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00:00 8h45, la station météo affichait -80°C et jusqu'à -100°C en température ressentie.
00:07 Notre invité à 7h45 est un médecin girondin de l'extrême.
00:10 Ce généraliste à 5 après de Bordeaux revient d'une mission en Antarctique et il répond à vos questions.
00:15 Bonjour Stéphane Fraise.
00:17 Bonjour.
00:18 Vous êtes revenu en Gironde il y a quelques jours à peine.
00:21 Avant de parler de votre aventure au bout du monde, comment se passe votre retour en terre girondine ?
00:26 C'est le plaisir de retrouver la famille, les amis, la maison, mais c'est aussi le retour au corvée du quotidien,
00:32 tous ceux dont j'avais été épargné pendant un an.
00:35 On passe d'un extrême à l'autre, on peut dire ça ?
00:38 Non, l'extrême c'était plutôt pendant nos vacances en Australie où c'était l'été et là il faisait vraiment très chaud.
00:45 Oui, parce qu'après votre long séjour sur la base Concordia, vous avez pris un peu de vacances avant de rentrer en France, c'est bien ça ?
00:50 Oui.
00:51 Et évidemment partir pour un an de mission comme vous l'avez fait, ça implique de tout plaquer pendant une longue période.
00:58 On a demandé à nos auditeurs s'ils seraient prêts à faire comme vous.
01:00 On va écouter l'avis de Quentin, c'est un jeune chaudronnier à Bordeaux.
01:04 Alors tout plaquer, oui.
01:06 Pourquoi pas ? Partir plus au chaud dans les îles ou comme ça.
01:10 Juste se lever, aller pêcher, faire un petit coup de surf, un petit barbecue sur la plage, tranquille.
01:15 Bosser, découvrir la culture, puis voilà, s'endormir à la belle étoile.
01:19 Juste vivre, simplement quoi. Ça, ça serait un kiff.
01:23 Alors c'est pas du tout ce que vous avez vécu, Dr. Freze.
01:27 C'était plutôt à l'intérieur pour rester un peu au chaud et pas à la belle étoile.
01:30 Mais qu'est-ce qui fait qu'un jour on se dit "je veux partir loin, je veux vivre quelque chose qui me sorte complètement de mon quotidien".
01:36 Oh, ça c'était un vieux rêve.
01:39 Les Terres Australes et l'Antarctique française, ça m'a toujours fait rêver.
01:43 J'avais déjà candidaté il y a une dizaine d'années, puis six mois avant le départ, j'avais eu un événement familial qui m'avait empêché de partir.
01:50 Et puis là, il y a maintenant un an et demi, j'ai vu passer une annonce "recherche en urgence, médecin pour Concordia".
01:56 C'était suite à un désistement.
01:58 Et voilà, ça a été une minute de réflexion, je crois, avant de poser ma candidature.
02:05 Parce qu'en plus, la Base Concordia, c'est vraiment ce qui peut se faire de plus extrême et de plus passionnant.
02:10 Alors justement, en quoi c'est extrême la Base Concordia ?
02:12 Donnez-nous un petit peu la carte postale, si je puis dire.
02:15 Alors c'est la seule base antarctique multinationale, puisqu'elle est franco-italienne, gérée par l'Institut Polaire Français et son homologue italien, le PNRA.
02:24 On est à 1200 km de la côte, donc c'est une des trois seules stations au monde qui soient à l'intérieur du continent.
02:31 Et puis on est à 3200 m d'altitude, ce qui est un équivalent quasiment de 4000 m, puisqu'au pôle, l'atmosphère est plus fine.
02:39 Donc autour de vous, c'est du blanc uniquement ?
02:42 C'est plat, c'est blanc, c'est bleu, c'est noir pendant la nuit.
02:47 Puis il y a les couleurs du ciel, mais sinon le sol est plat et blanc, à l'horizon.
02:52 Comment on appréhende ça ? Les premiers jours, ça doit être quand même assez déstabilisant ?
02:56 Oui, en même temps, les premiers jours, quand on arrive, c'est un peu un tourbillon, parce qu'on arrive en campagne d'été, il y a beaucoup de monde sur la station, il y a tout à découvrir, tout à prendre en main.
03:04 Donc finalement, on est très occupé pendant cette période-là. Mais oui, c'est complètement nouveau.
03:11 On va parler de votre activité de médecin dans un instant, mais justement, maintenant que vous êtes rentré, qu'est-ce qu'on retient de cette année ? Le froid, d'abord ?
03:18 Alors, à Concordat, le plus dur, ce n'est pas tant le froid, parce qu'on passe beaucoup de temps dans la station, et quand on sort, on a un équipement qui nous permet de gérer le froid assez facilement.
03:27 Mais c'est le manque d'oxygène, en fait. On est sur des pressions d'oxygène très très basses, et j'ai passé un an à être essoufflé au moindre effort, même à la parole.
03:35 Voilà, ça c'est assez pénible à vivre sur la longue durée.
03:39 Ça a eu un impact d'ailleurs sur vous cette année, sur la base Concordat, sur la personne que vous êtes ? Alors, je ne sais pas si c'est physiquement ou psychologiquement, mais...
03:46 Ah, c'est une bonne question. Je pense que c'est un peu l'avenir qui le dira.
03:49 Je pense que sur le plan social, sur le plan humain, il y a sûrement des choses qui ont pu évoluer, puisque ce n'est pas rien de vivre à 12, enfermé, 24h/24.
03:57 Je ne sais pas. Je verrai maintenant que je vais reprendre un petit peu un rythme plus normal, et qu'est-ce qui reste de cette expérience.
04:04 Donc, vous étiez le médecin de cette base. J'imagine que c'est très très loin de l'activité que vous pouvez avoir à Saint-Caprède-Bordeaux ?
04:11 Oui. Déjà parce que potentiellement, il faut être amené à faire n'importe quoi. Donc, on a une formation de 4 mois avant le départ, avec des formations en chirurgie, en anesthésie, en radiologie, en dentisterie, etc.
04:24 Plein de choses que je ne fais évidemment pas au quotidien dans mon cabinet. Dans les fêtes, on a eu plutôt de la chance, et j'ai eu essentiellement des petits soins à faire, pas mal de soins dentaires.
04:34 Après, il y a tout l'aspect psychologique qu'il faut également prendre en charge.
04:41 Notamment pendant la nuit, qui dure de longs mois ? C'est une période difficile ? Ou le jour peut-être ? En tout cas, l'absence de variation ?
04:48 Oui. Classiquement, dans ce genre de mission en cours, la partie la plus compliquée, c'est ce qu'on appelle le troisième quart.
04:54 En gros, la première moitié se fait avec tout ce qui est découverte, mis en place. On est souvent assez actifs.
05:00 Il y a dans les stations antarctiques une fête autour du saucisse d'hiver, le 21 juin, ce qu'on appelle la mid-winter, qui est un moment festif, où il y a beaucoup de préparation.
05:11 C'est souvent un moment très dynamisant. Et puis après, on arrive dans une période qui est encore un peu creuse. C'est la nuit, c'est le creux de l'hiver.
05:17 Il n'y a plus vraiment de découvertes, plus vraiment de nouveautés. Et puis en même temps, le retour est encore assez loin. Donc c'est souvent cette période qui est un petit peu compliquée.
05:24 7h48 sur France Bleu Géant. Notre invité ce matin, le Dr Stéphane Fraise, médecin généraliste à 5 à Prêt-de-Bordeaux, de retour d'une mission en Antarctique.
05:31 Comment est-ce qu'on occupe ces journées quand on ne soigne pas les personnes qui vivent sur cette base, Dr Fraise ?
05:37 J'ai eu pas mal de boulot parce que la gestion de l'hôpital est passée d'Italie à la France en mars dernier.
05:43 Donc j'ai eu tout un travail de mise à jour et de bascule dans le système français, entre guillemets.
05:48 Beaucoup de travail d'inventaire, d'entretien parce qu'encore une fois, il s'agit d'être prêt. Il s'agit que les machines soient prêtes et fonctionnelles à tout moment.
05:55 Ça, ça m'a pas mal occupé. Et puis après, il y a le temps de loisir où j'ai beaucoup lu.
06:00 Il y avait des soirées de jeu aussi avec mes camarades hivernants.
06:05 Et la vie, là justement, presque en autarcie, on peut dire ça, avec 12 personnes, vous le disiez, l'hiver, comment est-ce que ça se passe au quotidien ?
06:12 Alors c'est très variable d'une année à l'autre. Une des particularités, c'était que pour la première fois depuis très longtemps, on était une équipe 100% masculine, ce qui n'est pas forcément optimal, mais bon, ça s'est fait comme ça.
06:22 Il y a des moments collectifs. Alors ce qui était, entre guillemets, obligatoire, il n'y avait pas de réelle obligation, mais ce à quoi on s'est traîné, c'était d'avoir des repas communs à midi et le soir.
06:32 Le soir, il y avait souvent, mais c'était là aussi assez variable d'un jour à l'autre, selon les individus, des moments où on regardait un film, on faisait des jeux ensemble.
06:42 Et puis, ou alors, après on a chacun notre chambre et ça peut être des activités plus tranquilles, chacun pour soi.
06:50 Je crois avoir su que vous ne mangez pas trop mal sur cette base concordiaque. Vous étiez plutôt bien accompagné en cuisine.
06:56 Oui, alors on a eu de la chance puisqu'on a eu un cuisinier qui était un ancien chef 3 étoilés au Michelin italien, qui était en plus quelqu'un d'adorable et extrêmement impliqué.
07:07 Ceci dit, il faisait avec ce qu'on avait, donc en termes de produits frais, par exemple, c'était vite limité. On a eu une dernière livraison au début février.
07:15 Ça a tenu quelques semaines et puis rapidement, on n'a plus eu de produits frais. Je crois que la dernière pomme a quand même tenu jusqu'en septembre.
07:21 Après, on ne manquait pas de congelés ou d'autres produits, donc ça permettait de faire une cuisine assez sympa.
07:29 Est-ce que ça a répondu à vos attentes personnelles, professionnelles, cette mission en Antarctique ?
07:35 Oui, alors oui. Professionnellement, ça a resté un challenge. En particulier, toute la partie de formation, ça m'a énormément enrichi.
07:45 Et sur le plan humain, je pense qu'on se découvre, on découvre un peu les autres, on découvre là aussi ses limites, enfin ce que ça peut vouloir dire de vivre dans des conditions aussi extrêmes.
07:55 Moi, j'y suis beaucoup allé pour ça, pour vivre un peu cette expérience de petit équipage en autarcie, où finalement on dépend totalement les uns des autres.
08:03 Donc oui, ça c'est quelque chose de tout à fait passionnant à vivre.
08:08 Et vous êtes revenu avec une envie de repartir, peut-être pas sur la base Concordia, mais de mener de nouveau ce genre de mission ?
08:14 Alors, je ne sais pas de quoi l'avenir sera fait. Après, il y a aussi la famille, donc je n'ai pas forcément envie non plus de leur infliger ça.
08:20 C'est quand même une épreuve aussi pour ceux qui restent. Donc à priori, ce n'est pas programmé dans l'immédiat, non.
08:25 Et est-ce que ça peut avoir un impact sur votre façon d'exercer en tant que médecin généraliste dans l'entre-deux-mères ?
08:31 Ou vous reprenez le cours de votre vie, finalement ?
08:34 Sur le plan purement médical, à priori, je ne vois pas trop. Enfin, je n'ai pas prévu de faire d'appendicectomie dans mon cabinet, ni de soins dentaires.
08:41 Après, sur le plan humain, sûrement que ça m'aura un peu changé. J'espère vers du mieux et que c'est quelque chose aussi dont je pourrais m'enrichir dans ma pratique quotidienne.
08:50 Nouveau patient que vous retrouvez la semaine prochaine, je crois, du côté de Saint-Claude.
08:53 Oui, reprise lundi prochain, oui.
08:55 Merci beaucoup, Dr. Freze, d'avoir été avec nous ce matin pour nous parler de votre expérience en Antarctique pendant un an. Merci beaucoup à vous.
09:01 Merci à vous.
09:02 retrouver l'interview de cette aventure hier.