• il y a 10 mois
« Si j’ai commencé à témoigner en 1985, c’est parce que je n’étais pas contente ». Rescapée d’Auschwitz, Esther Senot n’avait jusqu’à cette date-là pratiquement jamais parlé de sa déportation. À son retour à Paris à l’été 1945, où elle cherche en vain ses parents, ses cheveux encore ras la rendent suspecte. Quarante ans plus tard, elle décide de se rendre en Pologne, le pays de sa famille, qu’elle ne connaissait pas, hormis pour cette parenthèse atroce. La guide était polonaise. « À Varsovie, je demande à voir le ghetto, elle me répond, il n’y a plus rien. J’insiste pour aller voir au moins le monument. Puis on offre au groupe le choix entre une soirée folklorique à Cracovie et une visite d’Auschwitz. Nous préférons la seconde option ».

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Transcription
00:00 "Faites pas de délusion, vous êtes rentrés ici par la porte, vous n'en sortirez pas la cheminée.
00:04 Tant que vous pourrez travailler, vous travaillerez, il n'y a aucune espérance de survie."
00:08 Au mois de juin 1942, il y avait des bruits de cucourailles qui allaient avoir des rafles.
00:18 Ma mère avait 50 ans, mon père 52 ans, j'avais ma soeur qui avait 16 ans,
00:23 moi j'avais 14 ans et un petit frère de 11 ans.
00:25 Quand je suis arrivé, que je suis monté à l'appartement, il y avait les scellés.
00:29 Je ne comprenais pas ce que c'était.
00:30 Alors je suis descendu en disant "qu'est-ce qui s'est passé ?"
00:33 Ils m'ont dit "le policier est revenu"
00:36 et puis évidemment ils ont arrêté mes parents et mon petit frère qui avait 11 ans.
00:40 Mais mon petit frère était né en France.
00:42 Ils ont été directement envoyés à Drancy et ils ont été déportés le 19 août 1942.
00:48 Alors j'ai fait le tour du quartier pour voir s'il y avait des membres de ma famille,
00:51 il n'y avait plus personne.
00:52 Alors j'ai commencé à pleurer parce que je ne savais plus où aller.
00:55 Le 24 août 1942, le policier est allé à Drancy pour faire partie du transport.
00:59 Il a été arrêté en 1943 et il a été arrêté en 1944.
01:02 Il a été arrêté en 1946 et il a été arrêté en 1947.
01:05 Je suis arrivé vers le 24 ou le 25 août à Drancy.
01:12 J'y suis resté presque une semaine ou une dizaine de jours, pas plus.
01:15 Et puis on a été désigné pour faire partie du prochain transport
01:18 qui soit disant allait travailler dans des camps de travail en Allemagne.
01:22 Je me suis dit quand même qu'est-ce que tous ces gens-là vont aller faire dans des camps de travail en Allemagne ?
01:26 Les gendarmes nous disaient pour nous rassurer,
01:28 "Oh, ne vous inquiétez pas, vous les jeunes, vous irez travailler."
01:31 Ils nous ont précipité dans ces wagons à bestiaux, à 50-60 personnes par wagon.
01:37 Ils nous ont mis un seau avec de l'eau parce qu'il faisait très chaud déjà,
01:41 le 2 septembre il faisait encore très chaud.
01:43 Ils nous ont mis un teneau pour les besoins hygiéniques.
01:45 Alors il y avait beaucoup de femmes avec des enfants, des femmes qui venaient d'accoucher.
01:49 Enfin, vous voyez, des personnes âgées, ça a été affreux.
01:52 La première nuit déjà des personnes qui sont décédées, les bébés qui hurlaient.
01:56 Alors le premier jour, évidemment, le seau avec de l'eau, il a été épuisé, tout le monde avait soif.
02:02 Et puis le deuxième jour, le teneau était plein, il s'est renversé.
02:05 On a fini dans les excréments et le train s'est arrêté sur une immense quai.
02:09 C'était un quai qui se trouvait à 2 km entre Schwyz et Birkenau.
02:13 Quand les portes se sont ouvertes, on a vu arriver les premières capots.
02:17 Les femmes allemandes à coups de gourdin pour nous faire descendre des wagons à bestiaux.
02:22 Évidemment, vous savez, il n'y a pas de marche-pied.
02:24 Les premiers qui sont descendus ont commencé à tomber.
02:27 Ça a été une pagaille terrible pour faire descendre tous ces gens.
02:30 Une fois que tout le monde a été aligné, on a vu arriver les premiers déportés
02:34 qu'on les reconnaissait avec leurs pigeons arrayés.
02:36 Ils passaient derrière nous, furtivement nous disant
02:39 "Ne prenez pas d'enfants avec vous, donnez-les aux personnes âgées".
02:42 Vous ne comprenez pas ?
02:43 Et puis finalement, sur cet entrefait est arrivé un Allemand, un K.O. parleur,
02:48 en disant que les personnes âgées, les enfants, les femmes qui étaient fatiguées
02:51 pouvaient monter dans les camions, ça leur faciliterait l'arrivée au camp.
02:54 Vous aviez pratiquement 650 personnes qui sont montées dans les camions.
02:58 Quand je suis descendu, je suis tombé et j'ai encore la plaie.
03:03 Vous voyez ?
03:04 Je suis tombé dans la caisse, j'avais le genou qui saignait.
03:08 Alors je m'étais dirigé vers les camions, puis il y a un SS qui m'a attrapé par le dos,
03:12 en me disant "Vous êtes jeune, vous pouvez marcher".
03:14 On a été sélectionnés à 106 femmes.
03:16 On a été mis de côté, les autres ont été envoyés vers les camions,
03:19 directement à la chambre à gaz.
03:21 Le portail s'est ouvert, la chose qu'on a vue, c'était cette espèce de fumée épaisse, toute noire.
03:31 Adrian Ché a fait la connaissance d'une jeune femme qui avait 5 ou 6 ans de plus que moi, Marie.
03:35 Je me dis "Mais qu'est-ce que c'est que ça ?" ça sentait mauvais.
03:37 Et puis une fois qu'on a été douchés, on nous a remis dans un autre barraque,
03:41 où il y avait des grandes tablées avec des hommes derrière,
03:44 qui nous ont rasés entièrement et qui nous ont tatoué un numéro sur le bras.
03:47 On ne comprenait pas ce qui nous arrivait.
03:49 Alors au bout d'un moment, on leur a demandé "Mais les personnes qui sont montées dans les camions,
03:53 à quel moment on va les retrouver ?"
03:55 On a eu l'explication en nous disant "Vous ne faites pas de délusion,
03:57 vous êtes rentrés ici par la porte, vous ne l'en sortirez pas par la cheminée.
04:00 Tant que vous pourrez travailler, vous travaillerez, il n'y a aucune espérance de survie.
04:04 Tant que vous travaillerez, vous resterez là, le jour où vous ne pourrez plus, vous finirez comme les autres."
04:10 Retrouver ma soeur dans cet état-là, moi je ne l'ai pas reconnue.
04:13 Ça faisait presque dix mois qu'elle était à Auschwitz.
04:16 Alors évidemment, les retrouvailles ont été un peu pénibles.
04:20 Elle m'a dit "Écoute, pour moi c'est la fin."
04:22 Elle s'est soulevée, elle m'a dit "Toi t'es jeune, la guerre va bientôt finir."
04:25 Et elle s'est tenue le coup.
04:26 Et puis elle dit "Tu me promets, si tu as une chance de revenir,
04:29 de raconter ce qui nous est arrivé, qu'on ne soit pas les oubliés de l'histoire."
04:32 Et puis évidemment, elle est retombée sur sa pailleuse, moi j'ai été obligé d'aller travailler.
04:36 Et puis quand je suis revenu, je savais très bien où elle avait fini.
04:39 Les capos sont arrivés pour nous faire sortir en disant "Prenez vos affaires, prenez votre couverture, on évacue le camp."
04:50 Ça c'était le 17 janvier 1945.
04:53 Et c'est ce qu'on a appelé la marche de la mort.
04:55 Premier jour en rang par cinq, encadré par les SS.
04:58 Le deuxième jour, évidemment, les rangées par cinq, elles se disloquaient un petit peu.
05:03 Parce que pour marcher par moins de 20 degrés, avec de la neige glissante,
05:09 et celles qui tombaient, les SS, ils les sortaient des rangs, ils leur mettaient une balle dans la nuque.
05:14 On a marché pendant trois jours, comme ça, jusqu'à Gleiwitz.
05:17 Alors on nous a fait monter dans des wagons découverts.
05:20 Et là on est arrivé au camp de Bergen-Belsen.
05:22 Alors là, ça a été l'horreur.
05:24 C'était la pagaille complète.
05:26 Les Allemands n'évacuaient même plus les barraques où les gens étaient entassés.
05:31 À une heure de l'après-midi, on a vu le drapeau blanc sur la forteresse de Mauthausen.
05:36 Donc les Allemands avaient mis le drapeau blanc, ils avaient ouvert les portes, ils étaient partis.
05:40 En disant que de toute façon, ils n'allaient pas laisser de survivants, qu'ils allaient revenir, qu'ils allaient tuer tout le monde.
05:44 Enfin, ils faisaient ça à chaque fois qu'il fallait évacuer un camp.
05:47 On s'est dit, qu'est-ce qu'on fait ?
05:49 Alors il y en a une qui dit, si on sort, ils vont nous tirer dessus.
05:53 Ben je dis, si on reste, ils nous tireront dessus quand même.
05:55 Alors je dis, on va risquer.
05:57 Donc on est sortis, on est arrivés dans une clairière, où là il y avait un bâtiment.
06:01 C'était un ancien couvent.
06:03 Et devant la porte de ce couvent, il y avait des prisonniers de guerre français qui travaillaient comme aides infirmières.
06:08 Alors, ils nous ont désinfectés, bien sûr.
06:11 Ils nous ont fait prendre une douche.
06:13 Ensuite, ils nous ont pesé. Je devais peser 32 kilos.
06:21 Des gens qui sont venus vers nous à Belleville en nous disant, qu'est-ce qui vous est arrivé ?
06:25 Racontez-nous.
06:26 Enfin bref, on a commencé à parler avec Marie, ce petit attroupement.
06:30 Puis d'un seul coup, il y a un bonhomme qui s'est déchaîné, qui m'a dit,
06:33 mais vous êtes venus folles, vous racontez n'importe quoi, ça ne peut plus exister.
06:37 Quelle idée de propager des histoires pareilles ? Un vrai scandale.
06:40 Et il nous a regardés en disant, au fait, vous êtes revenus si peu nombreuses.
06:44 Qu'est-ce que vous avez fait, vous, pour revenir et pour nous faire des histoires ?
06:47 Au fait, vous êtes revenues si peu nombreuses.
06:49 Qu'est-ce que vous avez fait, vous, pour revenir et pour les autres ?
06:52 Alors, vous voyez, on a été culpabilisés d'être revenus.
06:55 [Musique]

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