"Un mea culpa" : Laure Adler s'excuse auprès de Judith Godrèche dont elle n'a "pas compris" la souffrance

  • il y a 7 mois

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00:00 Laure, je suis désolée mais je ne peux pas m'empêcher, j'ai le sentiment qu'on est là toutes les deux dans ce cadre,
00:07 que ça peut faire un plan qui serait exactement le même plan que j'ai vécu, un cadre, un plan de cinéma, dans votre émission quand j'avais 21 ans.
00:17 Alors je précise.
00:18 Et du coup il y a un moment donné, il faut que j'en parle.
00:21 Non, j'allais vous en parler, mais je voulais trouver le bon moment pour le faire.
00:25 Alors allons-y, on est en 1995, Laure anime le Cercle de Minuit, une émission, et vous avez 22 ans à l'époque ?
00:32 Oui.
00:33 Et vous venez de sortir votre roman qui s'appelle Point de Côté.
00:35 Vous êtes invitée par Laure Adler, qui vous parlait de votre roman, et dans plusieurs interviews ces derniers jours,
00:42 vous avez cité ce moment avec Laure comme un moment douloureux pour vous.
00:46 Est-ce que vous pouvez nous dire pourquoi, et puis je voudrais que Laure me réponde après aussi.
00:48 Pourquoi ? Parce qu'en fait ce roman, et le roman que j'ai écrit juste après avoir fui l'appartement dans lequel je vivais avec Benoît Jacot,
00:59 je loue une chambre de bonne et je me mets à écrire.
01:04 J'écris comme un truc, un moment de prise de conscience.
01:10 Et au début c'était censé être un scénario, et puis quelqu'un m'avait dit "mais tu devrais l'envoyer à Françoise Verny qui le lit et qui me dit "je veux le publier".
01:18 Bon, il y a eu le moment où j'ai dit "non, je veux plus, je veux pas que ça sorte".
01:22 Donc à chaque fois, moi j'ai ce truc-là, c'est que voilà.
01:25 Et puis finalement, Françoise Verny me dit "c'est trop tard, ma petite, c'est parti".
01:30 Et bref, tout ça pour dire qu'il sort, ce roman, et ça raconte vraiment de manière quand même assez claire,
01:36 l'histoire d'une jeune fille qui quitte un homme avec qui elle est depuis qu'elle a 14 ans,
01:40 qui s'enfuit et qui, en s'enfuyant, vole un enfant, donc c'était une métaphore.
01:48 Cet enfant, c'est elle, petite, c'est l'enfance qu'elle n'a jamais vécue.
01:52 Et ça raconte donc cette prise de liberté et ces moments de retour,
01:59 ancrés dans la vie d'une jeune fille de son époque, à l'âge où elle...
02:04 Enfin voilà. Et je suis invitée sur des plateaux de télévision, dont celui de Laure,
02:09 ce qui était très valorisant pour moi et pour ce livre.
02:13 Et c'est vrai que cet entretien, dans lequel j'essaie vraiment de m'exprimer le mieux possible...
02:20 - Est-ce que vous voulez qu'on regarde l'extrait ou pas ? Ou ça vous gêne l'une et l'autre ?
02:23 - Moi, je me gêne. - Moi, pas du tout. Je le ferai pas sans votre accord.
02:26 Bon, alors, regardons un extrait de cette émission ce soir-là.
02:29 Donc, Judith Godrech, chez Laure Adler.
02:33 - C'est l'histoire d'une jeune fille. Elle a 20, 21 ans.
02:38 Et elle décide de quitter l'homme qu'elle aime.
02:43 Elle croit qu'elle l'aime, d'ailleurs. C'est pas la raison de la rupture,
02:49 puisqu'elle dit "Je te quitte, je te quitte, même si je t'aime.
02:53 Je te quitte pour savoir quelle est la vraie vie, pour essayer d'être."
02:57 - D'exister ailleurs. Oui, c'est une fille qui a vécu très jeune avec un homme
03:03 et qui est restée assez longtemps avec lui et qui peut-être n'a pas eu d'adolescence,
03:10 qui a été comme ça projetée très vite dans un monde
03:14 où l'amour était devenu sa seule raison d'être
03:18 et qui décide de découvrir la vie, le monde extérieur
03:24 et surtout d'apprendre à découvrir la liberté, savoir ce que c'est que la liberté,
03:29 qui aimerait savoir ce que c'est que la liberté.
03:32 - Vous acceptez qu'on voit un petit extrait du film si beau, "La désenchantée" ?
03:36 - Oui, je veux bien. - On va le regarder tout de suite.
03:40 - Je crois que c'est ça que vous n'avez pas digéré.
03:44 - Là, c'est pas l'interview. Elle s'est très très resserrée.
03:48 - Non, non, bien sûr. Mais c'est encore pire, d'ailleurs.
03:51 - Oui, oui, je suis d'accord avec vous.
03:54 - Parce qu'en fait, cette interview assez longue,
03:57 en tout cas qui a été un vrai moment d'échange, se clôt.
04:01 Le dernier mot de cette interview, c'est...
04:04 Et vous acceptez qu'on filme qui n'a rien à voir, si ce n'est...
04:08 - Film de Benoît Jacot. - Oui, qui n'a rien à voir
04:12 avec ce que j'ai écrit, qui est justement "Je m'échappe, je m'enfuis, j'écris
04:18 et on me dit tu retournes dans la boîte".
04:21 C'est là que tu dois vivre, dans cette cour-là.
04:24 Pour moi, il y a vraiment quelque chose d'extrêmement patriarcal
04:30 dans cette phrase-là. "Toi, tu es jolie, tu as écrit un livre,
04:34 on en parle un peu, c'est bien, mais maintenant, on va montrer
04:38 un vrai moment de cinéma, quelque chose de magnifique,
04:41 mot qui n'a pas été employé pour parler de mon roman".
04:44 Il faut voir à quel endroit les mots ont une importance
04:47 quand il s'agit du travail d'un homme qu'on respecte, qu'on admire,
04:50 mais quand on parle du roman d'une jeune fille de 21 ans,
04:53 on ne lui dit pas "votre roman magnifique".
04:56 Il y a quand même tout un système dont vous faisiez partie pour moi,
05:00 en tout cas à cette époque-là et à cet endroit-là,
05:05 qui ne m'a pas aidée du tout, du tout, du tout.
05:08 - Comment vous entendez-vous ? - D'abord, je voudrais m'excuser
05:11 si je vous ai offensée et manifestement, ce jour-là,
05:14 je vous ai offensée. Donc, je voudrais vraiment
05:17 vous présenter mes excuses si je vous ai blessée.
05:21 Si je vous ai invitée, c'est parce que j'avais beaucoup aimé
05:25 votre roman, je m'en souviens encore aujourd'hui.
05:28 Je me souviens de la liberté de cette jeune femme,
05:32 je me souviens de l'amitié qu'elle avait avec une autre jeune femme,
05:36 je me souviens de vos mots, de la texture de vos mots,
05:40 du rythme de ce premier roman, de ce petit enfant
05:45 que vous allez trouver en marchant, enfin, que votre narratrice
05:48 va trouver dans les rues. Je l'ai interprétée comme un hymne
05:52 à la liberté, je l'ai interprétée comme une conquête
05:56 de votre intégrité, je l'ai interprétée comme une assomption
06:01 encore plus haut que votre rôle d'actrice, c'est-à-dire
06:05 une prise en main de votre propre destin, et je l'ai lue,
06:08 peut-être me suis-je trompée, puisque chaque lecture
06:11 est subjective, et je ne suis évidemment pas propriétaire
06:14 de la vérité de ce que vous avez voulu mettre dans ce roman,
06:18 mais je l'ai lue comme une sorte d'adieu à l'enfance,
06:21 et comme une sorte de prise en charge de votre propre individualité
06:27 pour pouvoir mener votre vie comme vous l'entendiez.
06:30 – Dans l'interview, je vous dis que je n'ai pas eu d'enfance,
06:33 justement, c'est difficile de dire adieu à quelque chose
06:36 par le roman que vous repreniez en main votre enfant,
06:39 je ne l'ai pas lue comme une confession.
06:42 – Non, mais de toute façon, je ne vous en veux pas plus que ça,
06:44 honnêtement, il se trouve que c'est intéressant…
06:47 – À nous quand même !
06:48 – Non, c'est intéressant, mais je pense qu'ensuite
06:50 vous avez reçu Benoît Jacot un milliard de fois
06:52 dans toutes sortes d'émissions et que vous l'avez…
06:54 – J'ai reçu Benoît Jacot, oui, comme tout le monde.
06:56 – Voilà, exactement, on est en train de parler d'un système
06:59 dont vous faisiez partie, mais on n'est pas là pour ce…
07:03 – Non, mais je voudrais terminer sur "La désenchantée",
07:05 je n'ai pas voulu, je crois vous avoir dit dans cet entretien
07:08 qui n'est pas donné in extaso, puis je ne suis pas là pour me justifier,
07:12 vous redire à quel point j'avais aimé votre premier roman,
07:16 j'avais trouvé que c'était justement une sortie de ce rôle,
07:20 peut-être de sujet que vous aviez pas assez
07:24 à l'intérieur du cinéma de Benoît Jacot,
07:27 et je trouve que si j'ai mis "La désenchantée",
07:30 et on y vient, si j'ai mis un extrait de "La désenchantée",
07:33 c'est parce que "La désenchantée" pour moi, à l'époque,
07:36 c'était vous qui étiez la muse de Benoît Jacot,
07:40 peut-être ai-je mal compris parce que c'était la période,
07:43 et que j'avais l'impression qu'il s'agissait de l'histoire
07:47 d'une jeune femme extrêmement intelligente qui aimait la poésie,
07:51 le film est animé par le désir de la poésie
07:54 et l'admiration pour Arthur Rimbaud, si je me souviens bien,
07:58 et donc pour moi, quand je clôt cet entretien
08:01 avec un extrait de "La désenchantée",
08:04 c'était parce que je vous admirais, Judith.
08:07 Je vous admirais.
08:09 Donc excusez-moi si j'ai mal fait comprendre
08:13 ma forme d'admiration,
08:16 parce que vous étiez, moi, à mon âge,
08:19 l'âge que vous aviez quand vous avez tourné "La désenchantée",
08:22 j'étais une noix blanche, je ne savais pas ce que c'était que la sexualité,
08:25 j'habitais chez mes parents, mes parents n'ont jamais parlé,
08:29 et je me disais "mais cette Judith, elle est extraordinaire,
08:32 parce qu'elle est en avance".
08:35 -C'est une réponse mal entendue.
08:37 -Et puis la réponse, elle est formidable,
08:40 parce que j'ai l'impression qu'elle vous répare aussi d'une époque,
08:44 en tout cas, je crois que votre réponse est dite comme ça,
08:47 parce que je comprends très bien ce que Judith dit,
08:50 où elle a eu l'impression qu'on la faisait taire
08:53 à chaque fois que vous essayiez de parler en réalité,
08:56 que c'était toute la société, y compris les journalistes
08:59 qui étaient en vue, et aujourd'hui, Laura Delaire,
09:02 vous êtes une des journalistes les plus aidantes
09:05 pour la cause des femmes.
09:08 -En tout cas, je m'excuse.
09:11 -C'est compliqué quand vous m'appelez "cette Judith",
09:14 mais la prochaine fois, je suis "cette Judith".
09:17 -Ca dit quand même du bien.

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