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Art et designTranscription
00:00 Jusqu'à 13h30, les midis d'Occulture.
00:05 Nicolas Herbeau, Géraldine Mosnassavoir.
00:09 Place à la rencontre.
00:11 Aujourd'hui, notre invité est réalisateur.
00:13 Mercredi sortira dans les salles son dixième long métrage.
00:17 Dire qu'il est l'adaptation libre du court roman d'Henri James, "La bête dans la jungle", n'est peut-être pas suffisant.
00:23 Alors, certes, du livre, il reste l'angoisse sourde et irrépressible de la catastrophe.
00:28 Le voisinage du pire, l'imminence du drame, celle que ressent l'héroïne Gabrielle Monnier.
00:34 Comme si une bête était tapie dans l'ombre.
00:36 Mais dans ce film qui s'étire jusqu'en 2044, le temps n'est plus à l'angoisse mais à l'intelligence artificielle.
00:43 Un temps sans douleur ni pressentiment, un désert d'émotion.
00:47 Gabrielle doit alors choisir se débarrasser de cette bête ou se jeter dans sa gueule.
00:53 Bertrand Bonnello, bonjour.
00:54 Bonjour.
00:55 Bienvenue dans les midis de Culture.
00:56 Merci.
00:57 Bertrand Bonnello, quand est-ce que vous avez découvert ce court roman d'Henri James qui est connu, lu, qui a été beaucoup adapté ?
01:04 C'est un roman qui m'a beaucoup accompagné, que j'ai découvert peut-être il y a une vingtaine d'années, que j'ai relu régulièrement.
01:12 C'est un roman qui, je crois qu'à l'endroit du mélodrame, j'ai rarement lu quelque chose d'aussi précis, déchirant, beau, émouvant, tragique.
01:26 Et voilà, je pense qu'Henri James, c'est quelqu'un qui est vraiment tardif dans son œuvre, n'a pas son égal à un moment pour scruter l'âme humaine et la décrire.
01:40 Vous avez dit que c'était une forme d'excellence peut-être dans le mélodrame.
01:46 Vous y avez vu tout de suite une dimension psychanalytique ? Parce que pour moi, ce roman parle de l'angoisse.
01:53 Ce que j'aime beaucoup, c'est que les deux sentiments dont le roman parle, c'est l'amour et la peur.
02:00 Et que ce sont deux sentiments qui pour moi vont très bien ensemble.
02:04 Deux sentiments qui font qu'on se sent très vivant.
02:08 Dans le cas de James, c'est la peur d'aimer, mais je veux dire, la peur et l'amour, ça peut être aussi la peur de la perte.
02:13 J'ai poussé ces deux curseurs de la peur et l'amour très loin, puisque du roman, je n'ai pris que l'argument.
02:22 L'argument qui est assez simple, qui est assez court, etc.
02:26 Et après, je l'ai explosé en explosant le temps, en explosant les époques, en diffractant tout ça.
02:32 Mais en gardant ces deux sentiments très simples comme vecteur.
02:36 La peur et l'amour, comment ils travaillent l'un avec l'autre.
02:39 La peur qui est un sentiment qui est magnifique aussi, qui est chassé en 2044.
02:47 C'est ce que j'essaie de dire à ma fille tous les jours, qui me dit qu'elle a peur.
02:51 Je lui dis, mais c'est bien d'avoir peur.
02:53 Alors, il y a deux sortes de peur.
02:54 Alors, dites-nous.
02:55 Il y a une peur que je trouve très belle, parce qu'elle fait qu'on est osagué, comme un animal.
02:59 Et en étant osagué, on perçoit le monde, on le reçoit, on perçoit, on est présent à l'autre, on est présent au monde.
03:06 On est plus lucide.
03:07 On est plus lucide parce qu'on voit tout, on regarde tout, etc.
03:09 Et après, il y a une peur atroce qui est celle qui paralyse.
03:11 C'est celle-là dont il faut se débarrasser.
03:14 Mais l'autre, elle est synonyme d'être vivant.
03:17 Mais même celle qui paralyse, elle est quand même intéressante, Bertrand Bonello.
03:22 On ne peut pas...
03:23 Les angoisses que ressent le personnage masculin chez Henry James, mais que va ressentir l'héroïne Gabrielle Monnier,
03:30 interprétée par Léa Seydoux, car c'est une inversion que vous faites aussi par rapport au texte d'Henry James.
03:34 Vous n'exposez pas que le temps, vous inversez aussi les rôles féminins et masculins.
03:38 Même cette peur qu'elle ressent parfois et qui semble l'empêtrer, la pétrifier, elle a quelque chose de magnifique.
03:47 C'est des moments de latence, de suspension.
03:50 On voit bien qu'il se produit des choses pendant ces moments-là de pétrification.
03:53 Il se produit des choses et ça l'empêche de faire des choses.
03:56 Ça l'empêche de s'abandonner.
03:57 Ça l'empêche de s'abandonner à une grande histoire d'amour.
04:00 Ça c'est pour la partie en 1910 et on peut dire qu'en 2014, les choses s'inversent,
04:04 puisque c'est lui qui, même s'il ne le verbalise pas, il le verbalise d'une autre manière, a peur de s'abandonner.
04:11 Alors lui, il le verbalise différemment, il le verbalise par la haine en fait.
04:14 Mais c'est aussi l'époque qui n'est plus du tout la même.
04:17 Il transforme sa peur d'aimer en "Elles ne veulent pas de moi, donc je les déteste, donc je vais les tuer".
04:24 On va revenir précisément sur cet argument, parce que là vous allez vite sur ce personnage de Louis.
04:28 - C'est juste sur la peur. - En 2014, mais sur la peur, voilà.
04:30 Donc sur la peur, pour vous, il y en a une mauvaise et il y en a une bonne.
04:34 Et celle qui est bonne, il faut la conserver à tout prix.
04:37 - Ah, celle qui est bonne, pour moi, elle est synonyme d'être aux aguets du monde.
04:42 Et ça, c'est toujours bien.
04:44 - Moi, je crois que je garderai les deux.
04:45 Allez, on va écouter la bande-annonce et on va revenir justement sur ces trois périodes,
04:48 sur la manière dont vous avez explosé le cadre du roman d'Henri James.
04:52 - Votre projet personnel ?
04:55 - Travailler.
04:57 - Vous avez beaucoup trop d'affects.
04:59 - Il faut choisir entre le travail et les affects ?
05:01 - Oui. L'intelligence artificielle peut vous aider à vous débarrasser de vos affects.
05:05 En purifiant votre ADN, vous allez replonger dans vos vies antérieures,
05:11 pour nettoyer les traumatismes dont vous avez hérité depuis des siècles.
05:14 - J'ai le sentiment très profond que quelque chose de terrible va arriver.
05:19 - Vous vous souvenez, n'est-ce pas ?
05:21 - De quoi ?
05:22 - Que nous nous sommes déjà rencontrés.
05:24 - Ah oui ?
05:25 - On a parlé d'une chose étrange, rare et terrible.
05:29 - Vous êtes convaincue que cela vous éviterait de vous lutter ?
05:33 - J'ai oublié de partager telle confiance.
05:38 - Est-ce qu'il y a un risque ?
05:39 - Bien sûr.
05:40 - Il y a une bête prête à bombir.
05:43 - N'aie pas peur.
05:44 - Quelqu'un va mourir.
05:46 - Peut-être vous, peut-être un proche.
05:49 - Qu'est-ce qui est plus fort ?
05:51 - Ta peur ou ton amour pour moi ?
05:54 - Je suis heureux de vous voir.
05:56 - Je suis heureux de vous voir.
05:57 - Je suis heureux de vous voir.
05:58 - Je suis heureux de vous voir.
05:59 - Je suis heureux de vous voir.
06:00 - Je suis heureux de vous voir.
06:01 - Je suis heureux de vous voir.
06:02 - Je suis heureux de vous voir.
06:03 - Je suis heureux de vous voir.
06:04 - Je suis heureux de vous voir.
06:05 - Je suis heureux de vous voir.
06:06 - Qu'est-ce que c'est que votre amour pour moi ?
06:07 - Parce que vous pensez que je vous aime.
06:10 - Votre film s'appelle "La bête", Bertrand Bonello.
06:15 Il sort mercredi dans les salles.
06:17 Il est avec Léa Sédoux qui interprète Gabrielle Monnier.
06:20 Gabrielle Monnier qui est persuadée qu'une bête est tapie dans l'ombre.
06:25 On la découvre en 2044 dans un monde dominé par l'intelligence artificielle.
06:29 Et pour pouvoir travailler, elle doit faire un choix, renoncer à ses émotions
06:33 et donc passer une expérience de purification
06:36 à travers laquelle, dans un grand bain, elle va retrouver ses anciennes vies.
06:41 Elle va être propulsée en 1910, en 2014 et à chaque fois aux prises avec Louis Lewandowski
06:48 interprété par George Mackey.
06:50 Première question Bertrand Bonello sur cette traversée des époques.
06:54 Pourquoi avoir voulu exploser ce cadre-là de la nouvelle d'Henri James
06:57 qui peut-être contenait tout ?
06:59 Qu'est-ce qu'elle avait de si puissant à être explosée ?
07:02 - Il y a pas mal de raisons.
07:05 Je voulais du contemporain, je voulais pas juste faire un film d'époque, ça c'est une des raisons.
07:10 Je reviens à ce mélange de l'amour et de la peur.
07:15 Je voulais le pousser au point de mélanger aussi les genres.
07:18 Donc il y a une partie, 1910, qui est un film d'époque un peu mélodramatique.
07:23 Puis en 2014, on bascule quasiment dans un genre plus horrifique,
07:28 à face qu'on peut appeler un slasher,
07:30 c'est-à-dire une femme seule dans une maison avec quelqu'un à l'extérieur qui veut la tuer.
07:33 Et 2044, un autre genre qui est la science-fiction, pour aller vite,
07:37 sous-tendu par aussi l'idée de terreur absolument partout.
07:42 Et je voulais que dans les trois époques,
07:45 il y ait à la fois une catastrophe intime,
07:47 mais aussi une catastrophe plus collective.
07:49 Ça me permettait de raconter aussi, quelque part, une histoire des sentiments.
07:54 Il n'y a pas que l'histoire de Gabriel et de Louis.
07:57 Par exemple, en 1910, les sentiments sont très exprimés.
08:01 Il y a quelque chose qui est très, très, très dans le dialogue,
08:03 avec beaucoup de malice, d'intelligence, de sous-entendu, comme ça.
08:07 En 2014, ils sont complètement refoulés,
08:10 puisque Louis... Bon, j'en ai fait ce qu'on appelle un incel.
08:15 - Un célibataire involontaire.
08:17 - Un célibataire involontaire, travaillé par la haine et par le désir de détruire.
08:24 Mais en fait, c'est parce qu'il est totalement incapable d'exprimer ses sentiments.
08:29 Donc, ils sont refoulés.
08:31 Et en 2044, ils sont carrément supprimés.
08:33 Donc, il y avait une espèce de scénario secret, comme ça, au-delà d'Henri James,
08:36 qui était aussi une histoire des sentiments.
08:38 - Mais c'est très ambitieux, Bertrand Bonello, de faire une histoire des sentiments.
08:41 Qu'est-ce qu'on peut raconter après ça ?
08:43 Je ne vous demande pas ce que vous allez faire après ce film-là.
08:46 On attend déjà que celui-ci soit sorti.
08:48 Mais faire une histoire des sentiments, ce n'est pas seulement pour le plaisir,
08:51 mais on y reviendra, de mêler formellement les genres.
08:53 Mais c'est aussi d'avoir presque une thèse.
08:56 D'avoir la volonté de démontrer quelque chose.
09:00 - En fait, je crois que jamais je me suis confronté aussi simplement à ces sentiments-là.
09:06 C'est-à-dire l'amour, la peur, etc.
09:08 Et là, j'avais envie peut-être que...
09:10 Il y a une complexité, évidemment, du récit, qui est assez ludique.
09:13 On passe par toutes les époques, etc.
09:15 Mais à l'intérieur de ça, d'être plus...
09:17 Ouais, peut-être frontal, comme je ne l'ai jamais été.
09:20 Et donc, évidemment, on se confronte aux sentiments.
09:23 Donc, on réfléchit aux sentiments.
09:25 Après, qu'il y ait une forme d'ambition...
09:27 - Tant mieux !
09:28 Oui, tant mieux ! On ambitionne toujours à quelque chose.
09:31 - Je ne dis pas que c'est une forme de prétention, mais je dis qu'il faut presque être très sûr de soi
09:35 et avoir une idée très claire de ce qu'on veut dire.
09:37 Quand on veut, en plus, se confronter frontalement, justement, à l'amour.
09:42 Et pourtant, si vous savez à quel point je doute...
09:45 - Ça, je n'en doute pas non plus.
09:47 Mais le doute est un moteur aussi.
09:49 - Qu'est-ce que vous vouliez dire sur l'amour ?
09:50 Que ça se perd ?
09:51 Qu'on refoule trop ?
09:53 - Que...
09:55 Qu'à un moment, ça ne peut passer pour être très beau que par l'abandon.
10:03 Et c'est peut-être ça qu'on est en train de perdre.
10:07 Et c'est pour ça qu'il y a aussi une histoire très forte dans le film entre l'humain et la technologie.
10:13 C'est que comment on place ça à l'intérieur de ces nouveaux modes, etc.
10:18 On est aujourd'hui à la fois extrêmement connectés.
10:22 J'ai rarement vu autant de solitude.
10:24 Je crois que tout l'épisode à Los Angeles en 2014 parle aussi de ça.
10:30 Elle est toujours derrière son ordinateur, lui derrière son iPhone.
10:33 Et quelle solitude !
10:35 Elle est seule dans cette maison et pourtant, elle n'a même pas une belle solitude.
10:39 C'est-à-dire qu'elle est toujours regardée tout en étant seule.
10:43 Voilà, c'est toute cette espèce de chose que fabrique aussi les temps modernes, dont j'avais envie de parler.
10:49 Une figure récurrente en 1910, en 2014 et en 2044, c'est la figure de la poupée.
10:54 En 1910, Gabrielle Monnier est musicienne, mais elle détient avec son mari une usine de poupées.
11:00 C'est la poupée Sophie, si je me souviens bien.
11:03 Et qui a une expression neutre, ce qui donne lieu à une scène formidable.
11:09 Il faut voir votre film, il faut voir au moins cette scène-là de Léa Seydoux, qui est extraordinaire.
11:15 Qui tout à coup fait l'expression neutre. Quelle expression en donnait une poupée ?
11:19 Elle dit neutre, ni joyeuse, ni peureuse, ni rien.
11:22 Neutre et tout à coup, la caméra se fige sur elle.
11:25 Comment vous avez eu cette idée, Bertrand Bonello, de prendre cette figure de la poupée ?
11:29 Aujourd'hui, on aurait pu parler de robots, mais vous avez choisi la poupée, ce qui est un peu différent.
11:33 Les poupées, c'est vrai qu'il y en a dans pas mal de mes films.
11:37 Dans "La Polonie", j'ai fait un court-métrage.
11:40 Mais c'est une figure qui m'intéresse beaucoup parce qu'elle est, d'abord, je la trouve très cinématographique.
11:44 On l'associe toujours à quelque chose d'enfantin.
11:47 Et en même temps, il y a quelque chose de terrifiant.
11:49 On la voit beaucoup aussi dans les films d'horreur.
11:51 La poupée de Chucky.
11:52 Oui, exactement. Il y a quelque chose de terrifiant.
11:54 Mais qu'est-ce qui est terrifiant dans la poupée ?
11:55 C'est que quand on la regarde, il n'y a pas d'expression.
11:58 On ne sait pas ce qui se passe derrière.
12:00 Et j'avais envie qu'à un moment, Léa fasse ça.
12:04 C'est d'ailleurs le premier plan qu'on a tourné du film.
12:09 C'est la première prise.
12:11 Et j'espérais, on espère toujours quand on prépare un film.
12:18 Je ne pensais pas qu'elle serait aussi marquante en faisant ça.
12:22 Cette scène ?
12:23 Oui, Léa en fait.
12:24 Mais parce qu'elle a le visage parfait pour ça.
12:26 C'est-à-dire que, évidemment, cette espèce de plan comme ça, où elle se fige,
12:31 qui dure quand même quelques secondes.
12:33 On se dit "ok, elle est ravissante comme une poupée".
12:36 Mais en fait, ça devient très vite terrifiant.
12:38 Parce qu'on ne sait absolument pas à quoi elle pense.
12:41 Et ça, c'est merveilleux pour le cinéma.
12:43 Ce qui est intéressant, parce que c'est aussi un film sur une actrice que vous faites.
12:47 Parce qu'on voit Léa Seydoux du début jusqu'à la fin.
12:51 Et il y a bien cette différence.
12:53 On parle souvent parfois aussi d'héroïne ou d'actrice,
12:56 comme étant presque des marionnettes au service d'un metteur en scène.
13:00 Or là, précisément, vous la mettez face à des poupées.
13:03 Donc, entre l'actrice et la poupée, il y a une différence qui est flagrante
13:06 et que vous faites dans ce film.
13:07 Oui, oui, oui.
13:08 Après, c'est certain que même l'ouverture du film,
13:11 qui est une longue scène sur fond vert dans laquelle elle est absolument seule.
13:15 C'est aussi une manière de dire "voilà, mon sujet, c'est elle".
13:18 Mon sujet, c'est elle.
13:19 C'était un désir que j'avais.
13:21 Je n'ai jamais fait de film auparavant avec un personnage féminin central.
13:24 J'ai fait "La Polonide", par exemple.
13:27 Mais c'est un groupe, etc.
13:29 Mais là, de coller comme ça à ce point-là à une actrice
13:34 et d'essayer presque de rentrer dans son cerveau.
13:37 Parce que le film est toujours à sa hauteur.
13:39 On n'est jamais devant elle, on n'est jamais au-dessus d'elle, etc.
13:43 On est vraiment de son point de vue.
13:45 Et on rentre petit à petit dans son cerveau, dans ses peurs, dans ses affectes.
13:50 Ça faisait partie des désirs de base du projet.
13:55 Et on aurait pu croire aussi que ça allait être un film sur une relation amoureuse
13:59 où il y aurait une partie égale entre le rôle masculin et le rôle féminin.
14:03 À quel moment ça s'est décidé que le rôle féminin serait celui qui dominerait le tout ?
14:09 Et que ce serait à la fois sur l'amour, mais l'amour du point de vue d'une personne
14:13 qui décide à un moment donné de se lancer ou pas dans l'amour ?
14:16 Ça s'est décidé assez tôt.
14:18 Parce que c'est vrai que dans un film, soit on adopte plusieurs points de vue, soit on décide qu'on est uniquement avec un personnage.
14:25 Donc ça c'était le choix, d'être uniquement avec un personnage.
14:27 Dès le début, vous aviez cette idée-là que le personnage de Léa Sédoux serait le moteur de votre histoire ?
14:32 Oui, c'est ça.
14:33 Et puis on a vu, et encore une fois, la première scène que j'ai écrite, c'est ce prologue sur fond vert
14:38 qui montre bien qu'il n'y aura rien d'autre, qu'on sera le hors-champ, etc.
14:43 Tout est dit en fait dans le prologue quelque part.
14:45 Et après il se décline avec toutes les scènes, mais tout est dit très tôt.
14:51 Salut, c'est Elliot Rodger.
14:57 Eh bien voilà, c'est ma dernière vidéo.
15:01 Ça doit se finir comme ça.
15:04 Demain, c'est le jour du châtiment.
15:08 Le jour où j'aurai ma vengeance contre l'humanité, contre vous tous.
15:15 Pendant les huit dernières années de ma vie, depuis ma puberté,
15:21 j'ai été forcé d'endurer une vie de solitude, de rejet, de désirs inassouvis.
15:28 Tout ça parce que les filles n'ont jamais été attirées par moi.
15:33 Les filles ont donné leur affection du sexe et leur amour à d'autres hommes, mais jamais à moi.
15:42 J'ai 22 ans et je suis toujours vierge.
15:47 La voix d'Elliot Rodger, le 22 mai 2014.
15:51 Vidéo que l'on peut trouver sur internet.
15:53 Oui, tout simplement.
15:54 Elliot Rodger, qui est l'auteur de "La tuerie de masse" qui a été perpétré le 23 mai 2014.
16:00 C'était en Californie.
16:01 C'est ce qu'on appelle un incel, un célibataire involontaire.
16:05 Et c'est à partir de ce personnage-là que vous êtes inspiré du personnage de Louis,
16:11 pour la période de 2014.
16:14 Pourquoi avoir été puisé aussi proche de nous et notamment dans ce phénomène-là ?
16:20 Parce qu'il y a à la fois internet, "La tuerie de masse" et la solitude extrême de certains hommes.
16:30 J'ai découvert, comme pas mal de gens, ces vidéos en 2014.
16:36 Et elles m'ont absolument, mais extrêmement marqué.
16:40 Au-delà de l'atrocité, de la tuerie et du fait qu'après, il poste les vidéos et puis il se suicide, etc.
16:46 Mais en fait, ce sont les vidéos elles-mêmes qui m'ont marqué.
16:48 Et là, rien qu'en les réécoutant, je ne les ai pas entendues depuis longtemps,
16:52 mais ce qui m'avait marqué, c'est presque la douceur.
16:56 Il n'y a pas de folie.
16:58 Enfin, il y a de la folie dans ce qu'il raconte, évidemment.
17:00 Mais ce n'est pas Jack Nicholson dans "Shining".
17:02 Il y a quelque chose de très calme et qui est encore plus terrifiant.
17:06 Donc c'est vrai que j'avais noté ça dans un coin de ma tête.
17:08 Et quand j'étais en train d'écrire le scénario et que je cherchais un basculement,
17:14 c'est-à-dire que ce soit, dans une période plus contemporaine, lui qui ait une peur d'aimer,
17:19 je me suis dit, en fait, voilà, derrière ce discours atroce,
17:24 il y a peut-être aussi la peur de s'abandonner.
17:28 - Et c'est le moment dans votre film, Bertrand Manelot, dans votre film "La Bête",
17:32 où presque tout bascule.
17:34 C'est-à-dire, on a l'impression d'être dans un film d'époque.
17:36 On se dit qu'on va être transféré à une autre époque.
17:38 On a l'impression que ça va être presque un catalogue d'époque avec la même problématique.
17:42 Mais il y a quelque chose qui prend de l'ampleur.
17:44 Et je ne saurais comment le dire.
17:47 Je ne pourrais pas comprendre comment vous basculez, justement.
17:50 - Finalement, les personnages ne changent pas tellement.
17:52 En revanche, ce sont les époques qui changent et qui fabriquent les personnages.
17:56 On voit bien qu'en 1910, c'est une époque qui est prise dans les conventions de l'époque.
18:02 Et donc, ça fabrique aussi les attitudes des personnages et leurs décisions.
18:07 En 2014, ce dont on parlait tout à l'heure de l'extrême connexion qui fabrique une extrême solitude,
18:15 en plus dans un pays comme les États-Unis, avec les armes en vente libres,
18:19 avec la mise en scène de soie, etc., fabrique ce genre de personnage.
18:23 C'est pour ça que j'ai fait cette partie en anglais et aux États-Unis.
18:27 Parce qu'il y a évidemment des incels partout dans le monde
18:30 et des hommes qui désirent tuer des femmes partout dans le monde.
18:32 Mais cette manière de se mettre en scène, pour moi, c'est un produit de la culture américaine.
18:37 Mais lui, finalement, il est presque le même qu'en 1910.
18:41 On le quitte en 1910, Gabriel se refuse à lui.
18:44 Scène d'après, il est en 2014, il dit "Aucune femme ne veut de moi".
18:47 Voilà, il est aussi le produit de ce qu'il a été.
18:49 C'est toute la construction du film qui est un petit peu faite comme ça.
18:53 - Et puis, à travers d'autres films, comme je pense à "Coma", par exemple, qui date de 2019,
18:59 où là, vous suiviez une jeune fille qui justement vit dans ce monde de 2019
19:04 avec des vidéos, avec des vidéos YouTube, des images, des tutos, les réseaux sociaux.
19:10 C'est un autre type d'image.
19:12 On a parlé de la forme. Ce qui vous plaisait aussi dans ce film et dans cette traversée des époques,
19:17 c'était de confronter un film historique à de la dystopie, à de la science-fiction, à un slasher.
19:22 Mais qu'est-ce que c'est le type d'image que produit Internet ?
19:26 - Alors, je vais prendre la question à l'envers.
19:30 C'est-à-dire qu'on vit aujourd'hui dans un monde où on est entouré d'images, abrevées de tout côté, absolument tout côté.
19:36 La question que moi, je me pose, c'est quoi une image de cinéma, en fait ?
19:41 À l'intérieur de ce flot d'images, c'est comment on pourrait se dire,
19:45 comment faire pour que ce ne soit pas une image de plus, mais une image quand même vraiment du cinéma ?
19:50 Ça ne veut pas dire qu'elle doit être plus jolie.
19:52 Ça ne veut pas dire qu'elle doit être, oui, mise en scène, oui, mais ce n'est pas...
19:55 Et toutes ces images qui nous entourent, comment les accueillir dans le cinéma ?
19:59 Donc, évidemment, il y a une hybridité comme ça dans le film,
20:02 parce que j'accueille aussi ces images qui nous entourent et j'essaye d'en faire des images aussi de cinéma,
20:07 tout en respectant leur nature, que ce soit esthétique ou...
20:11 Donc voilà, ça a été vraiment un des enjeux aussi de toute la partie en 2014.
20:16 Et "Koma", le film dont vous parlez, en effet, il n'est fait que de ça.
20:19 Il n'est fait que d'hybridités comme ça, d'images, mais qui sont notre contemporain aussi.
20:24 Mais vous qui êtes cinéaste Bertrand Bonello et qui travaillez, en fait,
20:28 on dit de vos films qu'ils sont extrêmement mis en scène, extrêmement maîtrisés.
20:33 Vous avez une attention particulière quand même.
20:35 Alors j'imagine que c'est sûrement le cas d'une foule de cinéastes, peut-être l'envie première.
20:41 Mais pour vous, comment vous décririez le type d'esthétique qui se dégage
20:46 dans, par exemple, un monologue face caméra, une prise de vue réelle d'un Elliot Rodger ?
20:54 Est-ce que c'est ça la nouvelle esthétique ?
20:56 Quelle est sa force ? Où est sa puissance ?
20:58 C'est quoi le type de mise en scène ?
21:00 Décryptez-moi une image d'Elliot Rodger pour moi, Bertrand Bonello.
21:03 Elliot Rodger, oui, pour le coup, il y a de la mise en scène de soi.
21:06 C'est aussi ce que fabrique la surpuissance des réseaux sociaux, c'est qu'on se met en scène.
21:12 Donc Elliot Rodger, il a ce discours, et c'est bien que vous ayez mis une archive
21:18 parce qu'on voit bien la douceur de sa voix comme ça.
21:20 Et il va toujours chercher un cadre très particulier avec un coucher de soleil dans sa voiture.
21:26 La plage.
21:28 Il y a des vidéos où il parle de ses vêtements, il dit "j'ai des lunettes de soleil qui coûtent 300 dollars,
21:32 pourquoi les filles ne veulent pas de moi ?"
21:34 C'est dingue ce que ça peut raconter en fait sur l'époque.
21:39 Il est plutôt mignon, il n'est pas du tout dans la colère et se calme atroce avant la tuerie.
21:46 Moi il m'avait vraiment terrifié.
21:48 Mais oui, c'est mis en scène.
21:50 Et d'ailleurs, après avoir tué, il poste.
21:53 Il poste pour bien montrer qui il a été.
21:56 C'est ce qui veut dire que vous vous servez des matériaux, vous l'avez dit Bertrand Bonello,
22:00 on est des produits de notre époque.
22:02 Les images aussi en sont à la fois des produits et des reflets,
22:05 c'est des symptômes qu'on peut analyser.
22:08 - Ça veut dire que votre film qui se situe en 1910, on l'a dit, en 2014, en 2044,
22:13 aujourd'hui on est en 2024, est-ce que c'est un film que vous vouliez aussi faire sur le présent ?
22:19 - Oui parce que je pense que...
22:21 Il y a une partie science-fiction, le futur, qui est très proche.
22:26 2024 c'est 20 ans, c'est vraiment un futur qu'on touche du doigt.
22:30 - C'est demain. - C'est vraiment demain.
22:32 Et vu comme l'intelligence artificielle a pris une énorme place dans l'année qui s'est écoulée,
22:39 mon film était fini mais j'aurais peut-être dû mettre 2029.
22:44 Mais je pense que la science-fiction c'est à plusieurs avantages.
22:48 Ça permet d'avoir des concepts, on invente des concepts, on invente un futur,
22:52 donc on invente des concepts.
22:54 Là par exemple, le fait que l'humanité a échoué et que l'intelligence artificielle a "réussi",
23:00 le concept qui préfigure, qui est au début du film, à savoir Gabriel qui doit choisir
23:06 entre un travail à la hauteur de son intelligence ou pouvoir aimer, avoir des sentiments.
23:11 Ce sont des concepts que la science-fiction permet.
23:14 Mais je crois aussi que ça permet de parler de nos peurs du présent, en parlant du futur.
23:20 On parle de nos peurs du présent et le film évidemment il parle de ce que je peux ressentir
23:25 comme peur sur l'époque qu'on traverse.
23:28 - Des peurs qui sont liées à cette peur de l'abandon, comme vous le disiez,
23:32 ou peur de la disparition des émotions ?
23:35 Est-ce que c'est... En plus on...
23:37 - Il y en a beaucoup des peurs, on a de quoi...
23:39 - Mais par exemple même la peur de la mort, on l'a vu pendant le Covid et le confinement,
23:43 il y avait une sécurité extrême qui était mise en place, on avait peur de mourir.
23:48 Et c'était dit très clairement et tout a été mis en œuvre pour qu'on ne puisse pas mourir.
23:53 Est-ce que c'était aussi une manière de dire avec ce film "laissez-vous aller à l'amour", d'accord,
23:58 mais en fait prenez des risques, un plaidoyer presque pour le risque, pour le mal, l'existence du mal ?
24:03 - Alors ça, ça je l'aurai toujours.
24:05 J'ai fait quand même quelques films qui sont sur l'idée de prendre un risque.
24:10 Parce que comme le dit la voyante jouée par Elena Lawenson dans le film,
24:15 un risque c'est beau, c'est vivant, enfin c'est vrai.
24:18 Et c'est vrai que le risque est quelque chose qu'on...
24:23 Je ne dis pas qu'il disparaît, en tout cas qu'il est très cadré, bordé.
24:28 Donc oui, mais après dans les peurs contemporaines,
24:32 ça peut aller en effet du rapport entre la technologie et l'humain, on va dire.
24:37 À quel point les affects sont quand même déjà très mal menés.
24:41 Pas de la manière dont on parle en 2044, mais ils sont quand même très mal menés.
24:46 À quel point le narcissisme aussi est tellement devenu un mal du siècle
24:54 qu'il n'y a plus de bon sens en fait.
24:57 Donc voilà, cette description du futur parle aussi de cette catastrophe du présent aujourd'hui.
25:04 - Est-ce que vous avez le sentiment, Bertrand Monolo, de faire des films générationnels ?
25:08 C'est-à-dire sur des générations, avec cette traversée des époques.
25:13 Mais on pourrait parler aussi d'autres films que vous avez.
25:16 Vous avez fait un film sur Yves Saint-Laurent, c'était un certain moment de sa vie,
25:19 entre la fin des années 60 et le milieu des années 70.
25:22 Je pense à Nocturama aussi, qui parle en tout cas d'une jeunesse.
25:26 Je pense aussi à L'Apollonide, où là vous mettez en regard des générations.
25:29 On voit des prostituées dans une maison close.
25:31 Les dernières images sont des images d'une prostituée sur le périph.
25:35 Est-ce que vous avez l'impression de faire des films générationnels ?
25:39 - C'est plutôt à d'autres gens de répondre, pas plus qu'à moi.
25:45 Ce dont je me suis aperçu depuis une dizaine d'années, c'est que mon public s'est beaucoup rajeuni.
25:50 Je vois quand je me déplace, etc. Encore énormément rajeuni.
25:54 Je pense que Nocturama y est pour beaucoup.
25:56 Qui est un film qui a été un peu compliqué à sa sortie,
25:58 parce qu'il était concomitant avec des attentats, alors que ce n'était pas le sujet du film.
26:02 - Je rappelle que c'était l'histoire d'une bande de jeunes qui décidaient de poser des bombes dans un grand magasin.
26:07 Qui posaient quatre bombes dans Paris simultanées.
26:10 J'étais en plein montage quand il y a eu les quatre attentats simultanés.
26:15 La sortie du film a été un peu phagocytée par l'actualité.
26:19 Mais c'est vrai qu'aujourd'hui, c'est peut-être le film dont on me parle le plus.
26:24 C'est vraiment une génération assez jeune.
26:27 Donc, est-ce que je fais des films générationnels ?
26:31 Je crois que les jeunes qui viennent me parler sont assez touchés par le rapport à la musique dans le film.
26:39 Qui leur parle beaucoup à la forme, à s'amuser un peu avec les temporalités.
26:45 Vous parliez de la Polonie qui se passe en 1900 et tout d'un coup il y a un épilogue qui se passe en 2010.
26:50 Voilà tous ces jeux formels. Je crois qu'ils séduisent un public assez jeune.
26:55 - Et puis vous travaillez quand même des problématiques très actuelles.
26:59 Le fait de prendre des images en prise de vue réelle, des réseaux sociaux.
27:04 Le fait de se reconnaître en fait.
27:07 C'est-à-dire que Gabrielle Monnier, elle est assez douce et c'est nous en fait.
27:11 - Oui, oui, oui. J'essaie quand même aussi de toujours inscrire ça dans notre contemporain.
27:17 Peu importe que le film se passe en 1910, en 2014 ou en 2044.
27:20 Je sais qu'il résonne aussi avec le contemporain.
27:23 C'est la grande angoisse qu'on a quand on fait un film d'époque.
27:26 Je l'ai eu avec la Polonie, puis avec Saint-Laurent et je l'ai eu aussi en travaillant la partie en 1910.
27:31 C'est comment faire pour que ce ne soit pas quelque chose de passé, de poussiéreux.
27:35 Que ce ne soit pas un musée mais que ça résonne complètement avec les questions qu'on peut se poser
27:41 ou les émotions qu'on a envie de ressentir aujourd'hui.
27:44 - Bertrand Bonello, vous parliez de musique. Justement, on va écouter tout de suite la musique.
27:49 [Musique]
27:53 [Musique]
27:56 [Musique]
28:16 [Musique]
28:19 Les midis de culture, jusqu'à 13h30.
28:39 Géraldine Mosnassavoy, Nicolas Herbeau.
28:42 [Musique]
28:45 On fait plus que d'écouter de la musique, puisqu'on écoute une musique que vous avez composée, Bertrand Bonello, de l'Apollonide.
28:51 Souvenir de la maison Clause.
28:53 - Pourquoi cette importance accordée à la musique, Bertrand Bonello ?
28:56 Hormis le fait que vous avez été musicien. Ne répondez pas à ça tout de suite.
28:59 - Oui, c'est vrai que c'est un peu mes premiers amours et voir mon premier métier.
29:04 Mais je suis quand même obsédé avec l'idée que dès l'écriture du scénario...
29:10 - Vous avez déjà la musique en tête ?
29:11 - En tout cas, oui, je commence déjà à enregistrer des choses.
29:14 J'ai mon bureau et à côté j'ai un petit studio, etc.
29:17 Et je commence déjà à enregistrer des choses.
29:19 L'idée que l'image et le son doivent travailler ensemble et non pas séparément.
29:24 L'idée que la musique ne doit pas être illustrative, mais elle doit raconter quelque chose.
29:30 Donc c'est pour ça que j'aime bien y penser dès le stade du scénario.
29:33 Mais par exemple, le morceau que vous venez de passer, qui est dans l'Apollonide.
29:38 Et ça vient, je me souviens très bien, j'étais en train de tourner.
29:41 C'était des scènes de salon, avec des clients et des prostituées.
29:46 Et je n'arrivais pas à trouver dans la mise en scène le bon niveau de voix.
29:50 C'est-à-dire que soit les gens parlaient trop fort et ça faisait un petit peu cliché du début de siècle,
29:54 que je n'aimais pas.
29:55 Soit ils parlaient très doucement, on aurait dit une église, alors qu'on était quand même dans un bordel.
29:58 Et je suis rentré chez moi après cette première journée de tournage dans les salons.
30:01 Je me suis dit, il y a un truc qui ne va pas, c'est le son, le son, le son, le son.
30:04 Et je me suis dit, qu'est-ce qui peut être assez doux sans que ça fasse église ?
30:07 J'ai pensé à l'opium en fait, j'ai pensé à la drogue.
30:10 - Qui rythme d'ailleurs aussi la polonise. - Exactement, qui rythme beaucoup le film, etc.
30:14 Et donc j'ai commencé pendant la nuit, avant la prochaine journée de tournage,
30:17 à enregistrer ça avec des violons chinois et trouver une ambiance opiacée,
30:21 qui permettait de la douceur sans que ce soit non plus une église.
30:26 Donc voilà, parfois la musique, elle vient aussi répondre à quelque chose presque de narratif
30:30 ou de l'ordre de la mise en scène.
30:32 - Ça vous donne aussi des réponses presque sur la manière dont les comédiens,
30:36 les acteurs et les actrices doivent parler, doivent jouer ?
30:39 - Oui, c'est vrai que comme j'arrive sur le plateau, que les musiques sont,
30:43 je ne dis pas qu'elles sont finalisées, mais je veux dire, j'ai quand même beaucoup de choses.
30:46 Parfois il peut m'arriver de faire écouter un acteur ou une actrice, mais voire un technicien.
30:50 Je sais que la chef opératrice, des fois je lui fais écouter la musique qui aura,
30:53 et tout d'un coup ça lui indique la vitesse de son panoramique ou de son mouvement caméra.
30:58 - Ça met toute une équipe dans une ambiance finalement.
31:02 - Voilà, et ça fait travailler les choses en même temps en fait.
31:05 Moi j'aime pas quand il y a le scénario, puis la mise en scène, puis la musique, que tout est dissocié.
31:10 J'aime bien penser les choses comme un tout.
31:12 C'est pour ça que je dis toujours, je n'écris pas un scénario, mais j'écris un film.
31:15 Donc je pense les choses comme un tout, et qu'elles travaillent vraiment ensemble.
31:18 - Est-ce qu'il y a des moments où la musique, vous vouliez telle musique, telle ambiance,
31:25 et en fait ça ne collait pas avec le propos que vous aviez ?
31:29 Est-ce que vous avez eu presque des conflits internes, intérieurs, entre vous et vous-même là-dessus ?
31:34 C'est-à-dire que vous teniez une chanson, parce qu'il y a aussi des musiques que vous composez,
31:37 mais il y a aussi une bande-son avec des chansons, des titres populaires qu'on peut connaître.
31:43 Et là vous avez dit "je veux cette chanson-là", mais vraiment ça ne colle pas du tout avec ce que je veux dire.
31:50 Il y a quelque chose qui est trop décalé là.
31:51 - Non, en fait, les morceaux qui ne sont pas de moi, que je mets,
31:55 qui sont souvent des morceaux pour les scènes de boîte de nuit, moi j'aime bien les scènes de boîte de nuit,
31:59 en fait je mets très longtemps, très longtemps les décennies.
32:02 Ce n'est pas juste "ah j'aime bien ce morceau, je vais le mettre".
32:04 Je mets très longtemps parce qu'il faut vraiment qu'il arrive à raconter quelque chose,
32:09 soit sur le personnage, soit sur le récit,
32:13 et donc comme je mets du temps, logiquement je n'ai jamais eu de conflit.
32:18 Et puis en fait je m'entends assez bien avec moi-même.
32:20 - Vous avez de la chance !
32:22 Et ces scènes de boîte de nuit alors, parce qu'il y en a plusieurs, je pense à Yves Saint Laurent,
32:28 des scènes de danse de fête dans la Polonide,
32:32 et là, dans "La Bête", il y a cette boîte de nuit que vous imaginez, une boîte de nuit géniale,
32:38 qui rappelle beaucoup d'ailleurs, le serveur fait beaucoup penser à Lynch,
32:42 à ce nain dans "Twin Peaks" avec les rideaux rouges, il est toujours là.
32:47 C'est un lieu un peu mystérieux, on ne sait pas où il est.
32:51 Et puis c'est une boîte de nuit, et puis un jour c'est une boîte de nuit qui s'appelle "1972",
32:54 on ne diffuse que des chansons de l'année 1972, puis après c'est 1980, donc que des chansons de 1980.
33:01 Quel est le plaisir que vous avez à filmer ces moments de danse collective ?
33:06 - Alors le barman, moi il me faisait penser au barman de "Shining" en fait.
33:09 - Oui, c'est la deuxième fois que vous parlez de "Shining" !
33:12 - Non mais je trouve que c'est... Alors les boîtes de nuit c'est quelque chose d'assez difficile à faire,
33:18 et je crois que le secret c'est vraiment faire très attention à la figuration,
33:23 parce que c'est ça qui fait qu'à un moment on est dedans ou pas,
33:26 et puis après savoir vraiment comment mixer très fort, sans assommer les gens.
33:30 Mais j'aime beaucoup les scènes de danse parce que je trouve qu'elles racontent beaucoup d'un personnage.
33:35 C'est extrêmement impudique de danser devant la caméra.
33:40 Je trouve que c'est... Autant sur une scène d'amour, bon voilà...
33:45 Mais une scène de danse je trouve que c'est encore plus impudique qu'une scène d'amour.
33:49 On donne beaucoup de soi, on montre beaucoup de soi, quand vraiment on se laisse aller.
33:54 Et donc des fois je trouve qu'une scène de danse raconte plus que beaucoup de dialogues.
34:00 Et donc vous voyez, dans "La Bête" il y a au moins 4 ou 5 scènes de boîtes de nuit,
34:06 mais même les scènes en 2014 avec Leïa Seydoux, elle raconte énormément d'elles.
34:10 De sa solitude sur la première, du moment où elle lâche tout sur la seconde...
34:15 C'est des choses qu'on ne pourrait peut-être pas exprimer avec les mots.
34:19 Et pourquoi avoir choisi 1972, 1980 et puis la boîte en 2014 ?
34:25 C'était pour le pur plaisir d'avoir des moments de danse très fort, avec des musiques très distinctes,
34:30 et même des gestes très différents de l'une à l'autre ?
34:33 Dans cette année 2044, où les gens sont quand même très très très seuls...
34:39 Et où il n'y a apparemment de danse peu.
34:42 Oui, j'ai inventé cette espèce de lieu qui est comme un sas où on peut se laisser aller,
34:46 et donc ils revisitent le passé.
34:48 Mais c'est un peu comme si le présent était en 2044 tellement dur que le passé devenait un refuge aussi.
34:53 Donc en effet, c'est ces boîtes de nuit à thème.
34:56 J'ai mis 1972 parce que je voulais à un moment une danse un peu chaude, avec de la saule, etc.
35:01 1980 pour sa froideur aussi, comme si on traverse un petit peu aussi ce qu'on a pu traverser.
35:06 Et 1963 parce que je tenais à terminer...
35:09 Oui, c'est vrai, il y a 1963 aussi.
35:10 Oui, je tenais à terminer par ce morceau de Roy Orbison, qui est de 1963,
35:14 parce que le texte raconte le film.
35:16 C'est une espèce d'amour qui traverserait toutes les saisons et tous les âges,
35:20 qui serait toujours toujours toujours vert.
35:22 C'est un petit peu ce à quoi aspirent les Assez-doux.
35:24 Est-ce que vous avez l'impression, Bertrand Bonello, pendant ces scènes de danse que vous filmez,
35:28 que c'est à la fois un moment très impudique,
35:31 mais que c'est aussi un moment presque de fusion ou de trance avec une équipe ?
35:38 Parce qu'il y a très peu de scènes de danse dans les films.
35:42 Je n'ai pas l'impression d'être tant frappé que ça par des réalisateurs qui font beaucoup de scènes de danse.
35:46 Est-ce qu'on sent qu'il y a un plaisir pour vous à le filmer ?
35:49 Est-ce que c'est un moment de jubilation collective ?
35:51 Oui, c'est vrai que ce sont des scènes que l'équipe adore faire.
35:57 Parce que ce n'est quand même pas simple.
36:00 Quand les scènes sont difficiles, à un moment, tout le monde est beaucoup plus concentré quelque part.
36:05 Faire un chant contre un chant dans une cuisine, des fois, ça se déconcentre.
36:08 Mais quand on tournait la scène de l'incendie, ou la scène de la noyade, ou les scènes de boîte de nuit,
36:12 on sent toute l'équipe très motivée.
36:14 Et puis, ça va aussi avec des mouvements de caméra assez complexes, assez difficiles à faire.
36:19 Donc oui, tout le monde est très sur le coup, comme on dit.
36:22 Merci beaucoup Bertrand Bonello, de vous, avec Léa Sédoux et George Mackey.
36:27 On pourra voir La Bête, ce sera mercredi dans les salles et c'est en partenariat avec France Culture.
36:31 Nous terminons chaque émission en musique.
36:33 Vous avez le choix entre deux chansons qui sont dans votre film, Evergreen ou Madame Butterfly.
36:38 Laquelle choisissez-vous ?
36:40 Evergreen.
36:41 [Evergreen - Madame Butterfly]
36:46 [Evergreen - Madame Butterfly]
36:51 [Evergreen - Madame Butterfly]
36:56 [Evergreen - Madame Butterfly]
37:01 [Evergreen - Madame Butterfly]
37:06 [Evergreen - Madame Butterfly]
37:11 [Evergreen - Madame Butterfly]
37:16 [Evergreen - Madame Butterfly]
37:21 [Evergreen - Madame Butterfly]
37:26 [Evergreen - Madame Butterfly]
37:31 [Evergreen - Madame Butterfly]
37:36 [Evergreen - Madame Butterfly]
37:41 [Evergreen - Madame Butterfly]
37:46 [Evergreen - Madame Butterfly]
37:51 [Evergreen - Madame Butterfly]
37:56 [Evergreen - Madame Butterfly]
38:01 [Evergreen - Madame Butterfly]
38:06 [Evergreen - Madame Butterfly]
38:11 [Evergreen - Madame Butterfly]
38:16 [Evergreen - Madame Butterfly]
38:21 [Evergreen - Madame Butterfly]
38:26 [Evergreen - Madame Butterfly]
38:31 [Evergreen - Madame Butterfly]
38:36 [Evergreen - Madame Butterfly]
38:41 [Evergreen - Madame Butterfly]
38:46 [Evergreen - Madame Butterfly]
38:51 Merci beaucoup Nicolas, à demain.