Najat Vallaud-Belkacem, directrice Générale de ONE France, présidente de France Terre d’Asile et ancienne Ministre est le date d’Azzeddine Ahmed Chaouch dans ce nouvel épisode de Speed-Datting !
Category
📚
ÉducationTranscription
00:00 Bonjour. Bonjour. Comment ça va ?
00:02 En tout cas, si vous aimez les dates,
00:04 J'adore les dates.
00:05 Vous pouvez en manger quand vous voulez pendant l'interview.
00:07 Lorsque vous étiez ministre de l'Éducation,
00:09 vos copains, je crois que c'était Valeurs Actuelles, c'est ça ?
00:12 Vous avez fait une une, moi je m'en souviens.
00:15 Vous vous souvienez de cette une ? Elle était plus que blessante.
00:19 C'était une injure.
00:21 On avait mis votre photo, c'était l'ayatollah, c'est ça ?
00:24 Moi je me souviens de la couverture de Valeurs Actuelles dont vous parlez.
00:27 Je me souviens de ma fille, j'ai un garçon et une fille,
00:30 ma fille vers l'âge de 5-6 ans, débarquant un jour dans le salon,
00:35 avec ce journal, malheureusement comme j'étais ministre et tout ça,
00:38 on recevait la presse, toute la presse en papier à la maison,
00:42 donc on n'avait pas fait attention, on l'avait laissé traîner,
00:45 débarquant avec ce journal et en me disant
00:47 « Maman, pourquoi ils disent que tu es la casseuse de l'école ? »
00:50 C'est vrai ?
00:51 Bah ouais. Alors du coup on peut en rire,
00:53 et d'ailleurs j'ai essayé d'en rire avec elle,
00:55 mais honnêtement c'est dégueulasse, c'est insupportable,
00:58 donc non j'aime pas qu'on parle…
00:59 Quand ça vient à toucher, quand ça touche la famille, aux enfants…
01:01 Alors déjà moi je vais vous appeler Najat Vallow-Belkaceb en entier,
01:04 parce que j'ai remarqué quelque chose,
01:06 quand on parle d'une femme politique,
01:08 souvent on dit Ségolène, Rachida, Rama, Fadela ou Najat.
01:12 Pourquoi on vous réduit comme ça à un prénom ?
01:15 On va dire que c'est par affection.
01:17 Partager naturellement cette affection réciproque.
01:21 C'est un vrai truc que j'ai remarqué,
01:24 pourquoi on se permet de dire Najat ou Ségolène,
01:28 et qu'on ne dit pas Gérald par exemple ?
01:31 J'en ai eu conscience un jour, on est en 2008,
01:34 je me présente dans une élection au Conseil Général à Lyon,
01:38 dans un canton qui n'a jamais été à gauche.
01:41 D'ailleurs, comme d'habitude, on m'envoie là au casse-pipe.
01:45 Sauf que ce canton, je vais le remporter en réalité,
01:48 à la surprise générale.
01:49 Je me souviens très bien du bureau dans lequel
01:52 on décompte les voix le dimanche soir du second tour.
01:57 Et les gens qui décomptent au début disent
02:00 "Valobel Kassem Najat", "Najat Valobel Kassem",
02:03 puis ensuite ils disent le nom de mon adversaire, etc.
02:05 quand c'est son bulletin qui sort.
02:07 Puis au bout d'un moment, mon nom à moi revenait tellement fréquemment,
02:11 et en fait ils étaient contents qu'ils reviennent fréquemment,
02:13 qu'au lieu de dire "Najat Valobel Kassem",
02:15 ils ne disaient plus que "Najat, Najat, Najat, Najat".
02:17 Et donc du coup, j'ai trouvé ça tellement sympathique et affectueux
02:21 que je me souviens toujours que ça peut aussi procéder
02:24 de quelque chose de sympa.
02:25 En politique, ça peut être sympa,
02:26 parce que quand on est proche des gens,
02:28 on dit que ça peut faire des voix en plus.
02:30 Et je pense qu'il y a une plus grande proximité
02:32 avec les femmes politiques, tout simplement.
02:33 Il y a une espèce de distance qui existe avec les hommes politiques
02:37 qui est moindre avec les femmes.
02:38 Un jour, dans le cadre d'une autre campagne électorale,
02:40 je suis à Lyon, toujours, dans un quartier plutôt populaire,
02:44 dans lequel je suis accostée par des jeunes...
02:50 C'était plutôt des jeunes hommes,
02:52 il n'y avait pas de filles parmi eux,
02:54 mais qui étaient là, et moi je distribuais mes tracts.
02:56 Et donc je suis contente qu'ils m'accostent,
02:58 parce que je me dis "Ah, ils vont s'intéresser à ce que j'ai à leur dire".
03:01 Et ils m'écoutent rapidement, que d'une oreille,
03:05 et puis ils me disent "En fait, on a une question à vous poser.
03:09 Votre nom, c'est donc Najat Valobel Kassem,
03:13 mais votre nom, c'est Belkassem, c'est ça ?
03:15 Oui.
03:16 Mais pourquoi...
03:17 Donc Valo, c'est quoi ?
03:18 C'est le nom de mon mari.
03:19 Ok, donc vous avez choisi de garder les deux noms,
03:22 mais pourquoi vous avez mis Valo avant Belkassem ?
03:24 Vous avez honte de votre nom Belkassem ?
03:26 Et là, je me suis dit "Ah ouais, les gens attachent de l'importance".
03:31 - Avec une responsable politique d'origine maghrébine, marocaine, en l'occurrence,
03:36 vous dites "Il n'y a pas que votre parcours que vous avez sur les épaules,
03:39 vous sentez qu'il y a des gens derrière vous".
03:40 - Ah oui, mais ça, je l'ai compris assez vite en politique.
03:42 C'est intéressant d'ailleurs, parce que c'est un vrai cheminement.
03:44 Et en fait, au bout d'un moment, vous comprenez que vous le vouliez ou pas,
03:48 c'est comme ça, à travers vous, ce qu'on voit, c'est aussi les gens qui vous ressemblent,
03:53 qui sont de la même origine que vous, etc.
03:55 Et donc du coup, vous portez sur les épaules la nécessité de bien représenter ces gens-là,
03:59 en vérité, de donner une belle image.
04:01 Malgré vous, comme vous avez la pression,
04:03 même si vous ne les représentez pas, on vous fait devenir ambassadrice de quelque chose.
04:08 - Bien sûr, et la pression, elle est souvent très amicale, entendons-nous bien.
04:12 Elle n'est pas désagréable, c'est celle qui va consister pour, je ne sais pas,
04:16 tant de personnes rencontrées, croisées comme ça dans la rue,
04:19 qui viennent vous voir en vous disant "Ah, ça nous fait tellement plaisir que vous nous représentiez,
04:23 je dis à mes enfants de vous regarder pour s'inspirer de vous".
04:27 Et puis en même temps, elle est aussi négative, la pression, dans le sens où,
04:32 globalement, il y a beaucoup de gens qui ne sont pas très heureux à l'idée
04:40 qu'une personne d'origine étrangère, de culture musulmane, etc.,
04:44 puisse exercer des responsabilités en France.
04:46 Et ces gens-là n'attendent qu'une chose, c'est que vous trébuchiez,
04:50 c'est que vous fracassiez la tête.
04:52 Et donc du coup, si vous trébuchez, si vous fracassez la tête,
04:57 ça amène de l'eau à leur moulin qui consiste à dire
05:00 "Vous voyez bien que cette communauté n'est pas faite pour s'insérer, s'intégrer,
05:06 prendre des responsabilités, etc."
05:08 Ça a été plus dur d'être une ministre d'origine marocaine ou une ministre femme d'ailleurs ?
05:13 Moi, mon expérience, c'est que quand je rentre au Parti Socialiste,
05:17 donc ma première expérience dans une formation politique,
05:19 d'une certaine façon, c'est davantage la caractéristique "femme" qui me dessert,
05:25 entre guillemets, que la caractéristique issue d'immigration.
05:28 C'est très intéressant. Pourquoi ? Parce qu'en fait, en étant femme,
05:31 vous avez, vous ne pouvez pas le savoir, mais vous avez intériorisé
05:34 un certain nombre de modes de fonctionnement qui ne sont pas adaptés à la politique.
05:38 Toute votre vie, vous avez été élevée, éduquée, culturellement, etc.
05:42 dans un mode de fonctionnement qui n'est pas adapté à la politique.
05:44 Par exemple, mes premières réunions de section au Parti Socialiste,
05:48 comme toute femme, jeune femme, je suis dans la logique de
05:53 "Si je n'ai rien d'intéressant à dire, je ne le dis pas."
05:55 Alors que les codes de la politique, je finirai par le comprendre au bout d'un moment,
06:01 c'est "Tu n'as rien d'intéressant à dire, pas un raison de plus pour le dire."
06:04 En fait, ce qui compte, c'est de marquer ton territoire,
06:08 ce qui compte, c'est de t'inscrire dans la rétine des observateurs
06:11 et donc de passer pour quelqu'un qui compte, puisque tu parles.
06:14 Je dirige une ONG qui s'appelle OAN, qui est une ONG de solidarité internationale
06:18 qui lutte contre l'extrême pauvreté et ce qu'on appelle les maladies évitables,
06:22 c'est-à-dire les maladies dont des gens, et notamment des enfants,
06:25 continuent de mourir alors qu'on sait les soigner.
06:28 Et puis par ailleurs, je préside France Terre d'Asile,
06:32 qui est une association bien connue en France qui accueille, héberge et accompagne les demandeurs d'avis.
06:38 Vous vous sentez plus utile aujourd'hui à la tête d'une ONG ou en tant que politique ?
06:42 Moi, dans mes différentes fonctions, je trouve de l'utilité.
06:46 Honnêtement, quand j'étais élue locale, par exemple,
06:49 je n'étais pas en train de me dire "il faudra que j'attende d'être un jour élue nationale pour avoir une vraie utilité".
06:55 J'étais utile à l'échelle de ma ville, de mon canton, de ma région, dans mes différentes responsabilités.
07:01 Et aujourd'hui, je me sens utile dans un autre univers et dans un autre champ, mais qui est tout aussi important.
07:09 Il était sympa Emmanuel Macron quand il était votre collègue ?
07:12 Vous sentiez déjà l'ambition du gars qui voulait être le big boss ?
07:17 Il était comme maintenant, sans doute en moins crispé,
07:20 parce que l'exercice du pouvoir présidentiel le rend,
07:24 comme maintenant dans le sens capable de séduire quand même.
07:28 Je pense que c'est ce qu'il caractérise, sinon il ne serait pas là où il est.
07:32 Il était capable de séduire avec cette espèce d'aptitude assez particulière
07:36 de laisser croire à tout interlocuteur qui était en face de lui
07:39 que ce que ce dernier racontait était la chose la plus intéressante et originale
07:45 qu'il ait jamais entendue de sa vie.
07:47 Son avis l'avait déjà tranché dans sa tête.
07:49 Je trouve que c'est une qualité qu'il faudrait apprendre dans les écoles.
07:52 Qu'est-ce qui est le plus réalisable, une femme présidente ou un arabe ou une arabe président en France ?
08:00 Un jour, j'avais été vraiment choquée parce que je m'étais rendu compte
08:12 qu'il y a des séries politiques, "Baron Noir" par exemple, non pas "Baron Noir",
08:16 "Les Sauvages" qui racontent l'arrivée d'un arabe à la tête de l'Elysée.
08:22 "Roche d'Isème"
08:24 Et s'agissant des séries politiques qui raconteraient l'arrivée d'une femme,
08:28 j'avais lu, je suis désolée ça ne me revient pas,
08:31 mais l'histoire d'une série qui s'est faite je crois,
08:34 dans laquelle normalement c'était une femme qui devait devenir présidente,
08:39 et l'actrice qui devait jouer le rôle de cette femme s'est décommandée au dernier moment du tournage.
08:47 C'est incroyable, je vais vous retrouver ça.
08:49 Et donc, obligeant le scénariste, réalisateur, etc. à changer ce qu'ils avaient prévu
08:55 comme dénouement de la campagne présidentielle qui avait cours.
08:59 Vous vous dites, mais même dans la fiction, on n'arrive pas à avoir une femme présidente.
09:04 Dans "Baron Noir", si il y a une femme présidente…
09:06 Après, vous venez de me donner l'exemple de "Baron Noir".
09:08 On vous entend peu parler, ou peut-être qu'on vous interroge peu, de vos origines marocaines.
09:12 Quel est le rapport avec votre pays d'origine ?
09:14 Je suis retournée récemment dans le village de mon enfance,
09:17 ça a fait pas mal circuler sur les réseaux sociaux et tout ça,
09:20 et en fait les gens, ça a été un déversement de messages,
09:23 enfin ça m'a énormément touchée honnêtement,
09:25 parce qu'en fait les gens sont contents,
09:27 sont contents qu'on parle de ses racines, de ses origines.
09:30 On n'est pas des robots, on a une histoire, on a un passé,
09:35 et je pense que c'est important de la remettre au centre du jeu.
09:38 C'est quand votre dernier date dans la vie ?
09:41 Faut que je fasse attention, parce que je suis mariée et tout.
09:44 Mais non, mais évidemment, vous quand vous dites "date",
09:48 ça peut être un "friendly date" ou quelque chose comme ça, un "job dating".
09:51 C'est une question… Oui, il y a du "job dating".
09:54 Bon non, mais je ne sais pas.
09:56 En fait, d'une certaine façon,
09:58 de façon totalement innocente évidemment, et sans arrière-pensée,
10:02 j'ai des dates tous les jours.
10:04 Un "big date", un "grand date".
10:05 Exactement, c'est très joli.
10:06 Quand vous devez éconduire quelqu'un,
10:08 quand vous avez dû éconduire quelqu'un,
10:10 c'est quoi votre technique pour mettre un vent de manière élégante ?
10:13 De rire.
10:14 À chaque fois que je suis mal à l'aise, je ris.
10:16 Vous n'avez pas remarqué ?
10:18 Je leur ai dit, vous allez voir,
10:20 quand elle veut sortir de la situation, elle rit et ça passe.
10:22 Mais oui, et en fait parfois les gens le prennent mal
10:25 en trouvant que c'est de l'arrogance ou une forme de trop grande légèreté,
10:28 mais pas du tout, c'est ma façon à moi de dire "je suis mal à l'aise, arrêtez".
10:31 Est-ce que vous avez passé un bon moment ou pas ?
10:33 Oui, super, sympa.
10:35 On se rappelle ?
10:36 Chiche.
10:37 *rire*