• il y a 9 mois
L’écrivain, Sylvain Tesson, parle des voyages contre l’enracinement : «On ne peut pas vivre que dans l’oscillation».

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Transcription
00:00 -Non, mais moi, l'oscillation entre la marche et la navigation,
00:02 d'abord, je n'en fais pas une théorie métaphysique ni politique.
00:08 C'est plutôt...
00:09 J'apprécie là un mode de vie et même un mode opératoire du voyage
00:15 que je trouve extrêmement efficace.
00:18 C'est le mode opératoire amphibie,
00:20 consistant à passer du pont du bateau au bivouac dans la lande
00:24 et puis à redescendre sur la crique pour regagner le bord et repartir.
00:29 C'est ce que font peut-être les fées,
00:31 ce que faisaient les Celtes quand ils cabotaient,
00:34 ce que font les nageurs de combat,
00:36 sauf que moi, je le fais d'une manière beaucoup plus civile
00:39 et sans aucun enjeu, et beaucoup plus facile.
00:42 C'est un mode opératoire merveilleux
00:44 parce qu'il évite le grand malheur de l'homme,
00:47 qui est l'insatisfaction et la lassitude.
00:50 On est toujours contents de regagner le bord et ses amis à bord,
00:53 et on est toujours contents de les quitter quand on regagne la lande.
00:57 C'est un mode opératoire très joyeux.
00:59 D'ailleurs, il n'y a pas de grenouilles dépressives.
01:02 Vous avez déjà vu un crapaud norasténique ? Non.
01:05 Ce qui prouve que...
01:06 Je vous donne des arguments scientifiques
01:09 pour vous montrer que le mode opératoire amphibie
01:12 est toujours le meilleur.
01:13 Après, vous avez raison.
01:15 Il y a un moment où on ne peut pas vivre que dans l'oscillation.
01:19 Le changement de milieu, comme disent les alpinistes,
01:24 ce n'est pas une vertu.
01:28 Et moi, je ne l'enrichis pas en mode de vie.
01:32 J'en fais un mode opératoire.
01:35 Après, je trouve effectivement une valeur immense,
01:38 une vertu immense dans le choix d'une présence.
01:44 Mais c'est autre chose.
01:45 Je ne parle plus de monde naturel.
01:48 Je ne parle plus du passage entre la mer et la lande
01:52 avec ce fil tellement mystérieux qu'il s'appelle le littoral.
01:55 -Le voyage est une quête.
01:57 Et la quête, vous la nommez comme telle,
01:59 c'est le Graal.
02:01 Est-ce qu'on pourrait dire, sans forcer le trait,
02:05 qu'à votre manière, vous avez repris cette quête
02:08 tout en trouvant des définitions, non pas contradictoires,
02:11 mais qui se succèdent les unes aux autres, du Graal ?
02:15 -Oui, on est obligé de chercher la définition du Graal
02:19 étant donné que Chrétien de Troyes, au XIIe siècle,
02:21 ne la donne pas.
02:23 Il procède avec le Graal comme Lao Tzu avec le Tao.
02:29 C'est-à-dire que le Graal pourrait presque être le Tao occidental.
02:35 C'est-à-dire ce qui existe tant qu'il n'existe pas.
02:39 À ce moment-là, la quête du Graal devient une sorte de fusion
02:43 entre le substantif, la quête,
02:44 et son complément d'objet direct, le Graal.
02:47 L'un est dans l'autre, si je puis dire.
02:50 C'est-à-dire que le Graal finit par devenir le fait de le chercher.
02:55 On est obligé de trouver une définition.
02:57 Qu'est-ce que c'est ?
02:58 Est-ce le calice certi de diamants qui a servi à recueillir le sang du Christ ?
03:04 Ou au contraire, peut-être une petite coupelle d'argile
03:08 tout à fait modeste qu'un être a tenue
03:11 sous les gouttes du sang des plaies du Christ ?
03:15 Est-ce que c'est la symbolique de nos meilleurs vercus,
03:18 du meilleur de nous-mêmes, vers lequel il faudrait tendre ?
03:21 Je ne sais pas, je cherchais.
03:23 Jusqu'alors, je croyais que c'était le mouvement, le Graal, la quête.
03:26 C'est pour ça que, hyperdument, j'ai moissonné
03:29 depuis des dizaines d'années les kilomètres en me disant
03:32 que tant que j'avance, c'est que j'ai trouvé quelque chose.
03:35 Et puis, vous voyez, il faut quand même être assez stupide
03:39 pour attendre 52 ans avant de comprendre
03:44 que le Graal, c'est peut-être précisément le moment
03:46 où on a trouvé une raison de s'arrêter.
03:48 Et il n'y en a qu'une, au fond.
03:50 Et dans la littérature, comme dans le chant intérieur,
03:53 il n'y en a qu'une, raison de s'arrêter.
03:55 Il n'y a qu'un Graal, et c'est l'amour.
03:57 Alors voilà, vous vous rendez compte.
03:59 Moi, je vais finalement de banalité en banalité,
04:02 sauf que j'ai besoin de faire beaucoup de kilomètres un peu extravagants
04:05 pour arriver à ces banalités-là.
04:07 (Générique)
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