Retrouvez William Leymergie entouré d’experts, du lundi au vendredi en direct dès 12h30, pour une émission dédiée aux problématiques de notre quotidien.
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00:00 "Tic-tic-tic-tic"
00:03 -Bonjour, Sarah. -Bonjour.
00:05 -Vous êtes auteur, fondatrice de l'association
00:08 "125 et après". Vous étiez venue en parler ici,
00:10 si je me souviens bien, et qui vient en aide
00:13 aux femmes victimes de violences.
00:15 Avant d'en dire plus, on va regarder la bande-annonce
00:18 du documentaire que vous incarnez.
00:20 Musique douce
00:22 -Je m'appelle Sarah Baruc. J'ai 43 ans.
00:26 Pendant 10 ans, j'ai vécu avec la peur au ventre.
00:30 ...
00:32 Tous ces visages derrière moi, c'est un an de féminicide en France.
00:35 -Interdiction d'écouter de la musique, de danser,
00:39 de regarder des films, de vivre, quoi.
00:41 -Aujourd'hui, j'ai réussi à m'échapper de cette emprise.
00:44 Cette liberté, j'ai décidé de m'en servir.
00:47 J'essaye de sensibiliser les entreprises.
00:49 J'ai même créé un sac de départ.
00:51 -Et du coup, on a caché dans le fond du sac
00:54 un double fond, très discret, comme ça.
00:56 -Faire bouger les lignes, c'est le défi que je me suis lancé.
01:00 -Création documentaire, vivante.
01:03 Mardi 5 mars à 21h sur Canal+.
01:05 Suivi de la pièce "Tout le monde savait",
01:08 avec Sylvie Testu.
01:10 -Il faut peut-être rappeler ce qui a participé
01:13 à la création de ce documentaire.
01:15 -Je me suis enfuie avec mon bébé
01:17 dans la nuit du 5 au 6 juin 2020.
01:20 Et lorsque je suis arrivée chez mes parents,
01:24 qui m'ont recueillie pendant plusieurs mois,
01:27 j'avais vraiment honte,
01:29 parce que j'avais l'impression que je ne correspondais pas
01:32 aux stéréotypes des femmes victimes de violences,
01:35 que pour moi, ça devait être lié à un certain niveau
01:39 de moyens, à une capacité de s'exprimer
01:42 dans la langue d'un pays.
01:44 Je suis issue de l'immigration.
01:46 J'ai grandi avec des grands-parents
01:48 qui avaient toujours un dictionnaire à portée de main.
01:51 Je sais que c'est difficile de s'exprimer
01:54 quand on ne vient pas d'un pays.
01:57 J'ai un père médecin, une mère institutrice,
01:59 j'ai fait 10 ans d'études, j'étais indépendante,
02:02 et je ne comprenais pas ce que je faisais là,
02:05 dans ma chambre d'ado, avec mon bébé,
02:07 à avoir des convocations chez l'assistante sociale,
02:10 la police, etc.
02:11 Et donc, je me suis mise à chercher
02:13 qui étaient les femmes qui meurent de la violence.
02:16 Chaque fois que je trouvais un article,
02:19 je trouvais les circonstances du meurtre.
02:22 Est-ce qu'elle a eu 38 coups de couteau ?
02:25 C'est la question du lendemain.
02:27 En fait, c'est 39.
02:28 Donc, les détails sordides.
02:30 Déjà, les circonstances atténuantes
02:32 du potentiel coupable.
02:34 Il avait bu, elle le quitte,
02:37 il n'a pas supporté, etc.
02:39 Mais finalement, rien sur les victimes.
02:42 On ne sait pas qui sont ces femmes.
02:44 Et pire encore...
02:45 -Vous parlez de quelle époque ?
02:47 -En 2020.
02:48 -Ah oui, c'est là.
02:50 -Et vous, vous avez mis combien de temps à partir ?
02:53 -10 ans.
02:54 -10 ans à partir du foyer, du coup,
02:56 de celui qui vous battait.
02:58 -Voilà.
02:59 Et ça, c'est...
03:00 En fait, j'ai décidé de partir.
03:02 J'ai su qu'il faudrait partir quand j'ai eu ma fille.
03:05 Et j'ai eu ma fille.
03:06 Je me rends compte de ça.
03:09 Je vois aussi les décomptes de féminicides
03:11 qu'on pratique.
03:12 Je me dis que si ça s'était mal fini pour moi,
03:15 ça aurait été horrible pour ma famille
03:17 que je devienne un numéro.
03:19 Je me suis mise en tête de les humaniser.
03:21 C'est comme ça qu'est née l'idée
03:23 "125 et 3". -Ca part d'un livre.
03:25 -Voilà. Le nombre moyen officiel de féminicides.
03:29 J'ai retrouvé... -En un an.
03:30 -En un an, en France.
03:32 J'ai retrouvé 125 familles
03:33 que j'ai toutes interrogées pour savoir qui étaient...
03:37 -Elles parlaient facilement ?
03:38 -Ca m'a pris 3 ans.
03:40 -Ah oui ? Elle les convainc en disant
03:42 "Je suis comme vous, j'ai vécu ça."
03:44 -Ca a été l'argument, mais c'était long.
03:47 Entre le moment où on lit le prénom d'une femme morte
03:50 dans un article qui est parfois changé
03:52 et on obtient le numéro de portable de sa maman,
03:55 il y a beaucoup d'étapes.
03:56 -Qu'est-ce qu'on va pouvoir découvrir
03:59 au fil de ce documentaire ?
04:01 Les témoignages, bien sûr.
04:03 -C'est surtout...
04:04 Les témoignages, ils étaient dans le livre,
04:06 dans "125 et des milliers".
04:08 On s'est dit qu'est-ce qu'on peut faire
04:11 pour ramener la société avec nous ?
04:13 Le féminicide, c'est pas un problème de l'intime,
04:16 c'est un problème de société.
04:18 C'est les schémas de notre société
04:20 qui nous permettent des relations asymétriques,
04:22 qui nourrissent une forme de virilité dominante,
04:26 la force, etc.,
04:28 et une forme de féminité.
04:29 Au contraire, plus on est douce, plus on est gentil,
04:32 et plus on est une femme telle qu'on attend de nous.
04:35 Et tout ça, cette asymétrie génère de la violence.
04:39 Donc, si la société est responsable,
04:42 il faut qu'elle soit aussi la solution.
04:45 Et pour l'avoir vécue,
04:46 on peut pas avoir l'Etat, la police,
04:49 les avocats 24h/24, 7j/7,
04:52 même une fois qu'on est parti, c'est impossible.
04:55 À un moment donné, il faut des solutions
04:57 et des soutiens qui viennent aussi.
04:59 Donc, c'est un film de solutions.
05:01 C'est un film qui prend le problème de manière...
05:04 -Qui peut vous apporter des solutions
05:06 si ce n'est pas ceux que vous indiquez ?
05:09 C'est la police, la justice, les associations...
05:11 -Je vais vous donner un exemple simple.
05:14 Le gros de mon travail, c'est de travailler
05:16 à faire en sorte que les entreprises
05:19 puissent avoir des "safe places", des lieux-refuges,
05:21 tout bêtement en adoptant des bons réflexes.
05:24 Si on dit pas à une salariée qu'elle peut porter plainte
05:27 pendant son temps de travail, elle ne peut pas,
05:30 car chez elle, elle est fliquée.
05:32 62 % des femmes qui portent plainte sont salariées en Europe.
05:35 Donc, ça veut dire que l'immense majorité des femmes
05:38 entre 25 et 60 ans sont, en fait, dans l'entreprise.
05:43 Donc, si on ne fait pas de prévention dans l'entreprise,
05:46 si on ne leur permet pas d'aller chercher un appartement
05:49 pendant leur temps de travail, elles ne peuvent pas le faire.
05:53 Si on ne leur apprend pas à démystifier
05:56 la notion de victime,
05:57 puisque souvent, les femmes refusent de se reconnaître victime,
06:01 elles ne se reconnaissent pas dans les stéréotypes,
06:04 puisqu'on parle tout le temps de la violence physique,
06:07 un oeil au beurre noir, du sang, etc.,
06:09 mais 60 % des femmes qui meurent d'un féminicide
06:12 meurent au premier coup.
06:13 La grande majorité des victimes de féminicide,
06:16 ce qu'elles ont en commun, c'est la violence psychologique.
06:19 -Qui précède, en fait. -Qui précède.
06:21 -Ah oui. -Mais c'est une minorité, en fait,
06:24 celles qui sont battues tous les jours.
06:26 -Encore, tout n'est pas dit, là.
06:28 Vous avez vécu ça de l'intérieur.
06:31 Est-ce que vous auriez un conseil,
06:33 quelque chose à dire à ces femmes
06:35 qui se retrouvent ou qui vont se retrouver victime de violence ?
06:38 -Je leur conseille, si elles ont des doutes,
06:41 de faire le test que j'ai créé, "Suis-je victime de violence ?"
06:44 qui a le soutien de la vice-présidente
06:47 de l'Ordre national des médecins, du CNVIF,
06:49 et je suis convoquée au ministère de la Justice
06:52 pour qu'il soit déployé. Il prend 10 minutes.
06:55 Ensuite, si on est concerné,
06:56 il y a des étapes à faire toutes seules, chez soi.
06:59 Et surtout, je voudrais dire que c'est pas parce qu'on a été victime
07:03 qu'on continue de l'être.
07:05 C'est pas une condamnation à vie.
07:07 On a été victime de telle date à telle date,
07:10 et ensuite, la vie, elle peut être belle.
07:12 C'est pour ça qu'on a fait ce film.
07:14 -On peut s'en sortir.
07:16 -C'est une ode à la vie, et justement,
07:18 on a donné trop de temps à la noire soeur
07:21 pour lui en accorder encore.
07:23 -Merci, Sarah.
07:24 Alors, ça s'appelle "Vivante".
07:26 C'est un documentaire réalisé par Claire Lajeuny
07:30 et c'est diffusé ce soir à 21h sur Canapuz.
07:33 Merci de votre visite. -Merci à vous.
07:35 -Et bonne chance.
07:37 [Musique]