• il y a 8 mois
Notre chroniqueuse déplore la rareté des personnalités politiques romanesques dans la France d'aujourd'hui.

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Transcription
00:00 "Oh capitaine, mon capitaine"
00:02 Vous vous souvenez certainement de la scène finale du film culte des années 90
00:07 "Le cercle des poètes disparus"
00:09 inspiré du livre de Nancy Kleinbaum
00:11 lorsque debout sur leur pupitre, les élèves du collège de Welton
00:15 entendent ce refrain avant le départ du professeur John Keating
00:19 admirablement interprété par Feu Robin Williams.
00:23 Ces quelques mots tirés du poème de Walt Whitman en hommage à Abraham Lincoln
00:28 résonnaient comme un cri déchirant
00:31 saluant le panache de cet enseignant atypique
00:34 qui incitait les pensionnaires à ne pas se fier aux normes
00:38 et à vivre de manière romanesque.
00:40 Le film a inspiré à tout jamais la pellicule et nos cœurs au fer rouge.
00:45 Qui n'a pas rêvé d'un instituteur de cette trempe ?
00:48 Et où sont les personnages hors normes
00:50 capables dans leur domaine de penser et d'agir différemment ?
00:54 Quel est de nos jours le personnage le plus romanesque de la vie politique française ?
00:58 Cette question, ou plutôt cette colle,
01:01 m'a été récemment posée par un ami passionné par la grande histoire
01:05 et ses belles figures.
01:07 Quel responsable est capable aujourd'hui
01:09 de réciter autre chose que le catéchisme de l'ENA
01:12 sans recracher les fiches stabilotées des cabinets de conseil ?
01:16 Sourcils froncés et mous perplexes,
01:18 je cherche une réponse sans qu'aucun nom ne s'impose.
01:22 Bien sûr, je pourrais citer une flopée d'élus
01:25 qui connaissent parfaitement les ressorts intimes de l'imaginaire collectif.
01:29 Marie-Hélène Thauraval, maire de Romand-sur-Isère,
01:32 Robert Ménard, maire de Béziers,
01:34 Karl-Olive, députée et ancien maire de Poissy,
01:37 ou encore les ex-ministres Pierre Lelouch et André Valigny
01:41 savent ce que c'est que d'être habité par la longue mémoire de notre pays,
01:45 quelle que soit leur étiquette politique.
01:48 Mon ami Akiès, tout en me relançant
01:50 sur la personnalité capable de nos jours de parler de la France
01:54 comme d'un roman d'amour,
01:55 une personnalité apte à penser les cicatrices à l'âme de ce vieux pays chrétien,
02:01 une personnalité susceptible d'évoquer la grandeur charnelle et spirituelle de la nation.
02:07 Quelles figures au plus haut sommet de l'État
02:09 caressent les frontières d'une géographie sentimentale
02:13 avec un cœur de mousquetaire ?
02:15 Je me creuse la tête, les visages défilent.
02:18 Où sont les impétueux pour reprendre le titre d'un livre de l'excellente Catherine Ney,
02:23 personnage ô combien romanesque ?
02:26 Dans la France actuelle, quel responsable au pouvoir
02:29 possède encore la faconde littéraire de François Mitterrand,
02:33 l'empathie naturelle de Jacques Chirac,
02:36 ou encore la capacité à électriser les foules de Nicolas Sarkozy ?
02:40 Je ne trouve toujours pas.
02:41 Le ton de mon ami se fait plus insister en personne.
02:44 Et donc vraiment, personne me lance-t-il un brin agacé ?
02:48 Pour gagner du temps, je lui rétorque que dans le cadre étriqué de notre vie politique,
02:52 au pays des gestionnaires et des communicants,
02:56 des figures comme celle de Philippe Séguin
02:58 ne pourraient plus trouver leur place dans un gouvernement en 2024.
03:02 Sanguin, rebelle, visionnaire, atypique, brute de décoffrage,
03:06 cet animal politique gaulliste et souverainiste avait tout compris.
03:10 Mais il resta hélas incompris de la droite.
03:13 Nous sommes désormais dans l'ère de la post-politique,
03:16 une période gangrénée par un consensus mou
03:19 qui relègue aux extrêmes toute opposition de fond
03:22 et toute personnalité sortie du cadre.
03:25 Emmanuel Macron s'est parfaitement fondu dans ce système
03:28 dont il est l'incarnation ultime.
03:31 Les mêmes qui ont cru en 2017 à une offre nouvelle
03:34 transcendant les clivages se rendent compte douloureusement
03:38 que le centrisme radical incarné par l'actuel président
03:41 a en tout annihilé le clivage droite-gauche.
03:44 La fameuse troisième voie n'est que l'autre nom du cercle de la raison.
03:48 Comment alors un tel système peut-il produire
03:51 des personnalités hors normes, voire romanesques ?
03:54 Je n'y crois plus.
03:55 Philippe de Villiers trouverait-il sa place dans ce cadre,
03:58 lui qui sait mieux que personne parler de l'arrière-pays mental
04:01 et exalter avec poésie la fierté cocardiaire ?
04:05 Dans une France grignotée de toutes parts,
04:08 l'ancien ministre porte haut la mémoire vivante du dépôt millénaire.
04:12 Mais le carcan politique actuel broie les figures singulières
04:16 pour les bouter hors des affaires de la cité.
04:19 Mon ami en convient, mais il ne lâche pas pour autant l'affaire
04:22 et exige que je lui cite au moins trois noms.
04:26 Finalement, après de longues minutes de réflexion,
04:29 trois personnalités se détachent malgré tout du lot.
04:32 Rachida Dati, Jean-Luc Mélenchon et Éric Dupond-Moretti.
04:37 Trois figures, trois parcours et trois manières aussi
04:40 d'incarner une forme de romanesque dans ce qu'il reste de la vie politique.
04:44 Rachida Dati a fleur de regard.
04:47 Alors si Marc Lavoine troquait son micro de chanteur
04:51 contre celui d'intervieweur, il observerait ce que j'ai souvent constaté
04:55 en interrogeant la ministre de la Culture.
04:57 Ses yeux revolvèrent.
04:59 Rachida Dati regarde son interlocuteur avec le doigt sur la gâchette,
05:04 à bondir comme un fauve sur sa proie.
05:07 C'est une particularité chez ceux qui ont dû se battre pour s'imposer.
05:11 Ne jamais relâcher l'attention.
05:13 Une attention que la ministre s'est captée
05:15 quand elle entre sur scène ou dans un studio.
05:18 Dati est un aimant qui attire tout à elle.
05:20 Tout. Les louanges comme les critiques.
05:23 Dans ce domaine, sa gémellité avec Nicolas Sarkozy est frappante.
05:26 Tous deux ont aussi un paquet d'énergie à revendre
05:29 et des blessures intimes qui en font des personnages romanesques.
05:33 Jean-Luc Mélenchon a fleur d'honneur.
05:36 Quoi qu'on pense de ses idées, Jean-Luc Mélenchon est l'un des derniers fauves.
05:40 Il réagit au cœur de tour et repère toutes les opportunités
05:44 avec le flair d'un chasseur hors pair.
05:47 Si on met de côté ses colères homériques et ses multiples outrances,
05:51 l'homme possède des atouts indéniables qui lui permettent,
05:54 ou plus précisément qui lui permettaient autrefois,
05:57 de tenir des discours enflammés sur la laïcité
06:01 du temps où il était un républicain irréprochable
06:04 et même un intransigeant laïcard.
06:07 Habil-Retter reconnaît sans lui la qualité rare en politique
06:10 de convoquer encore les grands auteurs dans ses meetings politiques.
06:14 Cet art oratoire, associé à une geste particulière,
06:18 est une denrée rare de nos jours.
06:21 Éric Dupond-Moretti a fleur de peau.
06:24 Le ministre de la Justice est un instinctif contrarié.
06:27 Après avoir fonctionné pendant des années au culot
06:30 de son position en tant qu'avocat,
06:32 le voilà contraint en politique de peser et sous-peser
06:35 ses effets de manche sans provoquer d'effets de surprise.
06:38 Désormais expert pour mener des procès en extrémisation,
06:42 il consacre la moitié de ses prises de parole dans l'hémicycle
06:45 à brocarder les oppositions.
06:47 Étrange attitude convenue de la part de ce grand bretteur
06:50 dont les forces et les fragilités se lisent dans un regard
06:53 à la fois sûr de son fait et habité par une hypersensibilité touchante.
06:58 Tout ce qui caractérise un personnage romanesque.
07:01 Dati, Dupond-Moretti, Mélenchon,
07:04 tous trois sont des espèces en voie de disparition.
07:07 Ainsi va la politique, ou plutôt la communication politique.
07:11 Mon ami est quelque peu dépité, je le suis aussi.
07:14 Nous sommes tous orphelins des personnalités autrefois capables,
07:17 en politique, à l'écran, comme dans la vie d'ailleurs,
07:21 d'exploser le cadre.
07:23 Ô capitaine, mon capitaine, où es-tu donc ?

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