis la semaine dernière,
05:32 nous déterminerons le bon usage des écrans pour nos enfants.
05:35 - Nous déterminerons le bon usage des écrans pour les enfants.
05:40 Alors ça, c'est un problème, et pas un petit, car qui est ce "nous" ?
05:45 Quelle légitimité a-t-il, et en vertu de quels éléments démocratiques,
05:49 un État pourrait-il décider, à la place des parents,
05:53 de ce qui est adapté ou pas à leurs enfants ?
05:56 Tiens, par exemple, est-ce que ça, c'est bon pour les enfants ?
06:00 - Oui, bonjour Kylian, c'est Emmanuel Macron à l'appareil.
06:03 Vous êtes en haut-parleur ? - Oui, président.
06:05 - Ça va ? - Très bien, et vous ?
06:07 - Ça va super. Vous êtes en haut-parleur ?
06:09 Je suis avec Macphail et Carlito, là.
06:11 - On sait pas. Bref.
06:14 Est-ce qu'on peut, quand on est président,
06:17 vouloir à la fois séduire les jeunes en s'incrustant
06:20 à l'intérieur de leur smartphone le lundi,
06:23 leur interdire de regarder n'importe quoi dès le mardi ?
06:26 La question est vertigineuse, et elle a de quoi,
06:29 comme le montre cette très belle illustration que j'ai vue
06:32 dans Libération hier matin, nouapper tout entier.
06:35 - Merci beaucoup, Bruno Donnet.
06:37 Avant de revenir aux solutions, aux esquisses de proposition
06:42 du chef de l'État, je voudrais me tourner vers vous,
06:45 vers les médecins, Abid Meniamina.
06:47 Qu'est-ce qu'on sait précisément aujourd'hui
06:49 de la surexposition des écrans ?
06:51 Qu'est-ce que vous observez dans les cabinets, à l'hôpital,
06:55 dans vos consultations sur cette addiction,
06:57 notamment chez les enfants ?
06:59 - Je vais m'exprimer en tant que clinicien,
07:01 et j'aurai peut-être l'occasion de répondre à vos questions
07:03 en tant que coprésident de la commission
07:05 que le président a installée une petite semaine.
07:08 En tant que psychiatre addictologue,
07:10 je vois des adolescents, et j'ai des contacts
07:13 avec mes collègues pédiatres qui montrent,
07:15 ce qu'a montré votre collègue, une surexposition,
07:18 une consommation qui est explosée des écrans,
07:20 pour des raisons simples.
07:22 C'est un outil qui est devenu indispensable
07:24 à la fois pour les adultes, et en même temps,
07:26 une forme d'adjuvant, ou bien une forme
07:29 de substitut éducationnel et d'occupation,
07:31 et aussi un canal pédagogique pour les enfants.
07:34 Alors, à la fois à l'intérieur de la famille,
07:36 mais aussi à l'extérieur.
07:38 L'école aussi utilise des écrans.
07:40 Donc, l'idée, c'est très clairement de voir
07:42 s'il y a de la nocivité, parce que moi, je suis médecin,
07:44 s'il y a de la nocivité à la consommation de ces écrans.
07:46 -Mais quels sont les effets concrets, les symptômes ?
07:48 Il y a des troubles de comportement, du langage ?
07:50 Le président parle de problèmes sensoriels, et même affectifs.
07:54 -Alors, les pédiatres rapportent,
07:56 quand l'exposition est précoce,
07:58 disons entre 0 et 2, 3 ans,
08:00 quelques difficultés cognitives,
08:02 quelques retards, évidemment, à l'apprentissage.
08:05 Certaines théories, qui ne sont pas relayées
08:08 par la littérature scientifique, parlent même
08:10 d'attitudes psychotiques, autistiques.
08:13 -Psychotiques. -Autistiques.
08:15 Évidemment, tout ça concourt à la possibilité
08:18 d'avoir des voix qui sont contradictoires
08:21 sur la question des écrans.
08:23 Une chose est certaine, c'est que les écrans
08:25 ont une compétition avec le sommeil,
08:27 ont une compétition avec le sport,
08:29 jouent une compétition avec l'éducation
08:31 et jouent une compétition avec la sociabilité.
08:33 Et lorsqu'on voit au bout du bout,
08:35 on vient me voir en tant qu'adictologue,
08:37 parce qu'on devient dépendant à la fois de l'objet et du contenu.
08:40 Ça, c'est une réalité. En revanche,
08:42 quand on entend le président,
08:44 il est exprimé comme quelqu'un qui ne sait pas.
08:46 Forcément, lorsqu'il dit "peut-être, peut-être, peut-être"...
08:49 -Il reste prudent. -Il est prudent pour des raisons simples.
08:52 Sinon, il n'aurait pas mis en place une commission.
08:54 Il attend de manière transparente, comme nous tous,
08:56 y compris moi, ce que la consultation
08:58 et les auditions vont nous amener.
09:00 On est conscient qu'on a affaire à quelque chose
09:03 qui est très touffu, avec des positions
09:06 très souvent péremptoires, le plus souvent
09:08 sans rationnel scientifique,
09:10 aux doigts mouillés, et qui font,
09:12 qui deviennent l'autorité,
09:14 sans réalité d'impact sur la quantité
09:17 et la qualité de l'exposition à l'écran.
09:19 -Olivier Duris, le diagnostic du praticien de terrain,
09:23 le clinicien, qu'est-ce qu'il observe ?
09:25 -Il y a le clinicien, il y a aussi le chercheur.
09:27 C'est vrai que je rebondis sur ce qui a été dit,
09:29 qu'il faut éviter de tomber dans la panique morale,
09:31 par exemple, quand on entend parler d'autisme,
09:33 et de voir que les études scientifiques
09:35 ne parlent pas, par exemple, d'autisme sur ce plan-là.
09:37 Par contre, ce qui est intéressant,
09:39 c'est que les études scientifiques parlent d'une chose,
09:41 c'est de voir que la question de la surexposition
09:43 doit être prise comme un facteur parmi tant d'autres.
09:45 Ça veut dire que, en fait, quand on remarque,
09:47 à côté aussi, la question de la disponibilité des parents,
09:50 la question de l'accessibilité aux jouets,
09:52 la question du fait de pouvoir faire d'autres activités
09:54 à l'extérieur, dans la ville, ou des choses comme ça,
09:56 on se rend compte, en fait, finalement,
09:58 qu'il n'y a pas que les écrans qui vont avoir, en fait,
10:00 un impact sur le développement de l'enfant.
10:02 Et souvent, en fait, c'est un peu trop facile
10:04 de penser que l'écran... -C'est un danger parmi d'autres.
10:06 -Exactement. Et, en fait, on se rend compte même que,
10:09 lorsqu'on le prend en dehors des autres facteurs,
10:11 et bien, en fait, finalement, son impact
10:13 n'est pas si important que ce qu'on peut penser.
10:15 Alors, il y en a un, mais, en fait, c'est vraiment pris
10:17 avec tous les autres facteurs que là, ça devient important.
10:19 -Est-ce que, déjà, sur la capacité de concentration,
10:21 sur le temps d'attention, ça, je crois que c'est
10:24 relativement avéré, quels que soient, d'ailleurs, les âges ?
10:26 -Eh bien, en fait, ce qui est avéré, surtout,
10:28 c'est le fait qu'en effet, quand il y a une surexposition
10:30 aux écrans, on va pouvoir voir une corrélation
10:32 avec, ensuite, des impacts plus tard
10:34 qu'il pourrait y avoir, par exemple, sur l'apparition
10:36 du langage, par exemple, sur le surpoids ou autre,
10:38 mais, encore une fois, qu'on se rend compte,
10:40 surtout, que c'est vraiment la question
10:42 de l'accompagnement des activités annexes ou autres.
10:44 Et c'est pour ça, d'ailleurs, qu'aujourd'hui, on parle même
10:46 de technoférence parentale, ça veut dire
10:48 l'exposition des parents eux-mêmes face aux écrans
10:50 et pas forcément l'enfant, parce que
10:52 qu'est-ce qui vient être important, finalement, c'est la question
10:54 de la relation qui va se passer et des échanges
10:56 de regards et des dialogues. -Difficile, voilà, de se passer
10:58 d'un écran quand on est mineur, quand les parents
11:00 sont scotchés sur leur smartphone.
11:02 Je vous donne la parole dans un instant,
11:04 pour se figurer les choses, je vous propose
11:06 ce reportage, on parlait d'enfants
11:08 qui ne parlent pas.
11:10 Regardez, c'est un reportage
11:12 qui a été tourné par Hélène Bonduelle,
11:14 qui a pu assister à une consultation pédiatrique
11:16 dans une unité spécifique
11:18 de l'hôpital Jean-Verdier, regardez.
11:20 [Musique]
11:25 -On y va ? Allez, viens.
11:27 Vas-y, on y va.
11:29 -Cette pédiatre
11:31 a une consultation unique
11:33 en France à l'hôpital
11:35 sur la surexposition aux écrans.
11:37 À 3 ans,
11:39 Maya ne parle quasiment pas.
11:41 -Ca a commencé vers quel âge, vous diriez, à peu près ?
11:45 Là, vous dites vers 3 mois, 6 mois.
11:47 -Elle était vraiment devant la télé
11:49 il y a 3 mois. -Oui.
11:51 Est-ce que c'est allumé pendant les repas ?
11:53 Est-ce que vous mangez avec les écrans ? -Oui.
11:55 -Est-ce que vous l'utilisez pour la calmer ?
11:57 -Oui.
11:59 -Le médecin s'appuie sur un questionnaire
12:01 spécifique pour évaluer
12:03 sa consommation
12:05 et sa dépendance aux écrans.
12:07 Résultat, 5 à 6 heures
12:09 par jour.
12:11 -Ca impacte vraiment
12:13 de nombreux domaines, que ça soit
12:15 le comportement, la gestion
12:17 des humeurs, la gestion des frustrations,
12:19 qui est importante quand on est petit,
12:21 et surtout l'apprentissage
12:23 et l'entrée dans le langage et dans les interactions.
12:25 -Oui, tu veux faire le docteur ?
12:27 -Des enfants
12:29 sans langage cohérent,
12:31 qui, comme Maya, ne font que répéter
12:33 ce qu'ils ont vu dans les dessins animés.
12:35 -Effectivement, les différentes
12:37 applications YouTube ou ce que vous voulez
12:39 ont tendance à mettre l'alphabet
12:41 en faisant croire un peu aux parents
12:43 que c'est comme ça qu'on va faire des progrès.
12:45 Et du coup, on met les choses à l'envers.
12:47 C'est-à-dire qu'on apprend l'alphabet à 3 ans,
12:49 mais on ne parle pas encore bien à 3 ans.
12:51 Et en fait, moi, ce que je veux, c'est que votre petite-fille,
12:53 elle apprenne le mot "pull", le mot "chaussette",
12:55 le mot "pomme", le mot "camion",
12:57 les mots du quotidien.
12:59 Et c'est sur ça qu'il va falloir revenir
13:01 beaucoup, beaucoup pour que le langage s'installe.
13:03 -Et pour cela,
13:05 le message de la pédiatrie radicale,
13:07 arrêt total des écrans.
13:09 -Voilà. Avant 3 ans,
13:13 arrêt total des écrans.
13:15 Fanta Béreté, quand on voit ça, on se dit
13:17 "elle est où, la grande campagne de prévention,
13:19 à l'image du tabac et de l'alcool ?
13:21 Au moins ça, pourquoi on ne l'a pas ?"
13:23 -Je pense que
13:25 depuis quelque temps, c'est vrai qu'on essaye
13:27 de poser des mots sur ces mots
13:29 qu'on vient de voir.
13:31 Maintenant,
13:33 je pense que justement,
13:35 le président prend à bras le corps
13:37 cette problématique
13:39 parce que, que ce soit à l'école,
13:41 que ce soit nous en tant que citoyens,
13:43 en tant que parents, en fait, ce problème
13:45 nous saute, j'ai envie de vous dire,
13:47 au visage. -A bras le corps,
13:49 ça veut dire quoi ? Responsabiliser les parents
13:51 ou contraindre les familles ?
13:53 -Je pense qu'on doit, dans un premier temps,
13:55 tous être responsabilisés.
13:57 Moi, ce qui m'étonne, aujourd'hui,
13:59 j'ai une fille qui a 20 ans, mais quand
14:01 les parents rentrent avec des enfants
14:03 en bas âge dans un restaurant,
14:05 les autres adultes
14:07 ont plutôt tendance à se dire "j'espère qu'il va y avoir
14:09 un écran et qu'ils vont être occupés"
14:11 parce qu'ils n'ont pas envie d'avoir des interactions avec eux.
14:13 C'est-à-dire qu'on a mis les enfants
14:15 à distance. On veut pas qu'ils fassent de bruit
14:17 pour pas qu'ils ne fassent de bruit, on leur donne
14:19 une tablette, on leur donne un écran.
14:21 On veut pas, dans le TGV, être à côté d'enfants
14:23 qui vont jouer avec des jouets
14:25 qui font du bruit alors que leur mettent
14:27 des écouteurs et leur mettent un dessin animé.
14:29 -On a tous vu des bébés dans la poussette
14:31 pour avoir le calme, souvent.
14:33 -Dans le caddie, à Carrefour, au champ,
14:35 etc. Donc, en fait, c'est un
14:37 problème de société, c'est où
14:39 est la place de l'enfant en 2024 ?
14:41 Est-ce qu'on lui permet
14:43 de jouer avec ses joujoux qui font
14:45 énormément de bruit ? Est-ce qu'on lui permet
14:47 de vivre et de se raconter
14:49 des aventures avec des Legos
14:51 plutôt qu'avec des écrans pour le mettre
14:53 en sommeil, pour le mettre en veille
14:55 et pouvoir se concentrer sur
14:57 nos activités d'adulte ? -Ca, c'est le diagnostic.
14:59 -Exactement. -Où est la place
15:01 de l'écran dans la société
15:03 et où poser le curseur ? Et qui doit poser
15:05 ce curseur ? François Salthiel. Ce problème,
15:07 au fond, tous les pays du monde
15:09 y sont confrontés.
15:11 Il y a des modèles à suivre,
15:13 il y a des limites posées par les Etats.
15:15 Est-ce qu'elles vous semblent légitimes ?
15:17 En Europe, on pense à la Chine aussi,
15:19 régime autoritaire qui va très loin.
15:21 -Oui, on sait que la Chine
15:23 a sommé des interdictions,
15:25 je crois que c'était 45 minutes,
15:27 notamment pour l'usage des jeux vidéo.
15:29 Mais il y a peut-être un problème de définition
15:31 dès le départ, c'est quand on parle d'écran.
15:33 Est-ce que l'écran, c'est lire
15:35 le livre de Nathan Devers, qu'on peut lire
15:37 sur un écran ? Est-ce que c'est aller sur Wikipédia
15:39 pour s'informer ? Est-ce que c'est regarder
15:41 une série, un film ? Est-ce que c'est aller sur les réseaux sociaux ?
15:43 -Est-ce que c'est la tablette qu'on utilise
15:45 pour faire des jeux vidéo ? -Est-ce que c'est l'alcool aussi, dès le collège ?
15:47 -Donc je trouve qu'il y a une forme de diabolisation
15:49 aussi de l'écran. Or, l'écran,
15:51 c'est multiple.
15:53 C'est de multiples contextes d'usage
15:55 et d'utilisation, et je pense que chaque contexte mérite
15:57 une explication claire et des règles claires.
15:59 Lorsqu'on parle des réseaux sociaux,
16:01 par exemple, effectivement, on sait bien que les réseaux sociaux,
16:03 dans la manière dont ils sont conçus
16:05 par les GAFA, on est dans une économie
16:07 de l'attention qui cherche à la capter,
16:09 et c'est ça qui va être, finalement, le modèle économique
16:11 d'un réseau social. Et on sait aujourd'hui,
16:13 en attendant à s'en rendre compte et à réagir,
16:15 que la manière dont le réseau est designé,
16:17 il est fait pour faire en sorte
16:19 qu'on perde même notre intention première
16:21 de ce pour quoi on y va, pour qu'on y reste
16:23 le plus longtemps possible et devenir, finalement, l'objet
16:25 d'un ciblage publicitaire. -C'est sûr.
16:27 Vous faites bien, d'ailleurs, de distinguer, parce que l'objet,
16:29 les contenus, c'est très différent.
16:31 Mais n'empêche qu'il y a un objet
16:33 qui est la porte d'entrée pour les enfants.
16:35 Si on reste sur les enfants,
16:37 qu'est-ce qu'on fait à l'étranger ?
16:39 Est-ce qu'il y a déjà des pistes,
16:41 qu'elles sont efficaces ? -Alors, à l'étranger,
16:43 on peut parler, justement, de la Suède,
16:45 qui était un cas intéressant, notamment à l'école,
16:47 qui, depuis plus d'une dizaine d'années,
16:49 avait décidé de passer, par exemple, en tout numérique
16:51 en essayant d'arrêter les manuels scolaires papiers
16:53 pour les remplacer, justement, par des écrans et par des tablettes.
16:55 Ce qui peut être une idée, pourquoi pas,
16:57 intéressante, puisqu'on se dit que, finalement,
16:59 le monde, aujourd'hui, est un monde numérisé
17:01 et qu'il faut tout de suite donner aux enfants les outils
17:03 qui vont être ceux de leur quotidien au travail.
17:05 Et ils sont revenus un peu sur leur décision.
17:07 Alors, c'est pas très clair dans la manière
17:09 dont ils corrèlent la baisse du niveau,
17:11 justement, des enfants au Suède, par rapport à ceux tout numériques,
17:13 mais, néanmoins, ils reviennent, finalement,
17:15 au papier. Donc, là, on a un exemple
17:17 suédois tout numérique avec un retour,
17:19 finalement, au papier. Vous avez évoqué la Chine,
17:21 mais la Chine, c'est quand même un cas très particulier
17:23 et assez paradoxal, d'ailleurs, puisque je rappelle
17:25 que TikTok est tout de même une application chinoise.
17:27 Donc, on a, d'un côté,
17:29 la Chine qui va servir de TikTok
17:31 comme un outil de soft power pour essayer
17:33 d'avoir, eh bien, la main,
17:35 par rapport aux concurrents américains, sur une forme
17:37 de jeunesse mondiale et installer leurs standards,
17:39 et, de l'autre, essayer de préserver une population
17:41 en considérant que cet écran
17:43 est dangereux. Donc, on voit bien,
17:45 en tout cas, si on veut faire une échelle internationale,
17:47 qu'en ce moment, on est en Europe,
17:49 dans une volonté de reprise en main
17:51 législative. On l'a vu avec des règlements
17:53 européens qui sont entrés en vigueur à la fin du mois d'août,
17:55 le DSA, le DMA. On l'a vu
17:57 à l'échelle nationale avec la loi de sécurisation
17:59 de l'espace numérique qui a été menée par
18:01 le ministre du Numérique. Donc, il y a
18:03 quand même cette idée de se dire, pour une fois...
18:05 - Le mot "régulation", il est posé,
18:07 il n'est pas considéré comme impossible
18:09 à mettre en oeuvre. On va voir à quelle échelle.
18:11 Évidemment compliqué. Un petit mot,
18:13 d'un côté ? - Oui, un petit mot. Je suis
18:15 tout à fait d'accord avec la manière dont vous présentez les choses.
18:17 C'est-à-dire qu'une révolution technique, d'abord,
18:19 on ne peut pas l'empêcher. On ne peut pas,
18:21 si vous voulez, par la volonté politique,
18:23 l'annuler. C'est le fameux "Ceci tuera cela"
18:25 de Victor Hugo. Le livre a remplacé
18:27 l'édifice. C'est un autre rapport à la culture,
18:29 c'est un autre rapport au savoir. Maintenant,
18:31 la question est qu'est-ce qu'on en fait ?
18:33 Ça a peut-être changé depuis, mais quand j'étais au lycée,
18:35 au collège, je me souviens qu'il n'y avait pas vraiment
18:37 d'utilisation de l'éducation nationale des écrans,
18:39 sauf parfois, à la salle informatique,
18:41 on faisait des choses, mais ce n'était pas passionnant.
18:43 Les écrans, c'était ce qu'on avait dans la poche.
18:45 Dans notre tête, c'était des objets de divertissement,
18:47 ce n'était pas du tout des objets de savoir.
18:49 On n'était pas du tout spécialement
18:51 éduqués à une utilisation.
18:53 Vous avez mentionné le fait qu'il y a
18:55 un côté polymorphe des écrans.
18:57 L'écran, c'est avant tout une bibliothèque
18:59 infinie qu'on peut avoir dans son ordinateur,
19:01 dans son téléphone, etc.
19:03 Je ne dis pas ça pour la petite enfance,
19:05 mais pour l'adolescence, qu'il faudrait qu'il y ait
19:07 à l'école, au collège, au lycée, vraiment une éducation,
19:09 mais très forte, à une utilisation même intellectuelle,
19:11 pédagogique, didactique,
19:13 de l'objet écran.
19:15 - Alors, vous qui voyez les ravages,
19:17 si je peux utiliser ce terme,
19:19 dans vos pratiques de médecin,
19:21 qu'est-ce que vous attendez ?
19:23 Est-ce que déjà, vous vous dites que c'est un problème
19:25 sociétal qui mérite que l'État s'en mêle ?
19:29 - Contrairement à ce qu'on croit,
19:31 lorsque l'État se mêle,
19:33 des questions qui peuvent apparaître
19:35 comme étant des questions dans les espaces privés,
19:37 elle n'a aucune force de pouvoir
19:39 la faire appliquer à l'intérieur des maisons.
19:41 C'est la raison pour laquelle on ne parle pas de loi,
19:43 on ne parle pas de recommandation.
19:45 Et la recommandation, quand bien même on ne la suit pas,
19:47 c'est une aide éducationnelle,
19:49 c'est une orientation.
19:51 C'est un peu...
19:53 - Le contrôle parental, ça existe, aujourd'hui.
19:55 - Le contrôle parental.
19:57 - Il y a plein de parents qui limitent le temps.
19:59 Vous le voyez, ça marche ?
20:01 - Vous avez des innovations techniques
20:03 dans lesquelles les parents ne sont pas...
20:05 Elles existent, mais les parents ne les utilisent pas.
20:07 C'est la raison pour laquelle, dans la commission,
20:09 il y a un volet, évidemment, très clair,
20:11 de réflexion qu'on va mener sur l'environnement.
20:13 Si vous mettez en place des recommandations
20:15 ou alors des lois
20:17 ou bien des repères, si vous n'intégrez pas ça,
20:19 si vous n'intégrez pas
20:21 l'adulte et les parents, ça ne marchera pas.
20:23 Je voudrais dire aussi un élément intéressant
20:25 et important qu'a dit le président.
20:27 Il a expliqué aussi un élément
20:29 qui est très inquiétant,
20:31 c'est la notion de vérité contre vérité
20:33 et la notion de citoyenneté.
20:35 - Il a dit "Bonjour, les complotistes,
20:37 la nouvelle génération qui vient".
20:39 - C'est très important, parce qu'on le voit
20:41 dans la pratique, à titre personnel,
20:43 tout ce qui sort de l'écran est crédible
20:45 et ne fait pas l'objet de critiques
20:47 de la part des nouvelles générations.
20:49 Tout ce qui vient de l'adulte et qui est dans le contact
20:51 physique est plus suspect.
20:53 Tout ce qui est écrit
20:55 dans les réseaux sociaux souffre
20:57 très peu de critiques.
20:59 C'est un élément qui est véhiculé par l'écran.
21:01 - Vous êtes d'accord avec Nathan Devers sur l'éducation.
21:03 - Complètement, et qui doit faire l'objet d'une réflexion
21:05 de la part de la Commission, qui sera le cas.
21:07 Ce n'est pas simplement un produit nocif
21:09 sur l'éducation, l'évolution
21:11 ou l'addiction. C'est un vrai projet
21:13 de société aussi. - Olivier Duris,
21:15 c'est quoi la règle des 3,
21:17 6, 9, 12
21:19 et cette association qui porte ce nom
21:21 dans laquelle vous militez ?
21:23 - Elle s'appelle 3, 6, 9, 12+, toujours plus d'écran,
21:25 toujours plus de questions.
21:27 L'objectif de cette association, créée par Serge Tisseron
21:29 en 2008, c'est de pouvoir faire de la prévention
21:31 et de l'information auprès des jeunes
21:33 et des parents et des professionnels sur la question
21:35 des écrans, leur côté positif et aussi
21:37 les risques qui peuvent en être liés.
21:39 J'ai envie de rebondir sur ce qui a été dit tout à l'heure.
21:41 Ce qui est important, c'est qu'on le disait au début,
21:43 il y a un consensus scientifique sur la question
21:45 des écrans, mais il manque un consensus de valeur.
21:47 C'est là où les discours divergent.
21:49 Le fait qu'il y ait un discours de l'État
21:51 qui puisse venir pour pouvoir partager
21:53 des recommandations ou autres,
21:55 c'est intéressant parce que ça permettrait
21:57 de mettre un consensus là-dessus et aussi
21:59 parce que, comme je le disais au début,
22:01 je pense que le rôle de l'État, c'est aussi de comprendre
22:03 que c'est intéressant de se détacher des écrans
22:05 et de se rendre compte, par exemple,
22:07 qu'il y a déjà une disparité socio-économique
22:09 par rapport à la surexposition aux écrans
22:11 et qu'il y a aussi quelque chose qui relève de la politique
22:13 de la ville et de la politique de santé publique.
22:15 Proposer, par exemple, plus d'actions
22:17 et plus d'activités pour les familles désoeuvrées.
22:19 Proposer aussi un accompagnement pour les parents en difficulté.
22:21 La disparité socio-économique, pour être très clair,
22:23 plus on est défavorisé, plus on est exposé.
22:25 Exactement.
22:27 Alors, juste pour préciser les 3, 6, 9, 12,
22:29 pas d'écran avant 3 ans, pas de console...
22:31 Alors ça, c'est ce qu'on pense au début.
22:33 Sauf qu'en fait, ça a changé depuis
22:35 et maintenant, c'est vraiment, par exemple,
22:37 avant 3 ans, jouer, parler, arrêter la télévision,
22:39 des choses comme ça. L'objectif, c'est de ne pas chercher
22:41 à mettre de "pas de", "pas de", "pas de"...
22:43 Ah, c'est ce que j'ai lu sur le site.
22:45 Pas de console avant 6 ans, pas d'Internet avant 9 ans.
22:47 Internet seul à partir de 12 ans.
22:49 Tout ça, vous dites...
22:51 Les repères, maintenant...
22:53 Plus d'indulgence.
22:55 On parle de balise, en fait, parce que, justement,
22:57 l'objectif, c'est pas de mettre de contraintes,
22:59 parce que les discours négatifs fonctionnent moins que les discours positifs
23:01 et parce qu'on se rend compte, en fait, que le plus important,
23:03 c'est justement d'échanger et de s'amuser avec son enfant.
23:05 Et donc, par exemple, plutôt que de dire "pas de télé",
23:07 on dit "jouer, parler, regarder votre enfant
23:09 et arrêter la télévision".
23:11 Et en fait, c'est ça qui est important aussi,
23:13 donc si je vous écoute, il faut informer,
23:15 il faut éduquer, mais pas forcément légiférer,
23:17 font la vérité.
23:19 Pas restreindre, pas interdire.
23:21 Les Français n'aiment pas l'interdiction
23:23 d'une manière générale, donc si on veut
23:25 les frustrer et faire en sorte
23:27 qu'ils soient en front de là-dessus,
23:29 je pense que c'est ce qu'il faudrait faire.
23:31 Aujourd'hui, je peux pas vous dire si on va pas légiférer.
23:33 On a un...
23:35 C'est lui qui décide.
23:37 C'est le conseil d'experts avec ses recommandations.
23:39 Nous, on sera là
23:41 pour agir s'il y a besoin
23:43 de venir rajouter un petit quelque chose,
23:45 parce que peut-être qu'on a quelque chose
23:47 auquel on n'a pas pensé.
23:49 Par contre, je pense que le fait d'en parler,
23:51 le fait de se dire qu'on a des philosophes,
23:53 le fait d'avoir des plateaux, aussi,
23:55 télé, où on vient se confronter,
23:57 confronter les idées sur ce sujet,
23:59 permet aussi à toute la société,
24:01 parce que pour moi, c'est générationnel,
24:03 et c'est aussi le travail des parents, des amis,
24:05 etc., de prendre conscience
24:07 qu'il y a un problème, que peut-être
24:09 votre enfant n'est pas touché parce que vous,
24:11 vous avez mis un certain nombre de limites
24:13 et que ça fonctionne très bien
24:15 dans votre foyer, tant mieux.
24:17 Je ferai un petit coucou à certains hommes politiques
24:19 qui ont pris la parole sur ce sujet, d'ailleurs,
24:21 mais dans certains foyers, ça ne fonctionne pas.
24:23 Et dans le cadre du programme des 1000 jours,
24:25 il y avait une partie du programme qui avait vocation
24:27 aussi à sensibiliser ces jeunes parents,
24:29 pour leur dire, on vous dit pas que vous allez mal faire,
24:31 on vous dit simplement qu'il y a un danger
24:33 et que vous pouvez l'éviter en faisant
24:35 tel ou tel usage. Donc là, c'est le rôle,
24:37 je crois, de la puissance publique,
24:39 et c'est également accompagner ceux qui sont
24:41 au service des familles, je pense aux aidants sociaux,
24:43 certains nombres... -Ceux qui demandent des moyens.
24:45 -Exactement, aussi,
24:47 mais de les accompagner dans les prises de parole
24:49 et justement dans les conseils
24:51 à donner à ceux qui ont besoin.
24:53 -François Sarkiel. -Oui, justement, par rapport
24:55 à la question de la puissance publique, je pense qu'on peut
24:57 distinguer aussi ce qui est de l'ordre de la sphère intime
24:59 et peut-être de l'ordre de l'écosystème.
25:01 C'est pour ça que quand on entend, effectivement,
25:03 le président de la République dire "pourquoi pas des interdictions"
25:05 quand on reprend justement la chronique qui a ouvert cette émission
25:07 et encore une fois le modèle chinois, je pense que
25:09 personne ici n'a envie qu'on nous impose...
25:11 Alors attention, il y aura une loi
25:13 qui va expliquer qu'on ne veut pas avoir plus d'écran après 22h
25:15 dans les foyers, sinon on va vous pointer du doigt.
25:17 Je veux dire, c'est pas cette société-là
25:19 dont on a envie, et c'est pour ça que le modèle chinois,
25:21 il est plutôt toujours un peu effrayant,
25:23 et je pense pas qu'il doit être pris comme modèle
25:25 à ce niveau-là. -Mais vous pensez que l'État, c'est son rôle
25:27 de fixer la limite ou pas ?
25:29 -Non, je pense pas que ça soit son rôle.
25:31 -Donc pour vous, il y aurait une atteinte aux libertés ?
25:33 -Disons que ça touche à l'intime,
25:35 et c'est vrai que le risque de ça, c'est un peu la culpabilisation
25:37 aussi des parents, de se dire "finalement,
25:39 on doit pas agir comme ça, on agit mal", etc.
25:41 Alors que, déjà même en tant qu'adultes,
25:43 ou en tant que même ceux qui sont parfois
25:45 même à l'origine des lois et des conceptions,
25:47 ne sont pas non plus irréprochables dans notre manière
25:49 dont on aborde justement les écrans. Par contre,
25:51 là où je pense que la puissance publique est nécessaire,
25:53 c'est pour essayer de tenter de réguler certaines dérives.
25:55 Vous avez évoqué tout à l'heure les réseaux sociaux
25:57 et donc la désinformation, les absences
25:59 et la déféance de la modération.
26:01 Je pense qu'effectivement, là, il y a une nécessité
26:03 pour que la puissance publique
26:05 fixe des limites en disant "voilà,
26:07 telle entreprise, telle multinationale
26:09 ne peut pas sciemment offrir
26:11 un service à plus de tant de milliards d'utilisateurs
26:13 et pas mettre les moyens nécessaires pour...
26:15 -Donc on tape au porte-monnaie, sur les contenus haineux,
26:17 sur la post-vérité, ou des fake news.
26:19 -Effectivement, quand on parle des réseaux sociaux,
26:21 c'est toujours un peu compliqué, parce que sur les réseaux sociaux,
26:23 on a autant LCP que le monde
26:25 que des agents de la désinformation.
26:27 Donc la question, c'est comment on va arriver à avoir
26:29 une transparence de ces algorithmes-là,
26:31 parce qu'on sait qu'aujourd'hui, ils fonctionnent
26:33 par une sorte de viralité des contenus
26:35 qui sont les plus sensationnels, qui provoquent le plus d'engagement,
26:37 et généralement, ce ne sont pas les contenus les plus vérifiés
26:39 ou qui indiquent des informations qu'ils le sont.
26:41 Donc là, oui, je pense qu'il faut exiger
26:43 une transparence des algorithmes,
26:45 je pense qu'il faut enlever les nudge,
26:47 les dark parterne, tous ces mots un peu obscurs.
26:49 -Et ça, cette volonté, elle existe au niveau européen,
26:51 aujourd'hui, elle est à l'œuvre. -Elle est à l'œuvre.
26:53 Après, elle est complexe, parce que vous vous attaquez
26:55 quand même à des entreprises qui ne sont pas...
26:57 Des entreprises étrangères qui sont hors sol
26:59 au niveau européen, et c'est tout le jeu qui est en train
27:01 de jouer l'Europe en disant "On est tout de même un marché,
27:03 "et si vous voulez continuer à y exercer vos fonctions,
27:05 "vous devez respecter certaines règles."
27:07 -Amin Benyamina, vous êtes sur quelle ligne ?
27:09 Vous n'avez pas nous donné les recommandations,
27:11 mais c'est vrai que comme vous faites partie,
27:13 vous êtes coprésidente de cette commission d'experts,
27:15 on a un peu envie de savoir
27:17 qu'est-ce que vous allez proposer.
27:19 -Alors, j'ai une définition qui est la mienne,
27:21 qui est celle qui a conduit, la plupart de mes...
27:23 Régulièrement, à la pratique,
27:25 je fais avancer mes patients, on avance plus par l'incompréhension
27:28 que par la punition. C'est une base
27:30 de la science comportementale.
27:32 Le président, il l'a dit, et vous l'avez senti,
27:34 ça a été très bien dit d'entrée de jeu,
27:36 lorsqu'il était en train d'énoncer l'interdiction,
27:38 peut-être à la fin, peut-être non, peut-être oui,
27:40 il se posait la même question. Non, c'est pas flou,
27:42 il sait pas, il sait pas, il nous a demandé.
27:44 Et lorsqu'on s'est vu, il a constitué un comité
27:46 dans lequel vous avez deux médecins,
27:48 et les huit autres personnes ne sont pas des médecins,
27:50 ce sont des scientifiques, ce sont des épidémiologistes,
27:52 ce sont des personnes qui travaillent sur le monde du numérique,
27:56 et ce sont aussi des sociologues et des juristes.
28:02 Donc on sait parfaitement qu'on va être confrontés
28:04 à quelque chose d'extrêmement compliqué.
28:06 Et clairement, il a dit, je sais très bien
28:08 que ça ne sera pas juste une dimension française,
28:10 il faudra réfléchir européen aussi.
28:12 Et donc on sait parfaitement qu'il y a un jeu parti.
28:14 On va auditionner probablement aussi
28:16 les GAFAM, les grandes entreprises,
28:18 on sait qu'il y a quelque chose d'extrêmement ténu.
28:20 Et je répète, j'ai pas le sentiment
28:22 que dans cette commission,
28:24 on va émettre des recommandations
28:26 pour altérer la liberté des uns et des autres.
28:28 De la même manière qu'on sait qu'il ne faut pas fumer,
28:30 qu'il ne faut pas dépasser deux verres d'alcool par jour
28:32 sur dix jours et faire un arrêt de 48 heures,
28:34 et ça ne choque pas parce qu'on a les résultats
28:36 des études scientifiques qui montrent
28:38 qu'à partir d'un certain seuil,
28:40 on est malade, on peut aussi émettre
28:42 des recommandations sur quelque chose
28:44 qui vient de faire effraction dans notre vie,
28:46 que sont les écrans.
28:48 - Les écrans, c'est toujours mieux que la contrainte.
28:50 - Ils sont pour autant altérés,
28:52 ou bien entrés dans l'intimité des foyers des Français.
28:54 - Oui. Vous qui avez écrit "espace fumeur",
28:56 qui vendez la liberté individuelle,
28:58 vous pensez que l'Etat n'a pas son rôle
29:00 à s'immiscer, à fixer les limites
29:02 au sein des foyers ?
29:04 - Oui, je pense que c'est pas son rôle,
29:06 mais qu'en revanche, l'Etat a raison, là,
29:08 de mettre la question des écrans
29:10 vraiment en premier plan.
29:12 La question qu'il faut se poser, quand même,
29:14 c'est quelle société nous prépare
29:16 pour la révolution numérique ?
29:18 Toute révolution technique a des conséquences culturelles.
29:20 C'est la théorie de Régis Debray,
29:22 que l'invention des routes en Europe
29:24 a engendré le roman, que l'invention de la presse
29:26 a engendré le socialisme, etc.
29:28 On pourrait se demander, ça nous amène où,
29:30 cette invention des écrans ?
29:32 Il me semble qu'il y a une chose qui est centrale
29:34 pour les jeunes, pour les adolescents et pour les adultes,
29:36 c'est que la société dans laquelle on est
29:38 est une société de démocratie totale,
29:40 notamment sur le plan de la parole.
29:42 Jusqu'à il y a encore 40, 50 ans,
29:44 il y avait une démarcation
29:46 entre des citoyens qui étaient des citoyens actifs,
29:48 qui avaient le droit d'avoir une parole publique,
29:50 et la quasi-totalité des autres citoyens
29:52 qui avaient une parole privée.
29:54 Et quand ils parlaient, c'était uniquement entre amis, en famille, etc.
29:56 Là, tout le monde peut avoir droit à une parole publique.
29:58 Et ça, évidemment, c'est un bouleversement total,
30:00 notamment pour les adolescents, pour les jeunes,
30:02 pour les étudiants, dans leur insertion
30:04 dans la citoyenneté, dans la société.
30:06 Le risque qu'il peut y avoir
30:08 derrière cette émancipation, l'aliénation que vous pointez du doigt,
30:10 évidemment, c'est quand cette parole publique
30:12 est court-circuitée, que ça crée ces phénomènes
30:14 de post-vérité, de complotisme, etc.
30:16 - Merci beaucoup.
30:18 Peut-être un dernier mot de la députée
30:20 sur la majorité numérique à 15 ans ?
30:22 Ça, c'est voté, aussi.
30:24 Vous pensez que ça peut être efficace ?
30:26 - Je pense que oui, effectivement.
30:28 Donc, ça va dans le bon sens pour moi.
30:30 Et tant qu'Alexia et Cyril auront leur mot à dire,
30:32 il faut quand même qu'on puisse protéger certains.
30:34 - La loi numérique, ça ne fait pas bon ménage.
30:36 - Oui, en fait, il y a peut-être
30:38 une loi qu'on devrait tous appliquer,
30:40 c'est essayer surtout la loi de la compréhension.
30:42 Et c'est pour ça que je rejoins cette nécessaire éducation en numérique,
30:45 parce qu'on a tous dans les mains
30:47 des outils qu'on ne comprend pas très bien,
30:49 et il y a une nécessité d'ouvrir la machine
30:51 pour l'expliquer. Et donc, déjà, en premier temps,
30:53 en parler, c'est ce que vous faites ce soir.
30:55 Et ensuite, essayer d'en comprendre les rouages.
30:57 Et pour ça, il faut passer par une éducation
30:59 pour rentrer à l'intérieur des machines,
31:01 pour mieux les comprendre. - Merci. On s'arrête là.
31:03 Professeur Benyamina, vous êtes invité
31:05 le jour de la remise
31:07 de la commission d'experts.
31:09 Merci à vous. Vous restez avec moi,
31:11 Nathan Devers. Dans une dizaine de minutes,
31:13 les parties prides nous affranchissent.
31:15 Ce soir, le regard de maître Bertrand Perrier
31:17 sur le théâtre obligatoire au collège.
31:19 "Autorité", c'est le mot de la semaine
31:21 de Mariette Darrigrand. Et puis, de quoi nous parlez-vous,
31:23 Léa Falco, dans Action Planète ?
31:25 - On parle de sport d'hiver et de redirection écologique
31:27 des stations de ski. - A tout à l'heure,
31:29 les amis. Mais d'abord,
31:31 pensez contre soi-même.
31:33 C'est un livre impressionnant,
31:35 franchement, et même un peu ardent,
31:37 incandescent, Nathan Devers,
31:39 que vous signez chez Albin Michel.
31:41 Albin Michel, c'est une méditation
31:43 philosophique, une forme
31:45 de traversée, la vôtre,
31:47 en forme de rupture.
31:49 On va voir cela dans l'invitation
31:51 de Clément Perreault.
31:53 Interview, juste après.
31:55 - I'm ready, my lord.
31:57 - Si on vous invite, Nathan Devers,
31:59 c'est pour parler du doute.
32:01 Et en particulier de vos doutes.
32:03 Votre parcours, brillant,
32:05 ne semble pourtant pas y laisser place.
32:07 Nathan Devers, vous êtes né en 1997,
32:09 26 ans seulement,
32:11 normalien, agrégé de philosophie
32:13 et déjà 5 ouvrages publiés
32:15 et une certaine notoriété télévisuelle.
32:17 Vous êtes chroniqueur
32:19 régulier sur CNews avec Pascal Praud,
32:21 sur France 3,
32:23 chez Michel Drucker, mais aussi chez nous,
32:25 à LCP, dans notre émission, ça vous regarde.
32:27 Pourtant, derrière cette belle vitrine
32:29 se cache une histoire à la fois
32:31 tourmentée et lumineuse,
32:33 que vous racontez dans votre dernier livre,
32:35 "Pensez contre soi-même".
32:37 Nathan Devers, vous avez grandi
32:39 dans une famille juive d'Auteuil,
32:41 avec un rêve en tête, devenir rabbin.
32:43 Toute votre vie tournait autour
32:45 de la religion, elle en était le sens
32:47 et l'explication.
32:49 - Tout dormant et déjà debout dans les idées,
32:51 je m'éjectais d'un coup de mon matelas.
32:53 Prière du réveil, ablution des mains,
32:55 3 pages de bénédiction matinale,
32:57 douche expéditive, 20 minutes à peine
32:59 séparaient l'ouverture de mes yeux
33:01 et le moment où je sortais dans la rue,
33:03 la tête remplie d'ardeur et le coeur plein d'allant.
33:05 Quel prodige quand j'y repense.
33:07 - Et puis Nathan Devers, vous avez douté.
33:13 Douté au point de perdre
33:15 la foi et de vous passionner
33:17 pour les livres et surtout pour la philosophie,
33:19 notamment l'œuvre
33:21 de Martin Heidegger.
33:23 Finalement, vous avez commis une forme
33:25 de suicide existentiel.
33:27 Vous avez remis en cause tout ce qui
33:29 faisait votre identité supposée.
33:31 Naissance, famille, origine sociale et religieuse.
33:33 Une mise à nu totale
33:35 qui détonne dans notre époque
33:37 de certitude où les opinions
33:39 n'ont jamais semblé aussi arrêtées
33:41 ou pensées contre soi-même
33:43 et presque une anomalie.
33:45 - Platon le décrivait déjà dans le mythe de la caverne,
33:47 c'était déjà ça, mais aujourd'hui on y est à fond et on le voit
33:49 tous les jours, mais que, en fait, quand on ne pense
33:51 pas contre soi-même, on ne pense pas du tout.
33:53 Ça veut dire qu'on est juste la marionnette
33:55 intellectuelle de son identité,
33:57 c'est-à-dire de choses qui sont
33:59 des conditionnements, des déterminations.
34:01 Ça crée une situation où le débat public
34:03 est nul. Il y a une impossibilité tout simplement
34:05 à la fois de dialoguer et de questionner.
34:07 - Alors comment faire
34:09 revivre ce débat public ?
34:11 Penser contre soi-même, est-ce une
34:13 traversée exclusivement individuelle
34:15 ou peut-elle être collective ?
34:17 - Réponse.
34:19 Est-ce que cette traversée,
34:21 elle s'apprend ? Est-ce que c'est la tâche même de la
34:23 philosophie ? Est-ce que ça peut devenir un projet politique ?
34:25 - Je dirais que c'est d'abord
34:27 et avant tout une traversée
34:29 qui doit être opérée à l'échelle individuelle
34:31 parce que c'est une épreuve de solitude.
34:33 Penser contre soi-même, c'est
34:35 essayer de prendre une certaine forme de distance
34:37 par rapport à son identité,
34:39 par rapport à ce qu'on croyait être au soi, auquel on peut
34:41 s'accrocher, se dire finalement mon soi,
34:43 enfin mon moi, je ne l'ai pas tellement choisi,
34:45 tout a été plus ou moins dessiné
34:47 sans moi, et donc
34:49 ça suppose une solitude par rapport à soi-même.
34:51 Donc ça, c'est profondément individuel.
34:53 Là où ça devient collectif, c'est que
34:55 c'est une démarche qui, après, crée une
34:57 certaine forme de souplesse, de manière
34:59 de décoïncider par rapport à soi-même
35:01 et donc d'ouverture à l'altérité, aux autres perspectives.
35:03 Et donc ça ouvre une sorte de
35:05 possibilité, en effet, de débat public
35:07 et de vie collective qui est beaucoup plus souple.
35:09 - Alors c'est quand même violent, un suicide
35:11 existentiel, Nathan le sceptique
35:13 a liquidé
35:15 Nathan le croyant. Est-ce que ça fait mal ?
35:17 - Oui, ça fait mal.
35:19 La mort de Dieu, d'abord, c'est...
35:21 Ça peut être une phrase juste de
35:23 Nietzsche de dire "mon Dieu est mort", mais quand
35:25 on le vit à la première personne, et c'est ce que j'ai voulu raconter
35:27 dans ce texte, c'est pour ça que d'ailleurs que j'ai écrit
35:29 à la première personne, c'était pas du tout dans une
35:31 sorte de démarche narcissique de
35:33 raconter ma vie, c'est parce que je crois pas en l'idée d'une
35:35 vérité absolue. Je pense que les idées philosophiques,
35:37 les questionnements, ce sont des choses qui sont
35:39 incarnées. Et quand j'ai cessé de croire en Dieu, c'était une expérience
35:41 extrêmement douloureuse. Je la compare
35:43 à une sorte de suicide, alors
35:45 pas de tentation suicidaire de supprimer ma vie
35:47 biologique, mais un suicide, c'est-à-dire au sens où
35:49 tout le monde dans lequel j'habitais,
35:51 tout le sens de la vie
35:53 qui, pour moi, était absolument évident, ma
35:55 manière de vivre, les lois que je respectais,
35:57 tout ça s'est écroulé quasiment
35:59 du jour au lendemain. - Alors on va y venir, à toutes ces lois.
36:01 Vous êtes très très jeune, en fait,
36:03 dès 11-12 ans, quand vous
36:05 décidez de plonger dans l'étude de
36:07 la Torah, dans sa pratique la plus stricte,
36:09 alors que vos parents, d'ailleurs,
36:11 vous en parlez, ils sont quand même pas
36:13 du tout des pratiquants très assidus
36:15 de la religion juive, est-ce qu'il y a un déclic ?
36:17 Est-ce que c'est le voyage à Jérusalem le déclic ?
36:19 - Je dirais que c'est une forme de
36:21 quête de sens. Mes parents m'ont donné
36:23 une très très belle image de la religion.
36:25 Ils étudiaient, enfin, ils
36:27 étudient toujours, mais ils étudiaient
36:29 beaucoup la Bible, et puis le Talmud,
36:31 et la pensée juive en général, et ils
36:33 avaient une pratique traditionnaliste, mais qui m'a donné
36:35 très très envie de m'investir davantage
36:37 dans la religion, parce que j'y voyais un sens.
36:39 Et que justement, j'étais même un peu frustré par rapport à leur pratique
36:41 que je jugeais insuffisante,
36:43 un peu trop soft, en effet. En tout cas, moi,
36:45 je voulais y aller de manière radicale. - Alors justement,
36:47 pourquoi ? Parce qu'avec vous, on sent bien qu'il n'y a pas
36:49 de demi-mesure. Dès l'enfance,
36:51 c'est tout ou rien. Vous êtes
36:53 absolutiste. - Oui, ça d'ailleurs, je me suis pas
36:55 contredit, je suis resté radical là-dessus.
36:57 C'est vrai que je ne comprends pas, en fait,
36:59 comment on peut se dire
37:01 qu'une religion, entre guillemets, on y croit,
37:03 qu'on y adhère, tout en se disant
37:05 "je vais choisir dedans ce qui me plaît,
37:07 je vais respecter un peu comme je veux, je vais
37:09 trouver mon petit équilibre personnel là-dedans, et je vais
37:11 aller à la synagogue une fois par an pour Kippour",
37:13 ou ceci, ou cela. - Et ça, vous ne les aimez pas, les Juifs de Kippour ?
37:15 - Alors, ben... - Ceux qu'on appelle les Juifs de Kippour,
37:17 ils sont quoi ?
37:19 Paresseux ? - Oui, et quand j'étais religieux,
37:21 je trouvais ça un peu agaçant. Je me disais "mais
37:23 qui sont ces gens qui viennent une heure
37:25 à la synagogue pour demander pardon et pour retomber
37:27 dans leur vie, entre guillemets,
37:29 enfin, dans leur vie une heure après,
37:31 ils demandent pardon tout en sachant que c'est un mot qui ne veut rien dire ?
37:33 Et maintenant que
37:35 j'ai pris de la distance, en tout cas,
37:37 si j'ai pris une distance aussi éloignée,
37:39 aussi forte, c'est parce que j'aurais trouvé ça
37:41 un peu irrespectueux par rapport à la religion,
37:43 de continuer à la pratiquer à moitié.
37:45 Moi, ça a été quelque chose d'essentiel dans ma vie,
37:47 j'ai énormément d'admiration pour la religion juive
37:49 et pour les autres religions en soi, d'ailleurs, et je trouverais
37:51 ça hypocrite, un peu tartuffe, de continuer
37:53 si vous voulez à faire ça à la carte.
37:55 - Alors, il faut bien comprendre, pour ceux qui ne connaissent
37:57 pas la religion juive, que quand on y va
37:59 à fond, comme vous,
38:01 eh bien, ça nécessite
38:03 d'abord de se passionner pour les textes,
38:05 pour le Talmud, les interprétations,
38:07 mais pas seulement. C'est aussi
38:09 des lois. Vous dites
38:11 que vous l'acceptiez, vous vous sentiez
38:13 léger sous un monceau de lois,
38:15 et il y en a énormément.
38:17 Vous priez trois fois par jour,
38:19 vous respectez le Shabbat, vous n'allumez
38:21 plus l'électricité, vous racontez même,
38:23 et c'est très drôle, parce qu'on n'a pas le droit de déchirer,
38:25 vous préparez vos petits paquets
38:27 de pépi et toilette
38:29 pour qu'à Shabbat, vous ne soyez pas dans le péché,
38:31 mais c'est
38:33 de la contrainte pure, et vous,
38:35 vous respirez dans la contrainte.
38:37 - Exactement. Alors, on dit souvent "juifs orthodoxes" pour désigner
38:39 les juifs religieux, c'est faux, parce qu'il n'y a pas d'orthodoxie,
38:41 d'opinion droite chez les juifs,
38:43 il y a une pensée qui est très libre.
38:45 En revanche, il y a une orthopraxie.
38:47 Le judaïsme a ça en commun avec l'islam, d'estimer que le rapport
38:49 à Dieu passe pas tellement par l'amour,
38:51 par la grâce, etc., mais passe par le respect
38:53 absolu et total de la loi,
38:55 ce qui est une manière presque même de se protéger contre l'idolâtrie.
38:57 Je ne sais pas trop à quoi ressemble
38:59 Dieu, mais je sais qu'il y a des lois que je dois respecter.
39:01 Et donc, c'est des lois, vous l'avez dit,
39:03 c'est du moment où on ouvre ses yeux le matin
39:05 jusqu'au moment où on les ferme le soir,
39:07 en passant par la manière
39:09 dont on va lasser ses chaussures,
39:11 les interdits alimentaires, plein d'obligations,
39:13 des heures et des heures de prière par jour.
39:15 - Et ça a des conséquences sur la vie de famille.
39:17 Alors, c'est ça, vous vous dites même,
39:19 je suis devenu un boulet pour ma famille,
39:21 sauf que votre famille, elle vous respecte,
39:23 elle vous laisse faire ce choix.
39:25 - Oui, c'est vrai, moi, j'aimais beaucoup ça,
39:27 parce que moi, j'étais pas du tout prosélite,
39:29 j'avais pas de leçons à donner à mes parents
39:31 de toutes les manières, mais eux aussi,
39:33 étaient très sympathiques et tolérants
39:35 par rapport au fait que je pratiquais.
39:37 Et donc, c'était assez marrant, parce que j'étais un juif
39:39 très orthopraxe, mais dans un univers,
39:41 que ce soit avec mes parents ou que ce soit
39:43 quand j'étais à l'école publique, qui n'était pas du tout celui-ci.
39:45 Et donc, il y avait une forme de solitude
39:47 dans la pratique de la religion, mais que j'aimais beaucoup.
39:49 - Alors, on va arriver sur la rupture,
39:51 mais il y a des scènes, c'est ça qui est aussi
39:53 très intéressant, c'est vraiment de la littérature,
39:55 c'est très bien écrit dans ce livre.
39:57 - L'Egnault, une communauté de Juifs
39:59 d'Afrique du Nord, dans le quartier de Theuil,
40:01 que vous avez fréquenté, c'est quoi ? Vous vous retrouvez avec des octogénaires.
40:03 - Oui. - Pittoresque.
40:05 - L'Egnault, c'est un endroit génial,
40:07 qui est une synagogue sans rabbins.
40:09 Donc, une synagogue où tout le monde peut plus ou moins
40:11 un peu s'improviser rabbin, et on y allait
40:13 une fois vraiment par an, à Kippour,
40:15 et moi, c'était un endroit qui me fascinait,
40:17 et puis un matin, je me suis pointé là,
40:19 à l'aube, à la prière du matin en semaine,
40:21 et alors là, il y avait plein d'octogénaires,
40:23 ou en tout cas de retraités, qui voient
40:25 un petit gosse débarquer ici,
40:27 ils se disent "mais qu'est-ce que c'est que ça, il a dû se tromper de porte",
40:29 et ils m'ont adopté, ils m'ont fait une sorte de...
40:31 Je suis devenu un peu, entre guillemets, leur "mascotte",
40:33 ils sont devenus ma deuxième famille, et j'adorais, moi,
40:35 aller à la synagogue le matin, être avec
40:37 tous ces gens qui étaient absolument formidables,
40:39 extrêmement drôles, enfin, on rigolait énormément,
40:41 et puis ils étaient extrêmement touchants, parce qu'ils avaient
40:43 à la fois toute la culture, notamment marocaine,
40:45 dans les chants, dans la liturgie, toute la culture juive,
40:47 dans l'étude, et toute la culture,
40:49 évidemment, aussi française, et après j'allais à l'école,
40:51 et j'adorais être comme ça, à cheval,
40:53 entre une vie de collégien sympathique,
40:55 normale, et toute cette autre
40:57 identité.
40:59 - La rupture, alors comment s'opère-t-elle ?
41:01 À 18 ans, alors que vous vous préparez
41:03 à entrer dans une école rabbinique,
41:05 parce que vous voulez ardemment devenir
41:07 rabbin, il y a la lecture d'un texte
41:09 en particulier, qui va
41:11 commencer à ébranler toutes vos certitudes.
41:13 - Exactement, on m'avait demandé de faire un cours
41:15 sur l'éclésiaste, et je lis
41:17 l'éclésiaste, et ce texte
41:19 me bouleverse, parce que je pense
41:21 qu'il y a peu de textes qui sont assez allés
41:23 aussi loin dans la manière de
41:25 brûler, d'attaquer, de contredire
41:27 toutes les illusions de la vie, pas seulement
41:29 les illusions intellectuelles, cette phrase
41:31 très connue qui commence l'éclésiaste,
41:33 "vanité des vanités, tout n'est que vanité",
41:35 et puis ensuite tout ce texte-là, où
41:37 l'auteur, qui s'appelle Coëllet,
41:39 raconte tous les aspects de la vie,
41:41 qu'il a connu le plaisir, qu'il a connu la connaissance, etc.,
41:43 mais que tout ça n'abolit pas la vanité,
41:45 et j'ai eu l'impression que c'était un livre
41:47 qui, de l'intérieur de la Bible, la faisait
41:49 exploser.
41:51 - Il y a cette scène inaugurale, qui est très
41:53 belle, le jour de Kippour, où vous comprenez
41:55 qu'il n'y a définitivement plus
41:57 rien de religieux
41:59 en vous, racontez-la nous.
42:01 - C'est une scène complètement dingue, mon éditeur pensait que
42:03 je l'avais inventée, mais je l'ai vraiment vécu comme ça.
42:05 Je donne cours à
42:07 l'université à Bordeaux en début d'année,
42:09 mon cours se passe très bien, je devais dormir à Bordeaux
42:11 donc j'avais pris une petite chambre d'hôtel, mais un peu moche,
42:13 on aime bien ce genre d'hôtel comme ça,
42:15 et tout au long de la journée,
42:17 j'appelle des proches, mes parents,
42:19 et personne ne me répond. Je n'y pense pas trop,
42:21 mais tous les téléphones sont éteints,
42:23 et quand j'arrive dans ma chambre d'hôtel,
42:25 après avoir bu deux, trois verres de vin,
42:27 j'allume une cigarette dans la cour intérieure,
42:29 et en face, il y avait un appartement,
42:31 et une femme, juive, très belle,
42:33 qui chante et qui fait la prière de Kippour,
42:35 que je reconnais tout de suite. Et j'avais oublié
42:37 que c'était Kippour, sachant que tous les juifs
42:39 du monde, même les plus assimilés,
42:41 pratiquent un peu Kippour,
42:43 ou alors, quand ils sont provocateurs et qu'ils veulent aller
42:45 manger du cochon, ils le font parce qu'ils savent que c'est Kippour.
42:47 Mais oublier que c'est Kippour, c'est vraiment le stade
42:49 ultime, et là, il y a eu un moment comme ça,
42:51 et je me suis mis à écrire ce texte à peu près à ce moment-là.
42:53 - Il y a forcément de la perte dans cette rupture.
42:55 Est-ce qu'il y a une part
42:57 de cette vie d'avant qui vous manque aujourd'hui ?
42:59 - Alors, en un sens,
43:01 oui, un peu,
43:03 je pense que j'aurais été beaucoup plus facilement
43:05 heureux si j'avais été rabbin, au sens où
43:07 j'aurais vécu dans un monde dont le sens
43:09 ne m'aurait pas trop posé problème.
43:11 J'aurais su quel était ce sens-là.
43:13 Donc, oui, mais écrire ce livre
43:15 m'a réconcilié, quand même.
43:17 Je me suis remis à l'hébreu,
43:19 même pour l'écrire, j'ai relu beaucoup
43:21 la Bible, etc. Et donc,
43:23 tout l'aspect de rupture,
43:25 même un peu violent,
43:27 s'est un peu atténué au profit de l'idée
43:29 d'un voyage, d'un voyage sans destination,
43:31 d'une avancée, d'une errance.
43:33 - D'ailleurs, vous dites que vous vous remettez avec la religion,
43:35 mais pas avec le judaïsme. J'aimerais qu'on dise un mot
43:37 sur la nature même de ce texte.
43:39 Vous parlez de rêverie,
43:41 de méditation.
43:43 C'est pas de l'autofiction, vous dites "je".
43:45 Vous citez le nom de vos parents,
43:47 le célèbre neurologue Lionel Nakach,
43:49 d'ailleurs, vous vous appelez Nathan Nakach
43:51 et Karine Nakach,
43:53 votre mère, et en même temps,
43:55 il y a un tout petit peu
43:57 de liberté, notamment avec la chronologie,
43:59 avec certains personnages, je pense,
44:01 aux rabbins, qui n'existent pas,
44:03 et qui s'appellent "Cotmel".
44:05 - Oui, alors, quand j'avais écrit des romans,
44:07 parfois, il y a des gens qui me disaient "bon, mais tes personnages,
44:09 évidemment, c'est toi, tu as raconté ta vie".
44:11 Je disais "non, non, vraiment pas".
44:13 Pour moi, un roman, c'est une œuvre
44:15 vraiment d'imagination pure, et là,
44:17 de la même manière, je n'ai pas voulu tricher.
44:19 Donc, ça veut dire, les faits que je raconte, je les raconte tel quel,
44:21 je ne change pas les noms, je n'ai pas romancé.
44:23 En revanche, je voulais que la durée,
44:25 la temporalité des événements soient fictives.
44:27 Ça veut dire que je puisse raconter avant
44:29 un événement qui a eu lieu après, et réciproquement.
44:31 Pourquoi ? Parce que l'ordre dans lequel
44:33 les événements surviennent dans notre vie est un ordre
44:35 complètement arbitraire, complètement chaotique,
44:37 qui n'a pas de sens en lui-même. Et en effet, ce livre,
44:39 je voulais que ce soit une sorte de méditation.
44:41 De méditation au sens vraiment classique du terme.
44:43 Ça veut dire un livre qui essaye de faire
44:45 de la philosophie, mais de manière incarnée,
44:47 mais de manière subjective, précisément parce qu'il n'y a pas
44:49 de vérité absolue, que nos existences sont des quêtes.
44:51 Et donc, à partir de là, je voulais
44:53 qu'il y ait quand même cette part-là
44:55 de fiction, ou en tout cas
44:57 d'une écriture dont la durée
44:59 est fictive. - Merci beaucoup.
45:01 Une toute petite dernière question.
45:03 Vous qui avez porté la kippa, même dans la rue,
45:05 vous racontez d'ailleurs l'antisémitisme
45:07 que vous avez perçu dans les rues
45:09 de Paris. Est-ce qu'on peut encore penser
45:11 contre soi-même après le 7 octobre ?
45:13 - C'est très difficile,
45:15 mais je pense qu'on peut, et je pense
45:17 même qu'on doit, en un sens.
45:19 - Merci beaucoup, Nathan Devers. Vous avez compris.
45:21 LCP recommande chaudement
45:23 cette méditation qui n'a rien d'égocentrique,
45:25 et c'est aux éditions
45:27 Albin Michel. Allez, c'est l'heure des Affranchis.
45:29 Vous allez pouvoir réagir, c'est vous qui allez réagir
45:31 à la place du grand témoin, cette fois. On les accueille tout de suite.
45:33 Bertrand Perrier,
45:37 qui va nous surprendre ce soir avec son billet
45:39 sur le théâtre à l'école.
45:41 La séminologue Mariette Barry-Grand,
45:43 installez-vous, et meilleur vœu pour 2024,
45:45 parce que je ne vous ai pas vues
45:47 jusqu'à présent. On commence avec
45:49 Action Planète, la chronique
45:51 écolo d'Eléa Falco. Bonsoir, Eléa.
45:53 - Bonsoir. - Alors ce soir, vous nous parlez de
45:55 l'avenir des sports d'hiver et de
45:57 l'avenir des stations de ski. - Eh oui,
45:59 parce que depuis les années 70, on constate
46:01 une baisse de l'enneigement
46:03 et on considère que à chaque
46:05 degré de réchauffement climatique supplémentaire,
46:07 on perdra en France à peu près
46:09 un mois d'enneigement. Donc évidemment,
46:11 pour toute l'économie des sports d'hiver,
46:13 ça pose la question de l'adaptation.
46:15 On a en Europe plus de 2 200 stations
46:17 et la grande majorité risque d'être
46:19 menacée dans quelques décennies,
46:21 et en particulier, évidemment, celles qui sont en basse
46:23 ou en moyenne montagne. - La neige artificielle,
46:25 c'est une alternative ? - C'est une des alternatives
46:27 qui existent. Donc comment est-ce que ça marche ?
46:29 On projette de l'eau par température négative
46:31 et avant qu'elle atteigne le sol,
46:33 elle se cristallise en cristaux de glace
46:35 et donc quand ça tombe, pouf, ça vous fait
46:37 de la neige artificielle. Le principe
46:39 est pratique, mais dans les faits,
46:41 ça utilise beaucoup d'énergie
46:43 et beaucoup d'eau qui pourraient être gérées
46:45 autrement. Par exemple, je prends juste
46:47 l'exemple de l'eau. Un hectare
46:49 de neige artificielle, ça demande
46:51 par an environ 4000 mètres cubes d'eau.
46:54 C'est l'équivalent d'une piscine olympique.
46:56 Si on regarde la grande image,
46:58 on a besoin, pour la neige artificielle
47:00 en France, par an, de 28 millions
47:02 mètres cubes d'eau.
47:04 Ça ne nous dit pas grand-chose comme ça, mais en fait,
47:06 c'est la consommation en eau de 500 000 personnes,
47:08 2 000 millions de personnes. Donc c'est pas rien.
47:10 C'est des chiffres qui, en plus, sont en augmentation
47:12 et quand vous mettez un litre d'eau
47:14 dans un canon à neige, vous avez environ
47:16 30 à 40 % qui disparaît
47:18 dans le processus, c'est-à-dire qui ne revient pas
47:20 à l'état naturel immédiatement.
47:22 Si on regarde le modèle de la neige artificielle,
47:24 il y a quand même vraiment cette question qui est
47:26 comment est-ce qu'on gère la répartition de la ressource en eau ?
47:28 Et puis, en regardant un peu plus loin,
47:30 on se dit que si aujourd'hui, on manque de neige,
47:32 on a un problème pour les stations, mais que si demain
47:34 on manque d'eau, celles qui se sont tournées
47:36 vers la neige artificielle vont connaître le même problème.
47:38 - Donc, est-ce que vous recommandez qu'on ferme
47:40 tout simplement ces stations de ski ?
47:42 - La question de la fermeture, elle est intéressante
47:44 parce que le ski, il est symptomatique
47:46 de la relation qu'en tant que société, on entretient
47:48 avec l'adaptation au réchauffement climatique.
47:50 C'est-à-dire qu'on a des choses qui se raréfient,
47:52 voire disparaissent, et à côté,
47:54 on doit réussir à gérer cette raréfaction
47:56 sans pour autant que ce soit une catastrophe sociale
47:58 pour les gens qui vivent de ces activités-là.
48:00 Donc, dans la question du ski,
48:02 il y a plusieurs modèles. Il y a des stations
48:04 qui réfléchissent carrément à sortir complètement du ski,
48:06 comme la station jurassienne de Métabief,
48:08 et il y en a d'autres qui veulent diversifier leur modèle,
48:10 considérer qu'il faut sortir du tout-ski
48:12 et adopter ce qu'on appelle le modèle
48:14 quatre saisons, donc ouverture toute l'année
48:16 autour d'activités VTT, randonnées,
48:18 et ski quand c'est possible l'hiver.
48:20 C'est un modèle qui est un petit peu compliqué
48:22 économiquement parce que le ski,
48:24 c'est particulièrement pourvoyeur d'emplois
48:26 et de revenus, ce qui est beaucoup moins
48:28 le modèle des quatre saisons.
48:30 C'est vraiment un champ qui est en pleine réflexion,
48:32 mais c'est surtout un déchirement affectif
48:34 pour les habitants de ces régions-là
48:36 qui vivent du ski et du tourisme.
48:38 Il y a la vraie question de comment est-ce qu'on fait
48:40 pour accompagner tous ces acteurs-là,
48:42 tous ces gens-là, qui se retrouvent
48:44 malgré eux dans un cul-de-sac économique
48:46 et écologique, et comment est-ce qu'on fait
48:48 surtout pour réfléchir à faire autrement
48:50 sans pour autant s'encharner
48:52 dans des modèles qui ne fonctionnent plus ?
48:54 On va y arriver, Nathan Devers.
48:56 On n'en prend pas le chemin avec les JO d'hiver
48:58 en France, mais on a
49:00 les paysages, mais il va falloir faire autrement.
49:02 Vous avez raison, c'est un déchirement
49:04 affectif. C'est là qu'on voit que le réchauffement
49:06 climatique, ce n'est pas seulement quelque chose
49:08 que décrivent les scientifiques avec des chiffres
49:10 qu'on voit tous, enfin, je ne sais pas
49:12 énormément à la montagne, mais c'est vrai que
49:14 en 26 ans, j'ai pu voir
49:16 des endroits que je connais où on voit
49:18 qu'il y a une évolution, une perte de neige
49:20 et puis un désespoir des habitants,
49:22 qui est absolument terrible.
49:24 Oui, mais il y a les cas de saison, et on pourra transformer.
49:26 Les prédigeurs de la montagne, c'est sûr qu'ils le voient.
49:28 Bertrand, alors vous me surprenez ce soir.
49:30 Qu'est-ce que vous pensez de la proposition présidentielle
49:32 "théâtre, passage obligé",
49:34 je cite désormais au collège,
49:36 dès la rentrée prochaine.
49:38 Dans le principe, on ne peut qu'être d'accord.
49:40 Tout le monde connaît les vertus du théâtre
49:42 dans la formation des jeunes gens. Elles sont multiples.
49:44 La première, c'est évidemment une vertu patrimoniale.
49:46 C'est le contact avec les grands textes,
49:48 avec les grandes dramaturges.
49:50 La deuxième vertu, c'est évidemment
49:52 une vertu de pratique collective.
49:54 C'est aussi l'écoute, c'est une pratique
49:56 que l'on fait avec d'autres, c'est une pratique
49:58 de l'interaction, et puis, évidemment, j'y suis sensible,
50:00 c'est l'oralité. C'est
50:02 un corps dans l'espace, c'est une voix
50:04 que l'on projette, c'est un peu de confiance en soi,
50:06 un peu d'image de soi dont on a tant besoin
50:08 quand on est adolescent,
50:10 et puis, c'est aussi la créativité,
50:12 c'est aussi la sensibilité,
50:14 et à tout cela, on ne peut évidemment
50:16 qu'être sensible.
50:18 - Alors, vous avez des doutes, pourtant.
50:20 C'est davantage sur les conditions
50:22 dans lesquelles ces cours de théâtre vont être
50:24 faits ? - Oui, parce que
50:26 ce passage obligé, l'expression est assez
50:28 abstraite, et on n'est pas allé beaucoup
50:30 au-delà, et moi, j'ai plusieurs questions.
50:32 Évidemment, la première question, c'est qui enseigne
50:34 le théâtre ? Il y a, somme toute, très peu
50:36 d'enseignants. - Brigitte Macron ? - Oui, alors, tout le monde
50:38 beaucoup rit sur les souvenirs personnels.
50:40 Je crois qu'il faut évidemment aller au-delà,
50:42 mais, en effet, qui enseigne ?
50:44 Il y a très peu d'enseignants qui sont spécialement
50:46 formés aux cours de théâtre,
50:48 et donc, il faudra faire appel à des intervenants
50:50 extérieurs, à des comédiens,
50:52 à des troupes, avec quel budget,
50:54 selon quelle fréquence ? Deuxième question,
50:56 quel volume horaire ?
50:58 On est obsédé à l'idée de
51:00 renforcer les savoirs fondamentaux,
51:02 et on disperse de nouveau
51:04 en créant de nouvelles disciplines.
51:06 Alors, est-ce qu'on va renier sur quelque chose ?
51:08 Est-ce qu'on va ajouter à un emploi du temps
51:10 qui est déjà très chargé ? Deuxième question.
51:12 Troisième question,
51:14 quel programme ? Quel contenu ?
51:16 Quelle pièce ? Quelle évaluation ?
51:18 S'il faut évaluer les enfants là-dessus ?
51:20 Et puis, la dernière chose, qui est probablement l'essentiel,
51:22 c'est quels effectifs ?
51:24 Qui fait cours de théâtre
51:26 à une classe de 30 élèves ?
51:28 C'est absolument impossible, et on a un peu
51:30 l'impression que le président de la République
51:32 vit dans le monde qu'il a connu,
51:34 c'est-à-dire celui de l'option théâtre
51:36 que choisissait un petit nombre
51:38 d'élèves qui aimaient ça,
51:40 qui étaient volontaires, qui étaient dynamiques, qui étaient motivés.
51:42 Mais à partir du moment où on passe sur un autre modèle
51:44 qui est celui de l'obligation où tous les élèves
51:46 doivent suivre,
51:48 c'est une autre organisation,
51:50 et il faut gérer les élèves perturbateurs,
51:52 il faut gérer les élèves très réticents,
51:54 et ça, bon courage aux enseignants
51:56 qui s'en chargeront. - En somme, c'est une fausse bonne idée
51:58 pour vous ? - Non, ça peut être
52:00 une vraie bonne idée, mais c'est
52:02 une bonne idée qui requiert une mise
52:04 en oeuvre très particulière,
52:06 avec du temps, avec du budget.
52:08 En somme, la pièce
52:10 est bien écrite, mais on attend la mise en scène.
52:12 - Merci beaucoup, Bertrand Perrier,
52:14 pour ce parti pris. Gadget,
52:16 le théâtre obligatoire ?
52:18 - Je me demande, en vous écoutant, si on
52:20 pourrait pas intégrer
52:22 l'oralité, peut-être pas le théâtre, mais l'oralité,
52:24 dans des cours comme
52:26 la littérature et la philosophie. Parce que, évidemment,
52:28 découvrir un texte à l'oral,
52:30 on pense, je sais pas, découvrir Céline,
52:32 lue par Pedalidès ou par Lucchini, il y a deux écoles,
52:34 je préfère Pedalidès, mais c'est extraordinaire
52:36 et ça n'a absolument rien à voir avec le lire.
52:38 On pourrait imaginer quelque chose comme ça,
52:40 mais ce serait pas vraiment du théâtre. - Alors là, il faudrait que vous formiez
52:42 pas mal de personnel
52:44 avec Elokan Sia. - Si, si, je peux vous revenir sur ce que dit
52:46 Nathan. En réalité, cette formation à la
52:48 théâtralité trouve son prolongement
52:50 dans le grand oral du baccalauréat,
52:52 où, pour le coup, l'élève est moteur de sa
52:54 propre épreuve, il choisit son sujet,
52:56 et là, il va trouver ses propres
52:58 mots et ses propres convictions. Là, en effet,
53:00 dans ce que dit Nathan, on est un peu à
53:02 mi-chemin, finalement, on est dans le
53:04 texte, mais dans sa lecture ou dans sa
53:06 déclamation, qui est
53:08 à mi-chemin, presque, entre la théâtralité
53:10 collective et le
53:12 grand oral que l'on crée soi-même. - C'est presque un sujet
53:14 de débat, tiens, l'oralité, le théâtre,
53:16 on va y réfléchir pour la semaine prochaine.
53:18 Mariette, conférence de presse présidentielle
53:20 oblige, le mot de la semaine,
53:22 c'est "autorité". - Oui, on a eu un pic
53:24 cette semaine avec ce mot, il a été beaucoup prononcé
53:26 autour de la question, justement, de l'école,
53:28 de l'éducation, mais enfin, je dirais que dans notre série
53:30 politico-médiatique, c'est un personnage récurrent.
53:32 Ça revient très, très souvent, ça donne
53:34 envie d'imiter Flaubert, vous savez, dans son dictionnaire
53:36 des idées reçues, j'ai vérifié,
53:38 le mot "autorité" n'y est pas, mais on
53:40 pourrait avoir "autorité", deux points, "la rétablir
53:42 d'urgence". Il faut
53:44 toujours, toujours la refaire, c'était
53:46 beaucoup mieux avant, avec ce concept.
53:48 Alors, autant aller voir dans cet avant.
53:50 Qu'est-ce qu'on a dans cet avant, Myriam ? On a un sens
53:52 complètement commercial, en fait.
53:54 L'autorité, le sens premier, c'est
53:56 augmenter la valeur d'un bien
53:58 quand on vend un terrain ou une maison.
54:00 Donc, celui qui a de l'autorité, c'est celui qui vous dit
54:02 "mon bien vaut mieux que tu ne le penses".
54:04 Donc, on est dans un marchandage,
54:06 une forme de deal.
54:08 Complètement, et c'est là-dessus que j'avais envie
54:10 de déclarer le mot avec ça, parce que
54:12 on en a une vision un peu comportementale
54:14 et noble, l'autorité, c'est quelqu'un
54:16 qui arrive, justement, de manière un peu théâtrale,
54:18 éthérée. Non, c'est d'abord celui
54:20 justement qui marchande.
54:22 Alors, c'est important d'avoir ça en tête
54:24 parce que c'est comme ça que le mot se développe.
54:26 Sens 1, c'est le marchandage,
54:28 et sens 2,
54:30 c'est le marchandage de son influence.
54:32 Intéressant, c'est-à-dire que
54:34 celui qui a de l'autorité, c'est celui qui a
54:36 beaucoup d'influence sur les autres.
54:38 - C'est justement cette dimension
54:40 d'autorité-influence que les professeurs
54:42 ont bien du mal à exercer aujourd'hui.
54:44 - Les pauvres, ils vivent autant des influenceurs.
54:46 - Ah ! - C'est quand même
54:48 très difficile pour un professeur d'avoir
54:50 une parole qui aura autant d'influence,
54:52 autant de poids sur ses élèves
54:54 qui sont sensibles à tout,
54:56 aux autres codes. Donc ça,
54:58 c'est la mauvaise nouvelle, bien sûr,
55:00 on connaît les problèmes. Je vais essayer
55:02 d'en voir une bonne.
55:04 D'en voir une bonne, c'est une autre
55:06 aspiration dans notre société qui est d'être
55:08 augmenté. Vous savez, l'homme augmenté,
55:10 c'est pas seulement le cyborg avec de la technique,
55:12 c'est aussi vouloir soi-même
55:14 avoir plus de talent,
55:16 avoir plus de compétences. Pourquoi ?
55:18 Pour avoir plus de valeur
55:20 dans notre société marchande.
55:22 Donc gardons en tête cette idée,
55:24 parce qu'évidemment, on peut déplorer ça
55:26 et regretter l'instituteur à la CAMU,
55:28 ce que t'as dit,
55:30 le professeur qui m'a donné
55:32 tant, avec tant de dévotion, de gratuité.
55:34 Oui, d'ailleurs,
55:36 il y a des tas de professeurs qui sont encore dans ce schéma.
55:38 Il y a une générosité pédagogique dans notre pays.
55:40 - Dieu merci. - Faut pas l'oublier,
55:42 Dieu merci. Mais si on pousse
55:44 cette valeur marchande au bout,
55:46 il y a quelque chose d'intéressant, je trouve.
55:48 Je parle sous le contrôle de Nathan Devers, philosophe.
55:50 Anna Arendt
55:52 a bien expliqué que l'autorité
55:54 était en lien
55:56 avec la transmission culturelle.
55:58 On ne peut pas se déclarer autoritaire
56:00 si on n'a pas cette transmission,
56:02 sinon on est un despote, justement.
56:04 Alors, poussons l'idée,
56:06 c'est un capital culturel,
56:08 ça qui est en jeu aujourd'hui.
56:10 Dans notre société de marchandage
56:12 et même de deal, vous avez raison Myriam,
56:14 pourquoi ce capital culturel
56:16 ne pourrait pas être pris aussi dans une forme de deal ?
56:18 Après tout, à quoi ça va me servir,
56:20 comme disent les enfants ?
56:22 À avoir des diplômes, à avoir de l'argent,
56:24 etc. Voilà.
56:26 Je trouve que c'est intéressant,
56:28 et donc, qu'on soit très matérialiste
56:30 ou pas du tout matérialiste, en tout cas,
56:32 ce qui ne marche pas, c'est l'autorité de surface,
56:34 c'est-à-dire la grosse voix qui gronde
56:36 et le petit doigt sur la couture de l'uniforme.
56:38 - Merci beaucoup, Mariette.
56:40 Retrouvez l'idée qu'on a quelque chose à gagner
56:42 de l'autorité. Ça vous parle ?
56:44 - Oui, c'est extrêmement intéressant.
56:46 Je trouve que dans le débat public,
56:48 aujourd'hui, quand on parle beaucoup
56:50 de rétablir l'autorité,
56:52 on a un concept de l'autorité comme intimidation.
56:54 Et c'est vraiment ça dans tous les domaines.
56:56 Alors que vous le montrez très bien,
56:58 l'autorité, c'est avant tout l'admiration,
57:00 et une admiration qui doit être
57:02 quelque chose de légitime.
57:04 L'autorité, c'est presque un concept libertaire
57:06 quand on le pousse jusqu'à son paroxysme
57:08 comme vous l'avez fait.
57:10 L'autorité, c'est un concept de liberté.
57:12 C'est un concept de liberté qui est un peu
57:14 la porte de la liberté et pas du tout celui
57:16 qui va me crier dessus avec sa grosse voix
57:18 et qui peut me menacer.
57:20 - Allez, on s'arrête là.
57:22 Excellente émission, grâce à vous,
57:24 les Affranchis. Merci, Léa, Bertrand, Mariette.
57:26 Et merci à vous, Nathan Devers.
57:28 "Pensez contre soi-même", c'est donc à lire
57:30 chez Albin Michel. C'est le week-end.
57:32 Profitez bien, si vous pouvez souffler, bien sûr.
57:34 À la semaine prochaine.
57:36 Très belle soirée sur LCP.
57:38 Sous-titrage Société Radio-Canada
57:40 ...

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