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00:00 6h39, les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Marguerite Caton, bonjour.
00:08 Bonjour Guillaume et bonjour à tous.
00:10 Alors, la jeunesse va mal ?
00:11 Elle va mal et surtout, on échoue à la soigner.
00:14 Déjà en 2019, la France faisait moins bien que ses voisins européens.
00:17 Avec 10% des 11-25 ans en souffrance psychique, avec le Covid, on a assisté à un véritable plongeon.
00:24 Les pensées suicidaires des 18-24 ans ont été multipliées par deux.
00:28 Et plus de 9% d'entre eux ont déclaré une tentative de suicide.
00:31 9%, c'est un chiffre grave, un signal d'alerte.
00:35 Car c'est bien au-dessus des 6,8% de la population générale.
00:38 Un véritable renversement alors que la jeunesse était habituellement plus épargnée.
00:42 Et depuis, on ne s'en sort pas.
00:45 Bonjour Marie-Rose Moreau.
00:46 Bonjour.
00:47 Vous êtes professeure de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent à l'université Paris Cité.
00:52 Chef de service de la maison de Solène, la maison des adolescents de Cochin à Paris.
00:56 Pourquoi le passage de l'adolescence à l'âge adulte est-il spécialement périlleux du point de vue psychique ?
01:02 Alors effectivement, ce passage est délicat et j'allais dire presque de plus en plus délicat.
01:08 Mais ça commence avant le passage, c'est-à-dire à partir de 14-15 ans.
01:14 C'est toute cette période de 14-15 ans jusqu'à disons 21 ans où effectivement il faut se construire.
01:22 Il faut avoir des valeurs qui nous tiennent, qui nous tiennent en vie, qui nous donnent envie d'agir sur le monde
01:31 et de construire son propre destin.
01:34 Et cette période-là de transformation avec des transformations corporelles très importantes,
01:40 des transformations psychologiques, des transformations même de mode de vie, de rapport au monde.
01:46 C'est cette transformation-là qui est vulnérable et qui doit être accompagnée par les adultes, par la société,
01:55 par les institutions telles que l'école, l'université, les lycées, etc. C'est toute cette transition-là.
02:02 Est-ce que vous pouvez nous éclairer sur le contenu des souffrances psychiques de ces adolescents et de ces jeunes gens ?
02:07 Anxiété, dépression, pensées suicidaires, tentatives de suicide.
02:10 On imagine un grand continuum avec des différences d'intensité. Qu'en est-il réellement ?
02:15 Oui, alors il y a effectivement des expressions multiples de la souffrance.
02:22 Il y a par exemple l'anxiété, l'inquiétude face à l'avenir, face à l'idée de la transformation.
02:31 Et la dépression, les idées tristes, l'envie de mourir.
02:38 Ce sont des choses différentes, ce sont des modalités différentes.
02:42 Ou même, par exemple, les troubles du comportement alimentaire qui sont très en augmentation.
02:47 Tout ça, ce sont des catégories diagnostiques différentes.
02:51 Mais en réalité, il y a beaucoup de points de passage parce que c'est tout le développement,
02:57 c'est toute l'organisation entre le corps et le fonctionnement psychique dont il faut d'ailleurs s'occuper en même temps.
03:04 L'école est devenue un point de crispation important. On observe une augmentation des phobies scolaires. Comment l'expliquez-vous ?
03:11 Alors oui, l'école est à la fois une caisse de résonance de toutes les souffrances des jeunes gens.
03:17 Et en même temps, c'est aussi un lieu de souffrance, un lieu de blessure d'estime de soi, par exemple.
03:24 Et effectivement, nous avons ce triste privilège d'être un pays au monde, un des pays au monde où les phobies scolaires,
03:34 c'est-à-dire l'impossibilité d'aller à l'école, de se sentir heureux dans cet univers et de pouvoir s'épanouir, d'apprendre et de vivre.
03:45 Et bien effectivement, en France, nous avons non seulement un taux très élevé, proche de celui du Japon, mais qui en plus ne cesse d'augmenter.
03:54 On parle d'épidémie, comme si l'école elle-même devenait non pas un lieu de structuration, mais un lieu de souffrance, un lieu de fragilisation.
04:05 Et à quelle transformation d'école on peut rapporter ces souffrances ?
04:09 Alors l'école, c'est fondamental à cet âge-là. C'est une des institutions structurantes.
04:13 Et ce qui est aussi très structurant à l'école, c'est le fait qu'on puisse, que les élèves puissent non seulement s'appuyer sur l'institution et sur les enseignants,
04:26 mais aussi s'appuyer eux-mêmes, entre eux, se soutenir, grandir ensemble, construire des liens.
04:33 Ça, c'est extrêmement important, des liens sociaux.
04:36 Et en ce moment, on constate que tout ce processus de socialisation et d'apprentissage scolaire est fragilisé.
04:46 Il est fragilisé par le fait que l'école n'est plus un lieu de sécurité, que ce n'est pas un lieu réconfortant,
04:53 que ce n'est pas un lieu où on a le sentiment de grandir et de grimper.
05:00 Et donc c'est un lieu qui fragilise individuellement les adolescents.
05:04 Concrètement, vous voulez dire que, par exemple, la classe est un endroit sécurisant et que la réforme du baccalauréat,
05:10 qui a notamment complètement éclaté les classes, ça peut avoir un impact sur la souffrance des adolescents ?
05:16 Alors moi, je crois qu'effectivement, le fait que les enfants ne soient pas soutenus dans un groupe homogène et qui les rassemble,
05:30 oui, c'est quelque chose qui les fragilise. C'est-à-dire que l'école, c'est presque un lieu d'initiation pour les adolescents.
05:39 C'est un lieu de transformation. Il faut le faire par classe d'âge ensemble et pas effectivement dans des stratégies de séparation,
05:49 de classement, de hiérarchie, d'attente démesurée, alors que globalement, ce qui est extrêmement important à l'école, c'est d'apprendre et de faire ensemble.
05:59 Avant même la question du soin, se pose celle de l'accès aux soins. Dans son discours de Poétique Générale,
06:05 Gabriel Attal a annoncé l'ouverture d'une maison des adolescents par département.
06:09 Vous qui êtes chef de service, Marie-Rose Moreau, à la maison des adolescents de l'hôpital Cochin,
06:13 quelles sont les spécificités, les atouts de ces centres ?
06:18 Alors oui, je crois que le concept de maison des adolescents, une par département, voire plus,
06:24 parce qu'il y a des départements, pour la question de l'accès aux soins, il en faut plus sans doute.
06:29 Mais c'est l'idée qu'il y a des lieux ressources, des lieux spécifiques dédiés aux adolescents,
06:36 où on va mettre à leur service l'ensemble des disciplines nécessaires à leur bien-être et à leur santé.
06:46 Donc c'est un lieu où les adolescents, leur famille, mais aussi les professionnels qui s'occupent d'eux,
06:56 doivent pouvoir venir pour évaluer et trouver un projet adapté pour chaque adolescent.
07:02 Sans trop attendre aussi, parce qu'il y a cette notion à l'adolescence, lorsque je suis désespérée,
07:08 si je dois me mettre sur une liste d'attente et attendre six mois,
07:11 entre-temps, mes idées noires seront passées par des tas d'étapes,
07:18 et je serai dans quelque chose d'une souffrance structurée.
07:21 Donc, lieu spécifique, lieu dédié, on expérimente des manières de faire.
07:29 Par exemple, on sait que sur les idées noires, les idées de suicide,
07:34 ce qui marche le mieux et ce qui évite aussi la récidive, parce que c'est extrêmement important,
07:41 c'est d'abord de prendre très au sérieux ces idées noires et de faire des liens, de ne pas les laisser seules.
07:48 - Saskia de Ville : merci beaucoup Marie-Rose Moreau.

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