Pascal Praud revient pendant deux heures, sans concession, sur tous les sujets qui font l'actualité. Aujourd’hui, Christophe Hondelatte est invité pour rendre hommage à Robert Badinter.
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00:00 - Europain. - Pascal Prohevo.
00:02 - De 11h à 13h sur Europain avec notre invité Pascal, Christophe Fondelatte.
00:06 - Christophe Fondelatte, effectivement, hommage à Robert Badinter jusqu'à jeudi, 14h sur Europain,
00:10 ne manquez pas donc ses émissions, l'épisode 1 c'est aujourd'hui,
00:13 la rencontre avec Roger Bontemps, condamné d'avance si j'ose dire,
00:17 et écoutons la voix de Robert Badinter.
00:21 - Le doute ne profite pas à l'accusé, mais à l'accusation.
00:25 Ça veut dire, et c'est pourquoi je dis, il faut qu'il vous croit complètement,
00:30 qu'il n'y ait pas l'ombre d'un doute dans des affaires aussi terribles
00:34 qui demeurent dans l'esprit des jurés.
00:37 Car la prescription juridique fondamentale, le doute profite à l'accusé,
00:42 c'est, pardonnez-moi de le dire, de la rhétorique.
00:46 - Ça n'existe pas ?
00:47 - Ce n'est pas exactement ce qu'il y a.
00:51 - Ça ne se plaide pas ?
00:51 - Non, ce qu'il y a dans, je dirais, l'âme ou l'esprit des jurés au moment décisif.
01:00 Indiscutablement, ils inclinent plutôt vers la thèse de l'accusation
01:06 que vers celle de la défense.
01:08 C'est ainsi, l'accusation, elle représente le parti des honnêtes gens.
01:16 L'avocat, il représente le parti du coupable, très généralement.
01:22 - Intéressant, évidemment, d'écouter Robert Badinter
01:24 et qui raconte là son expérience d'avocat.
01:26 Cette interview date de quand, Christophe ?
01:28 - Il y a quatre ans, 2020.
01:30 Dans son bureau, il a donné la plupart des interviews ces dernières années.
01:35 Dans son bureau, il a un facsimilé de l'abolition de la peine de mort
01:40 qui montre, je pense, à tous les gens qui rentrent dans ce bureau,
01:43 il va le chercher, il le pose comme ça.
01:45 Et puis, il vous le fait regarder.
01:49 Mais j'avais eu une expérience rigolote avec Badinter
01:51 quand on avait fait entrer l'accusé sur Patrick Henry.
01:54 Parce que...
01:56 Donc, on s'assoit pour l'interview où je lui pose une question toute simple.
01:59 "Dans quelles circonstances avez-vous rencontré Patrick Henry ?"
02:02 C'est le début de l'histoire.
02:04 Il me répond "Mais ça ne m'intéresse pas, monsieur Hollande, tout ça.
02:08 Ça ne m'intéresse pas du tout.
02:10 Moi, ce qui m'intéresse, c'est mon combat.
02:12 Patrick Henry, je ne me souviens même plus de lui."
02:14 Et donc, à ce moment-là, moi, je lui dis
02:17 "Mais quand même, peut-être que vous pourriez nous raconter comment vous l'avez rencontré."
02:21 Il me dit "Mais non, mais non, mais non."
02:23 Là, je me dis "On n'a pas d'interview, on est mort."
02:25 Il dit "Je vais vous montrer ce que je veux faire quand je parle de Patrick Henry."
02:30 Et à ce moment-là, donc, on éteint nos micros, il nous prend,
02:34 il nous amène dans son salon, il appelle sa bonne,
02:38 "Vous pouvez me brancher le magnétoscope ?
02:40 Mettez-moi le film d'Arte."
02:42 Et Arte avait fait sur lui tout un film en diapositive, en noir et blanc,
02:47 où il n'y avait que sa voix,
02:49 et qui racontait non pas les sujets des affaires, la complexité des dossiers, non,
02:54 qui ne parlait que du combat politique.
02:56 Et on s'est tapé, alors qu'on avait un timing, donc, pour les interviews,
03:00 on s'est tapé tout le documentaire d'Arte, assis dans son canapé,
03:03 toute l'équipe de faite entraîne accusée, y compris la maquilleuse, le preneur de son, tout le monde,
03:08 et ça a duré une heure.
03:10 Et nous, on se regardait, on s'est limés.
03:12 Et alors après, on revient dans son bureau pour l'interview.
03:17 Et moi j'ai besoin, je sais que j'ai besoin de cette séquence où il raconte comment il a raconté Patrick Henry.
03:22 Et donc je lui repose la question.
03:24 Il me fait "Non, non, non."
03:27 Je lui dis "Ecoutez, monsieur le président, nous on ne peut pas s'en passer de ce...
03:30 Alors comment vous l'avez rencontré ?"
03:31 "Eh bien écoutez, je l'ai rencontré dans..." Et il se met à tout raconter.
03:35 Donc il avait besoin de ce passage un peu égotique, parce que
03:38 ce personnage, c'est Voltaire je crois qu'il disait
03:41 "Il ne faut pas rendre hommage à des gens si on ne peut pas en dire du mal."
03:44 Et donc il était très égotique, pas un terme.
03:49 Très centré sur son combat et sur sa personnalité.
03:52 Et donc, voilà, on a vécu cet égotisme vraiment jusqu'au bout.
03:57 - En même temps, il restera dans l'histoire avec une loi majeure, évidemment,
04:01 qui a beaucoup influencé toute une génération.
04:05 Moi j'avais 17 ans en 81 et forcément,
04:08 l'abolition de la peine de mort était un thème dont on parle.
04:11 C'est vrai, quand on est particulièrement à cet âge-là,
04:14 on est sensible à ces sujets de société, peut-être davantage qu'ensuite.
04:19 Alors, la rencontre avec Roger Bontemps, c'est cet après-midi.
04:22 Il faut rappeler, 1972, la prison de Clairvaux.
04:26 Que va-t-il se passer avec deux accusés ?
04:29 - Il y a deux accusés qui sont Buffet et Bontemps.
04:32 Buffet est un assassin, il est en prison depuis 20 ans.
04:35 Il a été condamné à 20 ans pour un meurtre.
04:38 Bontemps est là pour un braquage.
04:42 Donc en fait, ces deux hommes n'ont rien à voir,
04:44 mais ils n'ont qu'une idée, c'est s'évader.
04:46 Et donc, ils vont, pour s'évader,
04:48 tuer une infirmière et un surveillant de prison,
04:51 ce qui va les amener tous les deux sur le banc des accusés.
04:54 Et évidemment, Buffet, qui a déjà tué,
04:58 est plus porteur du crime que Bontemps,
05:01 qui n'a fait que braquer des banques.
05:03 Et donc, le combat de bas d'inter,
05:05 ça va être de décharger Bontemps pour charger Buffet,
05:10 qui n'a rien contre.
05:12 Buffet a compris dès le départ que lui était cuit,
05:14 qu'il passerait sous les guillotines.
05:16 Il y a un coup à jouer sur Bontemps.
05:18 Et c'est ce qu'il dit, il vient de dire dans l'interview,
05:21 c'est-à-dire que normalement, le doute aurait dû profiter à Bontemps,
05:26 mais vu le caractère extrêmement sordide du crime, c'est cuit.
05:32 - Alors, il y avait quand même, on l'appelle, la mort d'un surveillant de prison,
05:35 donc il y avait l'administration pénitentiaire qui avait une influence très forte.
05:38 - Tu peux dire, tuer un surveillant de prison,
05:40 c'est un caractère aggravant dans l'esprit, en tout cas.
05:42 - Bien évidemment.
05:43 Et là, il y a eu donc ce livre,
05:47 que vous pouvez d'ailleurs vous procurer,
05:49 qui est un livre de poche aujourd'hui,
05:50 qui était à l'époque aux éditions Fayard,
05:52 "L'exécution", où il racontait,
05:54 parce que les exécutions, on arrivait à 2 ou 3 heures du matin,
05:57 l'exécution était toujours à l'aube,
06:00 c'était généralement vers 5 heures du matin,
06:03 et lui, l'avocat est présent.
06:06 - C'est pas un gamin, Bontemps, il a 40-45 ans à cette époque-là,
06:09 mais il assiste à sa première exécution.
06:11 - Tout le monde a vu Jean Gabin et Alain Delon,
06:14 deux hommes dans la ville, et c'est exactement ça.
06:17 C'est-à-dire, on arrive, on fait pas de bruit, on réveille,
06:21 votre pourvoi a été rejeté, dit-on à l'accusé,
06:25 qui est dans une cellule particulière,
06:26 et puis après on l'emmène à la guillotine.
06:28 Et l'avocat est présent.
06:30 - S'il y a un livre à lire de Robert Badinter,
06:32 c'est "L'exécution".
06:33 Et lui-même avait conscience que c'était un livre exceptionnel,
06:37 parce qu'il m'a dit "je pense que c'est mon meilleur livre".
06:41 Le suivant était très moyen,
06:44 mais "L'exécution" est très réussi.
06:46 - Oui, parce que c'est porté par une intensité, par son combat.
06:49 Alors là, demain, dans l'épisode 2,
06:51 il y aura le procès de Bontemps et son exécution,
06:54 et puis il y aura dans l'épisode 3,
06:55 "Le sauver la tête" de Patrick Henry.
06:57 Et ce qui est extraordinaire dans l'affaire Patrick Henry,
06:59 qui a bouleversé la France, j'avais 12-13 ans,
07:01 mais quand le petit Philippe Bertrand est retrouvé mort,
07:05 nos parents pleurent devant la télévision.
07:08 Tout le monde s'était identifié.
07:10 - C'est-à-dire que, d'autant plus que lui avait dit publiquement
07:15 à la télévision, si on arrête l'assassin de Philippe Bertrand,
07:18 puisqu'il a participé aux recherches, il faut le tuer.
07:21 Je suis favorable à la peine de mort.
07:23 - Il l'avait dit à un journaliste de TF1, avec qui j'ai longtemps travaillé,
07:27 qui était Jean-Pierre Habou.
07:28 C'est une interview, il était jeune reporter Jean-Pierre Habou.
07:30 Alors qu'est-ce qui se passe dans ce moment-là, dans ce procès ?
07:33 Il y a deux avocats, l'avocat qui s'appelle Maître Bocuillon, je crois,
07:37 de mémoire, qui va défendre Patrick Henry,
07:39 et la particularité de Robert Badinter,
07:42 c'est qu'il ne parlera quasiment pas de Patrick Henry.
07:45 - De toute façon, il l'a vu une seule fois.
07:47 - Il le dit lui-même.
07:49 La personnalité de Patrick Henry ne l'intéresse pas.
07:51 Patrick Henry, pour lui, est un type sans intérêt,
07:54 qui a commis un acte terrible,
07:56 qui n'est pas défendable sur le contenu de l'acte.
07:59 Pour lui, à partir de ce moment-là,
08:02 c'est un procès contre la peine de mort.
08:04 Il se fiche de Patrick Henry comme de sa première chemise.
08:07 Ce qui l'intéresse, c'est de faire valoir la lutte contre la peine de mort.
08:11 Et il fait une plaidoirie, qui est en fait un discours politique.
08:15 - Assez courte, paraît-il.
08:17 - Oui, assez courte, dont on pourra entendre quelques extraits
08:20 dans le dernier épisode, jeudi prochain.
08:23 Roger Gickel, qui à l'époque était le fameux présentateur du journal de la première chaîne,
08:29 et qui avait prononcé cette phrase "la France a peur".
08:32 Mais il va plus loin que "la France a peur",
08:34 Roger Gickel, il va au procès.
08:36 Il va au procès suivre la plaidoirie de Badinter.
08:39 Et il y va avec un magnétophone à cassette,
08:42 caché sous son imperméable.
08:44 Et il enregistre, cas à cas, cette plaidoirie dont on ne perçoit pas grand-chose.
08:52 Par ailleurs, la cassette, au moment où il nous l'a remise,
08:55 était assez dégradée, parce que les enregistrements sur cassette
08:58 ne se préservent pas comme ça.
09:00 Mais on entend sa voix, on entend la manière dont il plaide.
09:03 On comprend quelques phrases, pas la totalité du discours.
09:07 On l'a confié, cet enregistrement, à un laboratoire de la gendarmerie
09:12 pour essayer d'en tirer le maximum.
09:15 Mais c'est quand même un document exceptionnel,
09:18 parce qu'il sauvera la tête de Patrick Henry,
09:20 qui purgera sa peine longtemps,
09:22 qui aura une liberté conditionnelle,
09:24 qui sera repris après, puis qui est mort ces dernières années, je crois,
09:27 qui est mort d'un cancer.
09:29 Et ce qui est extraordinaire, et Robert Badinter l'a toujours rappelé,
09:32 sur le côté dissuasif de la peine de mort,
09:35 c'est qu'il avait dit, est-ce vrai ou pas,
09:37 que Patrick Henry, parmi ceux qui criaient
09:40 "à mort bon temps", "à mort buffet" dans la foule de Troyes,
09:43 il y avait ce jeune homme qui s'appelait Patrick Henry,
09:47 puisque c'était dans la même ville, les deux procès.
09:49 - En fait, c'est en plus intéressant l'affaire Jonathan Daval.
09:53 C'est-à-dire que le mec participe aux recherches,
09:55 il pleure avec ses beaux-parents, et il a tué sa femme.
09:58 Bon voilà, c'était beaucoup plus intéressant que l'affaire Daval,
10:01 qui ne m'a que très moyennement intéressé, je le redis pour la centième fois.
10:05 - Patrick Henry échappe à la guillotine, ça, ça sera jeudi,
10:08 en 1977, mercredi et jeudi,
10:11 et je me souviens vraiment, parce que j'avais 13 ans à l'époque,
10:14 chacun attendait le verdict de Patrick Henry,
10:19 qui est tombé au milieu d'après-midi, je crois,
10:21 mais vraiment, il y avait une forme de déception dans le pays,
10:24 puisqu'il échappait à la peine de mort à l'époque,
10:27 la France était pour la peine de mort, sans doute,
10:30 et surtout un tueur d'enfants, il fallait pouvoir...
10:34 - Giscard est officiellement contre,
10:37 Giscard a été au bord de proposer l'abolition de la peine de mort.
10:41 - Sauf que Ranucci ne le grâcie pas, Christian Ranucci.
10:44 - Non, et il ne le fait pas non plus pour Patrick Henry.
10:47 - Et il raconte... Oui, mais il n'avait pas à le grâcier pour Patrick Henry,
10:50 parce qu'il n'avait pas la peine de mort pour... - En 1977.
10:53 - Oui, mais je veux dire, il n'a pas grâcié Patrick Henry, puisqu'il n'est pas condamné à mort.
10:56 - Oui, voilà, oui. - Mais en revanche, il ne grâcie pas Christian Ranucci,
11:00 et il raconte, Giscard, dans "Le pouvoir et la vie",
11:03 Ranucci est exécuté un matin de juillet.
11:06 - Après un procès d'une journée. - Voilà, au Baumette.
11:09 Et dans "Le pouvoir et la vie", Giscard raconte qu'il se lève ce matin-là,
11:13 à 4h30 ou... pour être en symbiose d'une certaine manière, dit-il,
11:18 avec l'exécution, parce qu'il avait refusé la grâce à Christian Ranucci,
11:23 c'est l'affaire du couloir rouge. - Manque de courage, en vérité,
11:26 manque de courage politique. - C'est l'affaire du couloir rouge, avec...
11:28 - Manque de courage politique. - ...de Gilles Perrault raconté...
11:31 - En fait, Giscard était convaincu qu'il fallait abolir la peine de mort,
11:34 mais il n'a pas eu le courage de le faire. Il est passé à son successeur.
11:37 - Bah oui, pour des raisons électorales. - Il a été lâche.
11:41 - Ça arrive. Ils sont lâches de temps en temps, monsieur Ozad.
11:44 - Ça n'empêche pas de le dire. - Sauf nous.
11:46 Ici, on a, comme vous le savez, sauf à Europe, on est recrutés
11:49 sur notre absence de lâcher. Bon, il est 12h27 et...
11:52 - C'est fini. - C'est terminé, déjà ?
11:54 - Je sais pas, moi, je suis à votre disposition.
11:57 - Bon, alors c'est terminé. - On se retrouve cet après-midi ?
11:59 - Mais à 14h. - 14h.
12:01 - Et vous pourriez venir de temps en temps dans notre émission, comme ça ?
12:04 - Si vous m'invitez, c'est la première fois que vous m'invitez.
12:06 - Mais oui, mais quand il y a des petits événements dans l'émission,
12:09 de la page compte... - Mais attention, attention,
12:11 je suis dans une vision pacifique de mon métier,
12:14 je n'ai pas envie d'exprimer trop d'opinion,
12:17 et j'aime le calme, la paix dans laquelle je vis.
12:20 - Et vous croyez que je suis dans... - Ah bah non, vous voyez que je suis énervé, moi !
12:23 - Vous n'êtes pas dans le calme, ni dans la paix, alors que moi, ouais !
12:26 - Comment va votre petit chien ? - Donc, je n'ai pas envie...
12:28 - Il est dans son panier, il dort. - Il dort ?
12:31 - Oui. - Ah bah, il faut le réveiller.
12:33 - Comme Fabrice ! - Comme Fabrice !
12:35 - Je ne suis pas dans le panier, mais je dors aussi.
12:37 - Il est dans son panier aussi.
12:39 - Merci Christophe Aubin, c'était un plaisir de vous écouter.
12:42 - 14h15, on retrouve la traque compte tout à l'heure,
12:44 cet après-midi sur Europe 1, à tout de suite !