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00:00 Les premières décisions de la Cour internationale de justice sont donc tombées tout à l'heure sur, je vous le disais, des mesures d'urgence qui étaient réclamées par l'Afrique du Sud concernant le conflit au Proche-Orient.
00:11 La Cour a donc demandé à Israël de permettre l'accès à l'aide humanitaire à Gaza.
00:15 Elle lui ordonne de prévenir et de punir l'incitation au génocide sans pour autant lui demander de stopper son offensive sur la bande de Gaza.
00:23 On en parle donc avec Gauthier Rabinski. Bonjour Gauthier.
00:26 Il y a eu beaucoup de réactions depuis ces décisions de la CIG, beaucoup de réactions de satisfaction, notamment évidemment de l'autorité palestinienne du côté du Hamas,
00:34 mais aussi en provenance d'Iran, de Turquie, qui profite certainement de cette situation, mais aussi de certains pays qu'on appelle du Sud global et en premier lieu l'Afrique du Sud.
00:45 Oui, l'Afrique du Sud, Sud global, on va y revenir, mais aussi BRICS, cette association finalement de pays qui sont soit émergents, soit déjà développés,
00:57 mais qui font pour but de s'opposer à une forme d'ordre qu'établit et que dirigent les États-Unis, notamment dans les échanges internationaux.
01:05 Donc l'Afrique du Sud n'est pas allée toute seule au charbon, si j'ose dire.
01:09 Il y a la volonté, et dans ce Sud global, même si tout le monde ce n'est pas un monolithe, mais il y a la volonté de s'affirmer contre ce qu'a été, ce qu'on estime être une mémoire occidentale.
01:22 Et que cette mémoire occidentale en quelque sorte obliterait celle ou camouflerait celle des peuples ex-colonisés,
01:31 et qu'en quelque sorte, quand il s'agit justement de s'adresser à Israël, on s'adresse par la même à l'ensemble de l'Occident.
01:38 Ce qui veut dire qu'on ne considère pas le problème tel quel, c'est qu'il y a derrière une volonté, que l'on peut comprendre par ailleurs,
01:44 qu'il y a une volonté de remettre sur le tapis des choses qui ont été encore cachées,
01:48 y compris, nous le savons nous, à propos du comportement de la France durant la période de colonisation.
01:55 Très bien, mais là vous voyez, on se trompe probablement d'objectif.
01:59 Et c'est la raison pour laquelle ce terme de génocide, qui a été employé par l'Afrique du Sud, y compris par les juges, a quelque chose d'hypocrite.
02:07 Parce que, d'abord, vous avez remarqué que la Cour internationale de justice ne nomme pas ceux qui, effectivement, en Israël, indirectement appellent au génocide.
02:18 L'extrême droite israélienne, quand elle crie "mort aux Arabes", oui, bien sûr, c'est un appel au génocide.
02:23 Mais dans ce cas-là, il faut les nommer, et non pas dire "il y a une impression de génocide en Israël".
02:28 C'est absurde.
02:30 La deuxième raison, c'est que quand vous galvaudez un terme aussi grave que "génocide",
02:36 je le répète encore, c'est la préparation industrielle ou quasi-industrielle de la disparition, de l'assassinat d'une population.
02:45 - Et l'intention. - Et l'intention.
02:47 Quand vous galvaudez ce terme, après, quand vous aurez un vrai génocide, vous l'appellerez comment ?
02:51 Vous aurez un superlatif de type giga-génocide, ultra-génocide ?
02:55 Qu'est-ce qu'on dira ? Qu'est-ce qu'on dira aussi quand on sera obligé de relâcher,
02:59 par exemple, des responsables ou des soldats israéliens qui auraient commis des atrocités ?
03:05 Et si on se trompe de qualification juridique, on devra les relâcher ?
03:09 Et puis, en fin de compte aussi, l'idée, si vous voulez, de galvauder un terme pareil, rend inefficace son utilisation.
03:17 Et puis, je voudrais terminer par quelque chose qui est important,
03:21 c'est que ce que fait Israël sur la bande de Gaza est évidemment inadmissible.
03:26 Mais vous n'avez pas besoin d'un superlatif pour traiter la question, pour la qualifier.
03:31 Oui, il y a du colonialisme. Oui, il y a du mépris pour les Palestiniens.
03:35 Parfois, il y a du racisme. Vous pouvez employer toutes sortes de choses.
03:38 Mais le terme de génocide n'apporte rien.
03:41 Et vous pouvez très bien être tout à fait critique vis-à-vis de l'attitude d'Israël,
03:45 d'une part, sans oublier ce que le Hamas a fait, parce que ça, c'est capital aussi dans le genre.
03:51 Alors là, ce n'est pas un génocide non plus, mais c'est une forme symbolique de volonté de tuer.
03:57 Là aussi, vous ne pouvez pas faire l'économie des deux.
04:01 Et au fond, vous aviez raison de poser la question.
04:03 De la sorte, c'est qu'il y a derrière ça des mémoires qui s'affrontent.
04:07 Mémoire de ce qu'a été la Shoah, pour les Juifs et pour les Israéliens, pour ceux qui ont survécu,
04:13 et mémoire du colonialisme.
04:15 Et au fond, il n'y a pas à se battre en ce sens, ces deux mémoires.
04:17 Il n'y a pas d'antinomie. On peut les associer.
04:20 Simplement, et je termine là pour de vrai, vous avez des gens qui essayent de manipuler ce Sud global.
04:25 Vous avez un Vladimir Poutine qui dit "je veux libérer du colonialisme et de l'impérialisme le Sud global".
04:31 Eh ben oui, si on a un qui est impérialiste, c'est bien le néo-tsariste.
04:34 - Et parmi les réactions, donc la Turquie ?
04:37 - Ah ben, je t'ai pas donné ! C'est quand même invraisemblable !
04:40 Voilà quelqu'un qui est l'héritier d'un nationalisme grand turc,
04:43 qui a commis le génocide contre les Arméniens à partir de 1915.
04:48 Alors vous me direz voilà, peut-être qu'aujourd'hui, effectivement,
04:50 tout en ne reconnaissant pas ce génocide, il en sait long là-dessus,
04:53 mais il se prononce en disant "c'est formidable que la Cour internationale de justice ait pris ce jugement".
04:59 Tout ça n'est pas sérieux, et ça va à l'encontre de ce qui pourrait être un vrai combat
05:03 contre précisément tout ce qui est de l'ordre de menées anti-humaines,
05:08 qui sont des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre.
05:11 Là, au fond, c'est un jugement qui est ambigu et qui est un peu hypocrite
05:16 et qui ne fait pas avancer les choses, si ce n'est conforter certains
05:19 dans l'idée qu'ils ont bien fait d'intenter une telle action.
05:23 Encore une fois, cette action, elle ne rend pas la chose israélienne pire.
05:28 Ce que font les Israéliens sur Gaza est déjà bien suffisant
05:31 dans le terme d'inadmissible et d'insupportable.
05:35 Et de son côté, Israël dénonce sans surprise ses décisions
05:38 et réaffirme qu'elle mènera sa guerre jusqu'au bout.
05:41 C'est ce qu'a répété tout à l'heure Benyamin Netanyahou.
05:44 Oui, parce que justement, ce qui est terrible dans cette affaire,
05:48 c'est que vous avez aussi bien côté palestinien qu'israélien
05:51 des élites qui s'enferment même dans la psychologie de la souffrance.
05:57 Netanyahou, on l'a dit souvent sur ce plateau,
06:00 s'est vendu, entre guillemets, quand il est accédé au pouvoir,
06:03 comme celui qui n'accepterait jamais un État palestinien,
06:06 comme celui qui essaierait de protéger les Israéliens,
06:10 mais quelqu'un aussi qui avait dit aux Israéliens
06:12 "Nous ne connaîtrons jamais la paix absolue".
06:15 Quand vous êtes dans cette psychologie-là,
06:17 vous ne pouvez pas faire avancer les choses.
06:19 Et c'est pour ça qu'effectivement, il se renferme
06:21 dans quelque chose qui le protège aujourd'hui,
06:23 qui consiste à dire "Nous irons jusqu'au bout".
06:25 Et cette réflexion, elle part d'un constat
06:28 qui est là aussi forcé et exagéré.
06:30 Puisque tout le monde est contre nous,
06:32 eh bien c'est nous qui avons raison.
06:34 Vous savez bien, ça c'est aussi ce qui procède,
06:36 ce qui préside aux théories complotistes.
06:38 Puisque tout le monde est opposé à ce que nous pensons,
06:41 c'est nous qui avons raison.
06:42 Ce n'est pas avec ça qu'on avance,
06:44 ni du côté israélien,
06:45 et puis de l'autre côté, vous savez ce qu'est le Hamas,
06:48 ou ce qu'est l'autorité palestinienne.
06:50 - Merci beaucoup Gautier.